Intervention de Rémi Delatte

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Delatte, rapporteur pour avis :

Le soutien aux entreprises, objet de mon avis budgétaire, revêt une importance toute particulière cette année. Alors que j'avais l'an dernier regretté le profond désengagement de l'État des différents dispositifs de soutien existants, la crise sanitaire et économique rebat les cartes : l'État est au rendez-vous et de nouveaux moyens substantiels ont été annoncés dans le cadre du plan de relance.

Au-delà des mesures d'urgence, la crise doit nous donner l'occasion de mener une réflexion de fond sur les politiques publiques de soutien et d'accompagnement des entreprises, en particulier des plus petites, qui jouent un rôle central pour la vitalité économique locale.

Si j'ai choisi de traiter principalement, dans cet avis, de l'avenir des politiques publiques de soutien à l'économie de proximité, je note tout d'abord que la maquette des crédits du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » souffre, comme chaque année, d'un problème important : la lisibilité. Les crédits sont en effet épars et de nombreux dispositifs débudgétisés, à l'image de l'activité de garantie de Bpifrance. Le problème prend cette année une nouvelle ampleur dans la mesure où le projet de loi de finances pour 2021 comporte une nouvelle mission « Plan de relance » qui comprend de nombreuses mesures de soutien aux entreprises. Or la coordination avec les crédits et les dispositifs du programme 134 n'est indiquée nulle part.

Ce manque de lisibilité porte atteinte au principe de sincérité budgétaire et risque de nuire à la clarté de nos débats alors même que le contrôle parlementaire est particulièrement attendu en période de crise : c'est à tout le moins regrettable.

Si, avec 1,1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, les crédits de ce même programme sont, comme l'année dernière, en hausse, comme l'an passé, leur augmentation est trompeuse : elle s'explique en effet principalement par celle des crédits affectés aux dispositifs de compensation carbone des entreprises électro-intensives dont la dotation dépend de l'évolution du marché des quotas d'émissions carbone. Cette hausse mise à part, le programme 134 paraît se vider progressivement de sa substance : cette année est marquée par la suppression définitive du fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC), dont le rôle est pourtant salué dans les territoires.

J'en viens à la seconde partie de mon rapport consacrée au soutien à l'économie de proximité dans les territoires, question à l'importance particulière dans la mesure où la crise aggrave considérablement ses difficultés structurelles, alors qu'elle est affaiblie depuis des années par le développement tant du commerce périurbain que du numérique. Selon les estimations, le taux de vacance commerciale pourrait, ce qui est très préoccupant sur le plan économique, bondir de 12,5 % à 16 %. Cela l'est également sur le plan politique ainsi que pour l'avenir de notre pacte social : la disparition du commerce de proximité est identifiée comme une des variables les plus fortement corrélées au mécontentement de nos concitoyens – le mouvement des gilets jaunes l'a bien illustré.

L'action publique doit absolument être au rendez-vous pour ne pas faire des territoires ruraux et des villes moyennes des oubliés de la République : c'est d'autant plus important qu'ils peuvent constituer un atout majeur pour la relance de l'économie, dans un contexte où un tiers des jeunes actifs vivant dans les grandes villes souhaitent aujourd'hui en partir pour vivre et travailler dans une ville moyenne.

Les dernières années ont été marquées par une prise de conscience salutaire, bien que tardive, des pouvoirs publics quant aux risques de dévitalisation de nos territoires. La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN » puis la mise en place de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ont été autant d'avancées bienvenues.

Le plan de relance traduit de nouvelles annonces ambitieuses : il faut donc transformer l'essai afin de construire une stratégie globale au service de notre économie de proximité.

Si la mise en place de la nouvelle ANCT annonce un décloisonnement bienvenu des politiques publiques, il faut maintenant que les bonnes intentions se traduisent en actes : le programme « Action Cœur de ville », qui doit permettre la revitalisation de 222 villes moyennes, est encore au milieu du gué ; dans les faits, les enjeux économiques restent souvent le parent pauvre des actions conduites. En outre, sa gouvernance peut encore largement être améliorée : les acteurs économiques et les réseaux consulaires n'y sont en particulier pas encore assez associés alors qu'il faut – c'est essentiel – capitaliser sur leur expertise.

Un équivalent de ce programme a été annoncé pour le monde rural : il s'agit du programme « Petites villes de demain », espoir important pour la ruralité d'autant que le Gouvernement a indiqué vouloir y consacrer 3 milliards d'euros sur six ans. Il devra se montrer à la hauteur des annonces faites et surtout tirer les leçons du programme « Action Cœur de ville » pour ne pas en répéter les erreurs.

Si ces mesures vont dans le bon sens, la politique publique de soutien à la revitalisation économique des territoires ne saurait se limiter à une logique de zonage, sous peine de laisser de côté de nombreux territoires : il est donc essentiel que de tels programmes spécifiques s'accompagnent également de mesures généralistes de soutien de l'ensemble de l'économie de proximité.

Dans ce cadre, nous ne pourrons nous passer d'une réflexion de fond sur l'avenir des dispositifs d'aides directes au commerce et à l'artisanat de proximité : en temps de crise, le soutien de l'État à leur égard révèle en effet toute sa pertinence.

Si le plan de relance prévoit ainsi d'affecter 40 millions d'euros à des actions collectives en faveur du commerce de proximité, il est essentiel de réfléchir à la pérennisation de ces moyens au-delà de 2021 : nous ne saurions nous contenter d'être court-termistes s'agissant d'enjeux aussi importants.

Si le FISAC n'était pas exempt de limites, tenant notamment à son fonctionnement trop centralisé, il est unanimement regretté sur le terrain par les élus territoriaux comme par les acteurs locaux : un nouvel outil de soutien financier au commerce de proximité, qui s'en inspirerait, doit donc être conçu. Il aurait tout intérêt à faire l'objet d'un cofinancement impliquant les collectivités territoriales et sa gestion pourrait procéder d'une approche déconcentrée et décentralisée.

J'en viens au défi du numérique, particulièrement central lorsque l'on évoque l'avenir de l'économie de proximité.

Longtemps perçue comme une menace, la culture numérique reste trop peu ancrée chez les commerçants et artisans de proximité : 71 % des chefs d'entreprises concernés n'ont pas encore entamé leur transition numérique. Loin d'être un risque, le numérique représente au contraire une opportunité considérable pour le commerce de proximité. La crise l'a durement révélé : l'appétence des consommateurs pour le commerce en ligne n'est pas près de faiblir. Il faut donc capitaliser sur cette prise de conscience pour accélérer la transformation digitale de nos entreprises de proximité.

Le Gouvernement a annoncé un plan de soutien à la numérisation des entreprises, qui devra s'articuler autour de deux axes prioritaires : la formation des professionnels et le soutien à l'investissement. Les plateformes locales en ligne doivent également être encouragées. Le levier fiscal pourrait également être mobilisé, par exemple en mettant en place un dispositif de suramortissement pour les investissements des petites et moyennes entreprises (PME) commerciales favorisant la transformation numérique.

Il faut enfin répondre à ce problème central dont nous sommes tous conscients : la distorsion de concurrence entre le commerce de proximité et le commerce en ligne, qui est porteuse d'enjeux d'équité et de justice fiscale au cœur des préoccupations du tissu économique local comme de nos concitoyens.

Une réflexion de fond doit aujourd'hui être menée en vue de bâtir une fiscalité du commerce adaptée aux enjeux du XXIe siècle.

Deux chantiers s'ouvrent à nous. Le premier consisterait à mesurer les effets d'un assujettissement des entrepôts de vente en ligne à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM), ce qui serait de nature à contrer la stratégie d'évitement de l'impôt des géants du numérique, et à supprimer la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE) qui s'ajoute à une fiscalité déjà pesante pour les commerces de proximité et des petites entreprises. Le second chantier concerne la construction des entrepôts en périphérie et aux possibilités d'un moratoire, dont nous avons déjà discuté au sein de la commission et qui figure au nombre des propositions de la Convention citoyenne sur le climat. Nous aborderons le sujet dans quelques mois lorsque le Gouvernement présentera son projet de loi. Soyons particulièrement attentifs à ces deux leviers qui peuvent être essentiels pour assurer une plus grande équité entre commerce en ligne et commerce physique.

Eu égard aux différents éléments que j'ai eu l'avantage de vous présenter, j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 134.

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