Présidence de Mme Nicole Trisse, députée, Présidente
La séance est ouverte à 15 heures 20.
. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue, M. l'Ambassadeur, et de vous remercier d'avoir accepté de participer à cette rencontre dans des délais contraints.
Bien que le Conseil de l'Europe ne soit pas l'organisation internationale en charge du règlement des conflits armés et territoriaux, notre délégation a souhaité vous entendre, M. Rahman Mustafayev, en votre qualité d'Ambassadeur de la République d'Azerbaïdjan en France, pour évoquer la situation qui prévaut dans le Haut-Karabakh, notamment au regard des droits humains.
L'Arménie comme l'Azerbaïdjan sont deux États membres du Conseil de l'Europe et, comme vous le savez, la recrudescence des tensions dans la région, ces dernières semaines, a préoccupé l'ensemble des délégations nationales de l'APCE.
Je ne ferai pas, en préambule, le rappel historique des origines de ce différend territorial que l'on qualifiait, il y a quelques mois encore, de « conflit gelé ». Je me bornerai seulement à rappeler qu'après une escalade verbale en juin dernier, des escarmouches militaires avaient déjà éclaté à la frontière entre votre pays et l'Arménie en juillet, en dehors de la zone du Haut-Karabakh. Plusieurs dizaines de soldats ont alors été tués.
Depuis, les tensions restaient vives et des combats très meurtriers ont éclaté sur le territoire du Nagorny-Karabakh, le 27 septembre. Malheureusement, plusieurs milliers de victimes militaires et civiles sont à déplorer.
Saisie en urgence, la Cour européenne des droits de l'Homme avait demandé aux belligérants, dès le 30 septembre, de « s'abstenir de prendre toute mesure, en particulier des actions militaires, qui pourrait entraîner des violations des droits des populations civiles garantis par la convention, notamment en mettant en danger leur vie et leur santé ». Elle leur avait donc enjoint de se conformer à leurs engagements au titre de la convention européenne des droits de l'Homme, notamment à son article 2 sur le droit à la vie.
Mais, en dépit de la conclusion de plusieurs cessez-le-feu, les combats se sont poursuivis tout au long du mois d'octobre, la guerre devenant chaque jour plus violente, y compris pour les populations civiles de part et d'autre de la ligne de front.
Heureusement, un accord de cessez-le-feu total est malgré tout intervenu dans la nuit du 9 au 10 novembre dernier, sous l'égide de la Russie. Cet accord, qui acte les positions nouvelles des armées des deux belligérants, garantit la restitution des districts azerbaïdjanais occupés jusqu'alors ainsi qu'un corridor humanitaire entre l'Arménie et le Haut-Karabakh. De même, et c'est important, des échanges de prisonniers et la restitution des corps des soldats défunts doivent avoir lieu. La Russie sera impliquée dans le respect de cet accord sur le terrain, 1 960 militaires, 90 véhicules blindés et 380 véhicules militaires russes étant déployés au Haut-Karabakh. J'imagine néanmoins que vous nous en direz plus à ce sujet dans votre propos introductif.
La France, qui co-préside depuis 1997 avec les États-Unis et la Russie le groupe de Minsk, chargé de faciliter sous l'égide de l'OSCE une solution pacifique au différend à l'origine de ce conflit, s'est attachée lors des derniers événements à être aussi impartiale que possible pour pouvoir discuter de manière franche et constructive avec les deux parties. Cette position explique que, par souci d'équilibre M. l'Ambassadeur, nous entendrons également votre homologue de la République d'Arménie sur le sujet.
Mais je vous laisse sans plus attendre la parole pour un bref propos liminaire, avant que mes collègues et moi-même vous posions quelques questions.
. Mme la Présidente, je vous remercie de me fournir l'occasion de m'exprimer devant votre délégation. Pour tout Ambassadeur, ce type d'entretiens avec des parlementaires, surtout lorsqu'ils appartiennent à des organisations internationales, est très utile. J'espère que cela préfigurera un dialogue suivi, indispensable à toute coopération.
S'agissant de l'objet de cette audition, je me dois de vous indiquer que, suite au vote par le Sénat hier d'une résolution « portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabakh », la situation a connu quelques développements nouveaux dans la mesure où le Parlement de la République d'Azerbaïdjan a adopté aujourd'hui même une résolution invitant notre Gouvernement à demander à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de retirer la France de la co-présidence du groupe de Minsk, en raison de la rupture de votre impartialité sur le Haut-Karabakh. Le Parlement de la République d'Azerbaïdjan a aussi demandé que soient reconsidérées en profondeur les relations politiques et économiques entre nos deux pays. Désormais, c'est au Président de la République d'Azerbaïdjan de prendre une décision finale mais le fait est que la tonalité de nos relations bilatérales a changé.
La résolution adoptée par le Sénat est injuste et la France n'a pas à intervenir dans les affaires intérieures de l'Azerbaïdjan. Le 20 décembre 1993 un traité d'amitié, d'entente et de coopération a été signé entre nos deux pays par les Présidents François Mitterrand et Heydar Aliyev, selon lequel les deux parties sont convenues de ce « qu'elles unissent leurs efforts en vue d'assurer la sécurité internationale, de prévenir les conflits et de garantir la primauté du droit international dans les relations entre Etats, respectant le principe de l'inviolabilité des frontières ». D'ailleurs, votre pays a voté la même année, en 1993, les quatre résolutions du Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations-Unies (ONU) confirmant l'appartenance du Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan. C'est un fait : historiquement, culturellement, juridiquement, le Haut-Karabakh est un territoire de la République d'Azerbaïdjan.
Vous avez évoqué, Mme la Présidente, les premiers combats intervenus en juillet dernier. Pourquoi cette provocation militaire arménienne dans la ville de Tovuz, à 250 kilomètres de la ligne de contact au Haut-Karabakh ? Pour votre information, cette région est celle par laquelle transitent les communications stratégiques essentielles (gazoducs, oléoducs, voies ferrées) de l'Azerbaïdjan vers le continent européen. Ainsi, les autorités arméniennes ont essayé de tester la réaction de mon pays. Il ne faut d'ailleurs pas voir une simple coïncidence dans le fait que, le 12 juillet, le Parlement arménien adoptait un nouveau concept de sécurité nationale affirmant que l'objectif de l'Arménie devrait être de « consolider les résultats de la guerre de libération, combattue pour l'autodétermination » du Haut-Karabakh. Cette prise de position en juillet annonçait déjà que l'Arménie ne renoncerait jamais, y compris sous l'égide du groupe de Minsk, à ses prétentions sur un territoire appartenant à l'Azerbaïdjan.
Face à cette agression, l'Azerbaïdjan a riposté et cette guerre de trois jours n'a abouti à rien. Néanmoins, les autorités de la République d'Azerbaïdjan ont réalisé à cette occasion qu'il n'était pas possible de parvenir à un règlement pacifique de la question avec le Gouvernement de M. Nikol Pachinian. Il ne devenait plus possible de chercher à trouver une solution sous l'égide du groupe de Minsk dès lors que l'un des acteurs du conflit n'avait aucune volonté de négocier.
Ainsi, le 27 septembre 2020, une contre-offensive, une « guerre de libération », a été menée par les armées azerbaïdjanaises, d'abord dans les sept districts azerbaïdjanais indûment occupés par les forces arméniennes. L'Azerbaïdjan ne s'en est pas caché et assume. Cette démarche a été entreprise pour mettre en œuvre les quatre résolutions de l'ONU de 1993, prévoyant le retrait des forces arméniennes du Haut-Karabakh et le retour des réfugiés et des personnes déplacées. N'oublions pas que quelque 750 000 réfugiés azerbaïdjanais ont fui le Haut-Karabakh et sept districts avoisinants lors du conflit dans les années 1990 et que cette tragédie a chassé de la région, au total, y compris de l'Arménie, plus de 1 million de personnes azerbaïdjanaises. Ces faits aussi doivent être pris en considération lorsque l'on parle de droits de l'Homme.
J'ai eu l'occasion d'indiquer aux sénateurs, ici même il y a quelques jours, que l'Arménie avait mené un travail d'éviction ethnique dans la région. Si l'on se réfère au dernier recensement de l'Union soviétique, en 1989, le Haut-Karabakh était alors peuplé de 189 000 habitants, 74 % étant d'origine arménienne, 22 % d'origine azerbaïdjanaise (40 000 personnes environ), et le reste, soit 4 %, issu de 48 minorités ethniques ou religieuses. La région était alors prospère, multiethnique et multiconfessionnelle. Depuis 1992, la région est majoritairement, à 99 %, peuplée d'Arméniens, ce qui veut dire que les minorités ethniques et religieuses ont été expulsées.
Les autorités azerbaïdjanaises, indépendamment des différends liés au passé, défendent le principe de la coexistence avec les minorités. Aujourd'hui, 30 000 Arméniens vivent pacifiquement en Azerbaïdjan alors qu'aucun Azerbaïdjanais ne vit en Arménie. Alors que des minorités existent dans tous les pays du Moyen-Orient, l'Arménie fait figure d'exception.
Suite à l'adoption du cessez-le-feu du 9 novembre dernier, les forces arméniennes doivent se retirer des sept districts azerbaïdjanais qu'elles occupaient auparavant. Tous les réfugiés issus des différentes minorités ethniques auront le droit de retourner sur place car, pour l'Azerbaïdjan, il s'agit d'une question importante de droits humains.
Vous avez parlé, Mme la Présidente, du corridor de Lachin entre l'Arménie et le Haut-Karabakh. N'oublions pas non plus le corridor entre l'Azerbaïdjan et l'enclave de Nakhchivan. Jusqu'à présent, l'Arménie évoquait un prétendu blocage émanant de pays frontaliers pour éluder toute négociation et éviter tout progrès sur le sujet, mais les frontières iraniennes et géorgiennes étaient ouvertes pour l'Arménie alors qu'une partie de l'Azerbaïdjan subissait un véritable blocus. L'accord de cessez-le-feu a finalement permis d'aboutir sur ce point et c'est heureux, car toutes les parties du territoire de l'Azerbaïdjan se trouveront désormais reconnectées.
S'agissant des échanges de soldats, de corps et de prisonniers, je tiens à souligner que l'Azerbaïdjan a proposé à plusieurs reprises, alors même que les combats faisaient rage, de récupérer les dépouilles des soldats tombés au front afin de les rendre à leurs familles. L'Arménie a refusé, pour des raisons de politique intérieure je pense : en effet, le nombre de morts parmi ses troupes étant élevé, la restitution de leurs dépouilles aurait montré le caractère mensonger de la propagande du Gouvernement affirmant que la guerre serait gagnée. Les autorités azerbaïdjanaises se sont donc adressées à la Croix rouge mais, une fois encore, l'Arménie a refusé de récupérer les dépouilles de ses soldats.
L'accord de cessez-le feu repose, en la matière, sur le principe du « tous pour tous », c'est-à-dire la restitution de toutes les dépouilles et tous les prisonniers indépendamment de leur nombre. La Croix rouge travaille actuellement sur ce dossier, notamment sur l'identification des prisonniers et des dépouilles, et l'Azerbaïdjan respectera l'esprit de l'accord de cessez-le-feu.
Pour conclure, je dirais que, même si la France n'a pas joué un rôle moteur dans son adoption, l'accord de cessez-le-feu conclu le 9 novembre reprend des principes jusqu'alors soutenus par votre pays, au même titre que les autres co-présidents du groupe de Minsk. Ces principes figurent en effet dans les quatre résolutions du Conseil de Sécurité que votre pays a votées à l'ONU. De ce fait, la France devrait se réjouir de la situation actuelle.
Je suis à présent à votre disposition pour répondre à vos questions.
. M. l'Ambassadeur, avant de passer la parole à mes collègues, je souhaiterais vous poser quelques questions. Tout d'abord, je souhaiterais avoir des précisions sur le nombre de réfugiés et de personnes déplacées en Azerbaïdjan depuis la fin des années 1980, du fait du conflit du Haut-Karabakh. Vous avez évoqué le chiffre de 750 000 et celui de 1 million, pouvez-vous nous éclairer davantage ?
. En la matière, il faut non seulement comptabiliser les réfugiés et les personnes déplacées mais aussi inclure les 8 % d'Azerbaïdjanais qui vivaient avant les années 1990 en Arménie. Le chiffre total excède donc le million de personnes.
Fin 1987, environ 250 000 Azerbaïdjanais ont été chassés d'Arménie. Pour mémoire, le mouvement séparatiste arménien dans la région de Haut-Karabagh a débuté en mars-avril 1988. Les autorités du pays ont vraisemblablement considéré qu'il leur fallait expulser les populations d'origine azerbaïdjanaise pour éviter de se trouver confrontées à un risque de revendications azerbaïdjanaises analogues si elles appuyaient l'indépendance du Haut-Karabakh, comme elles en avaient l'intention. D'octobre à décembre 1987, pendant trois mois, 250 000 personnes d'origine azerbaïdjanaise ont donc quitté, de manière forcée, l'Arménie. En y ajoutant les réfugiés et les autres personnes déplacées, on atteint le chiffre de 1 million de personnes.
. Dans les territoires récupérés par votre pays aux termes du cessez-le-feu intervenu le 10 novembre, quel sort sera réservé aux populations d'origine arménienne qui souhaiteraient demeurer sur place ? Quelles garanties, en termes de respect de leurs droits, votre pays entend-il apporter ? Des clauses ont-elles été prévues à cet effet dans l'accord de cessez-le-feu du 9 novembre ?
. L'Azerbaïdjan était initialement le deuxième pays au monde comportant la plus forte minorité arménienne, derrière les États-Unis. Celle-ci s'élevait à 400 000 personnes, mais beaucoup d'Arméniens sont partis de leur propre gré en raison du conflit, en vendant leurs biens, ce qui n'a pas été le cas des populations azerbaïdjanaises chassées du Haut-Karabakh. Je peux en attester car je vivais à Bakou à l'époque.
Aujourd'hui, 30 000 Arméniens vivent en Azerbaïdjan, ce qui constitue un signe de tolérance car nous sommes officiellement en guerre avec l'Arménie. Le retour de ceux qui vivaient dans des territoires appartenant à l'Azerbaïdjan est un non-sujet. Les populations du Haut-Karabakh ne subiront aucune répression, ni aucune limitation de leurs droits. Je ne doute pas, d'ailleurs, que celles et ceux qui reviendront au Haut-Karabakh demanderont à terme à devenir des citoyens de l'Azerbaïdjan, au vu des avantages liés à ce statut.
Les Arméniens partis d'Azerbaïdjan n'ont pas émigré en Arménie : ils n'y auraient pas été acceptés comme de véritables citoyens arméniens. Ils ont plutôt émigré vers les États-Unis, la Russie, l'Allemagne, la France, l'Ukraine et Israël dans une moindre mesure. La plupart, d'ailleurs, ont la nostalgie de l'Azerbaïdjan.
Merci, M. l'Ambassadeur, pour vos propos qui contribuent à nous apporter un éclairage sur la situation. Après un recours inadmissible à la force, quelles mesures votre pays entend-il prendre pour garantir la paix ? J'aimerais également que vous nous apportiez des précisions sur l'éventuelle participation de mercenaires djihadistes aux opérations des forces armées azerbaïdjanaises. Enfin, pouvez-vous nous préciser quelle est la situation intérieure de votre pays et nous dresser un bilan humain des opérations, après la conclusion du cessez-le-feu ?
M. l'Ambassadeur, moi aussi je souhaiterais que vous nous éclairiez sur l'éventuelle présence de djihadistes dans les rangs des forces armées azerbaïdjanaises lors des opérations militaires de ces derniers mois. Par ailleurs, quelle est la situation intérieure de l'Azerbaïdjan ?
. L'Azerbaïdjan a recouru à la force, à la contre-offensive, car il a compris, après les dernières provocations de l'Arménie, que les méthodes diplomatiques ne menaient nulle part. Après trente ans de discussions dans le cadre du groupe de Minsk, l'Arménie a pensé qu'elle pourrait agir comme elle l'entendait, se sentant tout permis, faute de pressions véritables des co-présidents du groupe de Minsk en vue de compromis et de concessions. Face à ce constat, l'Azerbaïdjan a décidé de faire usage, conformément au droit international, de son droit à la défense légitime, le Haut-Karabakh étant un territoire occupé par un autre pays. Mon pays ne pouvait attendre un siècle avant que le groupe de Minsk agisse enfin réellement.
S'agissant de l'assertion de la participation de djihadistes aux combats sur le terrain, le Président de la République d'Azerbaïdjan a toujours demandé que les preuves de telles affirmations soient apportées et, à défaut, exigé des excuses à l'égard du peuple azerbaïdjanais. Personne, en France comme ailleurs, n'a jusqu'à présent rendues publiques de telles preuves.
En revanche, les autorités de la République d'Azerbaïdjan ont démontré que 358 combattants étrangers avaient appuyé les forces arméniennes dans le conflit, quatorze d'entre eux étant français. Si la notion de djihadiste n'a aucun fondement en droit international, il en va différemment de celle de combattant étranger. Nous avons donc saisi les autorités judiciaires françaises du cas de vos ressortissants, en vue d'une enquête. Á vrai dire, certains magazines français eux-mêmes ont évoqué le phénomène, en dépeignant ces combattants en véritables héros.
Pour ce qui nous concerne, comme je l'ai indiqué devant la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, nous disposons de preuves concrètes sur les 358 combattants étrangers identifiés au cours des combats : papiers d'identité, numéro de téléphone, et j'en passe. Ceux qui évoquent la présence de djihadistes parmi les forces armées azerbaïdjanaises ne peuvent en dire autant pour étayer leurs affirmations ; ils ne peuvent même pas donner des noms de prétendus combattants djihadistes.
De manière plus générale, je regrette le contexte de désinformation ambiant à l'encontre de mon pays. Hier, au Sénat, la majorité des orateurs ont évoqué des éléments similaires sans aucune preuve. Il s'agit là d'une propagande à la façon de Goebbels : affirmer des choses sans jamais les accréditer par des preuves mais les inscrire dans les croyances générales en les répétant sans cesse. La France ne s'est pas grandie en agissant ainsi et la relation bilatérale se trouve désormais sous tension.
La situation intérieure en Azerbaïdjan est marquée, comme partout dans le monde, par la gestion de la pandémie de coronavirus – Covid-19. Au niveau politique, la situation est marquée par une grande stabilité. Au plan économique, le produit intérieur brut devrait baisser de 3,2 - 3,4 %, mais cela devrait rester passager.
S'agissant du bilan humain des combats, nous dénombrons 95 décès de civils, parfois enfants ou personnes âgées ; par ailleurs, 414 personnes ont été hospitalisées et 3 410 maisons détruites. L'Arménie, elle, déclare le décès de 48 civils. Vous constaterez par conséquent que l'Azerbaïdjan, qui n'avait aucun ressortissant dans la zone des combats, a enregistré davantage de pertes humaines que l'Arménie, ce qui montre bien que cette dernière a frappé des territoires en dehors de la zone de conflit, notamment Ganja la deuxième ville du pays éloignée de 60 kilomètres. Certains missiles se sont abattus sur des zones résidentielles et on sait pertinemment que la décision de recourir à de telles armes est prise au plus haut sommet de l'État. Votre collègue, M. Jérôme Lambert, avec d'autres députés français, est venu à Ganja et il a pu constater les conséquences de ces actions sur place.
S'agissant des pertes militaires, je ne suis pas en mesure de vous apporter des précisions car je n'en ai pas connaissance.
. M. l'Ambassadeur, nous avons bien compris que le Parlement d'Azerbaïdjan venait d'inviter l'Exécutif de votre pays à demander le retrait de la France de la co-présidence du groupe de Minsk, suite au vote hier par le Sénat d'une résolution portant sur la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabakh. Á votre connaissance, quelle est la position du Président et du Gouvernement de l'Azerbaïdjan à ce sujet ? Entendent-ils suivre la demande du Parlement ?
Le Parlement de l'Azerbaïdjan a pris sa décision aujourd'hui à 16 heures, heure de Bakou (13 heures, heure de Paris). De ce fait, il est encore trop tôt pour savoir quelle position les autorités azerbaïdjanaises entendent prendre.
Á l'ambassade, nous procédons en ce moment même à la traduction du texte adopté. Ce que je peux vous en dire est que, formellement, le Parlement azerbaïdjanais a demandé au pouvoir Exécutif de saisir l'OSCE d'une requête de retrait de la France de la co-présidence du groupe de Minsk. Constitutionnellement, le Parlement peut formuler de telles demandes mais c'est au pouvoir Exécutif, et plus particulièrement au Président de la République, que la décision incombe.
Le Parlement de la République d'Azerbaïdjan a aussi demandé que soient reconsidérées en profondeur les relations économiques et de coopération avec la France.
Je rappelle que la France est membre du groupe de Minsk depuis 1992 et que c'est à la demande du Président Jacques Chirac, en 1997, que l'Azerbaïdjan a accepté qu'elle en prenne la co-présidence avec les États-Unis et la Russie. Le mandat de la co-présidence du groupe de Minsk repose depuis l'origine sur trois principes clés : le respect des principes de la Charte des Nations Unies, celui des décisions de l'OSCE et enfin l'acceptation et la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Á l'appui de sa demande, le Président Chirac s'était engagé à ce que la France adopte une attitude équilibrée à l'égard de l'Azerbaïdjan.
La position officielle prise par le Sénat de la République française, qui incarne à nos yeux la France au même titre que l'Assemblée nationale ou le Gouvernement, a rompu l'équilibre qui avait été respecté jusqu'alors.
M. l'Ambassadeur, même si beaucoup d'interrogations se font jour sur les événements qui se sont déroulés au Haut-Karabakh ces derniers mois et mériteraient que je les relaye ici, je me bornerai pour ma part à vous poser une seule question. Le conflit de ces dernières semaines a été émaillé de nombreuses dénonciations de violations des droits humains. Afin de faire la lumière et d'établir la vérité sur ces accusations, l'Azerbaïdjan serait-il prêt à ce qu'une enquête internationale indépendante soit menée sur place ? Vous-mêmes faites état de certaines preuves qui pourraient certainement être examinées dans ce cadre-là.
L'Azerbaïdjan est ouvert et disponible pour cela car ses autorités souhaitent l'établissement des faits de manière irréfutable. La région du Haut-Karabakh est victime de ce conflit depuis trente ans et beaucoup d'infrastructures, d'écoles, de bâtiments ont été détruits.
L'Azerbaïdjan s'est déjà montré favorable à la venue d'une mission de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Il est tout aussi ouvert à des investigations sur d'éventuels crimes de guerre dans toute la région.
Croyez-bien que mon pays a la volonté de faciliter la vérification des faits. Beaucoup de choses doivent être portées à la connaissance de l'opinion publique internationale.
M. l'Ambassadeur, pouvez-vous nous exposer les motivations de la décision prise par le Parlement de la République d'Azerbaïdjan concernant la demande de retrait de la France de la co-présidence du groupe de Minsk ?
Comme je l'ai dit, la traduction dans le détail du texte adopté par le Parlement de l'Azerbaïdjan est en cours. Le texte se fonde sur le fait que la France n'a pas été impartiale, à notre grand regret.
Ayant suivi, hier, la séance plénière au cours de laquelle la proposition de résolution adoptée par le Sénat a été débattue, je dois vous dire que les échanges m'ont paru absolument incroyables. La Turquie est citée cinq fois et l'Azerbaïdjan quatre fois dans la résolution ; au cours des débats, la Turquie a été systématiquement évoquée et au final les sénateurs ont condamné mon pays. Il s'agissait à mes yeux d'un mauvais spectacle, qui a débouché sur une décision injuste.
Aucun sénateur participant au débat ne s'est référé au droit international, ni aux résolutions de l'ONU. Cela paraissait surréaliste, alors même que notre pays était mis à l'index.
Ne vous y trompez pas, les conséquences de l'adoption de la résolution du Sénat sont très sérieuses. On nous dit que ce texte parlementaire n'engage pas la France et son Gouvernement, nous ne savons pas si nous pouvons le croire car le ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères n'a pas pris officiellement position depuis ce vote. Quelle est donc la position de la République française ? De la réponse à cette question dépendra la décision du Président de la République d'Azerbaïdjan à la demande de notre Parlement.
Cette clarification est d'autant plus attendue que l'Azerbaïdjan est un partenaire important pour la France dans la région du Caucase. Pour mémoire, 60 % de vos échanges commerciaux et près de 80 % des investissements dans la région se font avec l'Azerbaïdjan. Un dialogue stratégique et de sécurité existe également entre nos pays. L'Azerbaïdjan a d'ailleurs été choisi par les États-Unis et la Russie comme lieu de leurs échanges sur les enjeux de sécurité, ce qui montre le caractère équilibré de notre diplomatie. En outre, l'Azerbaïdjan représente la porte vers la Chine et l'Asie.
Pour la France aussi, l'Azerbaïdjan avait beaucoup de projets. Il reste à savoir quelle est la position de la République française à l'égard de mon pays. Le vote d'une résolution par l'une des assemblées du Parlement n'est pas forcément la fin de l'histoire. Aussi, j'ai envie de vous inviter à nous montrer ce que vous avez vraiment dans vos cœurs et vos esprits à l'égard de l'Azerbaïdjan et de son peuple, car c'est important pour nous.
. M. l'Ambassadeur, à ce sujet, permettez-moi de vous indiquer que l'initiative prise par le Sénat est celle d'une des assemblées composant le Parlement français et n'engage pas nécessairement l'Exécutif de la France, à l'instar de la demande formulée par le Parlement azerbaïdjanais au Président Aliev concernant un retrait de la France de la co-présidence du groupe de Minsk.
Comme vous le savez, les parlementaires français sont libres et ne demandent pas la permission d'adopter telle ou telle position au Président de la République ou au Gouvernement. Les faits sont là : le Sénat a adopté une résolution à l'issue d'un débat démocratique, comme d'autres instances auraient pu le faire. Encore une fois, cela ne présage pas, néanmoins, des positions de l'Exécutif français, qui conduit la diplomatie de notre pays.
Ceci étant, il est parfois bon de replacer les choses dans leur contexte. Je vous remercie donc de votre franchise au cours de nos échanges.
Je vous poserai quant à moi une dernière question : s'agissant du groupe de Minsk, l'Azerbaïdjan le considère-t-il toujours comme un interlocuteur indispensable pour faciliter la résolution du conflit ? Qu'en attendez-vous désormais ?
Il existe aujourd'hui trois formats possibles pour parvenir à un processus de paix au Haut-Karabakh : le groupe de Minsk, le format tripartite de l'accord du 9 novembre et enfin le format incluant les deux acteurs clés de la région, c'est-à-dire la Russie et la Turquie.
Le Premier ministre arménien s'est résolu à l'arrêt des combats lorsque les forces armées azerbaïdjanaises se trouvaient à deux kilomètres de Stepanakert. Il a justifié sa décision devant son peuple en reconnaissant que l'Arménie aurait pu tout perdre sinon. L'Azerbaïdjan aurait très bien pu pousser son avantage militaire, mais il ne l'a pas fait pour donner une chance à la construction d'une paix durable, dans l'un ou l'autre des trois formats que j'ai mentionnés précédemment.
Personnellement, j'aimerais que la France participe et joue un rôle utile dans cette nouvelle étape. Mais cela dépend de son impartialité.
. M. l'Ambassadeur, je vous remercie d'avoir eu l'amabilité de nous avoir consacré un peu de votre temps aujourd'hui. Je ne doute pas que nos échanges éclairent utilement les membres de notre délégation sur la situation sur place, ainsi que sur les enjeux d'un règlement négocié et les efforts à continuer à mener en vue d'un retour définitif à la paix.
Pour notre part, nous formons le vœu que des avancées concrètes interviennent pour aboutir à une solution communément admise par l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la population du Haut-Karabakh, dans l'intérêt mutuel de tous les civils vivant dans la région.
Mme la Présidente, je vous remercie pour la tenue de cette rencontre avec votre délégation. Pour ma part, je serai toujours disponible et à votre écoute pour poursuivre le dialogue.
Nous sommes maintenant dans la phase de préparation de la paix. Ce qui est important aujourd'hui, c'est de réfléchir à la formule susceptible d'établir une paix durable entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. L'Azerbaïdjan, qui a une longue tradition de coexistence des populations qui vivent sur son territoire, y est disposé.
Dans la recherche de cette paix, la France pourrait avoir un rôle à jouer. Mais pour cela, elle doit se montrer impartiale et le vote d'hier du Sénat français ne va pas dans la bonne direction. J'observe que quatre résolutions, au contenu parfois plus orienté, ont été également déposées à l'Assemblée nationale.
De mes échanges avec mon pays, je constate que la société civile azerbaïdjanaise est profondément choquée par le parti-pris actuel de la France.
Je comprends bien que la position du Parlement français n'est pas nécessairement celle de la France mais, dans ce cas, que votre Gouvernement prenne officiellement ses distances avec ces initiatives et réaffirme sa neutralité et son impartialité. La France ne peut pas prétendre jouer un rôle dans le processus de paix et le règlement du conflit en s'engageant résolument derrière l'un des deux belligérants, à savoir l'Arménie.
Au-delà de la faute que constitue le vote de la résolution du Sénat, la France a envoyé récemment deux avions cargos d'aide en Arménie pour soutenir les populations civiles. Cela fait trente ans que le conflit existe et jamais la France n'avait dépêché d'avion cargo d'aide en Azerbaïdjan pour soutenir le million d'Azerbaïdjanais réfugiés et déplacés du fait de la première guerre du Haut-Karabakh. Ce sont des faits, qui font réagir le peuple azerbaïdjanais. Comment expliquer à mon peuple que la France est impartiale dans ces conditions ? C'est difficile et, aux yeux de mes compatriotes, la France n'est pas neutre.
. J'observe que les reproches que vous formulez aujourd'hui à l'encontre de la France portent sur un événement intervenu après le cessez-le-feu entré en vigueur le 10 novembre. La France a veillé à se montrer neutre pendant tout le conflit et son Gouvernement a toujours tenu un discours équilibré en raison, justement, de son implication dans la co-présidence du groupe de Minsk.
J'entends ce que vous dites, M. l'Ambassadeur, mais je ne peux souscrire à l'idée ni laisser accroire que la France n'est pas restée neutre sur la question du conflit au Haut-Karabakh et la recherche d'une paix négociée.
Mme la Présidente, je respecte votre opinion de parlementaire libre, mais entendez également les positions des députés azerbaïdjanais, qui relaient les sentiments du peuple de l'Azerbaïdjan.
. M. l'Ambassadeur, sachez que l'écoute réciproque des arguments des uns et des autres est la marque du dialogue et l'empreinte des principes démocratiques qui nous animent au sein de notre délégation.
La séance est levée à 16 h 35.
Membres présents ou excusés
Députés :
Présents. –Mme Marie‑Christine Dalloz, M. Fabien Gouttefarde, Mme Alexandra Louis, M. Jacques Maire, M. Frédéric Reiss, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse.
Excusés. – Mme Sophie Auconie, M. Olivier Becht, M. Bertrand Bouyx, Mme Yolaine de Courson, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Fuchs, M. Yves Hemedinger, M. Dimitri Houbron, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Frédéric Petit, Mme Isabelle Rauch, Mme Liliana Tanguy, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, Mme Martine Wonner.
Sénateurs :
Présents. – Mme Nadine Bellurot, M. François Calvet, Mme Nicole Duranton, M. Bernard Fournier, M. André Gattolin, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Claude Kern, M. Didier Marie.
Excusés. – M. Christian Klinger, M. Jacques Le Nay, M. Alain Milon, M. André Vallini.