Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 10h00
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice :

(message vidéo pré-enregistré). Mesdames et Messieurs, le 4 novembre 1950, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, quatorze États d'Europe – dont la France et l'Allemagne – signaient la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Fidèles à l'esprit de la Déclaration de 1789, ils rappelaient solennellement les valeurs universelles d'égalité et de dignité de la personne humaine. Résolus à assurer l'effectivité de ces principes, ils s'engageaient à garantir pour la première fois dans notre histoire la protection juridictionnelle des droits et libertés de chaque citoyen. Ainsi naquit la Cour européenne des droits de l'Homme.

Idéalisme des principes, pragmatisme des méthodes, les droits de l'Homme ne se limitaient plus à une seule proclamation. Ils rejoignaient le monde bien réel du droit, de la loi et des tribunaux. Le pari était audacieux et il a été remporté au-delà de toutes les espérances. Aujourd'hui, quarante-sept États d'Europe sont parties à la convention. En soixante-dix années d'existence, la convention de Rome a inscrit les droits de l'Homme au cœur de nos sociétés démocratiques.

Par conviction, je crois au progrès par le droit. J'ai la certitude que la convention européenne des droits de l'Homme a été l'un des principaux moteurs au cours des dernières décennies. J'appelle « progrès » le droit reconnu à toute personne de bénéficier d'un avocat dès la première heure de garde à vue, le droit pour un enfant naturel d'être considéré comme l'égal d'un enfant légitime lorsqu'il s'agit de sa filiation ou de ses droits successoraux, le droit pour une personne homosexuelle de ne pas subir de discrimination sur son lieu de travail et dans tous les aspects de sa vie sociale, le droit pour une victime de l'esclavage domestique de voir ses exploitants poursuivis et condamnés, et bien évidemment le droit pour tous les justiciables à un procès équitable, respectueux des droits de la défense et des exigences de l'impartialité, ainsi qu'à une décision rendue dans un délai raisonnable. Je crois enfin en l'exigence d'une société tolérante, pluraliste, imperméable aux discriminations, respectueuse de la liberté d'opinion et d'expression.

Et je le dis sans détour : qu'il s'agisse de protéger l'intégrité des personnes, de faire prévaloir la règle de droit ou de préserver la diversité au sein de nos sociétés, la convention européenne des droits de l'Homme n'a cessé, pendant soixante-dix ans, de nous aider à perfectionner le droit et les institutions de notre pays. Ainsi, lorsque la convention s'enrichit de son Protocole n° 6, interdisant la peine de mort au nom du droit à la vie ainsi que la condamnation à des sanctions inhumaines, elle porte haut et loin les valeurs de l'humanisme démocratique. Lorsque la Cour européenne des droits de l'Homme protège les opposants politiques incarcérés pour avoir, en Turquie, en Russie ou en Azerbaïdjan, exercé leur liberté d'association et d'expression, elle offre une protection des libertés fondamentales enviée dans le monde entier. Et lorsque le Conseil de l'Europe, prolonge par ses travaux l'esprit de la convention, en élaborant des conventions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains, aux droits de l'enfant ou aux violences contre les femmes, il donne à notre continent la grandeur historique et morale qui s'attache au combat universel pour la liberté des hommes et des femmes.

Mesdames et Messieurs, les attentats terroristes nous ont frappés en plein cœur. La crise sanitaire crée de la peur et de l'incertitude. Les populismes s'emploient à miner la confiance dans nos institutions démocratiques. Á ceux qui prétendent que la France aurait tout à gagner à dénoncer la convention européenne des droits de l'Homme, je veux dire haut et fort qu'ils se trompent et qu'ils mentent à nos concitoyens. La convention européenne des droits de l'Homme est l'un de nos plus puissants remparts contre l'autoritarisme et le fanatisme.

Les droits de l'Homme font partie intégrante de notre patrimoine, de notre identité démocratique et de notre modèle de société. Les libertés définissent ce que nous sommes. Elles sont tout ce que détestent les terroristes et les fanatiques de tous bords. Il y a de la naïveté dans la croyance selon laquelle nous serions plus forts en abandonnant une partie de nous-mêmes sous l'injonction du terrorisme. Il y a du défaitisme dans la résignation à affaiblir, sous la menace terroriste, nos principes en matière de droit à un procès équitable, de protection de la liberté d'expression et de lutte contre les discriminations. Il y a du calcul politique dans la volonté des populistes de se débarrasser du principal antidote à l'autoritarisme et à la tentation totalitaire en France et dans tout le reste de l'Europe.

Mesdames et Messieurs, je l'ai déclaré au premier jour de ma prise de fonctions, je le redis aujourd'hui : Ministre de la Justice, je serai le Ministre des droits de l'Homme et de l'antiracisme. Je n'ai pas l'intention de céder un pouce aux revendications des ennemis de la démocratie. Je n'ai pas davantage l'intention de repousser la protection des droits et libertés à des jours meilleurs. Voilà pourquoi, déterminé à renforcer sans relâche notre réponse contre le terrorisme, sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République, en lien avec nos partenaires européens, je m'engage à garantir que les personnes accusées d'actes de terrorisme perpétrés bénéficient de toutes les garanties du droit à un procès équitable. Il en va de notre honneur et de notre identité.

De même, face à la crise sanitaire, mobilisé quotidiennement pour préserver nos tribunaux, nos prisons, nos établissements accueillant les mineurs, je veille à la continuité du service public de la justice, condition indispensable à la permanence de l'État de droit en période de crise. Voilà pourquoi également, Mesdames et Messieurs, je continuerai contre les démagogues et les fatigués de la démocratie à soutenir le rôle de la Cour européenne des droits de l'Homme ainsi que les travaux du Conseil de l'Europe pour poursuivre l'œuvre commencée il y a de cela soixante-dix ans.

Sous le regard de l'histoire, la convention européenne des droits de l'Homme nous honore et nous oblige tout à la fois. Soyons fiers des progrès accomplis, soyons prêts à défendre toujours nos libertés.

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