Intervention de Jean-François Eliaou

Réunion du mercredi 17 mars 2021 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-François Eliaou :

La semaine dernière, j'ai eu l'honneur de vous présenter le rapport relatif à la délinquance de certains mineurs non accompagnés, rédigé avec mon collègue Antoine Savignat. Au cours de cette réunion, nous avons évoqué la difficulté rencontrée par les professionnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE), comme par les services de police et de justice, pour identifier ces jeunes de manière certaine. Les vrais mineurs doivent être protégés au titre de l'aide sociale à l'enfance et pris en charge par des juridictions spécialisées, mais il arrive que des jeunes majeurs se fassent passer pour des mineurs afin de profiter de ses dispositifs avantageux.

Je me concentrerai sur le texte de la proposition de loi de notre collègue Agnès Thill. La procédure d'évaluation de la minorité et de l'isolement a fait l'objet de nombreuses discussions tout au long de nos travaux. Ses modalités, précisées par décret, reposent sur un faisceau d'indices pouvant inclure une évaluation sociale ainsi que les informations que le président du conseil départemental peut demander au préfet. C'est dans ce cadre qu'il peut, depuis 2019, consulter le fichier d'appui à l'évaluation de la minorité, mis en place par la loi « Asile et immigration » du 10 septembre 2018. Cette évaluation repose aussi, en dernier recours, sur la réalisation d'examens complémentaires prévus à l'article 388 du code civil, au nombre desquels un examen radiologique osseux, dont la fiabilité est régulièrement remise en cause en raison d'une marge d'erreur de plus ou moins dix-huit mois, ce qui est considérable pour un test diagnostic qui, j'y insiste, n'a pas été conçu pour cela.

Nous nous sommes finalement refusés, avec mon collègue Antoine Savignat, à recommander la généralisation des tests osseux. La piste de l'inversion de la présomption de minorité, qui fait l'objet de la proposition de loi, n'a pas été davantage retenue. Cette présomption bénéficie à chaque individu se revendiquant mineur. Son renversement consisterait à exiger la production de documents d'identité afin de justifier de la minorité de l'individu, faute de quoi il serait considéré et traité comme majeur, c'est-à-dire susceptible d'être envoyé en centre de rétention et éventuellement jugé comme un majeur. Une telle disposition, qui a profondément divisé les personnes que nous avons auditionnées, pourrait encourir la sanction du Conseil constitutionnel. Nous n'avons donc pas souhaité en faire une recommandation dans le rapport de notre mission d'information.

Plusieurs pistes me semblent plus efficaces et réalisables afin d'améliorer concrètement l'évaluation de la minorité. Le fichier AEM gagnerait à être généralisé à l'ensemble des départements. Une marge d'amélioration pourrait être trouvée en favorisant le relevé d'empreintes digitales, soit en les rendant obligatoires, soit en renforçant les sanctions prononcées en cas de refus de s'y soumettre. Enfin, le renforcement de la coopération internationale favoriserait l'établissement de l'état civil de ces mineurs.

Le texte présenté par madame la rapporteure s'inscrit exclusivement dans une logique d'inversion de la présomption de minorité, alors qu'il existe d'autres pistes ne remettant pas en cause les grands principes de protection des mineurs auxquels notre groupe demeure attaché.

La proposition de loi indique, à plusieurs reprises, les conditions dans lesquelles l'individu est présumé majeur, mais elle semble également se contredire. L'alinéa 2 affirme que le refus de l'examen entraîne une présomption de majorité, ce qui me paraît inacceptable. L'alinéa 5 insiste de nouveau sur l'information à donner à l'intéressé concernant la présomption de majorité, mais à l'alinéa 4, il est tout de même fait mention du consentement, bien que celui-ci soit contraint par l'ensemble du texte proposé. Ces dispositifs, que l'on peut juger coercitifs, me semblent contraires à la fois à notre philosophie de protection de l'enfance et au minimum de respect de la vie privée accordé à tout individu, surtout s'il est possiblement mineur.

La proposition de suppression de l'alinéa 3 de l'article 388 du code civil pose également ce problème de changement de philosophie sur le fond, ainsi que celui de la fiabilité des tests. Cet alinéa doit être préservé, car il mentionne la marge d'erreur des examens osseux, important pour les individus d'un âge proche de 18 ans, d'autant que les résultats de ces examens ne peuvent à eux seuls déterminer si l'intéressé est mineur. Je tiens à rappeler qu'en amont du test osseux, il existe des enquêtes sociales sur lesquelles je ne reviendrai pas.

De plus, en termes d'effectivité, la proposition de loi est silencieuse quant à la prise en charge des individus en amont de la réalisation d'un diagnostic et pendant la durée de l'évaluation de la minorité ou de la majorité, qui peut prendre plusieurs semaines.

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