Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure pour avis :

Les dotations consacrées à la politique énergétique vont progresser en 2021 sous l'effet du plan de relance. Si ces efforts financiers sont louables, ils restent décevants : ils ne sont pas à la hauteur des objectifs affichés par le Gouvernement – que dire, alors, de l'urgence toujours plus criante de réaliser notre transition énergétique ?

Il y a tout de même deux vraies avancées : d'une part, les 2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) sur 2021 et 2022 et les 205 millions d'euros en crédits de paiement (CP) dès 2021 prévus par le plan de relance pour le développement de la filière de l'hydrogène vert ; d'autre part, l'enveloppe de 1,28 milliard d'euros en AE et 732 millions d'euros en CP en 2021 pour renforcer les dispositifs de la prime à la conversion et du bonus écologique, qui doivent accélérer le renouvellement du parc automobile pour des véhicules moins polluants. Ces dispositifs étaient très attendus pour soutenir nos filières automobiles et industrielles, durement affectées par la crise économique aiguë, et dont l'horizon est bien incertain.

Toutefois, même avec cette double visée, les efforts financiers affichés demeurent biaisés. En effet, la seconde enveloppe vient pour partie compenser un recul net des dotations budgétaires durables consacrées par le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » à ces mêmes aides : elles diminueront en effet de 290 millions d'euros en 2021 par rapport à 2020, soit une baisse de 36,4 %. L'ensemble de ces crédits n'est toujours pas à la hauteur des objectifs d'électrification du parc automobile. Le reste à charge est encore trop élevé pour bon nombre de Français.

Concernant les autres dispositifs, nous ne pouvons que regretter l'absence d'une accélération des investissements nationaux dans la transition énergétique : il y aura, au mieux, un rattrapage des reculs antérieurs.

Ainsi, l'autre dispositif phare du programme 174, MaPrimeRénov', verra bien ses dotations presque doubler, mais cela résulte strictement de la dernière étape de la transformation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en une prime, avec le basculement des ménages des déciles de revenu 5 à 8 dans le nouveau régime. In fine, même en additionnant l'enveloppe complémentaire du plan de relance de 1,75 milliard d'euros sur deux ans pour accélérer le traitement des passoires thermiques, le total ne permet pas d'atteindre le niveau de la dépense au titre du CITE en 2018 – près de 2 milliards d'euros. Certes, l'élargissement des bénéficiaires de la prime et le fait que l'accent soit mis, en contrepartie, sur les rénovations globales sont bienvenus pour accélérer la rénovation thermique du parc privé, mais, à l'aune de ces exigences, les moyens apparaissent encore bien insuffisants : si l'on se fonde sur le coût moyen d'une rénovation complète et performante, ces crédits permettraient de financer moins de 200 000 logements, un chiffre très éloigné de l'objectif que le Gouvernement s'était lui‑même fixé, à savoir 500 000 rénovations par an.

Quant au chèque énergie, son enveloppe gagne 14 millions d'euros en AE, mais pour une raison simple : son taux d'utilisation progresse, heureusement, mais en même temps, hélas, que la précarité énergétique s'aggrave en ces temps de tourmente économique et sociale. C'est ce contexte qui m'a convaincue de la nécessité de renforcer, au moins le temps de la crise, la valeur des chèques énergie. Je vous présenterai un amendement en ce sens. J'espère que vous l'accueillerez avec bienveillance.

S'agissant du programme 345, qui concentre désormais toutes les charges de service public de l'énergie en intégrant plusieurs actions de l'ancien compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », il verra croître ses dotations de 1,2 milliard d'euros. Cependant, dans le détail, ces suppléments se décomposent en 376 millions pour couvrir l'augmentation des surcoûts liés à la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées, 295 millions pour le doublement du volume annuel de biométhane injecté dans les réseaux – une progression plus rapide que les projections de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) – et 580 millions pour la poursuite du développement en métropole des filières de production d'énergies renouvelables (ENR), dans la stricte ligne de la PPE. En ce qui concerne le périmètre des ENR, le seul effort supplémentaire de l'État concernera l'hydrogène vert, que j'ai déjà évoqué. Cela limite nos capacités à développer les ENR conformément à nos ambitions.

Le CAS « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » sera globalement reconduit à son niveau actuel.

Pour tous mes espoirs déçus, je donnerai un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » s'agissant de l'énergie.

J'ai par ailleurs choisi de consacrer la partie thématique de mon avis au dispositif de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH) et au mécanisme qui devrait lui succéder au plus tard en 2025. Il n'a pas d'impact sur le budget de l'État, mais c'est un outil de politique publique essentiel, à la fois instrument de la régulation du marché de l'électricité en France et référence pour l'établissement des tarifs régulés de vente d'électricité.

Mis en place en 2011, l'ARENH avait pour objectifs de permettre l'ouverture effective du marché de l'électricité aux fournisseurs alternatifs à EDF – et aux entreprises locales de distribution –, et d'offrir durablement aux consommateurs des prix stables reflétant les coûts du parc nucléaire historique, quel que soit le fournisseur qu'ils avaient choisi. Il était sans doute aussi une réponse à l'interdiction par le droit européen des tarifs réglementés de vente pour les grands industriels.

Pour rappel, dans le cadre de l'ARENH, EDF doit céder aux fournisseurs alternatifs qui en font la demande un volume annuel d'électricité nucléaire plafonné à 100 térawattheures depuis le début du dispositif, au prix, lui aussi inchangé depuis huit ans, de 42 euros par mégawattheure.

Le premier objectif a été atteint, comme le reconnaissent les premiers intéressés : les fournisseurs alternatifs, qui se sont bien installés sur le marché français. Certaines entreprises pétrolières ont même entamé leur reconversion.

Pour les industries électro-intensives, l'ARENH n'est qu'un instrument de modération de leurs charges parmi d'autres, mais, pour elles – et peut-être plus encore pour les autres grands consommateurs industriels et tertiaires français, qui ne bénéficient pas des mêmes aides –, son niveau généralement inférieur aux prix des marchés de gros et de détail et sa stabilité auront contribué à la compétitivité de leurs entreprises.

Pour les particuliers, on peut considérer que le second objectif est également rempli, moins par le développement de la concurrence sur le marché de l'électricité, qui n'a pas empêché les prix de l'électricité de suivre une tendance nettement à la hausse, que par la stabilité du tarif appliqué à un volume d'énergie représentant en moyenne 70 % des consommations des ménages.

Cependant, victime de son succès, le dispositif montre déjà ses limites : le plafond des 100 térawattheures est régulièrement dépassé depuis deux ans, imposant un écrêtement des volumes cédés à chaque fournisseur et, pour celui-ci, la nécessité de compléter son approvisionnement sur les marchés. Au final, les consommateurs, y compris les bénéficiaires des tarifs réglementés de vente, ont vu leurs factures augmenter s'agissant de leurs « droits » ARENH.

Cela n'empêche pas, d'un autre côté, EDF d'être pénalisé par un tarif qui ne couvre pas la réalité des coûts d'entretien et de maintenance de son parc nucléaire.

Enfin, et même si cela ne faisait pas partie des objectifs de l'ARENH, je déplore que les fournisseurs alternatifs, qui bénéficient grâce au dispositif d'un approvisionnement meilleur marché et sans risque, ne se soient pas montrés plus ambitieux dans leurs investissements dans les énergies renouvelables. Globalement, ils ont peu investi dans leurs outils de production.

Pour préparer la sortie d'un dispositif que la Commission européenne avait voulu temporaire, et corriger autant que possible les limites observées, l'État français négocie depuis deux ans un nouveau mécanisme de régulation de l'énergie nucléaire. Il porterait sur toute l'énergie nucléaire produite par EDF, qui serait soumise au jeu de l'offre et de la demande des marchés.

Les fournisseurs qui voudraient s'inscrire dans le nouveau dispositif pour profiter de volumes importants et de la stabilité apportée par le corridor de prix s'engageraient à payer un prix plancher – correspondant au tarif permettant de couvrir les coûts complets du parc, avec une marge raisonnable fixée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) –, même si les prix du marché sont plus bas. Le prix payé pourrait monter en fonction du marché jusqu'à un prix plafond au-delà duquel EDF devrait rétrocéder le supplément de rémunération aux fournisseurs, même si les prix libres sont plus hauts. L'écart entre le prix plancher et le prix plafond, le « corridor », pourrait être de 6 euros.

Le mécanisme prévoit enfin que, si l'excédent d'électricité produit au-delà du volume obligatoirement fourni était vendu à un prix inférieur au prix plancher, EDF percevrait une compensation pour combler la différence. Elle pourrait être versée par les fournisseurs, mais cette partie du dispositif n'est pas clairement définie à ce stade.

Le dispositif proposé éviterait les effets négatifs du plafonnement et apporterait une certaine stabilité des prix en les protégeant des plus grandes amplitudes du marché, notamment à la hausse. Il n'est pas mal accueilli par les grands consommateurs d'électricité. Les fournisseurs alternatifs sont moins convaincus : ils sont très attachés à ce que la nouvelle régulation ne sur-rémunère pas EDF.

La direction générale de la concurrence de la Commission européenne comprend la nécessité d'assurer la pérennité d'EDF – l'entreprise devant faire face à des charges croissantes, avec le coût du démantèlement de réacteurs nucléaires et celui du renouvellement d'une partie du parc –, mais s'interroge sur le déséquilibre des contraintes pour l'entreprise. De fait, selon la Commission, EDF sera assurée de vendre toute sa production à un prix répondant à ses besoins. Elle ne voit donc pas, à ce stade, la légitimité du supplément de revenu que lui apporterait le corridor. Et en ce qui concerne la compensation des ventes moins-disantes, la Commission considère qu'il n'est pas question de faire appel aux contribuables pour la financer.

Pour ma part, je considère que le dispositif de l'ARENH doit être réformé rapidement, avant même sa date d'échéance, à savoir 2025, puisqu'il a montré son caractère obsolète. Le dispositif ne doit plus être asymétrique. Il faut qu'il repose sur un prix aussi juste que possible, correspondant à la couverture de tous les coûts liés au nucléaire. Je n'ai pas de religion en ce qui concerne l'établissement d'un prix fixe ou d'un corridor ; le mécanisme doit être équitable pour tous. Si les discussions avec la Commission européenne concernant la réforme complète du dispositif devaient échouer, il faudrait à tout le moins revoir la question des plafonds et celle des prix – et elles ne devraient pas être traitées séparément.

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