Intervention de Jean-Bernard Sempastous

Réunion du mercredi 12 mai 2021 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Bernard Sempastous, rapporteur :

Un travail passionnant, mené durant des mois en bonne intelligence, dans un esprit constructif, avec les acteurs du monde agricole et les praticiens du droit rural, a permis d'aboutir à un dispositif juridiquement solide, efficace et adapté aux territoires. Le Conseil d'État, saisi par le Président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, a apporté son expertise précieuse et rassurante, confirmant que le texte respectait la Constitution et le droit européen ; il nous a guidés pour améliorer sa rédaction. Je ne doute pas que les parlementaires enrichiront eux aussi ce texte collaboratif.

Comme son titre l'indique, la proposition de loi répond à une urgence, identifiée par le rapport de la mission d'information commune sur le foncier agricole, et rappelée l'été dernier par le référé de la Cour des comptes sur les leviers de la politique foncière agricole. La Cour des comptes recommande d'instituer une véritable politique foncière agricole aux fins de mieux maîtriser et réguler son évolution, soulignant que « l'importance des enjeux ne s'accommode plus du statu quo ». La loi foncière n'a pas vu le jour mais nous ne sommes pas restés immobiles : il fallait agir pour soutenir la profession, qui était en demande et en attente.

Les chiffres sont alarmants : entre 1955 et 2013, le nombre d'exploitations a été divisé par cinq, s'établissant à près de 452 000. Entre 1988 et 2013, la surface moyenne d'une exploitation a doublé en France. D'ici dix ans, 37 % des chefs d'exploitation seront en âge de partir à la retraite. Pour le législateur, l'enjeu est que ces départs se traduisent par une installation de jeunes agriculteurs, non par une concentration excessive du foncier entre les mains de propriétaires ou d'exploitants en place.

Or les outils de régulation que sont le contrôle des structures et les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) sont majoritairement impuissants face aux opérations sociétaires, qui permettent un accès direct à la terre agricole, par personne morale interposée. Je propose donc un troisième outil, non par volonté d'innovation mais parce que le législateur, malgré toute sa bonne volonté, n'a pas réussi à s'appuyer sur les outils existants, en les perfectionnant, pour appréhender les contournements. Le nouveau dispositif s'articulera avec les autorisations d'exploiter et l'outil des SAFER, pour servir deux objectifs.

Le premier objectif est de lutter contre la concentration excessive et l'accaparement des terres. Ces phénomènes affectent le modèle agricole traditionnel, l'environnement – par le développement de monocultures qui appauvrissent les sols et déstabilisent la biodiversité –, la vitalité des territoires et les emplois ruraux – par la standardisation des productions – et l'indépendance alimentaire du pays. L'absence de régulation des cessions de parts de sociétés agricoles crée une aubaine qui favorise ces phénomènes. Il ne s'agit pas de stigmatiser les sociétés, qui peuvent constituer des outils entrepreneuriaux pour les agriculteurs, mais il faut en contrôler les excès.

Le second objectif est de favoriser l'installation et la consolidation des exploitations existantes en incitant les auteurs d'opérations jugées excessives à vendre ou à donner à bail rural de long terme une surface compensatoire à des agriculteurs qui s'installent ou souhaitent consolider leur installation.

L'article 1er, qui constitue le cœur du dispositif, est inspiré du contrôle des concentrations économiques mis en place par l'Autorité de la concurrence. Il instaure un contrôle administratif des prises de participations dans une société qui possède ou exploite des terres, au profit d'un bénéficiaire – exploitant ou propriétaire ; personne physique ou personne morale – en mesure d'exercer le contrôle effectif de la société. Ce bénéficiaire doit dépasser un seuil d'agrandissement considéré comme « excessif ». Le seuil initial ayant été abaissé, je proposerai de le renommer seuil d'agrandissement « significatif », suivant l'avis du Conseil d'État et en concertation avec la profession agricole. Il vous est proposé d'établir ce seuil entre une fois et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne (SAURM). C'est une fourchette adaptable et équilibrée au regard des objets contrôlés – l'exploitation mais aussi la détention de terres à usage ou à vocation agricole.

Le seuil sera fixé localement. Pour les terres déjà cultivées, il sera tenu compte des équivalences fixées par le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) par nature de culture. Il n'est pas question de comparer un hectare de vignes avec un hectare de plaine céréalière. Nous nous appuyons sur ces schémas adaptés et coconstruits dans les territoires : autant que faire se peut, le dispositif veut coller aux enjeux locaux.

Si un bénéficiaire dépasse le seuil, il pourra se voir opposer un refus d'autorisation par l'autorité préfectorale, qui pourra s'appuyer sur l'avis du comité technique de la SAFER, le « parlement » du foncier agricole tel que devrait le préciser le décret d'application. Néanmoins, la demande pourra être autorisée au cas par cas, si l'opération ne porte pas atteinte à l'installation d'agriculteurs, à la consolidation d'exploitations et à la vitalité du territoire ; ou si le cessionnaire consent à libérer une surface compensatoire, par vente ou bail rural de long terme soumis au statut du fermage, au profit d'un agriculteur en phase d'installation ou de consolidation – un moyen efficace de libérer des terres. En résumé, seule la prise de contrôle d'une société provoquant un agrandissement significatif, c'est-à-dire au-delà d'un certain seuil, déclenchera la procédure de contrôle. Si l'atteinte est avérée, elle sera accompagnée d'une installation.

Cette régulation était nécessaire et attendue depuis des années par le monde agricole. Les travaux menés depuis 2014 n'ont pas abouti et il n'existe à ce jour aucun contrôle : les concentrations s'opèrent en toute liberté. Le présent texte ne favorisera pas l'agrandissement, pas plus qu'il ne met en place un système opaque. Il est prévu que les SAFER donnent un avis simple à la préfecture, lequel pourra être assorti d'avis complémentaires. Je m'assurerai de la transparence de la procédure, qui sera explicitée dans le décret que le Gouvernement soumettra au Conseil d'État.

Je suis fier de ce travail collectif. Il était urgent de trouver un moyen d'agir, quand les échecs se succèdent depuis dix ans. La moitié des agriculteurs ont 50 ans passés ; leurs exploitations seront bientôt transmises ou iront alimenter la spirale de la concentration.

La France serait le premier pays européen à établir ce type d'outil de régulation et, au regard des dernières communications du Parlement européen sur le sujet, elle en inspirera d'autres. Réjouissons-nous d'avoir su nous réinventer pour protéger nos agriculteurs et nos terres !

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