Intervention de Patrick Mignola

Réunion du mardi 25 janvier 2022 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mignola, rapporteur :

Madame Louwagie, si effectivement notre pays se classe plutôt bien au sein de l'OCDE en matière de développement de l'actionnariat salarié, cela concerne malheureusement très peu de PME. Cela s'explique par le fait que le dispositif est extrêmement lourd à mettre en œuvre et qu'il existe un risque de dilution, de déséquilibre ou de dénaturation du capital ou de la prise de décision dans les conseils d'administration en cas de revente par un salarié de parts à des personnes extérieures.

La seule solution, dans ce cas, consiste à nicher les actionnaires salariés, non pas dans le capital initial, mais dans une holding, société indépendante de détention, et éventuellement de rémunération, au sein de laquelle le détenteur principal du capital possède au moins une minorité de blocage. Son principal objet sera de veiller aux échanges d'action et donc au maintien de l'intégrité du capital.

Ce dispositif, souvent suggéré par des conseillers juridiques et fiscaux aux chefs d'entreprise, est assez peu développé alors qu'il est beaucoup moins lourd que l'émission d'actions gratuites ou que la création d'actions au sein des capitaux initiaux. Il serait facile à mettre en œuvre pour les chefs de PME qui souhaitent faire entrer leurs salariés au capital. Mais il ne faut pas qu'ils soient mis en difficulté pour leur propre transmission, ou en cas de revente.

Présente-t-il un risque de complexité ? Non. Au contraire, cela simplifierait la vie s'agissant notamment du cadre juridique et des délais de l'actionnariat salarié, qui sont extrêmement longs. Quatre ans s'écoulent parfois entre la décision et l'instauration, ce qui va à l'encontre de l'objectif, de court terme, de fidélisation et d'amélioration de la rémunération des salariés. Dans les grands groupes, au contraire, il suffit d'ouvrir à tout nouvel arrivant les dispositifs existants d'actionnariat salarié. La complexité vient donc d'autres dispositifs législatifs.

J'en viens aux effets de bord.

Pourquoi le pacte Dutreil limite-t-il le nombre d'interpositions ? Il s'agit d'éviter qu'à force d'interposer des sociétés, on se retrouve avec une entreprise composée d'actifs non professionnels ou dont les dirigeants sont démesurément éloignés de l'opérationnel, sur le modèle de sociétés en commandite.

Ma proposition de loi vise quant à elle à neutraliser l'interposition composée par l'actionnariat salarié. Il ne s'agit, en aucun cas, d'accepter la triple interposition. C'est précisément pourquoi les propositions des sénateurs Les Républicains et des députés UDI et Indépendants ont été refusées par le Gouvernement et par le groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés : elles rendaient possible cette troisième interposition. Cela répond à l'interpellation ironique de M. de Courson.

En tout état de cause, le sujet n'est pas illégitime. Par comparaison avec l'Allemagne, les PME françaises sont sous-capitalisées. Pourquoi ? En Allemagne, on trouve beaucoup plus de PME et d'ETI de troisième ou de quatrième génération. Si la première transmission est facile à faire, la deuxième l'est beaucoup moins. Quand les capitaux sont familiaux, le nombre de personnes concernées est, au fur et à mesure des transmissions, beaucoup plus important. En outre, on ajoute une interposition, même si l'entreprise est vendue en interne. À la troisième génération, il faut ainsi la vendre une quatrième fois.

Entre le risque d'empêcher une quatrième transmission intrafamiliale et celui de provoquer un risque fiscal d'impossibilité de surveillance par l'administration fiscale d'une interposition supplémentaire, la majorité et le Gouvernement ont fait le choix de maintenir la double interposition.

Je suis favorable à une troisième interposition si, et seulement si, une holding est détenue à plus de 50 % par les salariés, mais en aucun cas à une troisième interposition dans l'absolu, qui dénaturerait totalement l'esprit du pacte Dutreil – une conservation de deux plus quatre ans, soit six ans et un actionnaire principal dirigeant opérationnel de l'entreprise. Cela permet d'éviter les effets de bord.

Valérie Rabault m'a interpellé sur le manque d'évaluation. C'est très juste. Nous y avons tous été confrontés avec des entreprises des territoires dont nous sommes élus. On nous dit que certaines dispositions du pacte Dutreil devraient être évaluées pour être modernisées. C'est le cas pour l'actionnariat salarié : lorsque vous demandez un rescrit, soit vous ne l'obtenez pas, soit vous obtenez des réponses contradictoires.

Vous avez raison, si on considère qu'un meilleur partage de la valeur est nécessaire dans l'économie française, qu'il faut mieux impliquer les salariés et mieux les rémunérer, éventuellement en utilisant le levier de rémunération que constitue l'actionnariat salarié, il est absolument nécessaire d'évaluer en profondeur le fonctionnement du pacte Dutreil.

Il faut en particulier évaluer les quelques sources de contentieux, qui sont aussi source de grande déception et conduisent, parfois, les délégations territoriales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) à désinciter les entreprises à s'engager dans le pacte Dutreil pour leur transmission. Je pense notamment à ces gens qui ont bénéficié des dispositions fiscales favorables du pacte Dutreil, ont conservé une ou deux parts dans le capital de l'entreprise vendue – ne serait-ce que pour venir au conseil d'administration une fois par an – et ont fait l'objet de redressements fiscaux.

Des difficultés se posent également lors de la transmission d'entreprise quand la détention familiale est simultanée de la détention par des actionnaires cadres, internes à l'entreprise, ou entre les détenteurs dirigeants de l'entreprise et ceux qui ne le sont pas.

Ma proposition de loi ne vise pas à effectuer une évaluation exhaustive du pacte Dutreil mais, lors de la prochaine législature, le législateur serait bien inspiré d'aller au bout de l'évaluation.

Vous m'interrogez sur le nombre et le type de sociétés concernées. J'ai posé la question aux fédérations professionnelles, au MEDEF, à la CPME, à l'Union des entreprises de proximité (U2P). À ce jour, il s'agit seulement de quelques dizaines d'entreprises – exclusivement des PME. Dans les grands groupes, les dispositifs d'actionnariat salarié sont clairement identifiés et gérés. En outre, les transmissions des sociétés cotées font très peu appel au dispositif Dutreil.

L'objectif est bien de faciliter les choses pour les PME. Si l'on parvient à multiplier par deux le nombre de PME françaises disposant d'un actionnariat salarié – elles ne sont que 4 % actuellement –, au regard du nombre de PME qui doivent se transmettre, le dispositif pourrait concerner 10 000 à 12 000 entreprises.

Mme Rabault et Mme Louwagie s'inquiètent des effets de trusting, pouvant aboutir à la création d'une holding passive. Nous ne sommes absolument pas concernés car la proposition de loi prévoit que la holding d'interposition portant l'actionnariat salarié est composée à plus de 50 % d'actionnaires salariés. Il ne s'agit pas d'autoriser une troisième interposition, mais de neutraliser celle portant l'actionnariat salarié.

Mme Rabault et M. de Courson m'interrogent sur les risques de séparation de la société portant l'actionnariat salarié ainsi créé – par revente de ses parts à l'extérieur –, du fait de la neutralisation de son interposition. Si la proposition de loi dispose que la troisième interposition n'entre pas dans le calcul des interpositions du pacte Dutreil, elle précise également que cela n'exonère en rien la société de l'application des règles du pacte Dutreil, et notamment de celles de conservation des parts – de deux plus quatre ans. En outre, si la société est vendue, elle redevient automatiquement une troisième interposition au sens du pacte Dutreil. Le dirigeant de l'entreprise ne peut donc plus bénéficier du dispositif Dutreil et fera probablement l'objet d'un redressement fiscal. Enfin, il faut que les trois quarts des actions de la holding principale soient détenues par des cosignataires du pacte, afin qu'elle puisse assurer la direction de l'entreprise.

Mme Rubin évoque les normes sociales et environnementales. Ce n'est pas l'objet de la proposition de loi. Si vous en déposez une qui va dans ce sens, je la soutiendrai volontiers.

Enfin, certains m'interpellent sur la baisse de la fiscalité. J'y suis favorable par principe mais, objectivement, le dispositif Dutreil est déjà suffisamment généreux. Je ne voudrais pas qu'on facilite l'optimisation fiscale indue.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.