Intervention de Christiane Féral-Schuhl

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 10h00
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Christiane Féral-Schuhl, Présidente du Conseil national des Barreaux :

Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, Monsieur le juge à la Cour européenne des droits de l'Homme, c'est un véritable honneur pour moi de participer à cet échange sur la convention européenne des droits de l'Homme et son influence sur l'ordonnancement juridique Français.

Nous célébrons cette année les soixante-dix ans d'un texte fondateur, qui protège de manière effective les droits fondamentaux de plus de 800 millions de citoyens grâce à un contrôle supranational. Nous sommes aujourd'hui le 10 décembre, une journée phare car journée internationale des droits de l'Homme, et c'est une date idoine pour rendre hommage à ce texte mais également aux milliers de juristes, de juges, d'avocats, qui le font vivre quotidiennement.

L'influence de la convention européenne des droits de l'Homme est au moins de deux ordres :

– en premier lieu, le contrôle de conventionalité, effectif depuis 1981 en France, a permis d'insuffler une véritable culture des droits de l'Homme au sein de notre ordre juridique national, transformant par effet miroir, le contrôle juridictionnel français ;

– en second lieu, l'effectivité de ce contrôle a permis une appréhension évolutive des droits fondamentaux. Je prendrai comme exemple l'influence sensible de la convention en matière de droits procéduraux, lesquels intéressent particulièrement les avocats.

Vous souligniez dans votre propos introductif, Madame la Présidente, le caractère tardif de la ratification et de l'ouverture aux recours individuels. C'est absolument exact, mais faut-il rappeler qu'entre 1981 et 2008, le contrôle de conventionalité par la saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme était le seul recours a posteriori possible en cas de violation d'un droit fondamental ?

C'est, je crois, un des éléments majeurs du succès de la convention européenne des droits de l'Homme au sein de la communauté juridique et notamment au sein des avocats. Ce réflexe européen du contrôle de conventionalité dans lequel l'avocat dispose d'un moyen de contester un texte est tout à fait remarquable et a permis d'infuser une culture des droits de l'Homme au sein de la société française, en reversant le paradigme classique du travail des juristes. C'est, j'en suis convaincue, cette culture des droits de l'Homme qui a permis en 2008 de mettre en place un contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi.

L'autre point marquant de l'influence de la convention européenne des droits de l'Homme sur l'ordre juridique français est le caractère évolutif d'un texte qui a permis des avancées significatives en termes de protection des droits fondamentaux, et notamment en matière droits procéduraux, qui intéressent tout particulièrement les avocats.

L'influence de cette convention est liée à sa modernité qui est garantie par une méthode dynamique d'interprétation des juges de Strasbourg. Á titre d'exemple, je rappellerai que la convention européenne des droits de l'Homme a permis en France de moderniser de manière importante la procédure pénale en garantissant :

– la motivation des arrêts des cours d'assise, qui a donné lieu à une jurisprudence abondante et parfois fluctuante de la Cour européenne des droits de l'Homme ;

– le droit d'être assisté d'un avocat lors de la garde à vue, grâce notamment à l'arrêt de Grande chambre Salduz c/ Turquie de 2008, dans lequel la Cour avait estimé que, même si le requérant avait pu contester les preuves à charge lors de son procès, l'impossibilité pour lui de se faire assister par un avocat en garde à vue avait irrémédiablement nui aux droits de la défense. Cet arrêt avait d'ailleurs précédé l'arrêt Danayan c/ Turquie allant dans le même sens. Ces décisions fondamentales, font évidemment écho à la décision QPC du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, dans laquelle les sages ont considéré que le dispositif français de la garde à vue était inconstitutionnel, faute d'assistance effective d'un avocat lors des interrogatoires ;

– enfin, le secret professionnel de l'avocat, qui est quant à lui protégé tant en matière de visite domiciliaire (arrêt André c/ France ), qu'en matière d'écoute téléphonique (arrêts Kopp c/ Suisse et Pruteanu c/ Roumanie, notamment).

En conclusion, permettez-moi d'exprimer un regret. Cet esprit de conquête des droits, dont la convention européenne des droits de l'Homme a été à l'avant-garde, est aujourd'hui en retrait. Plus regrettable encore, la condamnation régulière de la France dans certains domaines, ne permet plus d'initier des réformes structurelles au soutien d'un renforcement des droits fondamentaux de tous. Je veux évidemment parler des conditions de détention et des conditions d'accueil des personnes exilées, qui constituent aujourd'hui des « trous noirs » de la République.

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