Pour ce qui concerne les aides à la Biélorussie, je souhaite être très clair : il n'y aura aucune aide financière de l'Union européenne au régime de M. Loukachenko et aux organes de l'État biélorusse actuel. La France et ses partenaires de l'Union européenne ne reconnaissent pas les résultats allégués de l'élection présidentielle du 9 août 2020. Par conséquent, à nos yeux, M. Loukachenko n'est pas le Président en titre et en fonction de la Biélorussie.
Il est vrai que, à partir de 2016, bien que nous ne nous faisions pas d'illusions à l'égard du régime en place, des coopérations économiques, commerciales et budgétaires avaient été envisagées avec la Biélorussie sur les paquets d'aide de l'Union européenne, du fait de timides signaux d'ouverture vers l'Europe à ce moment-là. Néanmoins, ces possibilités sont désormais révolues. En revanche, l'Union européenne travaille actuellement à son soutien, qui pourrait prendre notamment – mais pas uniquement – une forme financière dont le montant reste à arrêter, à l'opposition civile au régime biélorusse. Les montants, jusqu'à 3 milliards d'euros, ne sont pas encore définis mais nous devrons assumer cette démarche en nous assurant que cet argent n'est pas détourné de sa finalité.
Sachez enfin que, depuis le 14 août 2020, l'Union européenne et ses États membres, à titre bilatéral, apportent un soutien financier et opérationnel à certaines organisations de la société civile ou politiques ; de même, des facilités de visas sont octroyées et la France a toujours manifesté sa disponibilité pour le faire, notamment à l'égard d'étudiants biélorusses. Ce sont tous ces outils qui marquent le soutien européen à l'opposition biélorusse.
Dans cet esprit, le Président de la République a été le premier responsable européen à rencontrer Mme Svetlana Tikhanovskaïa, candidate à la présidentielle et figure de l'opposition politique à M. Loukachenko, lors de sa visite à Vilnius. De même, M. Jean-Yves Le Drian a eu un échange avec elle après le détournement du vol de Ryanair, le mois dernier. Mme Svetlana Tikhanovskaïa le dit elle-même : il n'y aura pas de solution plaquée de l'extérieur en Biélorussie. Si l'Union européenne entend maintenir la pression sur le régime, à travers notamment des sanctions économiques décidées de manière consensuelle et rapidement, elle continuera parallèlement son soutien à l'opposition biélorusse tant que nécessaire.
S'agissant de la convention de Compostelle contre le trafic d'organes humains, sujet sur lequel j'ai déjà répondu à une question au gouvernement au Sénat il y a quelques semaines, la France soutient ce texte et a participé à un travail de conviction auprès de ses partenaires pour faciliter son entrée en vigueur. Nous avons toujours été très actifs, dans le cadre de l'ONU et du Conseil de l'Europe, sur la question du trafic d'organes ; nous continuerons dans cette voie. De mémoire, j'avais évoqué, dans ma réponse faite au Sénat, l'échéance du début de l'été pour l'adoption en Conseil des Ministres du projet de loi autorisant la ratification de cette convention et son dépôt sur le Bureau de l'une des assemblées du Parlement. Á ma connaissance, les consultations interministérielles se poursuivent et devraient s'achever dans les prochains jours. Je vais vérifier la question des réserves, que vous avez soulevée, mais il me semble qu'elle ne se pose plus désormais.
M. le député Jacques Maire, il me semble que votre question sur notre attitude d'ensemble, tant au sein de l'Union européenne que du Conseil de l'Europe, à l'égard de l'enjeu de l'État de droit comporte un volet relatif à la Russie, dans le contexte de l'affaire Navalny. Il s'agit d'une question « à tiroir », si je puis dire. D'abord, nous avons répondu aux intimidations dont vous avez vous-même fait l'objet par une grande fermeté politique. Par ailleurs, les Chefs d'État et de gouvernement de l'Union ont brièvement abordé la question russe lors du dernier Conseil européen mais ils devront y revenir en juin car d'autres actualités les ont mobilisés. Une discussion approfondie sur l'approche européenne vis-à-vis de la Russie doit donc avoir lieu en juin, notamment à la demande du Président de la République, car nous voyons que si les sanctions sont nécessaires, elles trouvent aussi leurs limites. En l'espèce, des sanctions économiques et individuelles ont été prises et il n'est pas question de les lever car aucune des conditions n'est réunie pour le faire.
Il faut néanmoins nous interroger sur la façon dont nous menons ce dialogue ferme que nous avons avec les dirigeants de ce pays. En l'occurrence, nous ne devons faire preuve d'aucune naïveté mais garder à l'esprit que la Russie ne quittera pas historiquement, géographiquement ou politiquement l'Europe. Dans ce cadre, il faut sans doute durcir un certain nombre d'attitudes, je pense notamment à la question des cyberattaques, et unir davantage les positions des membres de l'Union européenne, tout en conservant – l'un ne devant pas affaiblir l'autre – des canaux de discussion politique avec la Russie. Vous en avez d'ailleurs été vous-même un maillon, M. le député, grâce à votre travail d'analyse objective et factuelle sur l'arrestation et de la détention de M. Alexeï Navalny, à l'APCE. Hélas, même dans ce cadre objectif, la Russie a parfois des réactions agressives que nous avons du mal à comprendre.
Le retour, construit sous la présidence française du Comité des Ministres en 2019, de la Russie dans l'ensemble des instances du Conseil de l'Europe nous semble toujours important. Néanmoins, les accords doivent être respectés ; nous serons à cet égard vigilants. Á nos yeux, ce retour n'a pas constitué un cadeau fait à la Russie mais une exigence posée à la Russie pour que les outils de la convention et la Cour européennes des droits de l'Homme continuent à s'appliquer, même si leur mise en œuvre laisse parfois à désirer. De ce point de vue, il nous semble heureux que la protection de l'ordre juridique européen continue de prévaloir pour les citoyens russes.
Pour ce qui concerne la présidence hongroise du Comité des Ministres, nous n'avons pas de grief à porter à ce stade. Nous n'en sommes qu'au début et resterons, par conséquent, vigilants. C'est vrai que, quand on jette un œil au programme des priorités de cette présidence, il apparaît déroutant de ne rien voir sur le renforcement de la convention et de la Cour européennes des droits de l'Homme. Il peut également sembler inquiétant de constater la large place donnée à la question des minorités nationales et des libertés religieuses, qui peuvent ouvrir à des interprétations variées et raviver des tensions nationalistes que j'ai évoquées dans mon propos liminaire. Loin de moi l'idée d'un procès d'intention, particulièrement à l'égard d'un État membre de l'Union européenne. Si nous n'avons pas d'alarme particulière, nous n'en sommes pas moins vigilants malgré tout.
Pour éviter les doubles standards en matière d'État de droit entre les mécanismes de la convention européenne des droits de l'Homme et ceux de l'Union européenne, je crois que l'Union européenne doit se montrer extrêmement stricte vis-à-vis de ses États membres. Actuellement, les dispositifs communautaires sont très exigeants au moment de l'adhésion voire en cas de dérive à l'extérieur, à travers le mécanisme de type Magnitski qui commence à fonctionner. Paradoxalement, il n'existe pas vraiment de mécanisme entre ces deux situations, pour les pays de l'Union qui ont adhéré et pour lesquels on anticipait un respect scrupuleux des règles et valeurs communes et non des dérives ou régressions. Je ne mets pas sur le même plan ces États membres et certains États situés à la périphérie de l'Union européenne, mais le problème existe, indéniablement. Nous n'aurons pas de débat efficace et uni dans le cadre de du Conseil de l'Europe si nous ne mettons pas plus de pression sur le respect de l'État de droit au sein de l'Union européenne. Je ne vais pas lister ici les instruments que nous renforçons progressivement ; je pense notamment au mécanisme de conditionnalité budgétaire, qui vient d'être adopté et qui je l'espère commencera à produire ses effets dès cette année, à l'action de la Cour de justice de l'Union européenne pour faire respecter des mécanismes centraux de l'État de droit, à commencer par l'indépendance de la justice ou de la presse, et à des mécanismes plus ciblés, tels que les outils financiers ou juridiques à la disposition de la Commission pour sanctionner toute dérive, ainsi qu'elle l'a fait en suspendant des financements locaux de jumelages lors de la multiplication des zones hostiles aux LGTB en Pologne, en estimant qu'ils violaient les principes fondamentaux des traités et sans que cela ne donne lieu à une quelconque contestation devant la Cour de justice de l'Union. Évidemment, il s'agit d'un combat de longues haleine, mais ce n'est que si les États membres de l'Union adoptent une position claire et unie au sein du Conseil de l'Europe que la promotion de l'État de droit progressera réellement.
Personnellement, je ne pense pas qu'il y ait une quelconque concurrence ou confusion en la matière entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe. Chacun, par l'histoire, a sa spécialité. C'est dans le cadre du Conseil de l'Europe – tant mieux d'ailleurs car c'est l'Organisation européenne la plus vaste géographiquement – que la défense des droits individuels est la plus efficace. Á la différence de la Cour de justice de l'Union européenne, la convention et la Cour européennes des droits de l'Homme ont été créées spécifiquement dans ce but. Même dans les pays où la situation est la plus difficile, Russie et Turquie en particulier, ces mécanismes s'avèrent utiles aujourd'hui et c'est tant mieux. Dans le même esprit, il serait parfaitement injustifié de chercher à dupliquer la Commission de Venise, qui est la référence en matière d'analyse de l'État de droit ou d'alerte sur ces sujets, au sein de l'Union européenne. Cette dernière n'hésite pas à s'appuyer sur cette Commission respectée dans le monde académique et politique. Je ne pense donc pas, même si on peut naturellement réfléchir aux articulations, qu'il y ait des doublons ou des mauvaises concurrences. La préoccupation principale doit être que l'Union soit crédible comme garant de l'État de droit, pour elle-même et pour que ses États membres soient efficaces au sein du Conseil de l'Europe et dans ses deux organes statutaires.
Sur la question des vaccins, M. le sénateur Alain Milon, vous me permettrez de ne pas tout à fait partager vos commentaires. Je reconnais qu'il y a eu beaucoup de confusion sur ce sujet mais l'Allemagne, même si elle a pu en caresser l'idée, n'a pas acheté seule des vaccins, russes ou autres, par un mécanisme national parallèle. Le Ministre allemand de la Santé l'a évoqué ; à un moment, la Chancelière fédérale ne l'a pas exclu mais, finalement, le gouvernement fédéral ne l'a pas fait. Des discussions ont je crois été entamées avec le laboratoire Pfizer-BioNTech au moment où la Commission a signé l'acquisition supplémentaire de 300 millions de doses, suivie de 1,8 milliard supplémentaire de doses pour après 2021. Nous avons donc réussi à boucler la négociation dans un cadre européen tout en servant l'Allemagne comme les autres pays, ce qui était bien préférable. Il a été question que la Bavière acquière des doses de vaccin Spoutnik mais elle ne l'a pas fait ; de même, si la Chancelière a indiqué ne pas s'interdire de passer commande de vaccins russes si l'Agence européenne des médicaments autorisait leur commercialisation, cela n'a pas eu lieu pour deux raisons : d'abord, l'Agence européenne des médicaments n'a toujours pas autorisé la délivrance du vaccin russe, faute de données suffisantes transmises par le laboratoire qui l'a élaboré et non par parti pris ou idéologie mal placée ; ensuite, il n'existe actuellement pas de capacités de production suffisantes du vaccins Spoutnik-V en Europe.
Je pense, sur ce dernier point, que les régions françaises ou allemandes qui voient dans le vaccin Spoutnik-V la panacée se trompent car, pendant qu'elles négocient, les livraisons des vaccins commandés par l'Union européenne pour ses États membres arrivent de manière significative et sûre.
Á propos de ce que vous avez qualifié d'« angélisme » français sur les tests, je vous objecterai que la France est le pays qui réalise le plus de tests par semaine à l'échelle de l'Union européenne. Les comparaisons doivent porter sur des appréciations globales. Il existe, c'est vrai, des pays qui réalisent plus d'autotests que la France mais notre pays a déployé plus largement que d'autres les tests antigéniques et les tests PCR, dont je rappelle que nous sommes les seuls à assurer la gratuité depuis le premier jour, avec le Danemark. Á la veille de la saison touristique, cette politique s'avérera d'ailleurs essentielle. En tout état de cause, il n'y a ni angélisme, ni malthusianisme sur les tests mais, au contraire, un dispositif gratuit, ouvert à tous et massif aujourd'hui.