Les dispositions de la loi « Sapin 2 » de 2016 et de la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle de 2017, tentatives pour réguler les mouvements du foncier agricole, ont en partie été censurées par le Conseil constitutionnel. Gageons que le dispositif créé par la présente proposition de loi est suffisamment solide d'un point de vue juridique – il a été soumis au Conseil d'État. Je salue à ce titre le travail du rapporteur.
Ces dispositions avaient notamment été motivées par l'achat de 1 700 hectares de terres agricoles par des investisseurs chinois dans le département de l'Indre. Il faut nous défendre face à des stratégies agressives et concertées visant à mettre la main sur nos ressources naturelles – elles ne sont toutefois le fait que d'une minorité d'investisseurs étrangers. D'ailleurs, des sociétés françaises rachètent des surfaces équivalentes en Ukraine, en Roumanie ou ailleurs, contribuant à la modernisation de leurs exploitations.
L'agriculture française est insuffisamment valorisée et en perte de vitesse face à la concurrence internationale. L'excédent agricole français tend même à disparaître. Avec le départ à la retraite de plus de 30 % des exploitants agricoles dans les dix prochaines années, l'augmentation de la taille des exploitations et de la circulation du foncier ne pourra que s'accentuer. La location de terres constitue le mode de faire-valoir le plus répandu en France métropolitaine. Elle concerne 60 % de la surface agricole utile, dont 35 % de terres louées par des exploitants individuels et 65 % par des exploitations en forme sociétaire. Près de 40 % des exploitations individuelles sont propriétaires de la totalité de leurs terres. C'est dire l'attachement du monde paysan à ce modèle, celui de la propriété agricole.
De plus en plus d'opérations sur le foncier visent la cession partielle des titres des sociétés, permettant ainsi le contrôle, sans possibilité pour les SAFER d'exercer leur droit de préemption. La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014 a renforcé les missions et les moyens d'intervention des SAFER et élargi le droit de préemption aux cas de vente des parts sociales en totalité. La présente proposition de loi prévoit que la prise de contrôle d'une société peut déclencher l'intervention de l'administration.
Un tel renforcement du pouvoir des SAFER suscite des inquiétudes légitimes. De quels moyens de contrôle disposeront-elles ? Nous souhaiterions aussi être rassurés quant à la prise en compte, dans le dispositif, des caractéristiques propres à l'élevage.
La concentration et l'accaparement des surfaces agricoles posent question, car notre souveraineté alimentaire et l'autonomie des agriculteurs dépendent de la maîtrise des terres agricoles. Si le texte ne résout pas tout, il comble, après plusieurs échecs, une lacune juridique. Nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas privilégié un grand texte sur le foncier agricole, avec un peu plus d'audace et d'imagination. L'accumulation de petites réformes crée un manque de cohérence, de clarté, donc de vision sur la thématique.
Pour tenir son rang, la France doit préserver et revaloriser le monde agricole en relevant les revenus et en rééquilibrant les relations commerciales ; en simplifiant les démarches administratives et en garantissant la stabilité réglementaire ; en modernisant et en faisant connaître les formations agricoles à tous les jeunes, pas seulement les ruraux. Nous regrettons que la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (« EGALIM ») n'ait pas été l'occasion de s'attaquer à la concentration des opérateurs dans certaines filières, qu'elles soient coopératives ou privées.