Merci, monsieur le rapporteur, de mettre sur la table ce sujet qui fait débat chez les parlementaires, chez les élus et assez largement aussi dans la population.
Le non-cumul est paré de toutes les vertus. Il est même souvent fantasmé. En réalité, les résultats de cette disposition, prise sous la présidence Hollande et adoptée par les députés socialistes de l'époque, ne sont pas à la hauteur des espérances. Le système s'est sclérosé. On s'envoie à la figure de nombreux arguments, tels que le temps plein que suppose l'exercice d'un mandat ou le caractère hors sol et la déconnexion des parlementaires ne cumulant pas les mandats.
Qu'est-ce qu'un temps plein ? Cela correspond-il à 35 heures ? La vie d'un élu est-elle comparable à celle d'un salarié ? Je n'en suis pas sûr. Nous n'avons pas tous, non plus, les mêmes envies, la même capacité de travail, ni les mêmes ambitions. Par ailleurs, le cumul avec certaines activités professionnelles, y compris à temps plein, reste possible, et c'est tant mieux : il est possible, pour un parlementaire, d'exercer en tant que médecin, enseignant ou chef d'entreprise. Nous n'allons pas nous en plaindre, car le contact avec la vraie vie nourrit notre réflexion et notre action ; nos interactions nous permettent de constituer des réseaux – sans que le terme soit négatif – et de faire remonter des interrogations.
Nous allons être nombreux à déposer des amendements en vue de l'examen la semaine prochaine, par notre commission, du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS). Or certains d'entre nous n'ont aucune connaissance du fonctionnement d'une collectivité locale. Alors que le texte comporte déjà 200 articles, il y en aura probablement 400 ou 450 à la fin, ce qui complexifiera encore plus les choses. Et ce sont les mêmes qui auront voté ces amendements qui iront dire, au niveau local, qu'on enquiquine tout le monde avec ces règles, que tout cela devient complexe et qu'il faudrait laisser du temps pour digérer les modifications. Il y a un peu de schizophrénie, par moments…
Il y a aussi la crainte de l'opinion publique, censée ne pas accepter le cumul des mandats. En réalité, ce dont l'opinion ne veut pas, ce sont des élus qui ne sont pas présents et qui ne travaillent pas. À partir du moment où nos concitoyens croisent régulièrement sur le terrain leurs parlementaires et les autres élus, ils n'ont pas la même approche. Il faut être « à portée d'engueulade ». C'est vrai pour les élus locaux comme pour les parlementaires. Le travail de terrain nourrit notre réflexion et notre action.
Du reste, il n'est pas question ici de remettre en cause le non-cumul : la loi de 2014 perdurera. Ce que proposent Jean-Christophe Lagarde et son groupe, c'est une modalité d'application du non-cumul. Certains y verront un pied dans la porte, une brèche entrouverte, mais ce n'est qu'une brèche : il n'est pas question de cumuler un mandat de parlementaire avec la présidence d'une grande collectivité comme un département, une région ou une grande agglomération. L'interdiction du cumul se comprend, dans ces cas-là, car l'exercice de ces fonctions requiert de la disponibilité. Mais la modalité d'application qui est proposée permettrait de s'investir dans la gestion du quotidien. Certes, les préoccupations qui nous animent sont évidemment celles du quotidien de nos concitoyens, mais à travers le prisme de la loi et du contrôle, et en aucun cas celui de la vie dans un hameau, un village ou une ville, au plus proche des territoires. C'est pour cela que l'on nous accuse souvent d'être hors sol et que l'on manifeste de la défiance à notre égard.
Cette proposition de loi nous invite aussi à réfléchir à la manière de rendre plus visible le travail des parlementaires. Cela dépend sans aucun doute de chacun d'entre nous – il convient de mieux communiquer, informer et faire participer les citoyens –, mais cela suppose aussi une certaine visibilité dans l'exercice de mandats locaux. Or cela ne peut pas passer par la nomination des parlementaires dans toutes les commissions départementales possibles et imaginables, qui ne sont bien souvent que des organes purement administratifs, où l'on reste entre soi, sans contact avec la population. Qui plus est, elles ne sont pas non plus nécessairement décisionnaires. Siéger dans les commissions d'élus de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), voire au conseil de surveillance des agences régionales de santé (ARS), comme le proposent certains, c'est encore moins de temps sur le terrain, au contact direct de la population.
Les seuils proposés dans le texte peuvent évidemment bouger. Quoi qu'il en soit, vous l'aurez compris, il nous semble important de réfléchir au cumul des mandats. La question ne manquera pas d'animer nos discussions et celles de nos concitoyens.