Madame la Présidente, chère Nicole Trisse, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis heureux de répondre à votre invitation pour évoquer ensemble les sujets d'actualité à l'ordre du jour de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ainsi que l'agenda de la France dans cette enceinte. Il s'agit là d'un combat commun, que nous menons à Strasbourg – et je sais que la délégation se mobilise comme le gouvernement pour assurer la permanence et la vitalité du siège alsacien des institutions européennes –, pour la défense des valeurs de la démocratie européenne. Ce combat, il n'a rien de périmé et s'inscrit dans un contexte difficile.
Si je n'ai malheureusement pas pu venir auparavant devant vous, nous avons échangé à maintes reprises Madame la Présidente, sur différents sujets d'actualité. Je suis tout à fait disposé à poursuivre ces échanges, selon différents formats, en fonction des nécessités. En tout état de cause, je me réjouis de pallier à ce que vous avez qualifié de « carence » en venant devant vous aujourd'hui.
Vous le savez, depuis son origine, le Conseil de l'Europe œuvre à la consolidation de la paix sur notre continent, en promouvant le respect des droits de l'Homme et la coopération entre les États. Aussi, face aux multiples défis actuels, dès septembre 2020, lors de mon premier déplacement à Strasbourg, j'ai souhaité réaffirmer auprès de la Secrétaire générale Marija Pejčinović Burić, le plein soutien de la France aux travaux du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire, qui se sont attachés à maintenir autant que possible leurs activités à Strasbourg en dépit de la pandémie de coronavirus.
Le Conseil de l'Europe a toujours su faire la preuve de sa capacité à surmonter les crises. Il le démontre encore aujourd'hui en travaillant à favoriser une réponse européenne à la pandémie de Covid-19, conforme à nos valeurs et respectueuse des droits de l'Homme et de l'État de droit. Dans ce contexte, je salue les efforts remarquables de l'APCE, qui a su poursuivre ses missions malgré les circonstances complexes. Après l'impossibilité d'organiser les sessions plénières en 2020, depuis quelques mois, vous avez retrouvé l'hémicycle de Strasbourg en tenant les sessions plénières de janvier et d'avril 2021 dans un format hybride et nous nous en félicitons.
Je voudrais commencer par dire un mot sur la présidence hongroise du Comité des Ministres qui a commencé le 21 mai dernier. Notre mobilisation en faveur des travaux du Conseil de l'Europe s'accompagne aujourd'hui d'une vigilance accrue, car nous constatons depuis quelques temps un accroissement des clivages dans les discussions. Pour mémoire, lors de la session ministérielle de novembre 2020, le consensus autour de ce qui a été appelé la « déclaration d'Athènes » a été rompu par la Hongrie. Il est évidemment regrettable que la pratique du consensus ait été remise en cause par un État membre de l'Union européenne, ce qui a décomplexé un certain nombre d'autres États dans leur opposition à des sujets pourtant centraux autour de la réaffirmation et de la consolidation de l'État de droit en cette période de crise. Je pense que nous devrons tenter de surmonter cet état de fait, et renouer avec la pratique du consensus. Ce ne sera pas facile et nous devons œuvrer collectivement pour y parvenir, ou du moins limiter les conséquences les plus néfastes.
Ces dissensions sont d'autant plus inquiétantes qu'elles s'inscrivent dans un contexte de recul des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en Europe. Ce constat n'est pas nouveau mais cette tendance inquiétante s'accélère, comme vous l'avez évoqué, Madame la Présidente. Nous sommes vivement préoccupés, pour ne pas dire plus, par la répression féroce, brutale, contre la société civile et l'absence de toute perspective de dialogue avec le pouvoir au Belarus. L'épisode de « piraterie d'État » – je reprends cette expression à dessein, car je crois qu'elle résume le mieux cet acte à la fois inqualifiable, extraordinaire et scandaleux – a montré que la répression s'accentue partout et a donné le signal de la poursuite des opposants, en toutes circonstances, en tous lieux et par tous moyens. Je salue, à cet égard, les travaux de Mme la députée Alexandra Louis sur ce sujet. Je sais à quel point son engagement a été fort.
Je tiens également à réitérer notre soutien à la démarche de l'APCE en vue d'établir un rapport sur la situation de M. Alexeï Navalny, et plus particulièrement à M. le député Jacques Maire. J'en profite pour rappeler ici, comme le Ministre Jean-Yves Le Drian et moi-même l'avons fait dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, que face aux menaces et, parfois, aux tentatives d'intimidations, vous avez le plein soutien politique du gouvernement français.
Par ailleurs, alors que nous avons célébré, en 2020, le 70ème anniversaire de la convention européenne des droits de l'Homme, nous constatons une remise en cause grave et préoccupante de cet instrument irremplaçable de protection des droits de l'Homme qu'est la Cour européenne des droits de l'Homme, qui en assure le respect, la mise en œuvre et aussi l'adaptation aux défis du temps présent. Nous avons même entendu, dernièrement, certaines interventions politiques dans notre pays remettant en cause la convention et la Cour. Qui l'aurait cru ? Je crois que nous devons réaffirmer avec force l'attachement que nous y portons et leur caractère essentiel : elles ne sont pas des gadgets, des contraintes, mais bien des garanties pour nos valeurs communes. Il est donc indispensable de poursuivre nos efforts pour renforcer cette juridiction.
En écho avec ce que je vous disais précédemment, il n'est pas innocent que cet objectif ne figure pas parmi les priorités de la présidence hongroise du Comité des Ministres. Nous devrons d'ailleurs rester vigilants à l'égard de l'objectif affiché par la Hongrie de se concentrer, durant sa présidence, sur les questions des minorités nationales et du dialogue interreligieux. Ce sont des sujets naturellement importants mais ils ne doivent pas être instrumentalisés pour segmenter les droits des populations concernées et raviver les tensions par des discours nationalistes. Cela vaut pour les droits des minorités, comme pour les religions : toutes les manifestations d'intolérance sont condamnables du point de vue du respect des droits de l'Homme, quelle que soit la confession visée.
Vous le savez, le 11 mai dernier, nous avons célébré le 10ème anniversaire de la signature de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d'Istanbul », qui est un outil majeur et unique de protection des femmes et des filles contre toutes les formes de violence. Quelques jours avant cet anniversaire, cette convention a été dénoncée par les autorités turques. Nous avons eu l'occasion, à différents niveaux, gouvernemental comme parlementaire, de condamner cette décision qui est tout à la fois un recul, un symbole, un signal et peut déboucher sur une moindre protection des femmes en Turquie.
Plusieurs pays de l'Union européenne n'ont pas signé, ni ratifié cette convention. Dans certains États membres de l'Union, certains débats se sont même fait récemment jour au sujet d'un éventuel retrait. De ce fait, la décision des autorités turques ne peut que générer des difficultés, des confusions et des tensions supplémentaires, raison pour laquelle elle doit être fermement condamnée. Dans le même temps, nous devons nous battre au sein de l'Union européenne pour éviter tout recul.
Cette mobilisation est essentielle dans le cadre de la présidence hongroise qui s'ouvre et à quelques jours de la tenue d'un événement qui, bien que ne s'inscrivant pas dans l'action du Conseil de l'Europe, revêt une forte importance pour notre pays, le Forum Génération Egalité, qui se tiendra à Paris du 30 juin au 2 juillet 2021. Il s'agit en l'espèce du plus grand rassemblement politique, diplomatique, associatif et d'organisations non gouvernementales (ONG) en faveur de la lutte contre les différentes formes de violences faites aux femmes. Dans le contexte que j'évoquais, il nous reviendra de le porter encore plus fortement encore.
Avant de conclure, je souhaiterais insister sur certaines perspectives porteuses d'optimisme et d'espoir, malgré le contexte de crise ambiant. En effet, la conjoncture a mis en lumière certaines avancées possibles et souhaitables en matière de droits humains et il nous faut nous projeter sur ce terrain désormais.
La crise sanitaire a notamment engendré des difficultés économiques et sociales. Aussi, nous appuyons le souhait de la Secrétaire générale de moderniser le pilier social du Conseil de l'Europe. Á cet égard, la Charte sociale européenne doit être valorisée et l'efficacité de ses mécanismes – actuellement imparfaite – renforcée.
En outre, d'autres instruments du Conseil de l'Europe en matière de santé publique existent et méritent d'être davantage promus. C'est le cas notamment de la convention Médicrime, qui permet – c'est concret, mais très important dans la période actuelle – de lutter contre la falsification de produits médicaux, un phénomène qui s'est aggravé en Europe avec la pandémie et touche désormais les vaccins.
De même, alors que nous sommes à quelques mois de la présidence française de l'Union européenne, pour laquelle nous placerons la culture et le sentiment d'appartenance à l'Europe parmi nos priorités, nous ne pouvons que nous féliciter du lancement de l'Observatoire de l'enseignement de l'Histoire en Europe, dont la France avait fait une priorité lors de sa présidence du Comité des Ministres et que certains d'entre vous ont activement soutenu et promu.
Dix-sept membres fondateurs ont intégré cet Observatoire et j'espère qu'ils seront rejoints prochainement par beaucoup d'autres. Je salue à cet égard les travaux déterminants de M. Alain Lamassoure, qui a mené une réflexion préalable importante et assure désormais la présidence de cet outil absolument essentiel, encore peu connu et récent, mais sur lequel chacun doit s'engager car il participe à la réconciliation des mémoires en Europe.
Puisque j'évoquais la présidence de l'Union européenne, je veux évoquer d'un mot les « ponts » qui doivent se renforcer entre l'Union et le Conseil de l'Europe, dont son Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres.
Á l'occasion de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre de 2022, nous continuerons, en particulier, à œuvrer pour l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme. C'est un chantier de longue haleine, comme vous le savez. Nous tâcherons également de promouvoir et mettre en lumière les travaux communs de l'Union européenne et des mécanismes du Conseil de l'Europe en matière de suivi de l'État de droit. Au niveau communautaire, les dispositifs ont été notablement renforcés, avec l'introduction de la conditionnalité budgétaire et de sanctions juridictionnelles, mais bien souvent ils s'appuient sur des instances reconnues et bien établies du Conseil de l'Europe, qu'il s'agisse de la Commission de Venise ou du Groupe d'États contre la corruption (GRECO). L'Union européenne tient le plus grand compte des travaux de la Commission de Venise pour identifier les dérives de ses États membres en matière d'État de droit.
Je ne peux pas conclure sur les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe sans mentionner leur « carrefour », leur point de rencontre : je veux bien entendu parler de Strasbourg. Je le dis avec instance et le répéterai autant que nécessaire : Strasbourg est la capitale de la démocratie européenne. Cela n'est pas un slogan mais un engagement du gouvernement, des collectivités et des parlementaires. Nous y avons mis d'ailleurs un certain nombre de moyens financiers et d'engagements politiques, pas plus tard que ces derniers jours par la voix du Président de la République lui-même.
Nous nous réjouissons qu'après que l'APCE a marqué ces derniers mois sa présence à Strasbourg, le Parlement européen y reprenne ses sessions. Il nous semble important de signifier symboliquement, au cours de notre présidence de l'Union européenne, les liens des organisations européennes avec Strasbourg. Après Paris, c'est la ville qui accueille le plus d'institutions européennes et internationales. Nous ne pouvons accepter, à travers des faits accomplis, parfois des prétextes comme celui de la crise sanitaire, le recul de la présence des institutions européennes, quelles qu'elles soient, à Strasbourg.
Je salue à cet égard le rôle de l'APCE, de son Président, mais aussi celui de la délégation française dans son ensemble, qui par-delà son implication sur des dossiers aussi sensibles que la situation en Biélorussie ou la question des rapports avec la Russie, a assuré cette continuité strasbourgeoise. Plus qu'un symbole, cette dernière a été une nécessité et un aiguillon pour d'autres instances européennes dont nous célébrerons, je l'espère dès lundi 7 juin, le retour dans la capitale de la démocratie européenne.