Intervention de Françoise Dumas

Réunion du mardi 26 mai 2020 à 17h30
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, co-rapporteure :

Au cours des deux derniers mois, la commission de la défense nationale et des forces armées a procédé à près de quinze auditions, entendant la ministre des armées et sa secrétaire d'État à plusieurs reprises, les principaux responsables civils et militaires du ministère, ainsi que les représentants de la base industrielle et technologique de défense (BITD), au travers des groupements industriels. J'ai moi-même eu de très nombreux entretiens bilatéraux avec ces mêmes personnes et les dirigeants des principales entreprises industrielles, car il me semblait primordial de suivre l'évolution de la situation afin, d'une part, d'apprécier la capacité de ces entreprises à remplir leurs engagements à l'égard des armées, d'autre part, d'identifier leurs besoins pour qu'elles soient en capacité d'honorer ces engagements.

Tous ces travaux seront synthétisés dans un rapport spécifique de la commission consacré à la crise du covid-19. Aussi mon propos de ce jour se limitera-t-il à en rappeler les principales conclusions.

Premièrement, les armées ont été fortement mobilisées dans la lutte contre l'épidémie, et ce dès avant le lancement de l'opération Résilience, annoncé par le Président de la République le 25 mars, puisqu'elles avaient déjà rapatrié près de deux cents de nos compatriotes depuis Wuhan. Elles ont continué, depuis lors, à apporter une aide importante à la lutte contre le coronavirus, notamment dans le cadre du volet sanitaire de l'opération Résilience.

Les différentes armées ont mené des opérations de transferts de patients pour soulager les régions particulièrement touchées : 90 patients ont ainsi été évacués par voie aérienne pour soulager la région Grand Est. Le déploiement d'un élément militaire de réanimation (EMR) auprès de l'hôpital de Mulhouse a augmenté de 50 % la capacité de ce centre hospitalier et 47 patients y ont reçu des soins de réanimation. La mobilisation des six hôpitaux d'instruction des armées dotés d'éléments de réanimation a permis de tripler leur capacité, qui est passée, au total, de 57 à 166 lits de réanimation. Enfin, la mobilisation des unités NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique) a permis de procéder à la décontamination de nombreux bâtiments, notamment du Palais-Bourbon.

La contribution tous azimuts des armées à la lutte contre l'épidémie, en métropole comme outre-mer – puisqu'il ne faut pas oublier les volets « logistique » et « protection » de l'opération Résilience – a mis en lumière, premièrement, l'expertise du service de santé des armées (SSA), largement méconnu. S'il a été affaibli par une période de déflation, qui lui a fait perdre 10 % de ses effectifs en quatre ans, l'actuelle loi de programmation militaire prévoit une remontée de ses personnels. Cette tendance doit être confortée.

Elle a mis en lumière, ensuite, la pertinence de l'organisation territoriale interarmées de défense. Chacun a pu mesurer la robustesse et l'efficacité de cette chaîne qui concilie la centralisation des directives et la déconcentration de leurs applications. Il demeure important de maintenir et d'approfondir ce dialogue entre autorités militaires et civiles, à tous les niveaux.

Elle a également mis en lumière l'apport opérationnel des moyens exceptionnels dont disposent nos forces, à l'instar des porte-hélicoptères amphibies, des A400M ou des A330 MRTT Phénix, et enfin, l'extrême réactivité et inventivité des armées. Dans le même temps, l'opération Résilience a conforté la nécessité d'une remontée en puissance du modèle national d'armée et celle d'un modèle suffisamment complet pour être à même d'absorber la mobilisation des moyens en cas de crise ultime.

Le succès de Résilience a également reposé sur l'engagement des acteurs industriels, en lien avec la direction générale de l'armement et l'Agence de l'innovation de défense.

Deuxième point d'attention, les armées ont été elles-mêmes touchées par l'épidémie. D'abord, de nombreux militaires sont tombés malades. Au-delà du cas emblématique du Charles de Gaulle, des personnels ont été atteints par le virus, en opérations extérieures comme sur le territoire. Au total, selon les informations données par la ministre devant la commission, le 11 mai, 1 771 cas de militaires atteints du covid-19 avaient été confirmés, dont plus de la moitié sur le groupe aéronaval, et 5 400 cas de contamination étaient jugés probables.

En outre, les mesures de confinement et de protection sanitaire ont eu des conséquences sur l'organisation des armées. Je pense en particulier aux quatorzaines en amont et en aval d'un engagement opérationnel, ou au décalage des relèves.

Les incertitudes quant à l'évolution de la situation épidémique suscitent une certaine inquiétude à laquelle il est nécessaire de répondre à l'approche du plan annuel de mutation, alors qu'environ 24 000 militaires vont devoir déménager.

Troisièmement, la crise épidémique n'a pas interrompu les opérations en cours. Les armées ont maintenu et maintiennent leur engagement au quotidien, tant sur le territoire national, notamment dans Sentinelle, qu'en opérations extérieures, essentiellement au Sahel et au Levant. La continuité de l'engagement des forces est un gage de crédibilité : les menaces n'ont pas disparu malgré la crise, et la situation stratégique est particulièrement mouvante.

L'activité des dernières semaines a d'ailleurs été très intense. Un seul exemple : les 14 et 15 mai, la force Barkhane a conduit une opération d'ampleur contre des combattants de l'État islamique au grand Sahara, dans le sud du Gourma malien, mobilisant un drone Reaper, deux Mirage 2000D, trois hélicoptères Tigre, ainsi qu'un sous-groupement tactique désert.

Pour être en mesure d'intervenir à l'avenir, il faudra continuer à recruter et à former les jeunes, conserver un niveau de préparation opérationnelle et de maintien en condition opérationnelle des matériels satisfaisant. Durant ces deux mois, les armées ont dû constamment se maintenir sur une ligne de crête : protéger les soldats contre le virus et continuer de préparer les opérations.

En outre, les mesures de confinement ont mis en pause les recrutements et limité les possibilités d'entraînement et de formation, contribuant à creuser la dette organique des armées. À titre d'exemple, pour l'armée de terre, chaque mois qui passe sans recrutement, c'est un régiment qui manque à l'appel. Aujourd'hui, heureusement, les recrutements et les formations reprennent progressivement.

Quatrième observation : la défense doit être au cœur du futur plan de relance. C'est d'abord une question de sécurité de la France et des Français. Ensuite, la préservation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) est l'une des conditions du maintien de l'autonomie stratégique de la France et de l'Europe. Les appétits des puissances étrangères, dont certaines font figure d'alliés, imposent de la vigilance face aux tentatives d'accaparement d'acteurs stratégiques.

Enfin, pour la période de récession qui s'annonce, l'industrie française de la défense constitue un outil précieux pour relancer l'économie, non seulement parce que la défense est l'un des secteurs dans lesquels un euro investi par l'État rapporte le plus d'activités et d'emplois sur le territoire national, en raison de l'implantation de cette industrie en France, mais aussi parce que ces investissements contribuent à l'innovation et à la technologie de pointe qui irriguent par la suite l'ensemble de l'économie. Les efforts engagés par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 devront donc être confortés.

La vigueur du lien entre la nation et son armée doit être réaffirmée. Les mesures de confinement et la limitation des contacts physiques ont conduit à réduire l'ampleur des commémorations mémorielles ; nous l'avons vu à l'occasion du 75e anniversaire du 8 mai 1945 ou encore des événements en l'honneur du général de Gaulle. Les journées de défense et de citoyenneté ont été suspendues et le calendrier de l'expérimentation du service national universel bouleversé.

Je voudrais, pour terminer, faire un gros plan sur deux auditions, un peu en marge de l'activité de nos armées.

Celle de la secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale, tout d'abord, a permis notamment de faire un point sur le document publié en 2013 par le secrétariat général relatif à la « nouvelle doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire ». La secrétaire générale a expliqué que ce document avait vocation à affirmer, à la suite d'un avis du Haut conseil de la santé publique de 2011, un nouvel usage du masque FFP2 par rapport au masque chirurgical, le premier protégeant son porteur des virus, le second l'empêchant de projeter des gouttelettes sur les autres, mais qu'il ne constituait en aucun cas une rupture d'appréciation du dimensionnement des stocks stratégiques de produits de santé. C'est à prendre en considération, dans la suite de nos travaux.

L'audition du directeur général de la gendarmerie nationale a quant à elle permis de dresser un premier bilan très positif et unanimement salué de l'opération « Répondre présent » visant à assurer une action de proximité, notamment auprès des personnes les plus vulnérables, en lien avec les collectivités territoriales, les associations et les services déconcentrés de l'État.

Pour conclure, je retiens de l'ensemble de nos travaux que le retour d'expérience de la crise implique de s'interroger sur les concepts de résilience, de souveraineté, d'autonomie stratégique, et sur la relocalisation sur le sol national des certaines capacités productives. Ce sont ces sujets qui doivent, me semble-t-il, constituer les axes prioritaires de nos futurs travaux.

Et je ne voudrais pas terminer sans rendre hommage aux quatre soldats morts en opérations ou à l'entraînement durant la période de confinement. Cet hommage ne retire bien sûr rien à celui, légitime, dû également à nos personnels soignants ainsi qu'à tous ceux qui ont assuré des missions de service public.

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