Notre groupe avait voté contre la loi anticasseurs de 2019 et avait saisi le Conseil constitutionnel. Celui-ci avait été particulièrement implacable, puisqu'il avait souligné que le législateur avait porté au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n'était ni adaptée ni nécessaire ni proportionnée.
La nouvelle rédaction de l'article 3 ne lève pas un certain nombre d'inquiétudes. D'une part, le préfet peut prononcer une interdiction de manifester sur l'ensemble du territoire et, d'autre part, bien que cette interdiction soit limitée à dix jours, il n'y a pas de limite dans les reconductions. Nous savons très bien, s'agissant, par exemple, des interdictions de stade, que les préfets peuvent prendre des interdictions les unes à la suite des autres, sans limite. Ces mesures issues de l'ancien article 3 sont disproportionnés et elles constituent une restriction de liberté trop importante.
La rédaction de l'alinéa 4 pose aussi problème. Sont évoquées des « raisons sérieuses de penser que la personne […] est susceptible de participer à toute autre manifestation. » Quelles sont ces raisons sérieuses ? Quels sont les faits avérés, probables ou prétendus ? Autant de questions qui ne nous permettent pas d'y voir clair. Ces dispositions donneraient beaucoup trop de pouvoir aux préfets.
Le problème est aussi là : on décharge le juge judiciaire de ses prérogatives pour donner aux préfets et à l'administration un rôle judiciaire. Nous craignons que cette disposition ne porte une atteinte manifeste au respect des droits de la défense, voire au principe de la présomption d'innocence. Les interdictions seraient prononcées au cas où des personnes pourraient être violentes. Mais, dans notre droit, on ne condamne les gens que s'ils ont commis un délit ou un crime, et non sur une simple intention ! Par ailleurs, le code pénal permet de prononcer des peines complémentaires et ainsi de réprimer de tels actes.
Je crains, d'ailleurs, que nous ne fassions une erreur. La difficulté, avec les black blocs, ce n'est pas de les empêcher de manifester, c'est tout simplement de savoir qui ils sont et de les repérer ! Cette loi ne peut s'appliquer que s'ils sont identifiés, et c'est bien là le problème !
Nous ne pouvons pas, évidemment, soutenir cette proposition de loi, qui nous paraît aller beaucoup trop loin dans la restriction des libertés. Cette mesure, ne l'oublions pas, vient de l'état d'urgence sécuritaire. Subrepticement, on est en train de transférer des mesures de nature sécuritaire dans le droit commun. Or je ne pense pas qu'une société de type sécuritaire soit souhaitable. Il faut chercher à lutter contre les violences dans les manifestations, mais par d'autres moyens que cette proposition de loi. Nous ne la soutiendrons pas.