Intervention de Hubert Wulfranc

Réunion du mardi 30 novembre 2021 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Wulfranc, rapporteur :

Ainsi, j'ai le plaisir de présenter aux membres de la commission des finances la proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique que le groupe GDR a souhaité inscrire à l'ordre du jour de sa niche parlementaire. Cette question nous semble en effet devoir être discutée dans le cadre du débat public européen, au moment où s'ouvre une fenêtre d'opportunité, notamment avec la présidence française de l'Union européenne.

Au cours des auditions que nous avons menées avec mon collègue André Chassaigne, nous sommes parvenus à un certain nombre de constats.

D'abord, le contexte. La crise sanitaire a rebattu les cartes du débat européen, et l'Union européenne se trouve à un moment charnière de son histoire. En effet, en mars 2020, pour permettre aux États de faire face à la crise, la Commission européenne a suspendu l'application des règles du pacte de stabilité et de croissance. Aujourd'hui, le constat est simple : dépassées depuis la crise économique et financière, ces règles sont devenues obsolètes, en raison non seulement de la crise sanitaire mais aussi du défi écologique. De fait, comment peut-on ne serait-ce qu'envisager de rétablir les critères de Maastricht, à savoir un déficit public annuel inférieur à 3 % du PIB et une dette publique limitée à 60 % du PIB ? Un tel objectif nous paraît irréaliste, et son coût économique et social serait terrible.

Je veux insister sur les défis qui nous attendent. La crise sanitaire et ses conséquences sont loin d'être derrière nous ; or l'action de l'État reste centrale en la matière. Surtout, la menace que représente le réchauffement climatique se fait de plus en plus pressante. J'ai relevé que, lors des débats en commission des affaires européennes, la légitimité de la proposition de résolution avait été discutée, au motif que les actions engagées tant au niveau national qu'au niveau européen étaient susceptibles de contenir la trajectoire du réchauffement climatique. Tout en reconnaissant les efforts consentis, nous nous en tenons, quant à nous, aux évaluations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) : la trajectoire actuellement suivie en Europe ne permettra pas d'atteindre les objectifs fixés en matière de neutralité carbone.

D'ailleurs, la COP26 n'a pu que constater l'ambition plus que limitée de la communauté internationale en la matière. Elle a également renvoyé les pays développés à leurs responsabilités : non seulement ils ne respectent pas leurs engagements vis-à-vis des pays les moins développés, mais ils ne jouent pas suffisamment un rôle moteur pour entraîner, à l'échelle internationale, l'ensemble des acteurs sur la voie de la transition écologique.

La question du changement climatique est donc toujours aussi prégnante, et les réponses ne sont pas à la hauteur, notamment en matière de financement.

De fait, la transition écologique exige des investissements massifs, privés et publics. S'il est encore difficile d'en évaluer précisément l'ampleur, la Cour des comptes européenne estime que, pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050, leur montant devrait être, à l'échelle de l'Union européenne, de l'ordre de 1 000 milliards d'euros supplémentaires par an au cours de la période 2021-2050, soit, pour ce qui concerne la France, un montant d'investissements d'au moins 100 milliards supplémentaires chaque année. Les quelques 30 milliards du plan de relance français et les 625 milliards du volet écologique du plan européen pour la période 2021-2027 sont donc largement insuffisants.

Vous me répondrez que le secteur privé investit également dans la lutte contre le changement climatique et qu'il peut même jouer un rôle moteur en la matière. Certes, et c'est heureux, mais l'investissement public n'en demeure pas moins absolument crucial et urgent. D'abord, parce que les investissements publics produisent un effet levier sur les investissements privés, de l'ordre de un pour quatre, voire un pour cinq – sans être un expert, il me reste, c'est ma tendance sociale-démocrate, quelques références keynésiennes, notamment l'effet multiplicateur de la dépense publique… Ensuite, parce que, selon la Cour des comptes européenne, le marché ne peut pas assumer les risques et les coûts élevés liés à certains investissements, d'autant que le secteur privé ne tient pas compte de l'intégralité des coûts sociaux et environnementaux induits par la mutation des activités économiques, coûts qui devront être pris en considération par le secteur public – je pense, par exemple, à la filière automobile. Au demeurant, le privé ne se risque pas toujours à investir dans la recherche et le développement lorsque le secteur considéré ne lui garantit pas une rentabilité immédiate des capitaux investis.

La conclusion de nos travaux est donc évidente, et elle semble de plus en plus partagée : il existe une incompatibilité fondamentale entre les besoins en investissements publics immédiats et de grande ampleur que nous impose la transition écologique et les règles budgétaires européennes, qui apparaissent dépassées. Selon certains, les deux objectifs, c'est-à-dire la réduction de la dette et les investissements nécessaires à la transition écologique, pourraient être visés conjointement, mais il faudrait pour cela recourir à l'impôt, ce qui présente certains aléas.

Notre groupe propose donc d'instaurer une règle d'or concernant les investissements verts. Il s'agirait d'exclure du calcul du déficit public tous les investissements réalisés en faveur de la transition écologique, notamment – la liste n'est pas exhaustive – dans les infrastructures de transport, la rénovation énergétique du parc immobilier, l'accompagnement de la transition agro-écologique, la formation et la recherche dans les métiers et technologies d'avenir, et la protection de la biodiversité.

D'aucuns pourraient nous dire que cette proposition – que j'ai qualifiée tout à l'heure de sociale-démocrate – manque d'ambition. Nous en sommes conscients. Mais elle est pragmatique, car ce que nous proposons est réalisable rapidement. En effet, l'instauration d'une telle règle d'or est dans l'air du temps. Une réflexion, d'ailleurs impulsée par la France, est en cours au niveau européen. Beaucoup d'économistes s'y sont déclarés favorables et, au niveau des différents exécutifs nationaux, que ce soit en Allemagne ou en Finlande, les choses bougent également. Surtout, cette proposition n'implique pas la révision des traités européens : une modification de la législation secondaire de l'Union européenne, voire une simple communication interprétative de la Commission européenne, pourraient suffire.

Bref : les critères de Maastricht sont remis en question. L'adoption de cette proposition de résolution européenne permettrait, au moment où la Commission elle-même a lancé une consultation publique sur la réforme du pacte de stabilité et de croissance, d'affirmer une position française et de provoquer un débat sain en vue de lutter contre un immobilisme regrettable, compte tenu des défis que nous devons relever.

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