La proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit a été déposée par les sénateurs Mme Valérie Létard et M. Vincent Delahaye, du groupe Union centriste. Le texte, en apparence technique, fait suite aux travaux de la mission dite BALAI (Bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles), qui a recensé un grand nombre de lois obsolètes encore en vigueur.
Nous avions déjà examiné en 2019 une proposition de loi dont le rapporteur était M. Erwan Balanant tendant à améliorer la lisibilité du droit par l'abrogation de lois obsolètes, qui abrogeait une cinquantaine de lois, adoptées entre 1819 et 1940. Ce deuxième épisode, puisque l'on peut parler d'une série, couvre la période allant de 1941 à 1980 : ce sont cette fois 115 lois que le Sénat propose d'abroger.
La démarche est complexe : à ce titre, je rends hommage aux auteurs et à la rapporteure de la proposition de loi au Sénat, Mme Catherine Di Folco, qui ont examiné avec rigueur l'ensemble des lois que nous nous apprêtons à abroger. Ainsi, sur les 163 lois initialement identifiées, 114 figurent dans la version du texte qui a été transmise à l'Assemblée nationale et une cent-quinzième a été ajoutée par coordination. Ce tri a été réalisé pour réduire autant que possible les risques qui résulteraient d'une abrogation prématurée. Il s'agit uniquement de lois obsolètes : les abrogations n'ont aucune vocation à modifier le droit applicable.
Le Conseil d'État, qui a été saisi pour avis sur ce texte, a défini une loi obsolète comme « une loi dont toutes les dispositions n'ayant pas fait l'objet d'une abrogation explicite, soit ont été abrogées implicitement par des lois ultérieures posant des règles contraires, soit ont épuisé leurs effets eu égard à leur objet, soit sont désormais privées d'objet parce qu'elles visaient des situations qui, en raison de l'évolution des circonstances de droit et de fait, ne sont plus susceptibles de se présenter. »
La présente proposition de loi vise à abroger trois catégories de lois. D'abord, celles dont l'effet était temporaire ou lié à des circonstances exceptionnelles. C'est par exemple le cas du rallongement de certains délais légaux après les événements de Mai 68. Ensuite, des lois qui encadraient des régimes juridiques ayant disparu, par exemple l'élection des membres de l'Assemblée algérienne. Enfin, une série de lois ayant modifié des articles de code ou des lois qui n'existent plus.
Le Sénat, notamment sur la recommandation du Conseil d'État, a fait le choix d'écarter 49 lois, dont l'obsolescence pouvait apparaître comme incertaine ou dont l'abrogation pouvait poser des difficultés juridiques. Quatre motifs ont justifié le maintien de ces lois : leur caractère symbolique ou historique, par exemple pour la loi qui consacre l'indépendance professionnelle et morale des médecins ; leur valeur organique, qui implique l'intervention d'une nouvelle loi organique, par exemple pour ce qui concerne la féminisation du statut de magistrat ; la possibilité qu'elles continuent de régir des situations en cours, qui pourraient faire l'objet d'un contentieux dans le futur, par exemple en matière de prestations sociales, de contrats ou d'état civil ; enfin, le fait que l'abrogation prive un décret ou un article de code de base légale.
Ce choix a été guidé par la prudence et le souci de préserver la sécurité juridique sur tout autre impératif. Les abrogations retenues par le Sénat ne posent pas de difficulté. Nous pouvons donc les adopter conforme.
Le travail mené nous conduit aussi à nous interroger sur les causes et l'utilité de cette démarche. L'exercice n'est pas uniquement comptable. Il s'inscrit plus largement dans la poursuite de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la norme car conserver des lois obsolètes présente des risques. Les personnes que nous avons auditionnées l'ont rappelé, il arrive souvent que l'on ne sache pas si une norme est encore en vigueur. En effet, si une loi postérieure abroge une loi antérieure incompatible, encore faut-il que cette incompatibilité soit évidente, ce qui est loin d'être toujours le cas.
Que faire pour éviter d'être confronté à cette confusion des normes ? La codification a fait beaucoup en la matière mais les codes sont aujourd'hui très fournis – le code du travail compte plus de 10 000 articles, dont certains sont également obsolètes. Il semble qu'il faille anticiper cette difficulté car le flux des textes législatifs sera difficile à freiner dans les prochaines années. Les Anglo-Saxons recourent parfois à des lois à durée déterminée, devant être régulièrement prorogées : les sunset legislations. En France, nous utilisons davantage les expérimentations, qui sont une bonne habitude.
Au niveau réglementaire, où les textes sont encore plus foisonnants, le Gouvernement a mis en place des démarches efficaces telles que l'obligation de supprimer au moins deux normes pour une norme créée, et l'abrogation automatique des circulaires n'ayant pas été transférées sur un site dédié du Gouvernement.
Dans le domaine législatif, l'initiative en la matière est souvent venue des parlementaires. Il en va ainsi des lois auxquelles M. Jean-Luc Warsmann a donné son nom. Nous pourrions demander au Gouvernement d'apporter sa pierre à l'édifice. Nous suggérons ainsi que les études d'impact identifient pour chaque projet de loi les abrogations qu'il rendrait nécessaires. Un petit coup d'aspirateur de temps en temps vaudrait mieux qu'un grand ménage de printemps, une fois par an !
La démarche de nos collègues sénateurs a été ambitieuse mais prudente. Les auditions ont montré qu'il pourrait être intéressant de procéder à des abrogations plus systématiques, en se donnant la capacité de rétablir la norme concernée, s'il s'avérait qu'une erreur avait été commise. Tout cela doit faire l'objet d'une réflexion approfondie – la proposition de loi donne l'occasion d'en jeter les premières bases.
Pour conclure, il serait intéressant que l'Assemblée nationale participe davantage à l'effort du Parlement pour améliorer la clarté et la lisibilité de notre droit. Les sénateurs ont d'ailleurs formulé la demande que les députés participent à leur fameuse mission BALAI.