Mme la Présidente, Mmes et MM. les parlementairesParlementaires, pour Florence Merloz et moi-même, c'est un grand honneur et un privilège de nous exprimer devant vous. Merci de cette opportunité de partager avec vous, à la fois une expérience, des informations et des réflexions, en espérant qu'elles soient utiles à vos travaux. Nous serons heureux, non seulement aujourd'hui, mais aussi à l'avenir, de poursuivre cet échange et ce dialogue sur ce sujet important du rapport que la France entretient avec la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette Cour est l'institution clef du Conseil de l'Europe pour de nombreux de nos concitoyens. Elle en est l'institution la plus visible et contribue de façon évidente à son rayonnement.
De la même manière, par sa place, par ses caractéristiques, la Cour européenne des droits de l'Homme contribue aussi au rayonnement de la France. Présente sur le territoire français, ce qui n'est pas indifférent pour cette relation, cette juridiction internationale utilise, avec l'anglais, la langue française. Enfin, la Cour de Strasbourg applique une convention internationale et a développé une jurisprudence pour lesquelles l'influence française est évidemment très notable. Il importe donc évidemment que nous puissions contribuer, à l'avenir, à maintenir ce lien et cette influence.
Comme vous l'avez rappelé, Mme la Présidente, M. le Président de la République, peu de temps après son élection, en recevant à Paris tout d'abord lep Président de la Cour européenne des droits de l'Homme puis en rendant visite récemment aux membres de cette même Cour à Strasbourg, a manifesté toute l'importance qu'il attache à cette institution et à sa relation avec la France.
Cette relation étant multiple, nous nous attacherons, Florence Merloz et moi, à l'aborder sous plusieurs angles. Je ferai tout d'abord une présentation de caractère général sur différents aspects institutionnels et Florence Merloz, entrera plus en détail sur des aspects touchant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, au contentieux concernant la France et à son impact sur la législation nationale.
S'agissant des relations institutionnelles de la France avec la Cour européenne des droits de l'Homme, il convient d'évoquer en premier lieu la représentation de la France devant cette juridiction. Comme vous l'avez rappelé, la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, plus particulièrement à travers sa sous-direction des droits de l'Homme, est chargée de représenter la France devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Il lui revient de représenter l'État, quels que soient les dossiers et les sujets abordés dans des affaires qui concernent la France.
Ma direction joue également un rôle s'agissant du suivi de l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, ce qui implique un travail interministériel important puisque, très souvent, les dossiers relèvent à l'origine d'autres ministères que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Pour mémoire, la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères est également chargée de la représentation de l'État français devant toutes les Cours cours européennes et internationales : par là, j'entends la Cour de justice de l'Union européenne à Luxembourg, la Cour internationale de justice et toute autre Cour cour internationale. Ce faisant, la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères a une vision complète et globale de l'ensemble du contentieux, et une capacité également à appréhender les liens qui existent entre les différentes jurisprudences, lesquels sont de plus en plus importants comme nous aurons l'occasion d'y revenir.
Si nous avons fonctionnellement, à la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, un lien étroit avec la Cour européenne des droits de l'Homme, nous ne sommes évidemment pas les seuls. Je mentionnerai à cet égard les juges français de première instance, premiers à appliquer la convention européenne des droits de l'Homme avant que, sur la base du principe de subsidiarité, la Cour européenne des droits de l'Homme ne soit éventuellement saisie après épuisement des voies de recours internes. Par ailleurs, il convient également de mentionner les juridictions suprêmes françaises, la Cour de cassation, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel, qui entretiennent un dialogue constant avec la Cour européenne des droits de l'Homme. A À titre d'illustration, la Cour de cassation et le Conseil d'État ont été, dans l'ensemble du ressort géographique du Conseil de l'Europe, les premières juridictions suprêmes à intégrer le réseau d'échanges d'informations que la Cour européenne des droits de l'Homme a mis en place et qui s'étend maintenant à d'autres Cours cours suprêmes nationales de pays européens.
Ces échanges très constants entre nos Cours cours nationales et la Cour européenne des droits de l'Homme sont appelés à s'intensifier avec la perspective de la ratification du protocole n° 16 à la convention européenne des droits de l'Homme, lequel fera l'objet d'un projet de loi prochainement transmis au Parlement. Après sa ratification, ce protocole permettra aux Cours cours suprêmes nationales françaises de poser des questions à la Cour européenne des droits de l'Homme sur l'interprétation de la convention éponyme.
Il ne faut bien évidemment pas oublier un volet qui vous concerne tout particulièrement, bien sûr, à savoir les rapports qu'entretient le Parlement français avec la Cour européenne des droits de l'Homme et avec la convention européenne des droits de l'Homme. Ces rapports trouvent leur concrétisation dans votre œuvre législative tout d'abord, puisque lorsque le Parlement élabore la loi, la question de sa conformité avec la convention européenne des droits de l'Homme se pose très directement. Ensuite, face à un problème de conformité, il peut arriver que devienne incontournable une adaptation de notre législation, ce qui montre là aussi l'importance de la jurisprudence de la Cour et l'influence de cette convention sur notre droit national.
Parallèlement, par votre participation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, vous êtes également appelés à jouer un rôle important dans le suivi de la relation du Conseil de l'Europe avec la Cour et à participer à l'élection de ses juges, ce qui est évidemment un acte déterminant pour la légitimité de cette juridiction. Je me permets à ce sujet d'appeler votre attention sur le fait que la sélection des juges a une grande importance, non seulement pour la qualité de sa jurisprudence en général, mais aussi pour l'influence de la langue française dans l'ordre juridique européen et international. La connaissance de la langue française par les juges élus à la Cour européenne des droits de l'Homme représente un enjeu considérable pour le maintien de notre influence et celle de notre langue. Il y a, de ce point de vue, un vrai défi car la plupart des parlementaires membres de la commission de sélectionde l'élection des juges ne parlent pas le français et ne sont donc absolument pas sensibilisés à cet enjeu. Mme Marietta Karamanli, députée de votre délégation qui est membre de cette commission, a, à ce titre, un rôle tout à fait crucial pour s'assurer que les candidats aux postes de juges de la Cour de Strasbourg ont une connaissance de notre langue. Nous comptons sur elle pour que ce critère soit pris en compte.
Je souhaite évoquer brièvement aussi devant vous le contexte dans lequel la Cour européenne des droits de l'Homme mène aujourd'hui son action. Il s'agit, à n'en pas douter, d'un contexte parfois difficile. Mme Merloz aura l'occasion de revenir sur la question de l'évolution du nombres des requêtes, malgré les efforts de la Cour pour maîtriser ce flux considérable. On voit actuellement, surtout depuis deux ans, à quel point le flux de requêtes recommence à augmenter considérablement[FC1], le contentieux français y prenant une part heureusement minime. Or, dans le flot et le flux de ces requêtes, le défi majeur est celui de l'exécution des arrêts de la Cour.
Ne nous voilons pas la face : il existe dans certains pays, aujourd'hui, un vrai problème d'exécution des arrêts. L'exemple emblématique est celui de l'Azerbaïdjan, avec l'affaire « Mammadov », qui concerne un opposant politique emprisonné au sujet duquel l'Azerbaïdjan a été condamné pour violation de la convention européenne des droits de l'Homme par la Cour de Strasbourg. Or, l'arrêt de la Cour est ignoré par le pays concerné, ce qui a amené le Comité des ministres Ministres du Conseil de l'Europe à saisir une nouvelle fois la Cour de cette question, procédé rarissime. De la même manière, on peut évoquer le cas de la Russie, qui délibérément refuse d'appliquer l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme rendu dans l'affaire « Ioukos ». On pourrait tout aussi bien mentionner les difficultés que le Royaume-Uni rencontre pour l'exécution d'arrêts de la Cour au sujet du droit de vote des prisonniers incarcérés.
Par delà ces exemples, la Cour européenne des droits de l'Homme subit le contrecoup des difficultés politiques existantes au sein du Conseil de l'Europe, qui tiennent en particulier aux effets de l'annexion de la Crimée. Cette dernière a conduit l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à suspendre les droits de la délégation russe à cette assemblée. La Russie a fini, comme vous le savez, par prendre la décision de suspendre sa contribution financière au Conseil de l'Europe, posant un véritable défi budgétaire à cette organisation pan-européenne et à la Cour européenne des droits de l'Homme. Au-delà de ces considérations matérielles, l'absence de la délégation russe à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe implique également que les parlementaires russes ne participent plus à l'élection des juges. A À terme, cette situation pourrait déboucher sur des questionnements sur la légitimité de ceux-ci par rapport à la Russie. Il y a là, me semble-t-il, un défi sur lequel il est important de mener une réflexion.
Pour conclure, j'insisterai sur le fait que la Cour européenne des droits de l'Homme agit dans un contexte dans lequel, bien évidemment, l'Union européenne occupe une place de partenaire essentiel. D'abord parce que la Cour de justice de l'Union européenne est également une « Cour des droits de l'Homme », si je puis dire, au sens où elle applique dans sa jurisprudence la charte des droits fondamentaux. Très concrètement, d'ailleurs, nous sommes aussi affectés par sa jurisprudence au titre de ces questions de droits de l'Homme, qu'il s'agisse d'affaires touchant à la lutte contre le terrorisme ou à la protection des données, par exemple.
Par voie de conséquence, la question qui a pu être posée et qui pourrait se poser à nouveau est celle de la relation harmonieuse entre la Cour de justice de l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette relation, elle existe et elle est harmonieuse[FC2] aujourd'hui. Comme vous le savez, le traité de Lisbonne avait prévu que l'Union européenne adhère à la convention européenne des droits de l'Homme, mais la Cour de justice de l'Union européenne a rendu un avis qui rend très difficile la mise en œuvre de cette disposition du traité sur l'Union européenne. En effet, l'avis de la Cour de Luxembourg a énuméré un nombre d'objections assez important à cette perspective. Pour l'instant, on ne voit pas très bien comment ces obstacles seront surmontés, mais, malgré tout, fort heureusement, le dialogue des deux Cours cours européennes se maintient. Cela évite l'apparition d'un certain nombre de difficultés juridiques très concrètes.
Voilà les quelques remarques liminaires que je souhaitais faire. Je vais laisser maintenant la parole à Mme Merloz, sous sous‑directrice des doits de l'Homme au sein de la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, pour vous parler plus précisément du contentieux traité par la Cour européenne des droits de l'Homme et de la situation de la France à cet égard.