Je dresserai le bilan de l'exécution 2020 du budget des forces de sécurité intérieure, avant de vous présenter les conclusions du travail d'évaluation que j'ai mené ce semestre, portant sur la politique de mutualisation des achats du ministère de l'intérieur.
Les crédits exécutés en 2020 pour la police et la gendarmerie nationales atteignent 20,02 milliards d'euros, ce qui représente une hausse de 0,7 % par rapport à 2019. Cette augmentation est principalement due à des dépenses de personnel qui restent dynamiques, pour deux raisons.
Tout d'abord, le plan de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes sur la durée du quinquennat poursuit sa montée en charge. En 2020, 1 398 emplois ont été créés dans la police nationale, à périmètre constant, permettant le respect du schéma d'emploi voté en loi de finances initiale. De même, 516 emplois ont été créés dans la gendarmerie nationale.
En outre, des mesures catégorielles aux effets budgétaires massifs sont financées par les programmes 176 et 152. Elles contribuent à hauteur de 92,74 millions d'euros à la croissance de la masse salariale de la gendarmerie nationale et à hauteur de 170,90 millions d'euros à la croissance de la masse salariale de la police nationale.
Si les crédits des programmes 176 et 152 voient leur augmentation confirmée, ils ont fait l'objet d'une légère sous-exécution par rapport à la programmation. En crédits de paiement, cette sous-exécution représente 0,68 % des crédits votés pour la police nationale et 0,03 % des crédits votés pour la gendarmerie nationale. Elle concerne notamment les dépenses de personnel, sous-exécutées à hauteur de 165 millions d'euros dans la police et de 76,5 millions d'euros dans la gendarmerie.
Deux phénomènes expliquent cette sous-exécution. D'une part, la crise sanitaire a provoqué des retards dans les incorporations, entraînant une sous-exécution des plafonds d'emplois de chacun des programmes et des économies directes et indirectes sur les dépenses de personnel. D'autre part, dans la police nationale, la mise en œuvre de certaines mesures catégorielles a été repoussée à l'exercice 2021 afin de finaliser et d'optimiser leur contenu, ce qui a conduit à une moindre dépense de 22,5 millions d'euros. Les économies ainsi dégagées ont notamment permis le financement de la prime dite covid, pour 14,1 millions d'euros dans la police et 10,7 millions d'euros dans la gendarmerie. Si je souscris évidemment à la philosophie de cette mesure, je me fais ici l'écho des policiers et gendarmes rencontrés, qui ont parfois regretté les modalités de sa mise en œuvre sur le terrain.
L'année 2020 est tout à fait spécifique : contrairement aux années précédentes, l'effet d'éviction des dépenses de personnel sur celles de fonctionnement et d'investissement ne s'est pas produit. En effet, la sous-exécution des dépenses de personnel, les possibilités ouvertes par la fongibilité asymétrique dans la police, le dégel de la réserve de précaution en crédits de paiement et l'ouverture de crédits en loi de finances rectificative pour les deux forces ont permis de réaliser des dépenses attendues et saluées par les forces de sécurité intérieure. Le plan « poignées de porte » a permis de financer plus de 5 000 opérations d'entretien et de petite maintenance dans les commissariats et les groupements de gendarmerie, améliorant ainsi grandement le quotidien des deux forces. Des équipements ont pu être acquis en grande quantité, notamment 3 000 pistolets à impulsion électrique, des systèmes radio, 627 Renault Zoe et 657 Peugeot 5008. Enfin, des dépenses d'investissement portant sur les hélicoptères de la gendarmerie et le parc roulant des deux forces ont permis de réaliser un effort de renouvellement majeur en 2020, ainsi que d'engager le verdissement du parc par l'acquisition de véhicules hybrides et électriques de marques françaises.
Je souhaite maintenant vous présenter les principales conclusions de mon travail d'évaluation portant sur la mutualisation de la fonction achat au ministère de l'intérieur, plus particulièrement sur son fonctionnement et ses conséquences pour les forces de sécurité intérieures.
Le service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur (SAILMI) a été créé il y a un peu plus d'un an, prenant la succession du service de l'achat, de l'équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI). Il s'agit d'abord d'une évolution de périmètre, puisque l'on passe d'une politique d'achat mutualisée entre la police et la gendarmerie à une politique d'achat mutualisée pour l'ensemble du ministère.
J'ai structuré mon analyse autour de quelques grands axes de réflexion.
D'un point de vue opérationnel, tout d'abord, le SAILMI semble satisfaire à un grand nombre de ses objectifs et apporter ainsi une réponse aux limites du SAELSI, relevées par la Cour des comptes en 2018. En effet, la chaîne logistique est désormais intégralement mutualisée et a gagné en efficacité. La logique de performance est pleinement intégrée et la fonction achat a fait l'objet d'une professionnalisation importante. Une stratégie structurée semble appliquée, ce qui contraste avec la logique de renouvellement strict appliquée autrefois par le SAELSI. L'innovation et la veille technologique sont désormais des aspects structurants de la politique d'achat. De manière générale, les personnels sont satisfaits : les délais de livraison s'améliorent et les équipements commandés correspondent très largement aux attentes. Ces bons résultats ont été permis par une association systématique des personnels au processus d'achat et par un dialogue de qualité entre le SAILMI et les directions métiers. Cet état de fait doit perdurer, et la définition du besoin doit rester la prérogative des directions métiers.
D'un point de vue budgétaire, les résultats sont un peu plus contrastés. Dans la lignée des recommandations du rapport « Action publique 2022 », la mutualisation des achats du ministère répondait, entre autres, à un objectif d'économies. Toutefois, en amont, les économies anticipées ne sont que très peu documentées au stade de l'autorisation budgétaire. Les programmes 176 et 152 ont été « désoclés » des économies anticipées. L'évaluation en aval des économies réalisées est également lacunaire : qu'il s'agisse des économies budgétaires ou des économies d'achats, il semblerait que la réalité des deniers publics économisés ne soit pas encore évaluée avec précision. Il est nécessaire de mener ces évaluations, ainsi que de créer un indicateur de performance retraçant les économies d'achats et les économies budgétaires permises par les mutualisations. L'amélioration qualitative résultant de la réforme doit également faire l'objet d'un suivi rigoureux dans les années à venir, afin de garantir la performance et la cohérence des achats des forces de sécurité intérieure avec les attentes du terrain.
Enfin, j'ai souhaité apprécier l'effet d'entraînement et de stimulation créé par le SAILMI sur le tissu industriel français de la sécurité intérieure. Si les fournisseurs du SAILMI reconnaissent et saluent son attention à l'innovation, cet aspect devra faire l'objet d'une approche stratégique dans les années à venir. En effet, 80 % des fournisseurs du SAILMI sont français, mais un grand nombre d'entre eux importent en réalité des équipements fabriqués à l'étranger. J'espère que les prochaines années nous donneront l'occasion de nous pencher avec attention sur la densité, l'autonomie et la performance du tissu industriel français de la sécurité intérieure. Alors que les crédits dédiés à l'équipement et à l'investissement en faveur des forces de sécurité intérieure augmentent, sous l'effet des choix politiques réalisés et du plan de relance, il serait souhaitable que cet argent public puisse profiter encore plus à l'industrie française, dans le respect, bien sûr, des principes de la libre concurrence.