Au-delà de la traditionnelle revue de l'exécution budgétaire 2020, notre commission a retenu le financement de la recherche dans le domaine de la lutte contre les crises sanitaires comme thématique d'évaluation. Je retiendrai un enseignement majeur de l'exécution du budget 2020 : la crise pandémique que nous traversons n'a pas affecté, au contraire, la bonne exécution de la mission Recherche. L'exercice 2020 a en effet permis de mobiliser des outils de financement exceptionnels tout en respectant les objectifs fixés par la loi de finances : 12,2 milliards d'euros ont été engagés en autorisations d'engagement, 12,07 milliards en crédits de paiement, soit une hausse de plus 5 % et plus 2,5 % respectivement par rapport à 2019, alors même que la trajectoire fixée par la loi de programmation de la recherche et le plan de relance ne commencent à produire leurs effets qu'à partir de 2021. Il faut cependant nuancer cette appréciation par le fait que les opérateurs qui dépendent de ressources propres ont été affectés par des désinvestissements dans plusieurs secteurs économiques. Il ne sera possible d'analyser les impacts indirects de cette crise qu'après la publication des comptes financiers.
Ainsi, s'agissant du programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, la hausse des crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR) a permis à celle-ci de poursuivre le financement des plans Intelligence artificielle et Antibiorésistance, tout en s'engageant activement dans la crise avec le lancement de trois appels à projets.
Je rappelle la réforme nécessaire du crédit d'impôt recherche pour assurer plus de transparence et d'efficacité. Des travaux spécifiques sont en cours d'élaboration sur ce sujet, dont l'un que nous conduisons, Laurent Saint-Martin, rapporteur général, Christine Pires Beaune et moi-même, dans le cadre du rapport d'application de la loi fiscale.
Pour le programme 193 Recherche spatiale, l'augmentation de près de 20 % des crédits par rapport à l'année 2019 a permis d'apurer la dette française à l'Agence spatiale européenne.
Je veux également saluer le déploiement de nombreux outils de financement exceptionnels, qui n'ont pas fait obstacle à la bonne exécution du budget 2020. Je pense à la création du fonds d'urgence dédié à la recherche contre la covid-19, doté de plus de 52 millions d'euros, qui a permis à l'ANR de faire progresser son taux de succès aux appels à projets de 0,7 point par rapport à 2019. Je pense aussi au plan de soutien au secteur aéronautique, qui prévoit de mobiliser 1,5 milliard d'euros sur trois ans, dont 300 millions d'euros ont déjà été engagés en 2020.
Enfin, je partage l'ambition de Mme la ministre de soutenir l'emploi des jeunes chercheurs pour amortir le choc de désinvestissement des entreprises. Je suggère néanmoins que le Parlement puisse bénéficier d'informations chiffrées et détaillées sur ce dispositif, qui pourrait, selon la Cour des comptes, générer un surcoût de 50 millions d'euros sur la période 2021-2023.
Je reviens un instant sur la situation de plusieurs opérateurs qui, du fait de budgets reposant sur des ressources propres, ont été particulièrement exposés à la crise, sans pour autant bénéficier des mêmes dispositifs de soutien. Certes si, dans le programme 172 par exemple, des organismes tels que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ont été dotés d'un soutien spécifique de 3 millions d'euros, en revanche, d'autres, comme l'Institut français du pétrole Énergies nouvelles (IFPEN), dont le compte de résultat fait apparaître un déficit de 70 millions d'euros, n'ont pas obtenu de soutien pour amortir les effets de la crise sur leurs ressources. Je formule donc deux remarques issues des auditions qui ont nourri cette évaluation : premièrement, la complexité de ces dispositifs soulève la question de leur lisibilité et, deuxièmement, elle souligne leur faible traçabilité financière, nombre de données étant encore inaccessibles à ce stade.
Concernant l'évaluation de la recherche contre les maladies infectieuses émergentes, la crise pandémique révèle d'abord le potentiel de puissance dont la France dispose dans ce domaine ; c'est évidemment très important. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) s'est fortement impliqué dans la coordination de la recherche nationale à travers le consortium REACTing et l'Agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS). Il a lancé plusieurs projets tels que SAPRIS – santé, pratiques, relations, inégalités sociales en population générale pendant la crise covid-19 – et EpiCoV, qui consistent en une cartographie globale du statut immunitaire de la population.
Par ailleurs, l'Institut Pasteur a conforté son rôle de premier plan dans les domaines de la virologie et de la vaccinologie : en plus d'avoir été le premier organisme à réaliser le séquençage intégral du génome du SARS-CoV-2 en Europe, il a développé les premiers tests PCR et sérologiques, tout en mettant au point plusieurs programmes de recherche pour des candidats vaccins. Les problèmes de choix stratégiques qui ont pu affecter son image dans la course mondiale au vaccin n'effacent pas son rôle prééminent.
Je souligne également l'engagement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui, à travers son Institut national des sciences biologiques (INSB), a mobilisé cinquante laboratoires, pour un total de 300 projets.
Enfin, le CIRAD, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD) ont mis en place l'initiative PREZODE, que vous avez officiellement lancée cet après-midi même, madame la ministre. Elle vise à prévenir les risques d'émergences zoonotiques et de pandémies, tout en promouvant une approche de coconstruction allant du local au global. Cette initiative traduit également l'ambition de renforcer le dialogue entre la science, la société et la politique.
Concernant la modélisation épidémiologique, outre l'application StopCovid, développée par l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) grâce au redéploiement de moyens en interne, je veux souligner la création du consortium MODCOV19, qui vise à mutualiser les compétences de l'INRIA, de l'INSERM, du CNRS, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de l'Institut Pasteur. Je rappelle par ailleurs que le CIRAD coordonne le projet MOOD sur le suivi des épidémies aux fins de surveillance des maladies dans le cadre de la science des données. Dans le domaine de la recherche contre les maladies infectieuses émergentes comme dans celui de la recherche numérique, ces opérateurs doivent donc être accompagnés dans la mise en œuvre d'une stratégie de long terme.
Plusieurs initiatives vont dans ce sens : le contrat d'objectifs et de performance conclus entre l'État et l'ANR pour la période 2021-2025 prévoit un axe dédié aux maladies infectieuses émergentes au sein de l'appel à projets générique de l'ANR. De plus, la création de la nouvelle agence ANRS Maladies infectieuses émergentes, née de la fusion entre le consortium REACTing et l'ANRS, permettra de définir une stratégie d'accélération pour les maladies infectieuses émergentes, dotée de 50 à 100 millions d'euros. En l'absence d'un chiffrage plus précis, pouvez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur le montant des financements qui seront effectivement alloués à cette stratégie en 2021 ?
Je conclurai par deux considérations politiques. Premièrement, face aux défis sanitaires, la France, qui a conservé de fortes traditions dans la recherche et qui dispose de nombreux atouts pour rayonner à l'échelle internationale, paie un lourd tribut en raison du sous-financement structurel de la recherche ces vingt dernières années, comme l'a révélé le travail de préparation de la loi de programmation de la recherche. Mais une dynamique est enclenchée et cela se voit dans la crise que nous traversons : le ministère de la recherche et le ministère de la santé ont consacré un total de 81 millions d'euros au financement de la recherche contre la covid-19, soit près de sept fois plus que pour le virus Ebola. La France a été la première bénéficiaire des aides européennes en santé et recherche, avec près de 16 millions d'euros obtenus pour le seul essai clinique Discovery réalisé par l'INSERM. Le quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4) a été le premier contributeur aux dépenses de l'État durant la crise sanitaire, à hauteur de 83,7 millions d'euros.
Deuxièmement, nous devons plus que jamais jouer un rôle conséquent en Europe et dans le monde pour retrouver notre leadership. La France doit s'approprier les nouveaux outils de financement européens tels que le budget spécifique, qui sera ouvert par le programme Horizon Europe pour la recherche sur les maladies infectieuses émergentes, ou encore l'incubateur HERA, nouveau plan européen de préparation en matière de bio-défense contre les variants du coronavirus, doté de 150 millions d'euros. Dans le même temps, nous devons aussi retrouver notre place sur la scène internationale, en renforçant la présence française dans les coalitions internationales mises en place pour faire face au défi des maladies infectieuses. Il est également nécessaire de consacrer davantage de financements à la prévention des crises et de trouver un meilleur équilibre entre toutes les phases de la recherche et de l'innovation. Cet effort devrait être accompagné par un renforcement du pilotage, du rôle et des missions de chaque opérateur, en amont comme en aval, en particulier dans la recherche numérique.
Plus généralement, je soutiens le renforcement d'une approche intégrée de la recherche en santé animale, humaine et environnementale, qui est promue par le CIRAD, l'INRAE et l'IRD.