Intervention de Matthias Guyomar

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 10h00
Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Matthias Guyomar, juge français à la Cour européenne des droits de l'Homme :

Face à un corpus prétorien, un ancrage dans la Constitution représente assurément une avancée. La question de la reconnaissance formelle de la dignité humaine, comme celle relative au droit de l'environnement, soulève le rapport entre l'énoncé formel d'un droit dans un texte et son expression par la jurisprudence. Dans les deux cas, de mon point de vue, il n'y a que des avantages à ce qu'un texte s'empare d'un droit pour l'énoncer ou le décliner. C'est l'aboutissement rêvé pour les défenseurs de tels droits, ainsi qu'une garantie supplémentaire à laquelle je souscris personnellement.

En l'état, les jurisprudences ont élevé les principes qui s'y attachent à un niveau satisfaisant, mais une consécration dans un texte serait sans doute une garantie supplémentaire.

Je note d'ailleurs que la dignité humaine a été dégagée de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'Homme par la Cour de Strasbourg et que le Conseil constitutionnel a procédé à la même démarche à partir du Préambule de 1946. Pour moi, la dignité humaine figure au nombre des droits matriciels, ces « droits d'avoir des droits » pour paraphraser Hannah Arendt. Il me semble qu'il y aurait beaucoup d'avantages à l'établir dans la Constitution.

Pour le droit à l'environnement, la question est similaire mais elle se pose différemment. Alors que la dignité humaine était au cœur de la reconstruction démocratique de l'après-guerre et fonde notre humanisme juridique, le droit à l'environnement est apparu plus tard. On ne l'avait pas à l'esprit alors. C'est parce qu'elle repose sur un système « vivant », plastique, que la Cour européenne des droits de l'Homme l'a intégré au socle conventionnel pour répondre aux besoins contemporains. Beaucoup de décisions sont intervenues récemment sur ces questions. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme, Cordella c/ Italie, a récemment condamné l'Italie pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires dans un bassin de population contre les rejets polluants atmosphériques d'une entreprise, avec l'idée que des obligations positives de protection pèsent sur les États sur la base de l'article 8 de la convention et que s'ils ne s'y conforment pas, ils s'exposent à une condamnation. La Cour suprême des Pays-Bas a elle-même fait référence à cette jurisprudence dans un procès relatif, comme partout en Europe, à « l'affaire du siècle ». Dernièrement, le Conseil d'État français a lui aussi pris une décision remarquée en matière de protection de l'environnement, ce qui montre que, partout, les juridictions se saisissent de l'enjeu sous la pression des justiciables.

Je tiens à le dire solennellement : je pense que cette question n'incombe pas en premier ressort aux juridictions. Le juge est sensé intervenir en dernier recours et il doit normalement rester à sa place, sans empiéter sur les responsabilités institutionnelles des autres acteurs. Je pense donc que si le Conseil de l'Europe décidait d'engager un travail d'élaboration d'une convention sur le droit de l'environnement, ce serait l'occasion pour les États membres de se mettre autour de la table et d'échanger sur une vision commune en la matière, pour poser des garanties minimales communes. Cette démarche serait assurément utile. N'oublions pas que la convention d'Istanbul sur la protection des femmes contre les violences domestiques, cet outil formidable du Conseil de l'Europe pour lutter contre ce fléau, est née d'une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, dont les États membres ont pris le relais pour élaborer un texte spécifique pour traiter ce problème. Ces allers-retours entre une jurisprudence vivante, dynamique, constructive et des textes qui consacrent des avancées prétoriennes mais aussi fixent un cadre me semblent fructueux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.