Intervention de Pascal Brindeau

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Brindeau, rapporteur :

Dans le cadre de la niche parlementaire du groupe UDI et Indépendants, mes collègues et moi-même avons choisi de vous soumettre cette proposition de loi visant à lutter contre les individus violents lors des manifestations, en instaurant une interdiction administrative de manifester. Personne, ici, ne découvre cette disposition : elle formait l'article 3 de la proposition de loi défendue par le sénateur Bruno Retailleau – devenue la loi no 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer le maintien de l'ordre public lors des manifestations, dite loi anticasseurs. Cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel, celui-ci considérant que les modalités de cette interdiction administrative portaient au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n'était ni adaptée ni nécessaire ni proportionnée. Tirant la leçon de l'ensemble des griefs ainsi exprimés, le texte qui est soumis répond point par point aux préconisations du Conseil Constitutionnel, et assure un meilleur équilibre entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la protection des libertés constitutionnellement garanties.

En l'état actuel, notre droit comporte seulement deux types d'interdiction de manifester. La première est une interdiction judiciaire, prévue par l'article 131- 32-1 du code pénal. Le juge peut la prononcer comme peine complémentaire à l'encontre d'une personne qui s'est rendue coupable, lors de manifestations sur la voie publique, de violences sur des personnes, de détérioration de biens ou de diffusion de procédés visant à élaborer des engins de destruction. La seconde est l'interdiction de séjour prévue dans le cadre de l'état d'urgence issu de la loi no 55-385 du 5 avril 1955.

Dans ses attendus censurant l'article 3 de la proposition de loi Retailleau, le Conseil constitutionnel reconnaît que le législateur entendait prévenir la survenue de troubles lors de manifestations sur la voie publique et poursuivait l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Il ne remet donc pas en cause le principe de l'établissement d'une interdiction administrative de manifester, mais les modalités de la mise en œuvre de celui-ci.

Il relève que le législateur n'a pas établi de lien entre le comportement de l'individu et les atteintes aux personnes et dégâts matériels ayant eu lieu pendant la manifestation ainsi qu'entre le prononcé de l'interdiction et le fait que la manifestation soit susceptible de donner lieu à des atteintes à l'intégrité physique des personnes ou à des dommages aux biens. Il pointe également que tous les agissements, y compris non violents, peuvent entraîner le prononcé d'une interdiction administrative et qu'aucune limite d'ancienneté des faits reprochés n'est posée pour prononcer l'interdiction. Il a considéré que l'interdiction prononcée à l'encontre d'un individu pouvant aller jusqu'à un mois était disproportionnée. Enfin, la notification de l'interdiction par l'autorité administrative pouvait être prononcée à tout moment, y compris lors du déroulement de la manifestation non déclarée.

La proposition de loi remédie à l'ensemble de ces griefs.

Je proposerai notamment un amendement tendant à fixer une limite de quarante-huit heures avant le début d'une manifestation pour les notifications d'interdiction de participer aux manifestations déclarées, afin de respecter strictement le droit de recours des individus.

Je vous proposerai également un amendement pour porter à quinze jours l'interdiction de participer à des manifestations – après avoir auditionné des représentants des syndicats de police et des représentants de la gendarmerie nationale, nous pensons que ce délai rendrait la disposition opérante en cas de manifestations à répétition, même déclarées ou connues.

La proposition de loi est constituée d'un article unique.

L'alinéa 2 permet au préfet de prononcer une interdiction à l'encontre de toute personne constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Cette menace doit être caractérisée par des agissements ou par la commission d'un acte violent ayant entraîné des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ou des dommages importants aux biens, à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique organisée il y a moins d'un an. Nous proposerons un amendement tendant à étendre ce délai à un an, notamment pour pouvoir prendre en compte des comportements violents dans des manifestations récurrentes. Je pense aux manifestations du 1er mai, dont les centrales syndicales craignent désormais qu'elles ne soient émaillées d'actes de casseurs, en particulier de la part de black blocs, que les forces de l'ordre ont beaucoup de difficultés à appréhender. La rédaction de l'alinéa 2 établit un lien très clair entre le comportement de l'individu et les atteintes, répondant ainsi à l'objection soulevée par le Conseil constitutionnel vis-à-vis de la rédaction de la proposition de loi Retailleau.

À l'alinéa 3, l'arrêté précise la manifestation concernée ainsi que l'étendue géographique de l'interdiction, qui doit être proportionnée aux circonstances et qui ne peut excéder les lieux et abords de la manifestation.

L'alinéa 4 prévoit que, sous certaines conditions, l'interdiction administrative de manifester peut concerner l'ensemble des manifestations se déroulant en France pendant une période déterminée. Nous visons les manifestations telles que celles qui ont eu lieu pendant la crise des gilets jaunes. Dans ce cas, l'interdiction ne peut être prononcée pour une durée supérieure à dix jours – que nous proposons donc de porter à quinze jours.

L'alinéa 5 instaure, pour la personne visée par une interdiction de manifester, une obligation de pointage auprès de l'autorité désignée par le préfet, à savoir les services de police ou de gendarmerie.

L'alinéa 6 organise les modalités de notification de l'arrêté à la personne concernée. Dans le cadre des manifestations déclarées, l'autorité administrative notifie au moins quarante-huit heures à l'avance à l'individu son interdiction administrative de manifester, ce qui permet à celui-ci d'emprunter les voies de recours habituelles. Dans le cadre des manifestations non déclarées, nous avons tenté de trouver une solution opérante pour l'autorité administrative tout en essayant de préserver la possibilité de recours. Après les auditions que nous avons menées, nous souhaitons renoncer à cette deuxième disposition, pour préserver les voies de recours.

L'alinéa 7 prévoit que les arrêtés puissent faire l'objet d'une procédure de référé-liberté, sans que la condition d'urgence soit requise.

Les alinéas 8 et 9 déterminent les quantums de peine applicables en cas de violation de la mesure d'interdiction. Je vous proposerai un amendement pour revenir au quantum de peine voté en 2019. Nous avions initialement imaginé un quantum de peine supérieur mais, comme nous souhaitons parfaitement garantir la constitutionnalité de la proposition, nous revenons à la disposition de la proposition de loi votée il y a deux ans par notre assemblée.

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