Intervention de Rahman Mustafayev

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 15h15
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Rahman Mustafayev, Ambassadeur de la République d'Azerbaïdjan en France :

. Mme la Présidente, je vous remercie de me fournir l'occasion de m'exprimer devant votre délégation. Pour tout Ambassadeur, ce type d'entretiens avec des parlementaires, surtout lorsqu'ils appartiennent à des organisations internationales, est très utile. J'espère que cela préfigurera un dialogue suivi, indispensable à toute coopération.

S'agissant de l'objet de cette audition, je me dois de vous indiquer que, suite au vote par le Sénat hier d'une résolution « portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabakh », la situation a connu quelques développements nouveaux dans la mesure où le Parlement de la République d'Azerbaïdjan a adopté aujourd'hui même une résolution invitant notre Gouvernement à demander à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de retirer la France de la co-présidence du groupe de Minsk, en raison de la rupture de votre impartialité sur le Haut-Karabakh. Le Parlement de la République d'Azerbaïdjan a aussi demandé que soient reconsidérées en profondeur les relations politiques et économiques entre nos deux pays. Désormais, c'est au Président de la République d'Azerbaïdjan de prendre une décision finale mais le fait est que la tonalité de nos relations bilatérales a changé.

La résolution adoptée par le Sénat est injuste et la France n'a pas à intervenir dans les affaires intérieures de l'Azerbaïdjan. Le 20 décembre 1993 un traité d'amitié, d'entente et de coopération a été signé entre nos deux pays par les Présidents François Mitterrand et Heydar Aliyev, selon lequel les deux parties sont convenues de ce « qu'elles unissent leurs efforts en vue d'assurer la sécurité internationale, de prévenir les conflits et de garantir la primauté du droit international dans les relations entre Etats, respectant le principe de l'inviolabilité des frontières ». D'ailleurs, votre pays a voté la même année, en 1993, les quatre résolutions du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations-Unies (ONU) confirmant l'appartenance du Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan. C'est un fait : historiquement, culturellement, juridiquement, le Haut-Karabakh est un territoire de la République d'Azerbaïdjan.

Vous avez évoqué, Mme la Présidente, les premiers combats intervenus en juillet dernier. Pourquoi cette provocation militaire arménienne dans la ville de Tovuz, à 250 kilomètres de la ligne de contact au Haut-Karabakh ? Pour votre information, cette région est celle par laquelle transitent les communications stratégiques essentielles (gazoducs, oléoducs, voies ferrées) de l'Azerbaïdjan vers le continent européen. Ainsi, les autorités arméniennes ont essayé de tester la réaction de mon pays. Il ne faut d'ailleurs pas voir une simple coïncidence dans le fait que, le 12 juillet, le Parlement arménien adoptait un nouveau concept de sécurité nationale affirmant que l'objectif de l'Arménie devrait être de « consolider les résultats de la guerre de libération, combattue pour l'autodétermination » du Haut-Karabakh. Cette prise de position en juillet annonçait déjà que l'Arménie ne renoncerait jamais, y compris sous l'égide du groupe de Minsk, à ses prétentions sur un territoire appartenant à l'Azerbaïdjan.

Face à cette agression, l'Azerbaïdjan a riposté et cette guerre de trois jours n'a abouti à rien. Néanmoins, les autorités de la République d'Azerbaïdjan ont réalisé à cette occasion qu'il n'était pas possible de parvenir à un règlement pacifique de la question avec le Gouvernement de M. Nikol Pachinian. Il ne devenait plus possible de chercher à trouver une solution sous l'égide du groupe de Minsk dès lors que l'un des acteurs du conflit n'avait aucune volonté de négocier.

Ainsi, le 27 septembre 2020, une contre-offensive, une « guerre de libération », a été menée par les armées azerbaïdjanaises, d'abord dans les sept districts azerbaïdjanais indûment occupés par les forces arméniennes. L'Azerbaïdjan ne s'en est pas caché et assume. Cette démarche a été entreprise pour mettre en œuvre les quatre résolutions de l'ONU de 1993, prévoyant le retrait des forces arméniennes du Haut-Karabakh et le retour des réfugiés et des personnes déplacées. N'oublions pas que quelque 750 000 réfugiés azerbaïdjanais ont fui le Haut-Karabakh et sept districts avoisinants lors du conflit dans les années 1990 et que cette tragédie a chassé de la région, au total, y compris de l'Arménie, plus de 1 million de personnes azerbaïdjanaises. Ces faits aussi doivent être pris en considération lorsque l'on parle de droits de l'Homme.

J'ai eu l'occasion d'indiquer aux sénateurs, ici même il y a quelques jours, que l'Arménie avait mené un travail d'éviction ethnique dans la région. Si l'on se réfère au dernier recensement de l'Union soviétique, en 1989, le Haut-Karabakh était alors peuplé de 189 000 habitants, 74 % étant d'origine arménienne, 22 % d'origine azerbaïdjanaise (40 000 personnes environ), et le reste, soit 4 %, issu de 48 minorités ethniques ou religieuses. La région était alors prospère, multiethnique et multiconfessionnelle. Depuis 1992, la région est majoritairement, à 99 %, peuplée d'Arméniens, ce qui veut dire que les minorités ethniques et religieuses ont été expulsées.

Les autorités azerbaïdjanaises, indépendamment des différends liés au passé, défendent le principe de la coexistence avec les minorités. Aujourd'hui, 30 000 Arméniens vivent pacifiquement en Azerbaïdjan alors qu'aucun Azerbaïdjanais ne vit en Arménie. Alors que des minorités existent dans tous les pays du Moyen-Orient, l'Arménie fait figure d'exception.

Suite à l'adoption du cessez-le-feu du 9 novembre dernier, les forces arméniennes doivent se retirer des sept districts azerbaïdjanais qu'elles occupaient auparavant. Tous les réfugiés issus des différentes minorités ethniques auront le droit de retourner sur place car, pour l'Azerbaïdjan, il s'agit d'une question importante de droits humains.

Vous avez parlé, Mme la Présidente, du corridor de Lachin entre l'Arménie et le Haut-Karabakh. N'oublions pas non plus le corridor entre l'Azerbaïdjan et l'enclave de Nakhchivan. Jusqu'à présent, l'Arménie évoquait un prétendu blocage émanant de pays frontaliers pour éluder toute négociation et éviter tout progrès sur le sujet, mais les frontières iraniennes et géorgiennes étaient ouvertes pour l'Arménie alors qu'une partie de l'Azerbaïdjan subissait un véritable blocus. L'accord de cessez-le-feu a finalement permis d'aboutir sur ce point et c'est heureux, car toutes les parties du territoire de l'Azerbaïdjan se trouveront désormais reconnectées.

S'agissant des échanges de soldats, de corps et de prisonniers, je tiens à souligner que l'Azerbaïdjan a proposé à plusieurs reprises, alors même que les combats faisaient rage, de récupérer les dépouilles des soldats tombés au front afin de les rendre à leurs familles. L'Arménie a refusé, pour des raisons de politique intérieure je pense : en effet, le nombre de morts parmi ses troupes étant élevé, la restitution de leurs dépouilles aurait montré le caractère mensonger de la propagande du Gouvernement affirmant que la guerre serait gagnée. Les autorités azerbaïdjanaises se sont donc adressées à la Croix rouge mais, une fois encore, l'Arménie a refusé de récupérer les dépouilles de ses soldats.

L'accord de cessez-le feu repose, en la matière, sur le principe du « tous pour tous », c'est-à-dire la restitution de toutes les dépouilles et tous les prisonniers indépendamment de leur nombre. La Croix rouge travaille actuellement sur ce dossier, notamment sur l'identification des prisonniers et des dépouilles, et l'Azerbaïdjan respectera l'esprit de l'accord de cessez-le-feu.

Pour conclure, je dirais que, même si la France n'a pas joué un rôle moteur dans son adoption, l'accord de cessez-le-feu conclu le 9 novembre reprend des principes jusqu'alors soutenus par votre pays, au même titre que les autres co-présidents du groupe de Minsk. Ces principes figurent en effet dans les quatre résolutions du Conseil de Sécurité que votre pays a votées à l'ONU. De ce fait, la France devrait se réjouir de la situation actuelle.

Je suis à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.

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