Je vous remercie de m'accueillir au sein de cette commission pour discuter de thématiques qui me sont chères : l'agriculture, pour laquelle j'ai travaillé pendant quarante ans, l'alimentation et la solidarité. Ces sujets, qui suscitent toujours autant de passion, parfois d'une manière un peu excessive – je pense à mon cher ami Nicolas Turquois –, occupent une place centrale dans la crise du covid-19. L'épidémie a aggravé l'insécurité alimentaire des personnes et des familles les plus en difficulté en perturbant les réseaux traditionnels de distribution alimentaire. Pire, l'augmentation des dépenses, notamment à la suite de la fermeture des cantines, quasi gratuites, conjuguée avec la diminution des revenus a fait entrer de nouvelles familles dans la précarité.
Afin de répondre à l'urgence sociale, le Gouvernement a lancé un plan d'urgence alimentaire, mais celui-ci manque d'ampleur : compte tenu du basculement dans la pauvreté de nouveaux ménages, les moyens alloués sont largement insuffisants. La proposition de loi du groupe La France insoumise est autrement ambitieuse puisqu'elle cible l'aide sur les ménages dont les revenus appartiennent aux trois premiers déciles et adapte la valeur des chèques aux besoins. Je partage la légitime ambition de ce texte, mais je reste circonspect compte tenu des difficultés opérationnelles dont il pourrait s'accompagner. Étant donné le contexte d'urgence, ne vaudrait-il pas mieux s'appuyer sur les réseaux de solidarité existants en augmentant les moyens des associations caritatives qui ont déjà fait preuve d'un engagement constant ?
La question de la hausse des prix est centrale. Alors que de nombreux Français ont perdu des ressources, ils ont constaté avec désarroi l'évolution des prix de certains produits alimentaires et même de première nécessité. Cette inflation, si elle était due à des profiteurs de crise, imposerait une réponse forte. Mais c'est aussi la conséquence de difficultés logistiques, d'un manque de main-d'œuvre persistant et d'une présence plus importante des produits français dans les rayons, dont je me réjouis par ailleurs, eu égard à leur qualité et à leur impact en matière de conditions d'approvisionnement – les circuits sont plus courts.
Je comprends la logique d'un encadrement des prix mais je m'interroge sur les répercussions potentielles en matière de rémunération. En plafonnant les prix, ne risque-t-on pas d'exposer les agriculteurs aux pressions de la grande distribution ? La tentation pourrait être forte d'accroître les marges en tirant les prix vers le bas.
La question de la rémunération des agriculteurs a fait l'objet de longs débats lorsque la loi ÉGALIM a été adoptée. Ce texte s'était fixé pour objectif de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole – c'est une vieille et longue question. Un an et demi plus tard, le premier bilan est décevant. La rétribution des agriculteurs n'a toujours pas augmenté et la grande distribution a inventé de nouvelles pratiques de détournement. Fallait-il s'attendre à mieux quand l'organisation des marchés est à ce point concentrée et que l'agriculture reproduit elle-même des modèles agroalimentaires qui s'en inspirent ? Il faut remédier au plus vite à cette situation. Je suis convaincu que cela passera par d'autres modes de distribution et par davantage de contractualisations, de prise en compte des demandes des consommateurs et de responsabilité dans l'acte d'achat. Je crains que la détermination d'un prix plancher, comme le propose l'article 3, conduise à fixer un prix de référence et limite la progression des revenus des agriculteurs.
Si le groupe Libertés et Territoires partage les ambitions de la proposition de loi, il redoute que son application conduise à des effets de bord. J'attendrai l'examen des amendements pour me faire une opinion, mais cette initiative a tout mon soutien : il est louable de continuer à mettre une telle question sur la table.