Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Réunion du mercredi 11 décembre 2019 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Présidence de Mme Nicole Trisse, députée, Présidente

La séance est ouverte à 17 heures 30.

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Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui Mme Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes auprès du Ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Mme la Ministre, je vous souhaite la bienvenue devant notre délégation, que vous avez déjà rencontrée à de multiples reprises dans un format plus informel.

Permettez-moi tout d'abord, et je crois pouvoir me faire l'avocate de tous mes collègues sur ce point, de vous remercier très sincèrement et chaleureusement pour l'écoute ainsi que la disponibilité dont vous n'avez cessé de faire preuve à notre égard depuis que vous avez pris vos fonctions au Gouvernement et, ces six derniers mois, à la tête du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe. Vous nous avez régulièrement tenus informés de l'état d'avancement des dossiers clés de la présidence française et vous vous êtes toujours montrée réceptive à nos observations et remarques, ce à quoi nous avons été très sensibles.

Le 27 novembre dernier, vous avez passé le relai de la présidence du Comité des Ministres au Ministre géorgien des Affaires étrangères, à qui bien évidemment nous souhaitons beaucoup de succès. Le temps du bilan du semestre de présidence française est donc venu, raison pour laquelle il nous a paru opportun d'avoir des échanges avec vous à ce sujet, aujourd'hui.

Vous allez pouvoir nous livrer votre appréciation des résultats que vous avez obtenus pour le Conseil de l'Europe au cours des six mois écoulés. En tout état de cause, de notre point de vue comme de celui d'un grand nombre de collègues parlementaires à l'APCE, votre présidence a été une franche réussite.

Bien peu auraient parié, en mai dernier, qu'à l'été 2019, la Fédération de Russie resterait finalement membre du Conseil de l'Europe et réintégrerait l'APCE. Ils n'auraient sans doute pas été davantage à miser sur une évolution substantielle de la question des relations russo-ukrainiennes, notamment sur l'épineux dossier des prisonniers, ainsi que sur une nouvelle rencontre des Chefs d'État et de Gouvernement au « format Normandie », après trois ans d'attente.

Désormais, même si tout n'est pas réglé et s'il reste à parachever cette procédure conjointe de réaction des organes du Conseil de l'Europe à l'égard des États membres qui manqueraient à leurs obligations, la situation de l'Organisation est indéniablement stabilisée. La crise budgétaire, qui obérait la capacité du Conseil de l'Europe à remplir ses missions, est à présent écartée. L'ensemble des organes statutaires fonctionne conformément au Statut. Bref, en un mot, l'espoir est de nouveau permis, alors que le pessimisme prévalait il y a encore six mois à peine.

Mais le bilan de la présidence française ne se résume pas à ce seul retour à la normale du fonctionnement du Conseil de l'Europe, loin s'en faut. Il faut aussi souligner que les six mois écoulés ont été ponctués d'événements majeurs, telle la conférence des chefs de Cours suprêmes des États membres, les 13 et 14 septembre, ou la conférence sur la lutte contre le racisme et les discriminations célébrant le 25ème anniversaire de l'ECRI – la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance –, pour ne prendre que quelques exemples. De même, le Président de la République a prononcé un discours remarqué devant l'APCE, lors de sa dernière session plénière. Ce sont là, je le crois, autant de marques de l'intérêt constant et appuyé de la France pour le Conseil de l'Europe.

En définitive, il me semble que notre pays peut s'enorgueillir d'avoir brillamment présidé le Comité des Ministres ces derniers mois. Ce succès, Mme la Ministre, vous incombe pour une large partie et je tenais à le souligner, même s'il faut également saluer l'implication de votre ministère et de la représentation permanente, à qui je rends aussi hommage.

Mais je vous laisse sans plus tarder la parole pour vous permettre de nous livrer votre propre analyse, puis nous aurons un échange sous la forme de questions des membres de la délégation et de réponses de votre part.

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés et sénateurs, je suis très heureuse de me trouver devant vous aujourd'hui pour dresser le bilan de la présidence française du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, qui s'est déroulée du 17 mai au 27 novembre derniers. L'année 2019 a été particulièrement marquante dans l'histoire du Conseil de l'Europe, après des années difficiles ; elle l'a été également pour notre présidence, la première depuis vingt-quatre ans.

En 2019, le Conseil de l'Europe a su surmonter les difficultés qui le minaient depuis plusieurs années et revenir à un fonctionnement plus apaisé, centré sur sa mission première qui est la protection des droits fondamentaux de plus de 800 millions d'Européens.

La présidence française s'est fortement engagée pour permettre ce résultat, dans le prolongement des efforts de la présidence finlandaise, dont il faut reconnaître le rôle. Mais la sortie de crise n'aurait pas pu se faire sans les décisions courageuses prises par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et le dialogue étroit que les parlementaires ont entretenu avec le Comité des Ministres ces derniers mois. Je tenais à souligner le rôle de chacune et chacun d'entre vous dans cette mission délicate, mais ô combien importante pour ces 800 millions de citoyens, et à vous remercier. Le travail de l'APCE, et en particulier de la délégation française par sa présence et son assiduité aux sessions, a permis de faire bouger les lignes et de défendre cette instance multilatérale particulière qu'est le Conseil de l'Europe. Avec le recul, je crois que vous pouvez en être fiers.

L'engagement de l'Assemblée parlementaire a été ainsi un fil rouge de la présidence française. Il a été constaté et reconnu par le Président de la République lors de sa venue à Strasbourg, le 1er octobre dernier. Pour ma part, cet engagement m'a énormément servi et aidé dans ma fonction de Présidente du Comité des Ministres, les parlementaires jouant un rôle de relais indispensable dans les efforts que nous effectuions alors pour protéger et renforcer notre maison commune européenne. Ce travail fut collectif et utile. Le retour de la délégation russe au sein de l'APCE a permis de préserver le caractère paneuropéen du Conseil de l'Europe, cette Europe de Lisbonne à Vladivostok chère au Président Emmanuel Macron, et de garantir l'accès à la Cour européenne des droits de l'Homme pour les plus de 140 millions de citoyens russes afin qu'ils puissent contester les décisions de leur État, que ce soit sur le droit des minorités, la liberté d'expression, les conditions de détention, la protection des défenseurs des droits de l'Homme, des personnes LGBTI. Je tiens à souligner aussi que, durant la présidence française, j'ai reçu le soutien du Président de la Cour européenne des droits de l'Homme, M. Linos-Alexandre Sicilianos.

Tout État membre du Conseil de l'Europe a des droits, tels que la participation dans les organes statutaires, et des obligations, telles que le paiement des contributions, le respect du Statut du Conseil de l'Europe, la mise en œuvre des arrêts de la Cour ou encore donner accès aux organes de monitoring. Or, l'une des raisons de la crise était l'absence de mécanisme crédible, légitime et efficace pour réagir à des cas de violation par un État membre de ses obligations. Aussi, la présidence française s'est fortement impliquée pour la mise en place de la nouvelle procédure de réaction conjointe, dont la création a été décidée au printemps par l'APCE et le Comité des Ministres à la suite de l'adoption du rapport sur le sujet de M. Tiny Kox. Cette procédure est nécessaire pour la cohérence et la crédibilité du Conseil de l'Europe et pour notre capacité collective à faire respecter les principes de l'Organisation à l'avenir.

Comme l'a exprimé le Président de la République dans son intervention devant l'APCE, la France souhaite que cette procédure soit en vigueur dès que possible, dès janvier 2020. Notre présidence a travaillé à cette fin, au sein du Comité des Ministres et dans le dialogue avec l'APCE. Un projet de décision du Comité des Ministres est en cours de finalisation pour adoption fin janvier, après le vote en plénière par l'Assemblée parlementaire d'une résolution de la commission des questions politiques et de la démocratie, adoptée lundi dernier. Je tiens, à cette occasion, à remercier de leur implication sur ce texte la sénatrice Maryvonne Blondin et le député Jacques Maire, membres de la commission des questions politiques et de la démocratie.

Avec cette décision, nous aurons franchi un cap important pour tourner la page de la crise et rendre le Conseil de l'Europe plus fort à l'avenir. Pour autant, nous devons avoir conscience que les débats restent vifs car le retour de la délégation russe continue de susciter des réserves et des préoccupations chez certains partenaires, notamment l'Ukraine et les pays baltes. Il importe de poursuivre le dialogue avec eux, au Comité des Ministres comme à l'APCE. Pour sa part, la France réaffirme constamment son soutien à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de l'Ukraine, ainsi que son exigence à l'égard de la Russie. En outre, comme l'a montré le sommet en « format Normandie », qui s'est tenu le 9 décembre dernier, nous œuvrons, avec l'Allemagne, à permettre des avancées concrètes dans le règlement du conflit dans l'Est de l'Ukraine.

Au fond, cette réunion du 9 décembre a permis de dégager une ligne de crête. Je rencontrerai le Vice-Premier ministre ukrainien chargé de l'Intégration européenne, M. Dmytro Kouleba, la semaine prochaine ; il a été représentant de son pays au Conseil de l'Europe. Il nous faut acter que le format Normandie est remis sur pied. Il l'est parce qu'il y a eu cette ouverture au sujet d'un retour de la Russie au Conseil de l'Europe, mais il faut malgré tout rester lucides : nous ne sommes pas au bout du processus, il nous faut continuer à obtenir des avancées concrètes dans le règlement du conflit dans l'Est de l'Ukraine. Néanmoins, la poursuite du cessez-le-feu et des échanges de prisonniers, ainsi que le retrait de mines du Donbass sont autant d'avancées tangibles en direction d'une démilitarisation attendue par les populations sur place.

Au-delà des efforts pour sortir le Conseil de l'Europe de la crise, la présidence française a été heureuse de contribuer à redonner à l'Organisation les moyens d'avancer, de se renforcer et de porter de nouvelles initiatives. L'année 2019 a également été celle des célébrations du 70ème anniversaire du Conseil de l'Europe, auxquelles le Président de la République a participé. Elles ont permis de montrer tout autant l'importance des réalisations obtenues depuis 1949 que le caractère essentiel de cette Organisation pour continuer de faire progresser les droits des citoyens sur notre continent et relever les nouveaux défis. Elles ont également été l'occasion de rappeler avec force l'attachement de la France au Conseil de l'Europe, organisation internationale qui contribue à faire rayonner la francophonie et que notre pays est fier et honoré d'accueillir sur son territoire.

L'élection d'une nouvelle Secrétaire générale, Mme Marija Pejčinović Burić, a également constitué un jalon important et l'opportunité de donner une nouvelle impulsion. La France apporte son soutien plein et entier à son action. Nous nous réjouissons par ailleurs que la nouvelle Secrétaire générale s'attache, avec constance, à valoriser l'usage du français. J'ai d'ailleurs été ravie qu'une grande partie des orateurs au Comité des Ministres, lors de la cérémonie de clôture de la présidence française, soit parfaitement francophone ; j'y vois là la preuve que le français reste bien vivant dans les organisations internationales.

Durant ces six derniers mois, la présidence française a porté plusieurs initiatives et priorités innovantes, dont le bilan figure dans le rapport final qui a été transmis à l'APCE, dans la perspective du passage de relais à la présidence géorgienne.

La première de ces priorités a été de soutenir le système européen de protection des droits de l'Homme, en particulier la Cour européenne des droits de l'Homme à laquelle nous avons fait une contribution volontaire exceptionnelle de 400 000 €. Le dialogue des juges a été mis à l'honneur en réunissant, pour la première fois, l'ensemble des présidents de Cours suprêmes. Dans ce cadre, nous avons encouragé la discussion autour de trois thèmes : le droit au recours devant un juge, les rapports entre les cours nationales et la Cour européenne des droits de l'Homme, la liberté d'expression confrontée à la protection de la vie privée et familiale. Nous avons pu constater une forte convergence de vues sur la plupart de ces sujets. Il a été convenu que le dialogue engagé à cette occasion se poursuivrait et nous espérons que d'autres événements de ce type seront organisés à l'avenir.

Nous avons également apporté une contribution aux travaux sur l'articulation entre intelligence artificielle et droits fondamentaux, avec la réunion des Ministres de la Justice et la première réunion du comité ad hoc sur l'intelligence artificielle, qui vise à créer un cadre juridique pour le développement et l'utilisation de l'intelligence artificielle en conformité avec les valeurs du Conseil de l'Europe. Le colloque organisé par votre délégation au Sénat, le 14 novembre dernier, sur « les droits de l'Homme et la démocratie à l'ère numérique » a également été un moment fort de la réflexion sur ces questions, qui constituent, comme vous le savez, un sujet prioritaire pour le Président de la République.

De même, depuis un an, nous menons au Gouvernement, avec Nicole Belloubet et Marlène Schiappa, une campagne intensive en faveur de la convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite convention d'Istanbul. Nous avons encouragé tous les États membres qui ne l'ont pas encore fait à ratifier le texte. L'Arménie, le Royaume-Uni et d'autres ont lancé des processus en ce sens. Certains pays en débattent, à l'instar de la Lettonie, où malheureusement aucune majorité n'a pu se dégager sur ce texte jusqu'à présent. Nous avons également travaillé à l'universalisation de cette convention en facilitant l'adhésion d'États non-membres du Conseil de l'Europe. Je dois vous dire ma satisfaction de savoir que la Tunisie et le Kazakhstan ont fait connaître leur souhait d'y adhérer. Notre engagement sur ce dossier restera intact. C'est pour la France la grande cause du quinquennat.

Enfin, nous avons aussi porté le projet de créer un Observatoire de l'enseignement de l'histoire en Europe. Cette proposition est issue de la mission que le Premier ministre avait confiée à M. Alain Lamassoure, et elle est aussi soutenue par mon collègue Jean-Michel Blanquer. C'est un projet auquel je tiens particulièrement parce qu'il est actuel et qu'il répond à une idée simple : pour enraciner la paix dans le présent, pour qu'à l'avenir nos enfants aient envie de continuer à faire la paix, il faut que nos passés se parlent, que nos mémoires apprennent à dialoguer. Nous voyons, partout sur notre continent, que des obstacles persistent à cet échange des mémoires, qu'ils représentent autant de freins à la réconciliation. L'objectif de l'Observatoire est d'aider à réduire ces obstacles en créant un cadre, un espace pour que les experts puissent échanger sur la manière dont l'histoire est enseignée dans les écoles des différents pays.

Cette initiative répond à une vraie attente des États membres, comme l'a montré le fait que nous avons pu réunir vingt-trois signatures à l'occasion de la réunion des Ministres de l'Éducation du 26 novembre, mais aussi à une vraie attente de nos concitoyens : pendant la campagne des élections européennes, j'ai constaté que cette idée rencontrait le plus d'écoute de la part de nos compatriotes qui y voyaient un apport tangible d'organisations européennes jugées trop distantes. Les travaux sur l'accord partiel élargi ont pu commencer ; nous espérons l'adhésion d'autres pays dans les prochaines semaines et mois. Nous aurons besoin de votre soutien et de celui de l'APCE pour convaincre les États encore hésitants et continuer à alimenter la dynamique, en vue d'un lancement officiel d'ici novembre 2020.

Enfin, notre présidence s'est efforcée de donner une impulsion sur plusieurs autres sujets. J'en citerai quelques-uns : nous avons posé les bases d'une réforme du système européen de protection des droits sociaux, nous avons permis à l'Union européenne de devenir membre observateur du Groupe des États contre la corruption (GRECO), nous avons fait adopter une déclaration sur l'éducation à la citoyenneté à l'ère du numérique, nous avons fait adopter la feuille de route pour les futurs travaux de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance, nous avons permis au Conseil de l'Europe de rejoindre l'Appel de Christchurch pour supprimer les contenus terroristes et extrémistes violents en ligne, etc. L'ensemble de ces initiatives figurent dans notre rapport-bilan de la présidence française et nous nous attacherons à en assurer le suivi.

Je ne saurais terminer cette énumération sans évoquer la reprise des négociations sur l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme, sous l'égide notamment de M. Didier Reynders. La France s'en réjouit car c'est un objectif essentiel pour la cohérence du système européen de protection des droits de l'Homme.

Mmes et MM. les députés et sénateurs, voici les quelques enseignements et perspectives que je souhaitais évoquer avec vous. Cette présidence française du Comité des Ministres nous a rappelé, durant six mois, le lien particulier entre la France et la défense des droits de l'Homme, qui s'incarne de manière si vivante dans le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des droits de l'Homme, que nous accueillons sur notre territoire et auxquels les Français sont profondément attachés. Cet événement a mobilisé largement le Gouvernement et les administrations, dans les nombreux domaines où nous avons souhaité faire avancer la protection des droits. Je remercie à cet égard tous les Ministres qui ont été impliqués dans les travaux et événements organisés durant la présidence française.

Les efforts que nous avons menés, les réalisations de la présidence française ont été, je crois, pleinement reconnus et salués au Conseil de l'Europe et par les quarante-six autres États membres. En atteste la dernière session du Comité des Ministres où j'ai transmis la présidence au Ministre géorgien des Affaires étrangères : les représentants de beaucoup de pays, dont certains ne partagent pas totalement la vision de la France en matière d'État de droit et de droits de l'Homme, ont salué l'esprit dans lequel nous avions travaillé, ainsi que notre transparence et notre engagement.

L'influence de notre pays au sein de l'Organisation a, je le crois, été confortée. Il nous revient désormais de poursuivre le travail engagé, d'apporter notre soutien à la présidence géorgienne et de faire avancer avec la même conviction et la même détermination les initiatives que nous avons lancées. Notre présidence est terminée, mais notre engagement pour porter la voix de la France au Conseil de l'Europe reste intact. Dans cette perspective, le rôle de la délégation française à l'APCE, votre rôle, restera essentiel. Je vous disais en introduction l'importance qu'a eue le dialogue entre nous tout au long de ces six mois, et je forme le vœu aujourd'hui que nous puissions continuer à entretenir ce dialogue, à Strasbourg et à Paris, sur l'ensemble de ces sujets.

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Maryvonne Blondin, sénatrice

Mme la Ministre, je tiens à vous remercier pour la qualité de votre engagement. Cette présidence française du Comité des Ministres a été remarquée, pour ne pas dire remarquable. Vous-même, vous vous êtes beaucoup impliquée, en rencontrant les membres de notre délégation, mais aussi en vous déplaçant dans de nombreux États membres du Conseil de l'Europe, y compris dans les pays qui se sentent un peu oubliés, comme la Moldavie par exemple.

Co-rapporteure, au sein de la commission du monitoring de l'APCE, sur le suivi et le respect des obligations de ce pays en matière de droits de l'Homme et d'État de droit, j'observe avec inquiétude la résurgence des difficultés politiques et institutionnelles apparues après les dernières élections, lesquelles ont nécessairement des implications sur le peuple moldave. La bonne nouvelle, malgré tout, réside dans la volonté du Président et du nouveau Premier ministre de ratifier la convention d'Istanbul. Je souhaite vous interroger sur la Transnistrie : pouvez-vous nous dire à quel stade se trouvent les négociations sur le règlement du conflit, qui se tiennent sous l'égide de l'OSCE dans un format dit « 5+2 », à savoir les deux parties litigieuses, trois médiateurs – OSCE, Russie et Ukraine – et deux observateurs – Union européenne et États-Unis ?

Pour ce qui concerne notre délégation, je suis ravie de constater, avec le recul, que nos collègues nouvellement arrivés en 2017 se sont pleinement investis dans leur mission au service du Conseil de l'Europe, la plus vieille organisation européenne. Même si la présidence française du Comité des Ministres est terminée, je fonde l'espoir que notre délégation entretienne les relations étroites de ces derniers mois avec votre ministère. Dès la prochaine session de janvier, nous serons de nouveau confrontés à des débats importants et difficiles. À ce sujet, savez-vous quelle sera la séquence de l'examen de la contestation, probable, des pouvoirs de la délégation russe et de la discussion de la nouvelle procédure conjointe de sanction à l'égard des États membres manquant à leurs obligations statutaires ?

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

Lors de ma visite en Moldavie, j'avais indiqué au Président Igor Dodon que la ratification de la convention d'Istanbul par son pays était un enjeu important pour les autorités françaises et la France. Il m'avait promis de s'en occuper personnellement, ce que j'avais souligné dans notre conférence de presse de fin d'entretien. J'imagine que cette démarche n'est pas étrangère à l'évolution positive que vous avez mentionnée, ce dont je me réjouis.

Sur la Transnistrie, la France soutient les négociations au format « 5 + 2 ». Compte tenu de la nouvelle configuration en Moldavie, certains pays de l'Union européenne proches de la Moldavie, la Roumanie notamment, sont très inquiets. Il est donc capital de maintenir le dialogue, celui-ci étant plus efficace que la seule expression d'inquiétudes. Pour la France, le processus de discussion doit se poursuivre.

Nos principes sur le fond de la question sont au nombre de quatre : retrait militaire total et sans condition des troupes russes ; pas de fédéralisation ; rétablissement de l'État de droit en Transnistrie ; pas de remise en cause de l'ancrage européen, c'est-à-dire notamment pas de remise en cause de l'accord d'association avec l'Union européenne. Je pense que nous sommes capables d'avancer dans ces quatre directions. Néanmoins, autant le dialogue géopolitique entre États et organisations internationales impliqués dans la résolution du conflit est susceptible d'esquisser des pistes de solutions, autant le dialogue politique entre responsables moldaves apparaît, quant à lui, limité dans ses perspectives actuelles. Il est donc indispensable de favoriser le dialogue interne entre responsables moldaves sur ce sujet afin de parvenir à un consensus en Moldavie qui permette d'avancer dans le cadre du format « 5 + 2 ». En tout cas, la France – et c'était le but de ma visite à Chisinau – est disponible pour apporter une aide diplomatique à la résolution de ce conflit.

De manière plus générale, la philosophie du Président de la République est de ne pas accepter le statu quo des conflits gelés en Europe orientale. Nous ne pouvons pas nous résigner ou devenir indifférents au fait qu'existent sur notre continent des zones de non-droit.

S'agissant des relations du Quai d'Orsay avec votre délégation, je considère que nous devons pérenniser les liens que nous avons tissés à l'occasion de la présidence du Comité des Ministres. Nous devrions avoir d'autres rencontres à l'avenir. En interne, nous devons développer nos ressources à cet effet, notamment au sein de la Représentation permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe.

Enfin, pour ce qui concerne la séquence des dossiers examinés par l'APCE en janvier prochain, je crois comprendre que c'est le Bureau du 13 décembre qui fixera l'ordre du jour de vos travaux. En tout état de cause, si les pouvoirs de la délégation russe à l'APCE étaient contestés le lundi de l'ouverture de la session, l'examen des conclusions de la commission saisie sur le sujet n'aurait lieu en plénière que le mercredi suivant, alors que le vote sur la procédure conjointe de sanctions entre le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire interviendra le mardi après-midi. Cette séquence m'apparaît de nature à permettre un débat cohérent, consistant à défendre les pouvoirs de la délégation russe sans pour autant démunir les organes du Conseil de l'Europe de moyens d'action à l'égard des États ne respectant pas leurs obligations.

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Maryvonne Blondin, sénatrice

Mme la Ministre, permettez-moi de saluer le travail de notre Ambassadeur en Moldavie, M. Pascal Le Deunff. Il fait sur place un travail absolument extraordinaire, en lien avec les Ambassadeurs des autres pays.

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

D'autant plus que je sais qu'il travaille avec une équipe de taille très réduite...

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André Gattolin, sénateur

Mme la Ministre, permettez-moi tout d'abord d'exprimer un sentiment général. Avec le retour de la Russie au sein de l'APCE et à la suite de certaines prises de positions françaises, sur l'Albanie et la Macédoine du Nord entre autres, un sentiment anti-français semble émerger à l'APCE. Il s'appuie sur une coalition assez hétérogène, allant des Ukrainiens aux Baltes, en passant par les Britanniques et les parlementaires des Balkans. Ce constat est extrêmement inquiétant.

Hier, la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme examinait un rapport critique sur la question des prisonniers politiques en Azerbaïdjan. Pour éviter une confiscation du sujet par des délégués d'États illibéraux, nous avons dû fortement mobiliser nos collègues ces derniers jours. La majorité n'a tenu qu'à une à deux voix près, et la quarantaine d'amendements déposés par les parlementaires azerbaïdjanais pour dénaturer le rapport ont finalement été retirés. Le mois dernier, une collusion similaire s'était produite à Berlin entre délégués russes, turcs et azerbaïdjanais. Si nous ne continuons pas à nous mobiliser pour les réunions de commissions, entre les sessions plénières, les votes pourraient donner lieu à des résultats surprenants.

Personnellement, je suis très inquiet pour l'élection du juge français à la Cour européenne des droits de l'Homme. J'ai eu un long entretien à ce sujet, la semaine passée, avec M. Bruno Lasserre, Vice-Président du Conseil d'État. Certains collègues étrangers de l'APCE trouvent que la liste de candidats soumise par la France est assez inégale, avec un très bon candidat et deux candidats jugés plus faibles. Cette situation représente un vrai danger politique car on ne peut écarter les manœuvres d'une coalition contre la France votant pour un candidat moins compétent pour entraver toute influence à la Cour et éviter que le juge français puisse prétendre ultérieurement à un mandat de vice-président au sein de celle-ci.

Je le dis clairement parce que je crois que nous nous trouvons dans un jeu politique : ce n'est pas la haute administration française qui décide des juges envoyés par la France ; le vote des parlementaires ne se base pas toujours sur la compétence. J'ai donc très peur que s'exprime en janvier une volonté de faire payer à la France certaines décisions que l'on pourrait considérer comme une certaine forme d'arrogance.

J'en viens à ma question. Pendant les débats sur le projet de loi relatif à la bioéthique, ma collègue députée Laurianne Rossi et moi, nous nous sommes beaucoup mobilisés en faveur de la ratification par la France de la convention de Compostelle contre le trafic d'organes humains. Nous avons même écrit un article sur les questions de transfert forcé d'organes. La Ministre de la Santé, Mme Agnès Buzyn, avait rejeté nos amendements, mais elle s'était engagée à une ratification rapide par la France de cette convention avant la fin de l'année. Je pense qu'il est important que notre pays, sur un grand nombre de conventions européennes, se mette à jour assez rapidement. Ma question est donc simple : où en est la procédure de ratification de cette convention ?

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

La convention de Compostelle a été signée par la France le 25 novembre 2019, ce qui est la preuve que le processus avance depuis les débats parlementaires sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Je vous avais moi-même promis, lors de notre dernière rencontre à Strasbourg, le 30 septembre, de veiller à ce que la France se conforme à ses engagements internationaux. Nous allons poursuivre notre suivi, en lien avec le ministère de la santé dans ce cas précis.

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André Gattolin, sénateur

Tout cela montre qu'il est important d'échanger directement avec les Ministres parce que la réponse du cabinet de Mme Agnès Buzyn était que notre législation en matière de transfert d'organes et de don d'organes est la meilleure du monde et que, par conséquent, nous n'aurions pas besoin de cette convention... De mon point de vue, s'il existe un traité au niveau européen, il est important que la France, même si elle est « mieux-disante » sur le plan législatif, le ratifie. C'est l'un des aspects un peu compliqués de la dimension européenne, souvent oubliée par les ministères.

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Merci, Mme la Ministre, pour votre implication et votre accessibilité pendant cette présidence française du Comité des Ministres. Nous espérons que cette coopération étroite va continuer, mais je pense que nous n'avons pas trop d'inquiétude à avoir.

Je rejoins les constats de notre collègue André Gattolin. La semaine dernière, la commission sur l'égalité et la non-discrimination a examiné le pré-rapport de M. Manuel Tornare, parlementaire suisse, sur les Tatars de Crimée. Les parlementaires ukrainiens ont fait une grande déclaration et ils sont partis ensuite. On voit donc bien qu'existent des tensions et qu'émergent des blocs accentuant les lignes de fracture.

Dans ce contexte, je tiens à remercier notre présidente de délégation et l'ensemble des collègues qui s'investissent à l'APCE. Nous avons réussi à faire bloc, quels que soient les événements et quelles que soient finalement nos couleurs partisanes, pour défendre ce que représente le Conseil de l'Europe. En avril dernier, alors que la France pouvait être placée sous monitoring en raison de manœuvres de certains pays, nous avons tous agi avec notre présidente de délégation.

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J'indiquerai à ce propos, en complément sur cette tentative de placement de la France sous monitoring, que la commission du règlement se réunit demain pour examiner, à la demande du président de la commission du suivi, la procédure qui a conduit au rejet de l'inscription de la France.

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

Je remercie l'ensemble des membres de la délégation française pour leur vigilance et leur mobilisation sur cette tentative avortée de placer notre pays sous monitoring, juste avant la présidence française du Comité des Ministres, afin d'écorner notre image. Ceci étant, sur le fond, nous devons rester philosophes face à des rapports d'instances d'organisations internationales ou non gouvernementales qui déclarent, par exemple, que les conditions de logement en France seraient pires qu'au Caire…

Les relations du ministère de l'Europe et des affaires étrangères avec les parlementaires constituent bien évidemment un enjeu important. C'est une exigence et une culture que je porte au Quai d'Orsay, à tous les étages et sur beaucoup d'autres sujets que le Conseil de l'Europe. Les parlementaires sont des gens libres qui rencontrent beaucoup de monde et constituent, de ce fait, des bons relais. Il est toujours préférable de vous éclairer sur les positions françaises.

S'agissant des lignes de fracture que vous avez soulignées, j'entends parfaitement ce que vous dites. Pour ma part, j'ai essayé de comprendre les objectifs du groupe « Baltic + » et j'ai échangé avec la nouvelle présidente de la délégation ukrainienne à l'APCE. Je pense sincèrement qu'ils ont une certaine méconnaissance de ce qu'ils pourraient obtenir au Conseil de l'Europe par leur présence.

S'agissant du groupe « Baltic + », j'estime nécessaire d'arriver à comprendre quels sont leurs objectifs. S'il s'agit d'un groupe purement existentiel, il sera difficile à satisfaire. En revanche, si ce groupe est animé d'objectifs réels, il nous incombe de les analyser et de voir comment y répondre. Pour l'instant, je n'arrive pas à déterminer ces objectifs mais, avec votre aide, on peut peut-être y parvenir.

En tout état de cause, il faut valoriser le sommet du 9 décembre au « format Normandie ». Cela faisait trois ans qu'un sommet dans ce format ne s'était pas réuni. Avant le 9 décembre, MM. Poutine et Zelensky ne s'étaient jamais rencontrés de manière bilatérale.

Certains peuvent donc ne cesser d'affirmer que la délégation russe n'aurait pas dû revenir à l'APCE, mais j'observe que ce retour a quand même permis de faire évoluer la situation sur le dossier ukrainien. De même, si le Président russe avait été confronté à la perspective d'un vote du Comité des Ministres sur une exclusion de son pays du Conseil de l'Europe, il aurait pris les devants et les plus de 140 millions de citoyens russes n'auraient plus eu la possibilité de poursuivre leur propre État devant la Cour européenne des droits de l'Homme.

Ces faits méritent d'être pris en considération par les délégations des pays du groupe « Baltic + », pour certaines très attachées aux droits de l'Homme.

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André Gattolin, sénateur

De mes échanges avec les parlementaires d'Europe centrale et des pays baltes, il ressort que le message du Président de la République sur la mise en difficulté de l'OTAN par la Turquie est parfaitement compris. Ils ont pu voir, au sommet de Londres des 4 et 5 décembre, que c'est la Turquie qui a bloqué un certain nombre de mesures les concernant. Le dialogue est donc possible et les points de convergence aussi.

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Mme la Ministre, d'abord merci pour votre présence aujourd'hui et pour la qualité du dialogue que vous avez entretenu avec la délégation française. J'en profite aussi pour remercier notre présidente de délégation, qui s'est beaucoup impliquée à l'APCE.

Je voudrais revenir sur les propos d'André Gattolin, que je partage totalement. Lors de la réunion de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, à Berlin, en novembre dernier, j'ai pu constater à l'occasion de la désignation de nouveaux rapporteurs sur des sujets extrêmement importants et me tenant à cœur, tel celui visant à garantir la liberté des avocats au sein des États membres du Conseil de l'Europe, que la délégation russe avait cherché à placer plusieurs de ses parlementaires sur ces dossiers. Ainsi, faute de majorité et, paradoxalement à Berlin, de parlementaires allemands, un parlementaire russe a été désigné rapporteur sur la liberté des avocats, alors que le sujet concerne notamment le traitement réservé à certains avocats au sein de la Russie. Il y a donc un vrai enjeu à nous mobiliser parce qu'en face, les tenants de l'illibéralisme savent le faire, surtout sur des rapports qui touchent à des points cruciaux en termes de droits et libertés fondamentales.

Sur la réactivité, je pense que les choses se sont beaucoup améliorées, notamment grâce à la présidence française du Comité des Ministres. Je me rappelle, à l'occasion de la discussion de certains rapports de l'APCE, notamment sur la poursuite de l'état d'urgence en France et la loi SILT au début de notre législature, d'avoir rencontré quelques difficultés, notamment lors de l'examen d'amendements. Je n'avais pas trouvé d'écoute de notre Gouvernement vis-à-vis de cet enjeu. Je pense donc qu'il est très important d'assurer le lien entre nos autorités et le Conseil de l'Europe sur des sujets d'actualité. Même à l'Assemblée nationale, on évoque ce qui se passe au Conseil de l'Europe – souvent à mauvais escient et c'est bien dommage. Je crois vraiment essentiel de communiquer sur ce qui se passe au Conseil de l'Europe, ce qui se passe également en France pour avoir des informations et des points précis et pour pouvoir bien répliquer et défendre les positions françaises. À titre d'exemple, notre délégation l'avait fait avec la Commissaire aux droits de l'Homme pour de l'usage des armes non létales lors des manifestations de gilets jaunes et j'avais justement trouvé que cette rencontre était particulièrement intéressante. Il faudrait qu'on arrive à le faire de façon beaucoup plus systématique sur de nombreux sujets, même sur des rapports qui peuvent paraître anodins au premier abord.

Plus que jamais en ce moment où, un peu partout en Europe, on revient sur des droits et libertés fondamentales qu'on croyait pourtant acquis, le Gouvernement et les parlementaires doivent tenir compte, dans nos lois nationales, du travail du Conseil de l'Europe.

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Maryvonne Blondin, sénatrice

En tant que membre de la commission de suivi, je me souviens effectivement que son président, au mois de mars 2019, avait proposé une nouvelle procédure consistant à inclure systématiquement au programme de la commission deux « grands » pays. L'argumentation du président de la commission, à l'appui de sa proposition d'inscrire la France à ce titre, était de dire que, finalement, il n'y avait aucun déshonneur et que tout pays devrait presque être ravi de pouvoir se justifier. Il avait été soutenu par un collègue turc, M. Akif Cağatay Kiliç, qui avait beaucoup œuvré en ce sens parce que la France venait de dénoncer certaines pratiques en Turquie. Évidemment, personne n'était dupe, mais je crois que nous devons rester extrêmement vigilants. À la première occasion, le sujet reviendra.

Je voudrais aussi insister sur la défense de la langue française au sein du Conseil de l'Europe. Il me semble qu'il nous revient aussi de promouvoir notre langue par des prises de parole systématiques en français. Là encore, on sait très bien qu'il y a régulièrement des remises en cause et c'est à nous de montrer l'exemple.

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

Sachez que, si cela peut être nécessaire ou utile, l'Exécutif peut relayer certains messages par les voies diplomatiques, en parallèle de votre travail affinitaire à l'APCE. N'hésitez-pas à vous manifester à notre Ambassade à Strasbourg ou auprès de mon cabinet à cet effet.

Sur le monitoring, je suis consciente qu'il faut effectivement rester extrêmement vigilant. Quant à l'usage du français au Conseil de l'Europe, vous devez recourir à notre langue pour la défendre. L'Organisation recourt à des interprètes qui lui coûtent assez cher, n'ayez pas de prévention à cet égard.

Moi-même, qui n'aurais aucun mal à m'exprimer en anglais dans de nombreuses réunions internationales et qui serais ainsi sûre de bien me faire comprendre, je m'astreins à parler en français pour promouvoir la francophonie. J'observe que la nouvelle Secrétaire générale du Conseil de l'Europe s'attache à parler aussi en français. N'ayez donc pas de scrupules. Les amis de la francophonie nous le reprochent quand nous, Français, ne parlons pas notre langue natale.

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Pour ma part, j'ai déjà eu maille à partir, à la commission du règlement de l'APCE, avec un parlementaire anglais qui prônait le passage à une seule langue officielle, à savoir l'anglais, pour faire des économies. Naturellement, je n'ai pas manqué de lui opposer de fermes objections.

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Martine Leguille Balloy, députée

Mme la Ministre, le dialogue que nous avons avec vous, les explications que vous nous donnez, la manière que vous avez d'être pédagogue et votre totale transparence sont exemplaires et, il faut bien le dire, assez rares. Au Parlement, nous gagnerions tous à bénéficier d'autant de coopération et d'échanges sur bien d'autres sujets.

Je souhaite aussi saluer l'action de la présidente de notre délégation, qui œuvre souvent toute seule au Bureau pour défendre les positions françaises. Pour le reste, je rejoins notre collègue Alexandra Louis sur la méconnaissance, par nos concitoyens, de l'importance du Conseil de l'Europe. Sans doute faudrait-il en parler davantage, mieux expliquer ce que nous y faisons.

Enfin, pouvez-vous nous indiquer où en est le processus de ratification, en France, de la convention du Conseil de l'Europe sur la manipulation de compétitions sportives, signée le 18 septembre 2014, à Macolin ?

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

Ne jetons la pierre à personne.. En tout cas, je suis heureuse que le mode de travail que j'ai établi avec les parlementaires vous convienne.

Quant à la convention de Macolin, elle est entrée en vigueur en septembre dernier. Elle a été signée le 2 octobre 2014 par notre pays, mais n'a pas été ratifiée.

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Mme la Ministre, je pense qu'il serait souhaitable de mettre aussi au cœur de nos travaux et réflexions les questions qui animent le débat français. Je pense en particulier aux questions qui ont trait à la religion et au modèle de la laïcité à la française, qui parfois se heurte à certaines décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, ainsi qu'à une prédominance de la liberté individuelle. On sait qu'en France, il y a une sorte d'accord tacite sur la discrétion des symboles religieux. Comment voyez-vous cette question de la laïcité au niveau européen ? Pour moi, qui suis attaché comme bon nombre d'entre nous ici au modèle de la laïcité à la française, il faut veiller à ce qu'il ne se trouve pas remis en question par des instances européennes qui s'appuient sur une conception différente de la nôtre.

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André Gattolin, sénateur

Ce sujet pourrait justement s'inviter à nos travaux à l'APCE, lors de la prochaine session d'hiver. En effet, un rapport sur la protection de la liberté religieuse ou de croyance sur le lieu de travail sera examiné en plénière, le 29 janvier. Hier, la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme l'a examiné et a dû recadrer quelque peu le débat sur la notion d'accommodement raisonnable. La législation du Canada incorpore cette notion ; personnellement, j'en connais les limites. Initialement, le rapporteur croate, très pratiquant, voulait aménager toutes les possibilités de pratique du culte en entreprise. Il a fallu rectifier quelque peu les termes du débat pour éviter de possibles dérives.

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Maryvonne Blondin, sénatrice

D'autres précédents existent en la matière. Je me souviens d'un rapport de M. Valeriu Ghiletchi, un parlementaire moldave, qui voulait absolument qu'on accorde la liberté aux minorités religieuses et plaidait en faveur d'accommodements raisonnables, ce qui était à l'opposé de la situation française. Il nous avait fallu nous y opposer en plénière. On peut aussi évoquer la question des Tatars de Crimée, qui a soulevé également pas mal d'oppositions.

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

La laïcité est aussi un sujet au cœur de l'Union européenne. Mon sentiment est que la France a un modèle très particulier, où aucune religion n'est liée à l'État. Or, d'autres pays ont des modèles de laïcité coexistant avec une religion d'État.

La bonne ligne à adopter pour la défense du modèle français est de mettre en avant qu'il repose sur la liberté et exclut les arrangements. La notion d'arrangement raisonnable suppose qu'au nom de la liberté des uns, on restreigne la liberté des autres, alors qu'en France le respect de la liberté de chacun à croire ou non n'implique pas la restriction de la liberté des autres. C'est une approche qui permet de défendre, au fond, ce qu'est la loi de 1905, qui est une loi de liberté, sans rentrer dans des considérations comme la neutralité ou la discrétion, qui sont des concepts inaudibles pour les pays n'ayant pas nos repères. On peut ainsi faire valoir qu'en France, dans une entreprise, on peut être croyant sans pour autant restreindre la liberté des clients et des collègues de ne pas l'être ou de l'être différemment.

Je pense que, souvent, on peut faire passer ses objectifs ou idées sans rentrer dans un débat que d'autres ne comprennent pas, du fait de leur culture propre. C'est ainsi, me semble-t-il, qu'on peut arriver à défendre la loi de 1905 sans jamais prononcer le mot laïcité qui n'a pas de sens ailleurs qu'en France. Dans beaucoup de pays et de langues, le terme laïcité équivaut même à anticléricalisme, ce qui est en fait assez contraire, voire exactement contradictoire, avec l'esprit de la loi 1905 qui n'est pas un texte anti-religions, mais plutôt un texte qui garantit à chacun de pouvoir en avoir une, sous réserve de limites en termes de visibilité d'exposition et d'influence sur la politique et l'État.

Je vous parle un peu de manière pragmatique parce qu'il y a des débats de ce genre au conseil franco-allemand de l'intégration, cercle de dialogue où la France et l'Allemagne partagent leurs bonnes pratiques ou leurs difficultés sur tous les sujets d'intégration et, donc, en fait, de laïcité. Le terme « intégration » a été retenu car le mot « laïcité » n'a aucun sens dans la pratique allemande. Dans ce genre de débats, c'est très compliqué car le mot laïcité signifie bien souvent pour vos interlocuteurs la négation de la religion, ce qui n'est pas le cas de ce que l'on défend.

Pour résumer, la situation en France est la suivante : chacun peut croire, mais sa croyance ne doit pas affecter la liberté des autres à croire eux-mêmes ou à ne pas croire. Si vous défendez cette ligne-là, vous devriez arriver à tenir une ligne de crête dans vos débats. Il faut néanmoins reconnaître que cela demande parfois une petite gymnastique intellectuelle.

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Mme la Ministre, je vous rejoins totalement. En outre, il convient de souligner que la Cour européenne des droits de l'Homme, s'appuyant sur le principe de proportionnalité, n'a jamais remis en cause la loi de 1905.

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Mme la Ministre, je crois qu'il importe d'analyser avec un peu de recul la situation qui découle de ce qui s'est passé depuis la session de juin dernier, qu'il s'agisse des aspects positifs avec la sortie de la crise, la mise en place d'un nouveau mécanisme de sanctions, ou des aspects plus incertains, notamment la structuration de blocs géographiques à la place des groupes politiques. Aujourd'hui, le nombre des non-inscrits amalgame des personnes qui se définissent davantage par la défense d'intérêts nationaux divergents que par une vision politique commune au sein d'un groupe. Au moment même où l'on veut recentrer l'APCE et le Conseil de l'Europe non plus sur les affrontements interétatiques, mais sur la promotion des droits des personnes, y compris les victimes de ces affrontements, cette situation confine à un véritable défi pour le fonctionnement futur de l'Organisation. Quelle est votre analyse sur ces constats et comment garder la dynamique de la structuration en groupes politiques au sein de l'Assemblée parlementaire ?

Ma deuxième interrogation porte sur la mise en œuvre de la nouvelle procédure de sanction des États membres défaillants, conjointe aux organes statutaires du Conseil de l'Europe. Des débats qui se sont déroulés sur le sujet cette semaine au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie, je retiens la focalisation des parlementaires russes sur le fait que cette procédure ne peut concerner que les conflits nouveaux ou les situations nouvelles. Or, un sujet nouveau n'existe pas puisqu'une violation reste une violation. Il n'est donc pas impossible, qu'à partir du mois de janvier, les débats se révèlent houleux sur cette question. Aussi, je voudrais savoir si, dans le cadre du dialogue avec les Russes et du consensus de la Conférence ministérielle d'Helsinki de mai dernier, des discussions entre Ministres et délégués des États membres ont permis au Comité des Ministres d'arrêter une position commune sur la phase qui suivra l'adoption de la nouvelle procédure conjointe de sanction. Il ne faut pas perdre de vue un aspect positif reconnu par tout le monde, y compris au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie, à savoir que le pouvoir de déclenchement de la nouvelle procédure de sanctions appartiendra de façon égale à l'Assemblée parlementaire et au Comité des Ministres. Rien n'empêchera donc l'APCE, avec 105 de ses membres, soit deux-tiers des présents, de déclencher ce mécanisme. Par voie de conséquence, comment le Comité des Ministres actera-t-il une telle initiative ? Ses membres se sont-ils déjà posés la question ?

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Amélie de Montchalin, Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes

Pour ce qui concerne votre constat d'un supposé affaiblissement des groupes politiques, je pense qu'il ne faut pas porter de conclusions définitives ou hâtives. Personnellement, j'ai en mémoire la récente élection de la nouvelle Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, qui a été marquée par une influence réelle des groupes politiques dans le processus. Mais vous avez raison de rester vigilants car il ne faut pas laisser se cristalliser des lignes de fracture principalement nationales au sein du Conseil de l'Europe.

J'observe d'ailleurs que le Conseil de l'Europe n'est pas une instance multilatérale classique, justement parce qu'il est doté d'une Assemblée parlementaire. Le dialogue de cette instance parlementaire avec le Comité des Ministres conduit à des orientations un peu plus particulières que dans d'autres organisations internationales.

Il est donc essentiel, pour infléchir les positions dictées par les intérêts nationaux, que vous, membres de l'APCE, vous nouiez des contacts et des liens avec les parlementaires d'autres délégations nationales, ukrainiens, turcs, baltes ou autres. C'est par la confrontation des idées et les échanges que les divergences peuvent être surmontées dans l'intérêt général, à travers des logiques de coalitions. La difficulté, j'en conviens, réside dans le fait que certaines délégations nationales sont moins pluri-partisanes que celles des pays d'Europe occidentale.

Pour le Président de la République et le Gouvernement, en tout cas, il est essentiel d'éviter que les structures multilatérales changent d'objectifs par la pratique. Il est capital qu'elles tiennent et accomplissent leur mandat. En restant fermes sur l'accomplissement de ce mandat, on pousse les autres délégations à se positionner sur le fond des dossiers et non par rapport à l'intérêt géopolitique de leur pays. Naturellement, le successeur de la Présidente actuelle de l'APCE, en janvier, devra intégrer les risques encourus par les groupes politiques et par son institution s'il laisse les débats dériver sur le plan de la confrontation des intérêts nationaux.

Pour ce qui concerne le mécanisme de réaction conjointe à l'égard des États défaillants, évidemment, les membres du Comité des Ministres ont eu des discussions sur les conséquences d'un déclenchement de la procédure et sur la dynamique que celui-ci pourrait enclencher. Le champ des motifs ouvrant la possibilité de recourir à cette procédure a été défini selon un éventail assez large pour ne pas restreindre le type de violations couvertes, mais tout l'objectif de la procédure est de parvenir à toujours préserver la convergence de vues du Comité des Ministres et de l'APCE, car on sait que si l'on veut que cette procédure fonctionne, on a besoin de l'Assemblée parlementaire.

Si, par comparaison, l'on se réfère à l'Union européenne et à l'article 7 du traité sur l'Union sur la violation de l'État de droit, l'expérience montre que l'unanimité requise au Conseil européen bloque les conséquences de la procédure. Dans le cas de la procédure proposée au Conseil de l'Europe, le dialogue entre le Comité des Ministres et l'APCE tout au long des différentes étapes du mécanisme favorisera la convergence de vues des organes statutaires et devrait permettre d'éviter un veto, même si on ne peut néanmoins totalement l'exclure.

La démarche proposée nous semble assez bien calibrée pour ne pas déclencher la procédure conjointe de sanction sur un coup de tête, tout en reposant sur une sorte d'aller-retour permanent entre l'organe politique en charge du dialogue interétatique et l'organe parlementaire.

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Pour ma part, j'ajouterai, dans le prolongement de vos propos Mme la Ministre, que nous devons veiller à ce que les équilibres nationaux ne se trouvent pas remis en cause par les désignations qui incombent exclusivement aux groupes politiques au sein de l'APCE. L'expérience a montré que certaines des trois commissions où seuls les groupes politiques peuvent procéder à des nominations ont, par le passé, comporté de forts contingents de parlementaires issus de certains pays, lesquels prenaient alors des positions davantage dictées par leurs intérêts nationaux que par leurs convictions politiques.

Plus personne ne sollicitant la parole, Mme la Ministre, je tiens à vous remercier pour avoir eu l'amabilité de venir devant nous aujourd'hui, en dépit d'un agenda extrêmement contraint. Je ne doute pas que, malgré la fin de la présidence française du Comité des Ministres, les échanges avec notre délégation se poursuivront avec régularité et en transparence. Pour notre part, nous y sommes prêts et nous nous réjouissons de pouvoir continuer de travailler à vos côtés.

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Information relative à la délégation

À l'issue de l'audition de la Secrétaire d'État chargée des Affaires européennes, la délégation française désigne :

– Mme Yolaine de Courson, Vice-Présidente de la délégation au titre du groupe La République en Marche de l'Assemblée nationale, en remplacement de Mme Jennifer De Temmerman, démissionnaire du Bureau ;

– M. Fabien Gouttefarde, Vice-Président de la délégation au titre du groupe La République en Marche de l'Assemblée nationale, en remplacement de M. Bertrand Sorre, démissionnaire de la délégation.

La séance est levée à 18 h 50.

Membres présents ou excusés

Députés :

Présents. – Mme Nicole Trisse, M. Bertrand Bouyx, M. Dimitri Houbron, M. Jérôme Lambert, Mme Alexandra Louis, M. Jacques Maire, Mme Isabelle Rauch, Mme Liliana Tanguy.

Excusés. –. Mme Sophie Auconie, M. Olivier Becht , Mme Yolaine de Courson, Mme Marie‑Christine Dalloz, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Fuchs, M. Fabien Gouttefarde, Mme Marietta Karamanli, Mme Catherine Kamowski, M. Éric Straumann, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Sylvain Waserman, Mme Martine Wonner.

Sénateurs :

Présents. – Mme Maryvonne Blondin, M. André Gattolin, M. André Vallini.

Excusés. – Mme Nicole Duranton, M. Arnaud Bazin, M. Bernard Cazeau, M. Bernard Fournier, M. François Grosdidier, M. Guy-Dominique Kennel, M. Claude Kern, M. Jacques Le Nay, M. André Reichardt.