Cette proposition de loi vise à remettre en cause l'interdiction pour un parlementaire d'être maire en rendant possible cette situation dans les communes de moins de 10 000 habitants. Elle a aussi pour objectif de permettre à un parlementaire d'exercer la vice-présidence d'organes exécutifs des collectivités, des intercommunalités, ou encore d'être maire délégué, maire adjoint ou maire d'arrondissement, sans limite de seuil, tout en cumulant les indemnités. Il s'agit donc tout simplement de faire machine arrière en autorisant un retour au cumul des mandats.
Pourtant, le non-cumul est issu d'un long processus démocratique : la loi du 3 février 1992 a plafonné les indemnités en cas de cumul et celle du 5 avril 2000 a limité à deux le nombre de fonctions exécutives locales. Le comité présidé par Édouard Balladur, créé en 2007, a réfléchi à la question, de même que la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, en 2012. Enfin, la loi organique de février 2014 a mis fin au cumul de la fonction de maire avec un mandat de parlementaire.
Tout a été dit à propos du cumul des mandats, mais la question revient, comme par hasard, à quelques mois des élections. On n'a pas fini la première législature sans cumul, on n'en a pas tiré les leçons, que l'on veut déjà revenir sur cette interdiction.
Je voudrais vous indiquer les raisons principales pour lesquelles le groupe La République en marche est défavorable à ce texte.
Premièrement, la loi autorise déjà le cumul avec un mandat local non exécutif. Nombre d'entre nous sont conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Pour être précis, 56 % des députés ont un mandat local. Il est donc faux de dire que la loi empêche les parlementaires de s'impliquer dans la vie des collectivités territoriales. Nous pouvons prendre part aux discussions, délibérer et voter lors de ces assemblées. N'est-ce pas là une bonne manière d'agir au niveau local et de se connecter à la réalité des territoires ? Représenter les collectivités territoriales, ce n'est pas nécessairement en diriger une. Penser le contraire, comme le laisse entendre cette proposition de loi, c'est manquer un peu de respect envers le travail des 500 000 élus locaux.
Deuxièmement, le seuil de 10 000 habitants – même si j'ai pris note du fait que des amendements visent à faire évoluer le texte sur ce point – me paraît arbitraire, et présente un vrai risque d'inconstitutionnalité. Surtout, ce seuil est contre-intuitif et traduit une mauvaise connaissance du travail des maires de petites villes ou de villages. Ces derniers ont très peu d'agents, leur conseil municipal est réduit et, souvent, tout repose sur eux dans leur commune : leurs administrés les appellent en cas de problème, ce sont eux qui s'occupent des appels à projets ou de trouver des financements. Comment pourraient-ils exercer en plus un mandat de député ? A contrario, les maires de grandes collectivités ont des directeurs de cabinet, des services pléthoriques et de nombreux adjoints ; pour le coup, ils pourraient facilement passer deux ou trois jours à Paris.
Troisièmement, la charge de travail d'un maire est considérable. D'après le dernier baromètre AMF-CEVIPOF, les maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants consacrent 35 heures hebdomadaires à leur mandat. Cette charge de travail s'élève à 45 pour les communes de 3 500 à 10 000 habitants. Maire, c'est un engagement à temps plein. Et qui peut dire ici qu'il n'en va pas de même de celui de député, en particulier avec le développement de la fonction de contrôle ? Nous n'avons besoin ni de demi-députés ni de demi-maires.
Quatrièmement, certains voient dans le cumul des mandats le moyen de faire avancer les dossiers à Paris. Est-ce cela que nous voulons : un député qui pourrait privilégier telle ou telle commune de sa circonscription ? Faudrait-il donc donner un siège de député à tous les maires pour que les dossiers avancent ? Comme le disait Michel Debré en 1955, « le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française ».
Enfin, les députés, quand ils sont dans leur circonscription, sont sur le terrain : au marché, sur le bord d'un terrain de rugby ou dans leur permanence, ils sont en contact continu avec les Français.
S'il est encore trop tôt pour faire le bilan de cette législature, il est d'ores et déjà avéré que la loi limitant le cumul des mandats a entraîné un important renouvellement de la classe politique, son rajeunissement et sa féminisation. La venue massive de députés issus de la société civile a favorisé un travail législatif formidable dans de très nombreux domaines.
Il n'en demeure pas moins que la proposition de loi effleure de vraies questions. Comment réaffirmer le rôle du parlementaire, qui est encore méconnu de nos concitoyens ? Faut-il limiter le cumul horizontal des mandats locaux ? En effet, on peut être simultanément maire, président d'EPCI, conseiller régional, vice-président d'un pôle d'équilibre territorial et rural (PETR), etc. ? Comment améliorer l'information et le travail des parlementaires sur le terrain avec les services de l'État et avec certains élus ? Comment réduire le processus de technocratisation des charges des exécutifs locaux ? Comment limiter le cumul dans le temps – car c'est aussi un engagement que nous avons pris ? Comment organiser une démocratie plus directe entre le Parlement et les citoyens ? Enfin, quel doit être le statut de l'élu ? Toutes ces questions sont fondamentales. Il faut donc aborder le sujet globalement, de façon sereine, en concertation avec les élus locaux, mais pas simplement sous l'angle du non-cumul.