Délégation française à l'assemblée parlementaire du conseil de l'europe

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 16h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • présidence
  • russie
  • vaccin

La réunion

Source

Présidence de Mme Nicole Trisse, députée, Présidente

La séance est ouverte à 16 heures 40.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Clément Beaune, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes auprès du Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue devant notre délégation, pour partie présente et pour partie connectée en raison du contexte sanitaire. Nous n'avions encore jamais eu l'occasion de vous auditionner depuis votre prise de fonctions et réparons ainsi, aujourd'hui, une carence regrettable.

En effet, il nous tardait de vous entendre sur un certain nombre de sujets car vous suivez les questions concernant le Conseil de l'Europe et êtes, à ce titre, l'interlocuteur gouvernemental naturel de notre délégation. Or, plusieurs événements importants se sont produits ces derniers mois dans la sphère européenne, tous ayant de potentielles répercussions sur cette Organisation qui siège à Strasbourg et qui incarne la communauté de valeurs de l'Europe moderne.

Tout d'abord, le 24 décembre 2020, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont conclu un accord scellant leur nouvelle relation post-Brexit. Vous-mêmes avez suivi ce dossier de très près. Or, cette réalité fait que le Conseil de l'Europe est désormais la seule organisation européenne dans laquelle le Royaume-Uni siège en qualité de membre à part entière, ce qui lui confère sans doute une importance nouvelle dans l'affirmation de la pérennité des liens du continent européen avec le Royaume-Uni.

Ensuite, à la différence du Parlement européen – mais j'ai cru comprendre que cela pourrait prochainement changer, un retour à Strasbourg étant envisagé pour la session de juin –, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a, dès le 25 janvier dernier, repris ses sessions à Strasbourg selon un format hybride. Symboliquement, cette étape, fortement soutenue et accompagnée par le gouvernement français, a marqué la capacité de cette ville capitale à honorer dans des conditions satisfaisantes ses obligations d'accueil des institutions de l'Europe communautaire et extra-communautaire. D'importantes décisions ont été prises lors des sessions d'hiver et de printemps, auxquelles plusieurs d'entre nous ont participé : je citerai, entre autres, l'adoption de la nouvelle procédure de sanction conjointe des États membres du Conseil de l'Europe qui ne respectent pas leurs obligations en matière de droits de l'Homme et l'élection de plusieurs titulaires à des fonctions clés de l'Organisation.

Enfin, notre conscience de démocrates et de farouches défenseurs des libertés s'est trouvée profondément heurtée par le traitement réservé à l'opposant russe Alexeï Navalny, d'une part, ainsi qu'au peuple et aux opposants politiques en Biélorussie, d'autre part.

Après la tentative d'empoisonnement à l'agent neurotoxique dont M. Alexeï Navalny a été l'objet à l'été 2020, ce dernier a été emprisonné et condamné de manière arbitraire dès son retour sur le sol russe, en ce début d'année. De nombreux manifestants pacifiques réclamant sa libération ont aussi été arrêtés et molestés, suscitant l'inquiétude la plus vive. Lors de la session de printemps, l'APCE a adopté, sur proposition de notre collègue Jacques Maire, une résolution appelant la Russie à respecter les droits de M. Navalny mais elle n'a reçu pour toute forme de réponse qu'une notification à son rapporteur d'une interdiction à se rendre sur le territoire russe, à l'instar d'autres responsables européens de premier plan. Cette voie constitue assurément une mise au défi du Conseil de l'Europe et de ses États fondateurs.

Le cas de la Biélorussie, dont je rappelle qu'elle n'est pas un État membre du Conseil de l'Europe mais a vocation à y adhérer dès lors que la démocratie y sera établie, n'est guère plus encourageant. Après l'élection présidentielle contestée du 9 août dernier, le peuple biélorusse a subi la répression brutale et féroce d'un régime aux abois. En avril, notamment sur proposition de notre collègue Alexandra Louis, l'APCE en a appelé à une enquête internationale sur les violations des droits humains en Biélorussie. Mais là-aussi, la réponse des autorités ne laisse pas de place au doute, comme l'illustre l'acte sans précédent de « piraterie d'État », pour reprendre vos propres mots Monsieur le Ministre, ordonné par M. Loukachenko le 24 mai dernier à l'encontre d'un avion de la compagnie Ryanair reliant deux capitales européennes, aux seules fins d'arrêter un opposant politique. Mais sans doute aurons-nous l'occasion d'y revenir.

Au-delà de ces évolutions récentes, certains sujets de fond majeurs restent toujours pendants. C'est le cas notamment de la question de l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme qui, si elle a connu des développements positifs ces derniers mois, n'est toujours pas réglée. C'est le cas, également, de l'articulation des procédures d'évaluation de l'État de droit en vigueur au sein de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe, le risque de doubles standards étant un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.

Vous le voyez, Monsieur le Ministre, les sujets d'interrogation et, parfois, de préoccupation sont nombreux, de sorte que votre venue devant nous était attendue. Mais, sachant votre temps compté, je vous laisse sans plus tarder la parole pour nous livrer votre propos liminaire, puis nous aurons si vous le voulez bien un rapide échange sous la forme de questions des membres de la délégation et de réponses de votre part.

Permalien
Clément Beaune, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes

Madame la Présidente, chère Nicole Trisse, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je suis heureux de répondre à votre invitation pour évoquer ensemble les sujets d'actualité à l'ordre du jour de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ainsi que l'agenda de la France dans cette enceinte. Il s'agit là d'un combat commun, que nous menons à Strasbourg – et je sais que la délégation se mobilise comme le gouvernement pour assurer la permanence et la vitalité du siège alsacien des institutions européennes –, pour la défense des valeurs de la démocratie européenne. Ce combat, il n'a rien de périmé et s'inscrit dans un contexte difficile.

Si je n'ai malheureusement pas pu venir auparavant devant vous, nous avons échangé à maintes reprises Madame la Présidente, sur différents sujets d'actualité. Je suis tout à fait disposé à poursuivre ces échanges, selon différents formats, en fonction des nécessités. En tout état de cause, je me réjouis de pallier à ce que vous avez qualifié de « carence » en venant devant vous aujourd'hui.

Vous le savez, depuis son origine, le Conseil de l'Europe œuvre à la consolidation de la paix sur notre continent, en promouvant le respect des droits de l'Homme et la coopération entre les États. Aussi, face aux multiples défis actuels, dès septembre 2020, lors de mon premier déplacement à Strasbourg, j'ai souhaité réaffirmer auprès de la Secrétaire générale Marija Pejčinović Burić, le plein soutien de la France aux travaux du Conseil de l'Europe et de son Assemblée parlementaire, qui se sont attachés à maintenir autant que possible leurs activités à Strasbourg en dépit de la pandémie de coronavirus.

Le Conseil de l'Europe a toujours su faire la preuve de sa capacité à surmonter les crises. Il le démontre encore aujourd'hui en travaillant à favoriser une réponse européenne à la pandémie de Covid-19, conforme à nos valeurs et respectueuse des droits de l'Homme et de l'État de droit. Dans ce contexte, je salue les efforts remarquables de l'APCE, qui a su poursuivre ses missions malgré les circonstances complexes. Après l'impossibilité d'organiser les sessions plénières en 2020, depuis quelques mois, vous avez retrouvé l'hémicycle de Strasbourg en tenant les sessions plénières de janvier et d'avril 2021 dans un format hybride et nous nous en félicitons.

Je voudrais commencer par dire un mot sur la présidence hongroise du Comité des Ministres qui a commencé le 21 mai dernier. Notre mobilisation en faveur des travaux du Conseil de l'Europe s'accompagne aujourd'hui d'une vigilance accrue, car nous constatons depuis quelques temps un accroissement des clivages dans les discussions. Pour mémoire, lors de la session ministérielle de novembre 2020, le consensus autour de ce qui a été appelé la « déclaration d'Athènes » a été rompu par la Hongrie. Il est évidemment regrettable que la pratique du consensus ait été remise en cause par un État membre de l'Union européenne, ce qui a décomplexé un certain nombre d'autres États dans leur opposition à des sujets pourtant centraux autour de la réaffirmation et de la consolidation de l'État de droit en cette période de crise. Je pense que nous devrons tenter de surmonter cet état de fait, et renouer avec la pratique du consensus. Ce ne sera pas facile et nous devons œuvrer collectivement pour y parvenir, ou du moins limiter les conséquences les plus néfastes.

Ces dissensions sont d'autant plus inquiétantes qu'elles s'inscrivent dans un contexte de recul des droits de l'Homme et des libertés fondamentales en Europe. Ce constat n'est pas nouveau mais cette tendance inquiétante s'accélère, comme vous l'avez évoqué, Madame la Présidente. Nous sommes vivement préoccupés, pour ne pas dire plus, par la répression féroce, brutale, contre la société civile et l'absence de toute perspective de dialogue avec le pouvoir au Belarus. L'épisode de « piraterie d'État » – je reprends cette expression à dessein, car je crois qu'elle résume le mieux cet acte à la fois inqualifiable, extraordinaire et scandaleux – a montré que la répression s'accentue partout et a donné le signal de la poursuite des opposants, en toutes circonstances, en tous lieux et par tous moyens. Je salue, à cet égard, les travaux de Mme la députée Alexandra Louis sur ce sujet. Je sais à quel point son engagement a été fort.

Je tiens également à réitérer notre soutien à la démarche de l'APCE en vue d'établir un rapport sur la situation de M. Alexeï Navalny, et plus particulièrement à M. le député Jacques Maire. J'en profite pour rappeler ici, comme le Ministre Jean-Yves Le Drian et moi-même l'avons fait dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, que face aux menaces et, parfois, aux tentatives d'intimidations, vous avez le plein soutien politique du gouvernement français.

Par ailleurs, alors que nous avons célébré, en 2020, le 70ème anniversaire de la convention européenne des droits de l'Homme, nous constatons une remise en cause grave et préoccupante de cet instrument irremplaçable de protection des droits de l'Homme qu'est la Cour européenne des droits de l'Homme, qui en assure le respect, la mise en œuvre et aussi l'adaptation aux défis du temps présent. Nous avons même entendu, dernièrement, certaines interventions politiques dans notre pays remettant en cause la convention et la Cour. Qui l'aurait cru ? Je crois que nous devons réaffirmer avec force l'attachement que nous y portons et leur caractère essentiel : elles ne sont pas des gadgets, des contraintes, mais bien des garanties pour nos valeurs communes. Il est donc indispensable de poursuivre nos efforts pour renforcer cette juridiction.

En écho avec ce que je vous disais précédemment, il n'est pas innocent que cet objectif ne figure pas parmi les priorités de la présidence hongroise du Comité des Ministres. Nous devrons d'ailleurs rester vigilants à l'égard de l'objectif affiché par la Hongrie de se concentrer, durant sa présidence, sur les questions des minorités nationales et du dialogue interreligieux. Ce sont des sujets naturellement importants mais ils ne doivent pas être instrumentalisés pour segmenter les droits des populations concernées et raviver les tensions par des discours nationalistes. Cela vaut pour les droits des minorités, comme pour les religions : toutes les manifestations d'intolérance sont condamnables du point de vue du respect des droits de l'Homme, quelle que soit la confession visée.

Vous le savez, le 11 mai dernier, nous avons célébré le 10ème anniversaire de la signature de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d'Istanbul », qui est un outil majeur et unique de protection des femmes et des filles contre toutes les formes de violence. Quelques jours avant cet anniversaire, cette convention a été dénoncée par les autorités turques. Nous avons eu l'occasion, à différents niveaux, gouvernemental comme parlementaire, de condamner cette décision qui est tout à la fois un recul, un symbole, un signal et peut déboucher sur une moindre protection des femmes en Turquie.

Plusieurs pays de l'Union européenne n'ont pas signé, ni ratifié cette convention. Dans certains États membres de l'Union, certains débats se sont même fait récemment jour au sujet d'un éventuel retrait. De ce fait, la décision des autorités turques ne peut que générer des difficultés, des confusions et des tensions supplémentaires, raison pour laquelle elle doit être fermement condamnée. Dans le même temps, nous devons nous battre au sein de l'Union européenne pour éviter tout recul.

Cette mobilisation est essentielle dans le cadre de la présidence hongroise qui s'ouvre et à quelques jours de la tenue d'un événement qui, bien que ne s'inscrivant pas dans l'action du Conseil de l'Europe, revêt une forte importance pour notre pays, le Forum Génération Egalité, qui se tiendra à Paris du 30 juin au 2 juillet 2021. Il s'agit en l'espèce du plus grand rassemblement politique, diplomatique, associatif et d'organisations non gouvernementales (ONG) en faveur de la lutte contre les différentes formes de violences faites aux femmes. Dans le contexte que j'évoquais, il nous reviendra de le porter encore plus fortement encore.

Avant de conclure, je souhaiterais insister sur certaines perspectives porteuses d'optimisme et d'espoir, malgré le contexte de crise ambiant. En effet, la conjoncture a mis en lumière certaines avancées possibles et souhaitables en matière de droits humains et il nous faut nous projeter sur ce terrain désormais.

La crise sanitaire a notamment engendré des difficultés économiques et sociales. Aussi, nous appuyons le souhait de la Secrétaire générale de moderniser le pilier social du Conseil de l'Europe. Á cet égard, la Charte sociale européenne doit être valorisée et l'efficacité de ses mécanismes – actuellement imparfaite – renforcée.

En outre, d'autres instruments du Conseil de l'Europe en matière de santé publique existent et méritent d'être davantage promus. C'est le cas notamment de la convention Médicrime, qui permet – c'est concret, mais très important dans la période actuelle – de lutter contre la falsification de produits médicaux, un phénomène qui s'est aggravé en Europe avec la pandémie et touche désormais les vaccins.

De même, alors que nous sommes à quelques mois de la présidence française de l'Union européenne, pour laquelle nous placerons la culture et le sentiment d'appartenance à l'Europe parmi nos priorités, nous ne pouvons que nous féliciter du lancement de l'Observatoire de l'enseignement de l'Histoire en Europe, dont la France avait fait une priorité lors de sa présidence du Comité des Ministres et que certains d'entre vous ont activement soutenu et promu.

Dix-sept membres fondateurs ont intégré cet Observatoire et j'espère qu'ils seront rejoints prochainement par beaucoup d'autres. Je salue à cet égard les travaux déterminants de M. Alain Lamassoure, qui a mené une réflexion préalable importante et assure désormais la présidence de cet outil absolument essentiel, encore peu connu et récent, mais sur lequel chacun doit s'engager car il participe à la réconciliation des mémoires en Europe.

Puisque j'évoquais la présidence de l'Union européenne, je veux évoquer d'un mot les « ponts » qui doivent se renforcer entre l'Union et le Conseil de l'Europe, dont son Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres.

Á l'occasion de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre de 2022, nous continuerons, en particulier, à œuvrer pour l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme. C'est un chantier de longue haleine, comme vous le savez. Nous tâcherons également de promouvoir et mettre en lumière les travaux communs de l'Union européenne et des mécanismes du Conseil de l'Europe en matière de suivi de l'État de droit. Au niveau communautaire, les dispositifs ont été notablement renforcés, avec l'introduction de la conditionnalité budgétaire et de sanctions juridictionnelles, mais bien souvent ils s'appuient sur des instances reconnues et bien établies du Conseil de l'Europe, qu'il s'agisse de la Commission de Venise ou du Groupe d'États contre la corruption (GRECO). L'Union européenne tient le plus grand compte des travaux de la Commission de Venise pour identifier les dérives de ses États membres en matière d'État de droit.

Je ne peux pas conclure sur les relations entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe sans mentionner leur « carrefour », leur point de rencontre : je veux bien entendu parler de Strasbourg. Je le dis avec instance et le répéterai autant que nécessaire : Strasbourg est la capitale de la démocratie européenne. Cela n'est pas un slogan mais un engagement du gouvernement, des collectivités et des parlementaires. Nous y avons mis d'ailleurs un certain nombre de moyens financiers et d'engagements politiques, pas plus tard que ces derniers jours par la voix du Président de la République lui-même.

Nous nous réjouissons qu'après que l'APCE a marqué ces derniers mois sa présence à Strasbourg, le Parlement européen y reprenne ses sessions. Il nous semble important de signifier symboliquement, au cours de notre présidence de l'Union européenne, les liens des organisations européennes avec Strasbourg. Après Paris, c'est la ville qui accueille le plus d'institutions européennes et internationales. Nous ne pouvons accepter, à travers des faits accomplis, parfois des prétextes comme celui de la crise sanitaire, le recul de la présence des institutions européennes, quelles qu'elles soient, à Strasbourg.

Je salue à cet égard le rôle de l'APCE, de son Président, mais aussi celui de la délégation française dans son ensemble, qui par-delà son implication sur des dossiers aussi sensibles que la situation en Biélorussie ou la question des rapports avec la Russie, a assuré cette continuité strasbourgeoise. Plus qu'un symbole, cette dernière a été une nécessité et un aiguillon pour d'autres instances européennes dont nous célébrerons, je l'espère dès lundi 7 juin, le retour dans la capitale de la démocratie européenne.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci pour ces propos, Monsieur le Ministre. Je vais à présent passer la parole aux membres de la délégation qui souhaitent vous poser des questions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ces derniers mois, nos travaux parlementaires nationaux ont été marqués par des décisions politiques fortes s'agissant de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Parallèlement, le Parlement européen et l'Organisation des Nations Unies (ONU) ont pris des engagements sur l'état d'urgence climatique, respectivement en 2019 et 2020. Enfin, la protection de l'environnement comme condition sine qua non de la réalisation des droits humains est également une question sur laquelle la Cour européenne des droits de l'Homme sera appelée à se prononcer dans les prochains mois. Dans ce contexte, la commission sur l'égalité et la non-discrimination de l'APCE, dont je suis membre, prépare un rapport sur l'articulation entre les droits environnementaux et les droits fondamentaux.

Lors de la dernière session plénière de l'Assemblée parlementaire, j'ai interrogé le Ministre-adjoint allemand, chargé des Affaires européennes, M. Michael Roth, sur ce point et il m'a répondu qu'en 2020, la Géorgie, la Grèce et l'Allemagne se sont prononcées en faveur de l'adoption d'un instrument ayant force contraignante, sous la forme d'une convention ad hoc ou d'un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme, afin que les États membres du Conseil de l'Europe renforcent la protection environnementale et climatique. Je voudrais savoir quelle est la position de la France à ce sujet. Soutenez-vous l'idée de l'adoption, sous l'égide du Conseil de l'Europe, d'un nouvel instrument de droit international dévolu à la protection de l'environnement ? De même, quelles actions la France porte-t-elle au niveau du Conseil de l'Europe pour fédérer les positions et les initiatives des États en faveur de cette grande cause de la lutte contre le dérèglement climatique, qui transcende les frontières ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le Ministre, merci pour vos propos liminaires très forts et engagés pour l'action de l'APCE et de la délégation française à cette Assemblée. Pour ma part, j'aimerais revenir sur les atteintes à l'encontre des acteurs de la société civile et des ONG de défense des droits de l'Homme. Malheureusement, à l'occasion de la crise sanitaire, l'espace dévolu à la société civile et à ces ONG s'est considérablement rétréci. On l'a vu très récemment encore en Russie, où Andreï Pivovarov a été arrêté. Je ferai moi-même prochainement, en ma qualité de rapporteure générale de la commission des questions juridiques sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme, une communication en commission sur ce sujet. Je suis très inquiète sur la loi russe durcissant les peines contre les membres d'ONG étrangères ou internationales reconnues comme « indésirables », sur le fondement de la loi de 2015. On peut en effet craindre que cette nouvelle législation ne restreigne encore davantage l'action des ONG et des défenseurs des droits de l'Homme.

Vous avez évoqué la situation en Biélorussie, qui nous inquiète beaucoup. Comme vous l'avez indiqué, les clivages sont actuellement exacerbés, à tel point que dans la préparation de mon rapport sur la nécessité d'une enquête internationale sur les violations des droits de l'Homme commises depuis août 2020, il m'avait été totalement impossible de recueillir le moindre élément, ni d'avoir le moindre contact avec des représentants du régime de M. Loukachenko. En dépit de ces conditions de travail difficiles, je me suis attachée à formuler des propositions et je sais que l'Union européenne suit également le dossier de très près. Peut-être pourriez-vous nous donner votre appréciation de l'évolution de la situation et nous donner quelques indications sur les pistes envisagées pour amener les autorités à entendre les aspirations du peuple biélorusse ?

Enfin, je voudrais vous interroger sur les suites du conflit au Haut-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et notamment la question des prisonniers arméniens non libérés. Les derniers incidents, si l'on peut les qualifier de tels au vu de leur gravité, nous font craindre une accélération des choses. Pouvez-vous nous préciser la position de la France à l'égard de ce dossier ?

Permalien
Clément Beaune, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes

Sur la question environnementale, je rappellerai tout d'abord l'engagement majeur de la France aux niveaux international et européen, comme en atteste son implication dans la conclusion de l'Accord de Paris. De même, la convention citoyenne sur le climat a-t-elle soulevé beaucoup de sujets de dimensions européenne et internationale, que nous reprenons à notre compte. Je pense notamment à la lutte contre la criminalité environnementale, qui relève aussi bien de l'ONU que du Conseil de l'Europe.

Á mon sens, devrait être creusée la problématique plus large, qui justifie par elle-même une coopération accrue entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, du devoir de vigilance. Celui-ci renvoie à la façon dont l'Europe, au sens large, vérifie dans les chaînes du commerce international qu'un certain nombre de standards, environnementaux mais aussi sociaux, sont respectés et vérifiés. En effet, il ne sert pas à grand-chose d'avoir des règles abouties en Europe si nous ne sommes pas capables de nous assurer qu'elles sont respectées dans les chaînes de valeur intégrée. Si les organes du Conseil de l'Europe ne sont pas encore formellement saisis d'une réflexion sur le devoir de vigilance, il y aura en revanche bientôt une proposition de l'Union européenne sur le sujet. Je pense que cette question pourrait inspirer de futurs travaux au sein du Conseil de l'Europe, notamment sur les enjeux environnementaux et climatiques.

Pour en revenir à la question de l'élaboration d'un instrument juridique international sur l'environnement et le climat sous l'égide du Conseil de l'Europe, la France est ouverte à la discussion. Néanmoins, si l'on ne peut que partager l'objectif, il convient de prendre garde aux modalités.

Nous avons toujours indiqué, depuis quelques mois, que l'idée de la conclusion d'un instrument non contraignant sur les obligations des États en matière climatique et de protection de l'environnement pourrait être utile et complémentaire aux engagements existants. Cette démarche relèverait plutôt de l'ordre du signal ou du symbole, c'est vrai, mais elle présenterait l'avantage de pouvoir être élaborée rapidement et de faire consensus assez rapidement. Se lancer dans une démarche plus exigeante, telle l'élaboration d'un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme, suppose de mesurer le temps que cela prendra pour aboutir ainsi que le contentieux qui découlerait de l'absence de vision partagée sur des notions claires et partagées. En d'autres termes, nous n'avons évidemment aucune objection de principe sur le fond, mais il nous semble que cette démarche en faveur d'un instrument contraignant est assez hypothétique, pour ne pas dire irréaliste, quant à son aboutissement. Le processus prendrait au bas mot plusieurs années pour déboucher, j'en ai peur, sur un impact réel limité.

Il faut donc envisager des outils sans doute plus ciblés, à mi-chemin entre l'élaboration de textes non contraignants et l'option la plus exigeante d'un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme, telle une convention ad hoc du Conseil de l'Europe, dont l'adoption serait certainement plus facile, ou l'adoption de lignes directrices en faveur d'une meilleure protection de l'environnement par le droit civil ou pénal. Il s'agit là d'une réflexion difficile et sensible, que nous avons engagée en France ces derniers mois. Je crois donc à un travail ad hoc, ciblé sur des dispositions de droit civil et pénal, à travers une convention ad hoc. Je sais que le Président de l'APCE, M. Rik Daems, s'est prononcé à plusieurs reprises en faveur d'un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme mais, en la matière, le mieux est l'ennemi du bien. En tout état de cause, les services du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères sont prêts à travailler sur l'idée d'une convention ad hoc, qui nous semble une piste plus prometteuse si l'on veut être efficaces sur un sujet aussi important.

S'agissant de la protection des ONG, il n'y a malheureusement pas de remède miracle. Les pays qui se rendent coupables d'atteintes à leur égard, sous couvert de lois contre les organismes étrangers, seraient sans doute les plus réticents à accepter des traités ou conventions en la matière. Il ne me semble donc pas souhaitable de s'engager dans cette voie, qui ne conduirait qu'à s'épuiser en discussions vouées à l'échec.

Si le problème fait nécessairement penser à la Russie, il faut reconnaître que cette inquiétude sur les restrictions à l'encontre de la liberté d'action des ONG concerne aussi certains États membres de l'Union européenne, tels que la Pologne ou la Hongrie. Sous des prétextes de régulation des financements étrangers et de contrôle des établissements d'enseignement supérieur – je parle sous le contrôle de M. le député Frédéric Petit, qui connaît parfaitement ce sujet et avec lequel nous échangeons régulièrement –, les autorités de ces pays essaient de « casser » un certain nombre d'outils d'opposition.

Á défaut de solution toute faite ou idéale, je crois que, là-aussi, la coopération entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne peut s'avérer utile. Sans aller jusqu'à l'élaboration d'un texte contraignant, l'établissement d'une liste commune de principes, la dénonciation conjointe de faits graves contre les ONG seraient sans doute des démarches bienvenues. Peut-être, sous la présidence française de l'Union européenne, cette question pourrait-elle donner lieu à une initiative, voire à un événement spécifique à Strasbourg, afin d'avancer au moins politiquement, dans un premier temps, sur cette question de la défense du travail des ONG en Europe ?

Pour ce qui concerne le cas douloureux du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire dans l'hémicycle du Sénat, la France est très engagée à la résolution des tensions. Le Président de la République a reçu le Premier ministre arménien ces derniers jours.

D'un point de vue factuel, depuis la signature de l'accord de cessez-le-feu en novembre 2020, il y a eu quelques gestes de l'Azerbaïdjan avec la remise d'un petit nombre seulement de prisonniers à l'Arménie. Ces signaux positifs ont été récemment annihilés par une escalade initiée par l'Azerbaïdjan, dont les forces armées ont mené plusieurs incursions sur le terrain, ce qui a brisé la légère dynamique d'apaisement à l'œuvre jusqu'alors. La France, qui co-préside le groupe de Minsk, a demandé que soient respectés les accords de remise de prisonniers arméniens. Nous n'y sommes pas encore.

Je l'ai déjà dit, mais je réitère notre position : c'est de l'Azerbaïdjan que nous attendons aujourd'hui des signes de désescalade et le respect des accords passés. Á long terme, la situation actuelle nous rappelle que nous devons poursuivre nos efforts diplomatiques et politiques au sein du groupe de Minsk ; c'est la seule issue. Á court terme, comme l'a montré le déplacement il y a quelques semaines de M. Jean-Baptiste Lemoyne et de plusieurs parlementaires en Arménie, nous apportons à cette dernière une aide, qui ne se résume pas à un soutien politique mais consiste également en la fourniture d'une assistance humanitaire. Nous continuerons à le faire en parallèle de nos efforts de médiation au sein du groupe de Minsk de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Dans les prochains jours, d'ailleurs, nous essaierons de proposer aux Ministres des Affaires étrangères de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan une réunion afin de discuter de la mise en œuvre des accords de cessez-le-feu, afin que ceux-ci soient intégralement respectés.

Permalien
André Gattolin, sénateur

Monsieur le Ministre, je souhaite vous poser deux questions. La première s'inscrit dans la logique de la complémentarité entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Après qu'a été commis cet acte de piraterie d'État au-dessus de la Biélorussie il y a une dizaine de jours, la Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula Van Der Leyen, a annoncé, à la surprise générale, un plan d'aide au développement économique de 3 milliards d'euros. On pensait que, du fait des élections présidentielles truquées d'août dernier, l'aide de l'Union européenne à la Biélorussie avait été suspendue mais, il y a quelques jours, l'Agence Europe publiait une dépêche dans laquelle la Commission annonçait ce nouveau plan d'aide économique de 3 milliards d'euros pour, cette fois-ci, une « Biélorussie démocratique ». Ces annonces laissent penser que l'aide initiale, qui n'était pas conditionnée, a évolué vers une aide conditionnée au respect d'un certain nombre de principes fondamentaux. Je ne vais pas le regretter, même si ces évolutions parfois brusques peuvent interroger quant à la manière de faire de l'Union européenne. Qu'en pensez-vous Monsieur le Ministre ?

Ma deuxième question concerne la convention de Compostelle contre le trafic d'organes humains de 2015. La France l'a signée en décembre 2019. Avec ma collègue députée, Mme Lauriane Rossi, nous nous sommes beaucoup battus en faveur de cette convention. J'ai cru comprendre que le Parlement sera prochainement saisi d'un projet de loi autorisant sa ratification, ce dont je me félicite. J'avoue néanmoins ne pas bien comprendre les trois réserves posées par la France lors de la signature de ce traité, qui portent sur des éléments pourtant centraux permettant d'avoir une action extra-européenne à l'égard des trafics d'organes, des prélèvements forcés et de l'industrie des transplantations non sourcées. Aussi, pouvez-vous, Monsieur le Ministre, nous apporter des précisions sur le calendrier de ratification de cette convention et nous éclairer sur les motivations des réserves formulées par le gouvernement français à l'égard de cette convention ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaiterais tout d'abord, Monsieur le Ministre, vous poser une question sur l'articulation entre la future présidence française de l'Union européenne, la Conférence sur l'avenir de l'Europe, et la situation de l'État de droit dans la grande Europe. Á mon sens, il convient d'être cohérents entre les présidences françaises du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne. En 2019, la France a souhaité promouvoir le « marronnier » de l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme. Pour 2022, notre pays souhaite lancer une consultation, dans un périmètre à vingt-sept, sans peut-être se poser la question – mais je ne suis pas forcément le mieux à même de le savoir – de l'articulation de cette réflexion à vingt-sept avec la situation de l'État de droit dans la grande Europe des quarante-sept. Souhaite-t-on un débouché dans le domaine de l'État de droit à travers cette conférence ? La réflexion porte-t-elle sur l'avenir de l'Europe à vingt-sept uniquement ou s'inscrit-elle dans un périmètre plus vaste, dont les acquis sont eux-aussi fragiles et parfois contestés, notamment s'agissant de la Cour européenne des droits de l'Homme ? Ces questions sont importantes, dans un contexte où les décisions de cette Cour européenne sont interprétées par les États les plus critiques à son endroit, telles la Russie et la Turquie, comme des instruments politiques au service de l'Union européenne et de Bruxelles. Cette assimilation, par les États périphériques à l'Union européenne, de la Cour de Strasbourg à un outil au service d'une vision bruxelloise de l'État de droit constitue, à mon sens, un risque pour le Conseil de l'Europe. Heureusement, la présidence française de l'Union européenne en 2022 offrira une opportunité de clarification à cet égard. De plus, le Président de la République est très engagé sur ces questions, comme il l'a démontré lors de la présidence française du Conseil de l'Europe.

Ma deuxième question concerne le plan d'action et de redressement concernant la mise en œuvre des décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, à travers deux décisions emblématiques relatives aux cas « Osman Kavala », le plus avancé sur le plan juridique, et « Alexeï Navalny », le plus connu de l'opinion publique. Comment appréciez-vous la montée en puissance, du côté du Comité des Ministres, des instruments juridiques décidés en 2019 permettant d'engager les procédures sur l'exécution de ces arrêts ?

Ma dernière question concerne la présidence hongroise du Comité des Ministres. Arrivez-vous à travailler convenablement et en confiance avec votre homologue hongrois ou bien faut-il avoir quelques appréhensions à l'égard de ce semestre pour le bon fonctionnement à venir du Conseil de l'Europe ?

Permalien
Alain Milon, premier vice-président de la délégation française

Pour ma part, j'ai deux questions qui concernent le champ de la santé.

En premier lieu, s'agissant des vaccins contre le coronavirus SARS-CoV-2, je constate que, contrairement aux discours sur l'harmonisation complète des achats de vaccins en Europe, l'Allemagne a acheté des doses en dehors des volumes qui lui étaient dévolus dans le cadre des achats négociés par l'Union européenne. Elle a notamment choisi de commander des doses du vaccin russe Spoutnik. J'avais d'ailleurs souhaité poser une question sur le sujet à Mme Angela Merkel lors de la dernière session de l'APCE car elle avait indiqué que, dès lors que l'Agence européenne des médicaments donnerait son accord à la distribution du vaccin Spoutnik, l'Allemagne déciderait vraisemblablement d'y recourir. Aussi, Monsieur le Ministre, comment peut-on aboutir à une meilleure harmonisation des achats de vaccins en Europe ?

En second lieu, je voudrais savoir si l'angélisme de la France, en matière de tests antigéniques, va se poursuivre encore longtemps. En effet, on sait désormais, à la lumière des progrès de la connaissance sur le Covid-19, qu'il faudra en moyenne deux à trois tests antigéniques par semaine et par personne pour avoir la certitude qu'un individu n'est pas contagieux. Cela suppose donc des volumes de fabrication conséquents. Á titre d'illustration, au Royaume-Uni, deux millions de tests antigéniques sont utilisés actuellement chaque semaine. Est-il donc prévu d'avoir une politique européenne harmonisée sur le sujet, ou pas ?

Permalien
Clément Beaune, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes

Pour ce qui concerne les aides à la Biélorussie, je souhaite être très clair : il n'y aura aucune aide financière de l'Union européenne au régime de M. Loukachenko et aux organes de l'État biélorusse actuel. La France et ses partenaires de l'Union européenne ne reconnaissent pas les résultats allégués de l'élection présidentielle du 9 août 2020. Par conséquent, à nos yeux, M. Loukachenko n'est pas le Président en titre et en fonction de la Biélorussie.

Il est vrai que, à partir de 2016, bien que nous ne nous faisions pas d'illusions à l'égard du régime en place, des coopérations économiques, commerciales et budgétaires avaient été envisagées avec la Biélorussie sur les paquets d'aide de l'Union européenne, du fait de timides signaux d'ouverture vers l'Europe à ce moment-là. Néanmoins, ces possibilités sont désormais révolues. En revanche, l'Union européenne travaille actuellement à son soutien, qui pourrait prendre notamment – mais pas uniquement – une forme financière dont le montant reste à arrêter, à l'opposition civile au régime biélorusse. Les montants, jusqu'à 3 milliards d'euros, ne sont pas encore définis mais nous devrons assumer cette démarche en nous assurant que cet argent n'est pas détourné de sa finalité.

Sachez enfin que, depuis le 14 août 2020, l'Union européenne et ses États membres, à titre bilatéral, apportent un soutien financier et opérationnel à certaines organisations de la société civile ou politiques ; de même, des facilités de visas sont octroyées et la France a toujours manifesté sa disponibilité pour le faire, notamment à l'égard d'étudiants biélorusses. Ce sont tous ces outils qui marquent le soutien européen à l'opposition biélorusse.

Dans cet esprit, le Président de la République a été le premier responsable européen à rencontrer Mme Svetlana Tikhanovskaïa, candidate à la présidentielle et figure de l'opposition politique à M. Loukachenko, lors de sa visite à Vilnius. De même, M. Jean-Yves Le Drian a eu un échange avec elle après le détournement du vol de Ryanair, le mois dernier. Mme Svetlana Tikhanovskaïa le dit elle-même : il n'y aura pas de solution plaquée de l'extérieur en Biélorussie. Si l'Union européenne entend maintenir la pression sur le régime, à travers notamment des sanctions économiques décidées de manière consensuelle et rapidement, elle continuera parallèlement son soutien à l'opposition biélorusse tant que nécessaire.

S'agissant de la convention de Compostelle contre le trafic d'organes humains, sujet sur lequel j'ai déjà répondu à une question au gouvernement au Sénat il y a quelques semaines, la France soutient ce texte et a participé à un travail de conviction auprès de ses partenaires pour faciliter son entrée en vigueur. Nous avons toujours été très actifs, dans le cadre de l'ONU et du Conseil de l'Europe, sur la question du trafic d'organes ; nous continuerons dans cette voie. De mémoire, j'avais évoqué, dans ma réponse faite au Sénat, l'échéance du début de l'été pour l'adoption en Conseil des Ministres du projet de loi autorisant la ratification de cette convention et son dépôt sur le Bureau de l'une des assemblées du Parlement. Á ma connaissance, les consultations interministérielles se poursuivent et devraient s'achever dans les prochains jours. Je vais vérifier la question des réserves, que vous avez soulevée, mais il me semble qu'elle ne se pose plus désormais.

M. le député Jacques Maire, il me semble que votre question sur notre attitude d'ensemble, tant au sein de l'Union européenne que du Conseil de l'Europe, à l'égard de l'enjeu de l'État de droit comporte un volet relatif à la Russie, dans le contexte de l'affaire Navalny. Il s'agit d'une question « à tiroir », si je puis dire. D'abord, nous avons répondu aux intimidations dont vous avez vous-même fait l'objet par une grande fermeté politique. Par ailleurs, les Chefs d'État et de gouvernement de l'Union ont brièvement abordé la question russe lors du dernier Conseil européen mais ils devront y revenir en juin car d'autres actualités les ont mobilisés. Une discussion approfondie sur l'approche européenne vis-à-vis de la Russie doit donc avoir lieu en juin, notamment à la demande du Président de la République, car nous voyons que si les sanctions sont nécessaires, elles trouvent aussi leurs limites. En l'espèce, des sanctions économiques et individuelles ont été prises et il n'est pas question de les lever car aucune des conditions n'est réunie pour le faire.

Il faut néanmoins nous interroger sur la façon dont nous menons ce dialogue ferme que nous avons avec les dirigeants de ce pays. En l'occurrence, nous ne devons faire preuve d'aucune naïveté mais garder à l'esprit que la Russie ne quittera pas historiquement, géographiquement ou politiquement l'Europe. Dans ce cadre, il faut sans doute durcir un certain nombre d'attitudes, je pense notamment à la question des cyberattaques, et unir davantage les positions des membres de l'Union européenne, tout en conservant – l'un ne devant pas affaiblir l'autre – des canaux de discussion politique avec la Russie. Vous en avez d'ailleurs été vous-même un maillon, M. le député, grâce à votre travail d'analyse objective et factuelle sur l'arrestation et de la détention de M. Alexeï Navalny, à l'APCE. Hélas, même dans ce cadre objectif, la Russie a parfois des réactions agressives que nous avons du mal à comprendre.

Le retour, construit sous la présidence française du Comité des Ministres en 2019, de la Russie dans l'ensemble des instances du Conseil de l'Europe nous semble toujours important. Néanmoins, les accords doivent être respectés ; nous serons à cet égard vigilants. Á nos yeux, ce retour n'a pas constitué un cadeau fait à la Russie mais une exigence posée à la Russie pour que les outils de la convention et la Cour européennes des droits de l'Homme continuent à s'appliquer, même si leur mise en œuvre laisse parfois à désirer. De ce point de vue, il nous semble heureux que la protection de l'ordre juridique européen continue de prévaloir pour les citoyens russes.

Pour ce qui concerne la présidence hongroise du Comité des Ministres, nous n'avons pas de grief à porter à ce stade. Nous n'en sommes qu'au début et resterons, par conséquent, vigilants. C'est vrai que, quand on jette un œil au programme des priorités de cette présidence, il apparaît déroutant de ne rien voir sur le renforcement de la convention et de la Cour européennes des droits de l'Homme. Il peut également sembler inquiétant de constater la large place donnée à la question des minorités nationales et des libertés religieuses, qui peuvent ouvrir à des interprétations variées et raviver des tensions nationalistes que j'ai évoquées dans mon propos liminaire. Loin de moi l'idée d'un procès d'intention, particulièrement à l'égard d'un État membre de l'Union européenne. Si nous n'avons pas d'alarme particulière, nous n'en sommes pas moins vigilants malgré tout.

Pour éviter les doubles standards en matière d'État de droit entre les mécanismes de la convention européenne des droits de l'Homme et ceux de l'Union européenne, je crois que l'Union européenne doit se montrer extrêmement stricte vis-à-vis de ses États membres. Actuellement, les dispositifs communautaires sont très exigeants au moment de l'adhésion voire en cas de dérive à l'extérieur, à travers le mécanisme de type Magnitski qui commence à fonctionner. Paradoxalement, il n'existe pas vraiment de mécanisme entre ces deux situations, pour les pays de l'Union qui ont adhéré et pour lesquels on anticipait un respect scrupuleux des règles et valeurs communes et non des dérives ou régressions. Je ne mets pas sur le même plan ces États membres et certains États situés à la périphérie de l'Union européenne, mais le problème existe, indéniablement. Nous n'aurons pas de débat efficace et uni dans le cadre de du Conseil de l'Europe si nous ne mettons pas plus de pression sur le respect de l'État de droit au sein de l'Union européenne. Je ne vais pas lister ici les instruments que nous renforçons progressivement ; je pense notamment au mécanisme de conditionnalité budgétaire, qui vient d'être adopté et qui je l'espère commencera à produire ses effets dès cette année, à l'action de la Cour de justice de l'Union européenne pour faire respecter des mécanismes centraux de l'État de droit, à commencer par l'indépendance de la justice ou de la presse, et à des mécanismes plus ciblés, tels que les outils financiers ou juridiques à la disposition de la Commission pour sanctionner toute dérive, ainsi qu'elle l'a fait en suspendant des financements locaux de jumelages lors de la multiplication des zones hostiles aux LGTB en Pologne, en estimant qu'ils violaient les principes fondamentaux des traités et sans que cela ne donne lieu à une quelconque contestation devant la Cour de justice de l'Union. Évidemment, il s'agit d'un combat de longues haleine, mais ce n'est que si les États membres de l'Union adoptent une position claire et unie au sein du Conseil de l'Europe que la promotion de l'État de droit progressera réellement.

Personnellement, je ne pense pas qu'il y ait une quelconque concurrence ou confusion en la matière entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Chacun, par l'histoire, a sa spécialité. C'est dans le cadre du Conseil de l'Europe – tant mieux d'ailleurs car c'est l'Organisation européenne la plus vaste géographiquement – que la défense des droits individuels est la plus efficace. Á la différence de la Cour de justice de l'Union européenne, la convention et la Cour européennes des droits de l'Homme ont été créées spécifiquement dans ce but. Même dans les pays où la situation est la plus difficile, Russie et Turquie en particulier, ces mécanismes s'avèrent utiles aujourd'hui et c'est tant mieux. Dans le même esprit, il serait parfaitement injustifié de chercher à dupliquer la Commission de Venise, qui est la référence en matière d'analyse de l'État de droit ou d'alerte sur ces sujets, au sein de l'Union européenne. Cette dernière n'hésite pas à s'appuyer sur cette Commission respectée dans le monde académique et politique. Je ne pense donc pas, même si on peut naturellement réfléchir aux articulations, qu'il y ait des doublons ou des mauvaises concurrences. La préoccupation principale doit être que l'Union soit crédible comme garant de l'État de droit, pour elle-même et pour que ses États membres soient efficaces au sein du Conseil de l'Europe et dans ses deux organes statutaires.

Sur la question des vaccins, M. le sénateur Alain Milon, vous me permettrez de ne pas tout à fait partager vos commentaires. Je reconnais qu'il y a eu beaucoup de confusion sur ce sujet mais l'Allemagne, même si elle a pu en caresser l'idée, n'a pas acheté seule des vaccins, russes ou autres, par un mécanisme national parallèle. Le Ministre allemand de la Santé l'a évoqué ; à un moment, la Chancelière fédérale ne l'a pas exclu mais, finalement, le gouvernement fédéral ne l'a pas fait. Des discussions ont je crois été entamées avec le laboratoire Pfizer-BioNTech au moment où la Commission a signé l'acquisition supplémentaire de 300 millions de doses, suivie de 1,8 milliard supplémentaire de doses pour après 2021. Nous avons donc réussi à boucler la négociation dans un cadre européen tout en servant l'Allemagne comme les autres pays, ce qui était bien préférable. Il a été question que la Bavière acquière des doses de vaccin Spoutnik mais elle ne l'a pas fait ; de même, si la Chancelière a indiqué ne pas s'interdire de passer commande de vaccins russes si l'Agence européenne des médicaments autorisait leur commercialisation, cela n'a pas eu lieu pour deux raisons : d'abord, l'Agence européenne des médicaments n'a toujours pas autorisé la délivrance du vaccin russe, faute de données suffisantes transmises par le laboratoire qui l'a élaboré et non par parti pris ou idéologie mal placée ; ensuite, il n'existe actuellement pas de capacités de production suffisantes du vaccins Spoutnik-V en Europe.

Je pense, sur ce dernier point, que les régions françaises ou allemandes qui voient dans le vaccin Spoutnik-V la panacée se trompent car, pendant qu'elles négocient, les livraisons des vaccins commandés par l'Union européenne pour ses États membres arrivent de manière significative et sûre.

Á propos de ce que vous avez qualifié d'« angélisme » français sur les tests, je vous objecterai que la France est le pays qui réalise le plus de tests par semaine à l'échelle de l'Union européenne. Les comparaisons doivent porter sur des appréciations globales. Il existe, c'est vrai, des pays qui réalisent plus d'autotests que la France mais notre pays a déployé plus largement que d'autres les tests antigéniques et les tests PCR, dont je rappelle que nous sommes les seuls à assurer la gratuité depuis le premier jour, avec le Danemark. Á la veille de la saison touristique, cette politique s'avérera d'ailleurs essentielle. En tout état de cause, il n'y a ni angélisme, ni malthusianisme sur les tests mais, au contraire, un dispositif gratuit, ouvert à tous et massif aujourd'hui.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le Ministre, ma première question porte sur les réseaux sociaux. La commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias de l'APCE a publié un rapport sur les risques de désinformation à travers les réseaux sociaux. Pour ma part, je me demande pourquoi les travaux du Conseil de l'Europe ne sont pas davantage utilisés et n'inspirent pas les politiques publiques des États membres, ainsi que l'Union européenne. Ce sujet est important, surtout dans notre société moderne, et je m'étonne que les idées, propositions et recommandations pertinentes ne soient pas suivies d'effet.

Ma deuxième question concerne la distribution de vaccins par l'Union européenne aux pays en voie de développement. Dernièrement, des personnes habitant aux Philippines m'ont expliqué que très peu de vaccins ont été envoyés par l'Europe vers ce pays pourtant assez démuni. En outre, seules des doses d'AstraZeneca, dont les Européens veulent moins, semblent expédiées là-bas. Est-ce réellement le cas ? Si l'Union européenne privilégie l'Afrique dans ses mécanismes de solidarité, n'y aurait-il pas une possibilité de faire quelque chose également en direction des pays d'Asie les moins avancés ?

Permalien
Clément Beaune, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes

Sur la désinformation au sens le plus large ou les attaques cyber, qui en sont le continuum, actuel grand mal démocratique organisé par certains acteurs étatiques ou para-étatiques, je crois qu'il nous faut joindre les forces. Certains travaux ont été menés dans le cadre du Conseil de l'Europe. Je pense qu'on peut bâtir dessus pour aboutir à un mécanisme opérationnel, pas seulement juridique, dans l'Union européenne, qui est le ressort le plus pertinent en raison du rôle éminent de la Russie dans ces initiatives de désinformation. Actuellement les outils manquent, donc utilisons les travaux du Conseil de l'Europe.

Je prendrai un exemple très simple, évoqué par le Président de la République lors de sa visite en Lituanie et en Lettonie à la fin mois de septembre : nous pourrions disposer, non par quelconque plaisir bureaucratique mais par souci de sécurité, d'une sorte d'agence européenne ou de réseau d'experts européens en matière cyber ou de lutte contre la désinformation afin d'être capables de cibler et d'identifier les sources, de les rendre publiques et de les contre-attaquer. Aujourd'hui, beaucoup de pays européens, pourtant avancés sur le plan technique en manière de défense et de sécurité informatique, disposent principalement d'agences ou d'experts nationaux, telles l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) ou ses homologues baltes. Il n'existe pas de mise en commun ou en réseau. Concrètement, cela se traduit par le fait que lors de la tenue des élections dans les États baltes, les experts nationaux en sécurité informatique se trouvent renforcés par des experts américains afin de garantir le bon déroulement des opérations électorales, alors que nous avons l'expertise technique et intellectuelle en Europe. Aider un pays européen, en période électorale, à déjouer ces processus de désinformation et de cyberattaques serait très utile et donnerait un sens tant à l'idée qu'à nos efforts en faveur d'une défense européenne.

Sur les livraisons de vaccins, je vais regarder précisément les quantités données aux Philippines. Dans le mécanisme de solidarité internationale Covax, principalement financé par l'Union européenne, les pays bénéficiaires ne se résument pas aux États africains. Certes, ils sont peut-être majoritaires actuellement, mais cent-vingt pays au total en bénéficient. Normalement, pour les Philippines comme pour d'autres pays, il ne doit pas y avoir de difficulté dans la mise en œuvre des dons de vaccins par l'intermédiaire du mécanisme Covax. Nous allons néanmoins vérifier, suite aux indications que vous avez porté à ma connaissance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais juste émettre une réflexion pour terminer. Vous disiez, Monsieur le Ministre, que le Conseil de l'Europe doit être un point d'appui. Nous en sommes tous, ici, persuadés. Cette Organisation, notamment à travers son Assemblée parlementaire, est la caisse de résonance, le lanceur d'alerte concernant l'État de droit et la démocratie au sein la grande Europe, qui rassemble quarante-sept États de notre continent. Il faut y prendre garde et veiller à préserver, dans les canaux diplomatiques, ce forum paneuropéen sans équivalent, où les échanges peuvent être vifs mais restent toujours importants.

Monsieur le Ministre, je tiens à vous remercier pour avoir eu l'amabilité de venir devant nous aujourd'hui, en dépit d'un agenda extrêmement contraint. Je ne doute pas que les échanges avec notre délégation pourront se poursuivre à l'avenir avec régularité et en transparence. Pour notre part, nous y sommes prêts et nous nous réjouissons de pouvoir travailler à vos côtés.

Permalien
Clément Beaune, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés, merci pour cet échange. J'accepte volontiers de le poursuivre avec vous à l'avenir.

*

* *

La séance est levée à 17 h 50.

Membres présents ou excusés

Députés :

Présents. – M. Olivier Becht , Mme Alexandra Louis, M. Jacques Maire, M. Frédéric Petit, M. Frédéric Reiss, Mme Liliana Tanguy, Mme Nicole Trisse, Mme Martine Wonner.

Excusés. – M. Bertrand Bouyx, Mme Yolaine de Courson, Mme Marie‑Christine Dalloz, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Fuchs, M. Fabien Gouttefarde, M. Dimitri Houbron, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Pierre Morel-Á-L'huissier, M. Yves Hemedinger, Mme Isabelle Rauch, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas.

Sénateurs :

Présents. – Mme Nadine Bellurot, Mme Nicole Duranton, M. Bernard Fournier, M. André Gattolin, M. Christian Klinger, M. Alain Milon, M. Didier Marie.

Excusés. – M. François Calvet, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Claude Kern, M. Jacques Le Nay, M. André Vallini.