Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission, que je sais particulièrement sensible au sort des outre-mer et des ultramarins, et attachée à l'égalité entre les citoyens, tous les citoyens !
Des dispositions spécifiques régissent les outre-mer. Ce ne sont pas des anomalies, encore moins des privilèges. Ce ne sont que les compensations, souvent limitées, des difficultés liées à l'éloignement, à l'insularité, à la géographie et à l'histoire, que nos compatriotes qui vivent sur le continent européen n'imaginent même pas.
Je ne défends pas cette proposition de loi pour jeter la pierre au Gouvernement ou à l'État. Je suis bien placée pour savoir que les outre-mer sont complexes et que les solutions dont ils ont besoin le sont également. L'erreur est humaine ; c'est persévérer dans l'erreur qui est diabolique. Quand nous identifions un manquement, un dysfonctionnement, une malfaçon, notre devoir de représentants élus est de tout faire pour les corriger. Telle est l'humble ambition de cette proposition de loi : soumettre à la Représentation nationale les accrocs ressentis sur le terrain et suggérer les voies pour y remédier. Les cinq articles de ce texte, que je vais détailler, n'ont pas d'autre objet.
L'article 1er est relatif à l'indemnité temporaire de retraite, l'ITR. Ce dispositif ancien, datant des années 1950, consistait à octroyer une sur-pension aux agents retraités de l'État qui allaient passer leurs vieux jours dans certains territoires d'outre-mer, qu'ils en soient originaires ou non. C'était injuste et cela coûtait cher. Le Gouvernement a décidé sa suppression progressive en 2008, par une diminution graduelle étalée sur vingt ans. Cette réforme est accomplie aux trois quarts. Elle a rempli ses objectifs de limitation des coûts et des effets d'aubaine.
Pourtant, ce succès pour l'État s'accompagne d'un recul pour les ultramarins. En fermant le robinet dont abusaient des profiteurs, on a coupé les vivres, pour partie, à des agents installés sur le terrain. Or, nous le savons, les retraités ultramarins coûtent moins cher parce que, et c'est triste, ils vivent moins longtemps. Sans ITR, leur taux de remplacement est ridicule : si la réforme est menée à bien, il sera de l'ordre de 40 % du revenu d'activité. C'est très faible. Dans les faits, les agents retraités de l'État qui vivent en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à La Réunion vont plonger dans la précarité.
Il y a une colère locale que le Parlement doit entendre. Elle a une source simple : le parjure du Gouvernement, qui a fait des promesses qu'il n'a pas tenues. Ce n'est pas le gouvernement d'aujourd'hui qui est en faute – je le précise – mais, en vertu du principe de la continuité de l'État, ce sont les ministres actuels qui doivent assumer. En 2008, lorsque la suppression de l'ITR a été votée, le ministre d'alors a promis la poursuite du dialogue et des mesures de compensation. Mais, en 2010, un rapport d'inspection a affirmé que c'était inutile, que nos concitoyens ultramarins devaient s'estimer heureux de leur sort et qu'on en resterait là. Cette vexation n'a pas été oubliée dans nos territoires.
Par l'article 1er, nous ne demandons pas le rétablissement de l'ITR : nous maintenons le principe de sa disparition en 2028. Nous suspendons seulement sa diminution en sifflet afin de donner à l'État le temps nécessaire pour discuter avec les acteurs de terrain les justes compensations et les mesures transitoires. Alors même que la réforme des retraites ne verra pas le jour sous cette législature et que personne n'a mandat pour s'engager sur l'avenir à l'issue du printemps, cette position me semble pondérée et très acceptable. Cela apparaît même comme le premier pas vers un dialogue renoué avec l'État, pour redonner confiance à nos fonctionnaires établis outre-mer après ce long silence et ces engagements non tenus.
L'article 2 vise à donner un rang législatif à la définition du centre des intérêts matériels et moraux, le CIMM. Cette notion est employée par les administrations d'emploi et par Bercy pour allouer aux agents publics le bénéfice de divers dispositifs tels que les congés bonifiés et l'ITR, notamment. Pour le moment, l'appréciation du CIMM relève exclusivement de l'administration qui recourt, sous le regard du juge administratif, à la méthode du faisceau d'indices. Sont pris en compte les lieux de naissance, de scolarité et de vie, mais aussi les propriétés foncières, les séjours sur place et jusqu'au lieu d'inhumation des parents.
Quel est le résultat de cette architecture juridique ? Comme l'a souligné à maintes reprises le président Olivier Serva, il est très mauvais. Les administrations font ce qu'elles veulent ; les unes ne sont pas tenues par les décisions des autres, de sorte que le ministère de la Fonction publique peut vous accorder le CIMM quand le ministère des Finances vous le refuse. C'est aberrant ; c'est pourtant clairement affirmé dans une circulaire gouvernementale. Plus choquant encore : ce raisonnement aboutit à fermer des portes pour des raisons d'opportunité. On pourra reprocher à un Polynésien venu travailler en Europe le lieu de naissance de ses enfants, et refuser de reconnaître ainsi son attachement à son pays. C'est inacceptable. Le législateur ne doit pas accepter ce qui relève, au sens strict, de l'arbitraire. La rédaction que je vous propose est forcément discutable et amendable, mais elle fait consensus dans le monde syndical et permettra à chacun de savoir quelle est la règle applicable.
L'article 3 traite, lui aussi, d'une inégalité inexplicable ; je parle de l'indemnité d'installation en métropole des militaires ultramarins, l'INSMET. Où est l'inégalité ? Vous allez le comprendre très vite. Si vous êtes un militaire martiniquais, guadeloupéen ou réunionnais, vous avez droit à une prime égale à neuf mois de solde. Si vous êtes un militaire guyanais, vous avez droit à une prime égale à douze mois de solde. Et si vous êtes un militaire polynésien, calédonien, wallisien ou mahorais, vous avez droit à une tape dans le dos, c'est-à-dire à rien !
Cette disparité qui date des années 1950 est incompréhensible ; le Président de la République l'a lui-même souligné cet été en Polynésie française. À sa demande, la ministre des Armées a annoncé, le mois dernier, après l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour, qu'elle allait restaurer l'égalité par voie réglementaire. Nous, députés des outre-mer, étions ravis. Je me préparai même à déposer un amendement de suppression de l'article 3 de ma proposition de loi. Mais je dois dire que les derniers jours m'ont singulièrement inquiétée et refroidie. Pour moi, restaurer l'égalité signifie accorder aux Mahorais et aux militaires du Pacifique la même INSMET qu'aux ultramarins des départements et régions d'outre-mer, soit neuf mois de solde. Je crains que, pour le Gouvernement, il ne s'agisse de donner à tout le monde la même prime, fixée à quatre, six ou huit mois de solde.
Je tiens à être claire : il n'est pas question que la solidarité envers nous, ultramarins, se fasse sur le dos des autres ultramarins. Dans la devise de notre République figure la fraternité nationale. Nos militaires sont mobilisables au nom de la France, pas au nom des outre-mer. Nous n'accepterons pas que le Gouvernement dégrade le sort des Guadeloupéens, des Martiniquais, des Guyanais et des Réunionnais, au prétexte fallacieux d'assurer notre égalité. J'appelle donc solennellement à adopter l'article 3, non seulement pour faire progresser l'égalité, mais aussi pour faire obstacle à la perspective que caresse le Gouvernement et qui, croyez-le, lui coûtera bien plus cher que les quelques économies qu'il espère.
L'article 4 traite de la reconversion professionnelle des militaires d'outre-mer pour faciliter leur retour dans leur territoire d'origine. Les choses sont complexes et je veux bien entendre que les dispositifs de droit commun peuvent suffire, s'ils sont convenablement aménagés. Je me bornerai donc à solliciter un rapport du Gouvernement.
Enfin, l'article 5 tend à aligner sur le régime civil des congés bonifiés les dispositifs de permission de longue durée applicables aux militaires. Les comparaisons sont délicates, car les droits et les devoirs d'un soldat diffèrent beaucoup de ceux d'un fonctionnaire. Là encore, il faut procéder prudemment, et j'entends solliciter du Gouvernement, en séance publique, toutes les précisions qu'il pourra apporter.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je me réjouis que les outre-mer soient de nouveau au centre des travaux de votre commission. Cette proposition de loi a fait l'objet d'une large concertation en amont, dans les territoires, auprès des élus comme des représentants des forces économiques. J'espère qu'elle bénéficiera aussi de votre soutien. L'État nous doit des réponses ; or, conserver pieusement des dispositifs des années 1950 au motif que les choses sont compliquées n'en est pas une. Nous attendons, et j'ose espérer que nous obtiendrons, davantage.