Encore méconnue, la contrefaçon est un phénomène qui croît pourtant de manière exponentielle, ainsi que le démontrent les nombreux travaux publiés sur le sujet par des instances telles que l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) ou l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Tous convergent vers un même constat, que j'ai également dressé l'an dernier avec mon collègue et co-rapporteur Christophe Blanchet dans le cadre de notre mission d'évaluation de la lutte contre la contrefaçon : l'action des contrefacteurs n'est pas anodine ; au contraire, elle est dangereuse à de nombreux égards et nécessite une réaction forte des pouvoirs publics.
Si, aux yeux du plus grand nombre, la contrefaçon concerne singulièrement l'industrie du luxe, la dislocation des chaînes de production en a changé le visage : désormais, ce phénomène touche tous les types d'entreprises et tous les secteurs d'activité.
Ce « crime du XXIe siècle », comme l'a qualifié l'Organisation mondiale des douanes (OMD), pose de graves problèmes de sécurité et de santé publique, notamment quand il concerne des médicaments falsifiés, des cigarettes ou des pièces automobiles contrefaites, pour ne citer que ces exemples.
Qu'il s'agisse de l'industrie du luxe, du jeu, des jouets, des articles de beauté, des articles vestimentaires ou des articles de sport, la contrefaçon est responsable de la destruction de milliers d'emplois et de pertes élevées de recettes fiscales pour l'État. Le manque à gagner dû à l'activité des contrefacteurs, estimé à 7,5 à 8 milliards d'euros par an pour nos entreprises, freine l'innovation et la compétitivité, tout en mettant à mal les savoir-faire français et européens, volés par des entreprises qui produisent sans normes et sans scrupule, au mépris des lois et de la santé du consommateur. La contrefaçon a des conséquences sur les manières de produire, donc sur la planète. Elle est, encore aujourd'hui, un moteur du travail des enfants dans les pays où, hélas, il existe toujours.
Elle est, enfin, un puissant catalyseur de la délinquance, car elle représente une activité très lucrative et moins risquée que le trafic de stupéfiants. Je le constate moi-même dans le 18e arrondissement de Paris, à Château-Rouge, à la porte de Clignancourt ou à La Chapelle, où l'on vend tout et n'importe quoi à ciel ouvert. Comme Christophe Blanchet et moi-même l'avons montré dans nos travaux, la contrefaçon attire toutes sortes de délinquants : ceux qui recourent à une « contrefaçon de subsistance », aux volumes limités, et aux seules fins d'accroître modérément leurs revenus ; ceux qui la pratiquent à titre principal, sur les marchés physiques et en ligne ; enfin, les réseaux criminels qui contrôlent la contrefaçon tant pour réaliser d'importants profits que pour blanchir ceux engrangés grâce à d'autres activités.
La France est le deuxième pays victime des contrefacteurs, après les États-Unis. Les saisies douanières, qui représentaient environ 200 000 articles interceptés en 1994, ont été multipliées par près de trente, pour atteindre 5,6 millions d'articles l'an passé. Cette expansion s'explique notamment par le développement d'internet et du commerce en ligne, qui constituent une belle opportunité pour nos entreprises, mais charrient aussi leur lot de produits contrefaits.
En 2019, 39 millions de Français avaient utilisé internet pour y réaliser des achats – et c'était avant l'épidémie de covid-19, qui a bousculé nos modes de consommation. Cette activité commerciale s'est également étendue aux réseaux sociaux, devenus les relais des entreprises, mais aussi, par effet de miroir, des contrefacteurs.
Ce constat d'une progression fulgurante du phénomène nous a conduits à déposer en juin 2021 une première proposition de loi comptant vingt-trois articles et reprenant l'ensemble des recommandations du rapport d'information que nous avions rendu quelques mois plus tôt.
Ce premier projet a été retravaillé et négocié avec le Gouvernement et avec nos partenaires de la majorité pour aboutir à un second texte plus court, déposé le 12 octobre, dans un format plus adapté aux spécificités des journées réservées à des groupes politiques. Je tiens à remercier mon groupe, Agir ensemble, d'avoir inscrit ce texte à son ordre du jour réservé. Notre assemblée s'honore en reconnaissant les nombreuses difficultés que soulève la contrefaçon et je me réjouis qu'elle puisse débattre d'un sujet aussi important.
Je remercie Christophe Blanchet de son investissement depuis trois ans et demi, ainsi que l'ensemble des acteurs que nous avons auditionnés dans le cadre de la mission du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, puis de la préparation du débat qui nous réunit. Malgré des délais très courts, tous se sont rapidement mobilisés pour nous permettre d'examiner sereinement des dispositions très attendues par les entreprises, grandes comme petites et moyennes, et qui, plus largement, concernent chacune et chacun d'entre nous.