Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 17h30
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes :

Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés et sénateurs, je suis très heureuse de me trouver devant vous aujourd'hui pour dresser le bilan de la présidence française du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, qui s'est déroulée du 17 mai au 27 novembre derniers. L'année 2019 a été particulièrement marquante dans l'histoire du Conseil de l'Europe, après des années difficiles ; elle l'a été également pour notre présidence, la première depuis vingt-quatre ans.

En 2019, le Conseil de l'Europe a su surmonter les difficultés qui le minaient depuis plusieurs années et revenir à un fonctionnement plus apaisé, centré sur sa mission première qui est la protection des droits fondamentaux de plus de 800 millions d'Européens.

La présidence française s'est fortement engagée pour permettre ce résultat, dans le prolongement des efforts de la présidence finlandaise, dont il faut reconnaître le rôle. Mais la sortie de crise n'aurait pas pu se faire sans les décisions courageuses prises par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le dialogue étroit que les parlementaires ont entretenu avec le Comité des Ministres ces derniers mois. Je tenais à souligner le rôle de chacune et chacun d'entre vous dans cette mission délicate, mais ô combien importante pour ces 800 millions de citoyens, et à vous remercier. Le travail de l'APCE, et en particulier de la délégation française par sa présence et son assiduité aux sessions, a permis de faire bouger les lignes et de défendre cette instance multilatérale particulière qu'est le Conseil de l'Europe. Avec le recul, je crois que vous pouvez en être fiers.

L'engagement de l'Assemblée parlementaire a été ainsi un fil rouge de la présidence française. Il a été constaté et reconnu par le Président de la République lors de sa venue à Strasbourg, le 1er octobre dernier. Pour ma part, cet engagement m'a énormément servi et aidé dans ma fonction de Présidente du Comité des Ministres, les parlementaires jouant un rôle de relais indispensable dans les efforts que nous effectuions alors pour protéger et renforcer notre maison commune européenne. Ce travail fut collectif et utile. Le retour de la délégation russe au sein de l'APCE a permis de préserver le caractère paneuropéen du Conseil de l'Europe, cette Europe de Lisbonne à Vladivostok chère au Président Emmanuel Macron, et de garantir l'accès à la Cour européenne des droits de l'Homme pour les plus de 140 millions de citoyens russes afin qu'ils puissent contester les décisions de leur État, que ce soit sur le droit des minorités, la liberté d'expression, les conditions de détention, la protection des défenseurs des droits de l'Homme, des personnes LGBTI. Je tiens à souligner aussi que, durant la présidence française, j'ai reçu le soutien du Président de la Cour européenne des droits de l'Homme, M. Linos-Alexandre Sicilianos.

Tout État membre du Conseil de l'Europe a des droits, tels que la participation dans les organes statutaires, et des obligations, telles que le paiement des contributions, le respect du Statut du Conseil de l'Europe, la mise en œuvre des arrêts de la Cour ou encore donner accès aux organes de monitoring. Or, l'une des raisons de la crise était l'absence de mécanisme crédible, légitime et efficace pour réagir à des cas de violation par un État membre de ses obligations. Aussi, la présidence française s'est fortement impliquée pour la mise en place de la nouvelle procédure de réaction conjointe, dont la création a été décidée au printemps par l'APCE et le Comité des Ministres à la suite de l'adoption du rapport sur le sujet de M. Tiny Kox. Cette procédure est nécessaire pour la cohérence et la crédibilité du Conseil de l'Europe et pour notre capacité collective à faire respecter les principes de l'Organisation à l'avenir.

Comme l'a exprimé le Président de la République dans son intervention devant l'APCE, la France souhaite que cette procédure soit en vigueur dès que possible, dès janvier 2020. Notre présidence a travaillé à cette fin, au sein du Comité des Ministres et dans le dialogue avec l'APCE. Un projet de décision du Comité des Ministres est en cours de finalisation pour adoption fin janvier, après le vote en plénière par l'Assemblée parlementaire d'une résolution de la commission des questions politiques et de la démocratie, adoptée lundi dernier. Je tiens, à cette occasion, à remercier de leur implication sur ce texte la sénatrice Maryvonne Blondin et le député Jacques Maire, membres de la commission des questions politiques et de la démocratie.

Avec cette décision, nous aurons franchi un cap important pour tourner la page de la crise et rendre le Conseil de l'Europe plus fort à l'avenir. Pour autant, nous devons avoir conscience que les débats restent vifs car le retour de la délégation russe continue de susciter des réserves et des préoccupations chez certains partenaires, notamment l'Ukraine et les pays baltes. Il importe de poursuivre le dialogue avec eux, au Comité des Ministres comme à l'APCE. Pour sa part, la France réaffirme constamment son soutien à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ainsi que son exigence à l'égard de la Russie. En outre, comme l'a montré le sommet en « format Normandie », qui s'est tenu le 9 décembre dernier, nous œuvrons, avec l'Allemagne, à permettre des avancées concrètes dans le règlement du conflit dans l'Est de l'Ukraine.

Au fond, cette réunion du 9 décembre a permis de dégager une ligne de crête. Je rencontrerai le Vice-Premier ministre ukrainien chargé de l'Intégration européenne, M. Dmytro Kouleba, la semaine prochaine ; il a été représentant de son pays au Conseil de l'Europe. Il nous faut acter que le format Normandie est remis sur pied. Il l'est parce qu'il y a eu cette ouverture au sujet d'un retour de la Russie au Conseil de l'Europe, mais il faut malgré tout rester lucides : nous ne sommes pas au bout du processus, il nous faut continuer à obtenir des avancées concrètes dans le règlement du conflit dans l'Est de l'Ukraine. Néanmoins, la poursuite du cessez-le-feu et des échanges de prisonniers, ainsi que le retrait de mines du Donbass sont autant d'avancées tangibles en direction d'une démilitarisation attendue par les populations sur place.

Au-delà des efforts pour sortir le Conseil de l'Europe de la crise, la présidence française a été heureuse de contribuer à redonner à l'Organisation les moyens d'avancer, de se renforcer et de porter de nouvelles initiatives. L'année 2019 a également été celle des célébrations du 70ème anniversaire du Conseil de l'Europe, auxquelles le Président de la République a participé. Elles ont permis de montrer tout autant l'importance des réalisations obtenues depuis 1949 que le caractère essentiel de cette Organisation pour continuer de faire progresser les droits des citoyens sur notre continent et relever les nouveaux défis. Elles ont également été l'occasion de rappeler avec force l'attachement de la France au Conseil de l'Europe, organisation internationale qui contribue à faire rayonner la francophonie et que notre pays est fier et honoré d'accueillir sur son territoire.

L'élection d'une nouvelle Secrétaire générale, Mme Marija Pejčinović Burić, a également constitué un jalon important et l'opportunité de donner une nouvelle impulsion. La France apporte son soutien plein et entier à son action. Nous nous réjouissons par ailleurs que la nouvelle Secrétaire générale s'attache, avec constance, à valoriser l'usage du français. J'ai d'ailleurs été ravie qu'une grande partie des orateurs au Comité des Ministres, lors de la cérémonie de clôture de la présidence française, soit parfaitement francophone ; j'y vois là la preuve que le français reste bien vivant dans les organisations internationales.

Durant ces six derniers mois, la présidence française a porté plusieurs initiatives et priorités innovantes, dont le bilan figure dans le rapport final qui a été transmis à l'APCE, dans la perspective du passage de relais à la présidence géorgienne.

La première de ces priorités a été de soutenir le système européen de protection des droits de l'Homme, en particulier la Cour européenne des droits de l'Homme à laquelle nous avons fait une contribution volontaire exceptionnelle de 400 000 €. Le dialogue des juges a été mis à l'honneur en réunissant, pour la première fois, l'ensemble des présidents de Cours suprêmes. Dans ce cadre, nous avons encouragé la discussion autour de trois thèmes : le droit au recours devant un juge, les rapports entre les cours nationales et la Cour européenne des droits de l'Homme, la liberté d'expression confrontée à la protection de la vie privée et familiale. Nous avons pu constater une forte convergence de vues sur la plupart de ces sujets. Il a été convenu que le dialogue engagé à cette occasion se poursuivrait et nous espérons que d'autres événements de ce type seront organisés à l'avenir.

Nous avons également apporté une contribution aux travaux sur l'articulation entre intelligence artificielle et droits fondamentaux, avec la réunion des Ministres de la Justice et la première réunion du comité ad hoc sur l'intelligence artificielle, qui vise à créer un cadre juridique pour le développement et l'utilisation de l'intelligence artificielle en conformité avec les valeurs du Conseil de l'Europe. Le colloque organisé par votre délégation au Sénat, le 14 novembre dernier, sur « les droits de l'Homme et la démocratie à l'ère numérique » a également été un moment fort de la réflexion sur ces questions, qui constituent, comme vous le savez, un sujet prioritaire pour le Président de la République.

De même, depuis un an, nous menons au Gouvernement, avec Nicole Belloubet et Marlène Schiappa, une campagne intensive en faveur de la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite convention d'Istanbul. Nous avons encouragé tous les États membres qui ne l'ont pas encore fait à ratifier le texte. L'Arménie, le Royaume-Uni et d'autres ont lancé des processus en ce sens. Certains pays en débattent, à l'instar de la Lettonie, où malheureusement aucune majorité n'a pu se dégager sur ce texte jusqu'à présent. Nous avons également travaillé à l'universalisation de cette convention en facilitant l'adhésion d'États non-membres du Conseil de l'Europe. Je dois vous dire ma satisfaction de savoir que la Tunisie et le Kazakhstan ont fait connaître leur souhait d'y adhérer. Notre engagement sur ce dossier restera intact. C'est pour la France la grande cause du quinquennat.

Enfin, nous avons aussi porté le projet de créer un Observatoire de l'enseignement de l'histoire en Europe. Cette proposition est issue de la mission que le Premier ministre avait confiée à M. Alain Lamassoure, et elle est aussi soutenue par mon collègue Jean-Michel Blanquer. C'est un projet auquel je tiens particulièrement parce qu'il est actuel et qu'il répond à une idée simple : pour enraciner la paix dans le présent, pour qu'à l'avenir nos enfants aient envie de continuer à faire la paix, il faut que nos passés se parlent, que nos mémoires apprennent à dialoguer. Nous voyons, partout sur notre continent, que des obstacles persistent à cet échange des mémoires, qu'ils représentent autant de freins à la réconciliation. L'objectif de l'Observatoire est d'aider à réduire ces obstacles en créant un cadre, un espace pour que les experts puissent échanger sur la manière dont l'histoire est enseignée dans les écoles des différents pays.

Cette initiative répond à une vraie attente des États membres, comme l'a montré le fait que nous avons pu réunir vingt-trois signatures à l'occasion de la réunion des Ministres de l'Éducation du 26 novembre, mais aussi à une vraie attente de nos concitoyens : pendant la campagne des élections européennes, j'ai constaté que cette idée rencontrait le plus d'écoute de la part de nos compatriotes qui y voyaient un apport tangible d'organisations européennes jugées trop distantes. Les travaux sur l'accord partiel élargi ont pu commencer ; nous espérons l'adhésion d'autres pays dans les prochaines semaines et mois. Nous aurons besoin de votre soutien et de celui de l'APCE pour convaincre les États encore hésitants et continuer à alimenter la dynamique, en vue d'un lancement officiel d'ici novembre 2020.

Enfin, notre présidence s'est efforcée de donner une impulsion sur plusieurs autres sujets. J'en citerai quelques-uns : nous avons posé les bases d'une réforme du système européen de protection des droits sociaux, nous avons permis à l'Union européenne de devenir membre observateur du Groupe des États contre la corruption (GRECO), nous avons fait adopter une déclaration sur l'éducation à la citoyenneté à l'ère du numérique, nous avons fait adopter la feuille de route pour les futurs travaux de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, nous avons permis au Conseil de l'Europe de rejoindre l'Appel de Christchurch pour supprimer les contenus terroristes et extrémistes violents en ligne, etc. L'ensemble de ces initiatives figurent dans notre rapport-bilan de la présidence française et nous nous attacherons à en assurer le suivi.

Je ne saurais terminer cette énumération sans évoquer la reprise des négociations sur l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme, sous l'égide notamment de M. Didier Reynders. La France s'en réjouit car c'est un objectif essentiel pour la cohérence du système européen de protection des droits de l'Homme.

Mmes et MM. les députés et sénateurs, voici les quelques enseignements et perspectives que je souhaitais évoquer avec vous. Cette présidence française du Comité des Ministres nous a rappelé, durant six mois, le lien particulier entre la France et la défense des droits de l'Homme, qui s'incarne de manière si vivante dans le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'Homme, que nous accueillons sur notre territoire et auxquels les Français sont profondément attachés. Cet événement a mobilisé largement le Gouvernement et les administrations, dans les nombreux domaines où nous avons souhaité faire avancer la protection des droits. Je remercie à cet égard tous les Ministres qui ont été impliqués dans les travaux et événements organisés durant la présidence française.

Les efforts que nous avons menés, les réalisations de la présidence française ont été, je crois, pleinement reconnus et salués au Conseil de l'Europe et par les quarante-six autres États membres. En atteste la dernière session du Comité des Ministres où j'ai transmis la présidence au Ministre géorgien des Affaires étrangères : les représentants de beaucoup de pays, dont certains ne partagent pas totalement la vision de la France en matière d'État de droit et de droits de l'Homme, ont salué l'esprit dans lequel nous avions travaillé, ainsi que notre transparence et notre engagement.

L'influence de notre pays au sein de l'Organisation a, je le crois, été confortée. Il nous revient désormais de poursuivre le travail engagé, d'apporter notre soutien à la présidence géorgienne et de faire avancer avec la même conviction et la même détermination les initiatives que nous avons lancées. Notre présidence est terminée, mais notre engagement pour porter la voix de la France au Conseil de l'Europe reste intact. Dans cette perspective, le rôle de la délégation française à l'APCE, votre rôle, restera essentiel. Je vous disais en introduction l'importance qu'a eue le dialogue entre nous tout au long de ces six mois, et je forme le vœu aujourd'hui que nous puissions continuer à entretenir ce dialogue, à Strasbourg et à Paris, sur l'ensemble de ces sujets.

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