Plus de cent ans donc après cette « loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d'aménagement du Rhône, de la frontière suisse à la mer, au triple point de vue des forces motrices, de la navigation et des irrigations et autres utilisations agricoles, et créant les ressources financières correspondantes », promue par des élus rhodaniens, nous examinons un nouveau texte relatif à l'aménagement de ce fleuve.
Le Rhône a fait l'objet d'une concession octroyée par l'État à la Compagnie nationale du Rhône (CNR) en 1933, fondée sur un modèle unique car la mission confiée au concessionnaire est triple : elle porte non seulement sur l'utilisation de la puissance hydraulique – la Compagnie produit 24 % de l'hydroélectricité française – mais aussi sur la navigation sur le fleuve et sur les usages agricoles du Rhône, parmi lesquels l'irrigation et l'assainissement, missions d'intérêt général.
La concession arrive à échéance le 31 décembre 2023 : la proposition de loi propose de la prolonger jusqu'au 31 décembre 2041, permettant tout à la fois de préserver ce modèle concessif unique et de maintenir la CNR dans ses fonctions, car elle a su faire preuve de toutes les qualités nécessaires pour assurer la bonne gestion du fleuve jusqu'à présent.
Le renouvellement aurait pu être choisi plutôt que la prolongation, mais une telle procédure conduirait à des délais beaucoup plus longs pour entrer en vigueur, de l'ordre de dix à douze ans, sans parler des fragilités que l'application du droit européen de la concurrence pourrait induire. Or 500 millions d'euros d'investissements sont prêts à être réalisés au travers des trois plans pluriannuels quinquennaux prévus à ce stade. Nous faisons en outre face à l'urgence de la transition énergétique. Enfin, les 1 500 emplois de la Compagnie, dont 1 300 sont industriels, représentent un patrimoine immatériel qu'il convient évidemment de préserver.
C'est faire un geste politique important que de considérer que l'énergie n'est pas un bien comme les autres, dont on pourrait ouvrir la gestion à la concurrence et à des investisseurs étrangers qui n'auraient pas la même conception de l'intérêt général : elle fait partie de la souveraineté nationale.
La proposition de loi modernise certains aspects du régime juridique encadrant la concession et propose d'annexer le cahier des charges général et le schéma directeur à la loi, témoignant de leur dimension d'intérêt général et les sécurisant juridiquement. Fait assez rare pour être souligné, elle a été cosignée par de nombreux députés issus des rangs de tous les groupes politiques.
L'objectif est, depuis 2013, après une longue concertation impliquant l'ensemble des personnes publiques devant être associées, notamment les 183 collectivités territoriales qui font partie de CNR ainsi que l'ensemble des acteurs économiques et non-économiques de terrain, de parvenir à un texte équilibré et largement concerté nous permettant de nous projeter jusqu'en 2041.
Le dispositif a en effet fait l'objet d'un important processus de concertation. Après les échanges entre l'État et le concessionnaire, l'ensemble des parties prenantes ont été consultées à partir de 2019. Une première concertation avec garant a été organisée, donnant lieu à un rapport puis à une réponse de l'État comportant un certain nombre d'engagements faisant écho aux recommandations du garant. L'Autorité environnementale s'est prononcée sur le sujet. Le dossier de concertation a ensuite été soumis à la participation du public. Enfin, une consultation administrative a été menée par le préfet du Rhône auprès de 236 parties prenantes. La Commission européenne a également été consultée afin de s'assurer de la solidité juridique du projet, qu'elle a confirmée par une lettre de confort.
Cela signifie que le cahier des charges et le schéma directeur qui en résultent et qui sont annexés à la proposition de loi ont été mûrement négociés, qu'ils prennent en compte les différentes opinions exprimées et qu'ils permettent d'atteindre un équilibre entre les différentes missions fixées au concessionnaire.
Nous devons être habités par un esprit d'humilité – puisque, du haut de cette proposition de loi, un siècle nous contemple – et aussi de responsabilité, puisque le travail a été mené non seulement par les parlementaires mais par tous les acteurs de terrain, pour parvenir à cette proposition de loi extrêmement aboutie.
J'en viens aux raisons qui fondent la prolongation de la concession du Rhône à la CNR pour dix-huit années supplémentaires. Elle avait été initialement octroyée pour soixante‑quinze ans, comme cela est prévu s'agissant des concessions hydrauliques. Cette durée a commencé à courir à compter de 1948, date de la mise en œuvre du premier ouvrage.
Depuis les années 2010, les dispositions issues du droit européen applicables en matière de commande publique imposent normalement la remise en concurrence de la concession à l'échéance de ces soixante-quinze années.
Cependant, la concession du Rhône a connu une histoire singulière : à l'issue de la seconde guerre mondiale, les besoins croissants en électricité et l'incapacité du secteur privé à y faire face ont conduit à l'adoption de la loi du 8 janvier 1946, qui a nationalisé la production d'électricité et confié celle-ci à EDF. Ainsi, entre 1948 et 2006, ce n'est pas CNR mais bien EDF qui a exploité les ouvrages hydroélectriques sur le Rhône. Cette situation ne pouvait bien évidemment pas être anticipée lors de la conclusion de la convention de concession, en 1933.
Cela signifie que sur les soixante-quinze ans de la concession, CNR n'a pas pu exercer pleinement ses missions de producteur d'hydroélectricité durant plus de cinquante ans. Ces circonstances imprévisibles justifient la prolongation de la concession.
La Commission européenne a confirmé que le projet était conforme au droit européen par l'envoi de la lettre de confort du 20 octobre 2020. Outre la validité du fondement juridique de la prolongation de la concession, c'est aussi la neutralité financière du projet qui permet d'assurer sa conformité au droit de l'Union européenne, en particulier au regard des dispositions applicables en matière d'aides d'État. CNR ne doit en effet pas bénéficier d'avantages indus liés à la prolongation. En plus de la réalisation d'un programme de travaux supplémentaires sur le Rhône, la création d'une redevance proportionnelle et progressive en fonction des prix de l'électricité, versée par CNR à l'État, garantira une telle neutralité.
Deux éléments fondent donc la solidité juridique de ce texte : les circonstances imprévisibles liées à la seconde guerre mondiale et la neutralité financière.
La nouvelle date d'échéance de la concession, le 31 décembre 2041, a été choisie de manière à ce que la durée moyenne d'exploitation de chacun des dix-neuf ouvrages hydroélectriques sur le Rhône soit de soixante-quinze ans. Cela permet d'aboutir à une situation plus équitable pour le concessionnaire actuel, considérant la réalité des conditions d'exploitation durant la période de nationalisation de la production d'électricité.
Le passage par la loi permet par ailleurs de sécuriser juridiquement la prolongation. Sinon, en cas d'annulation contentieuse, la concession serait prolongée sous le régime dit des délais glissants. Il avait été envisagé dans un premier temps d'effectuer cette prolongation par décret, mais cette solution aurait été source de contentieux et n'aurait permis de maintenir la concession qu' a minima, aux conditions antérieures et donc sans possibilité de nouveaux investissements.
Au-delà de sa faisabilité juridique, la prolongation de la concession correspond à une évidence de fait, compte tenu de l'expérience et du savoir-faire acquis par la CNR s'agissant de l'aménagement du Rhône : un tel constat a d'ailleurs été largement partagé dans les échanges intervenus au cours de la concertation sur le projet de prolongation. CNR gère aujourd'hui 19 ouvrages hydroélectriques, 14 écluses à grand gabarit et 22 sites industriels et portuaires.
L'autorité concédante et le concessionnaire ont su faire évoluer la concession. En particulier, la prise en compte de l'environnement figure en bonne place dans le cahier des charges et le schéma directeur ainsi que dans la stratégie d'entreprise bâtie par CNR pour 2030. Elle s'est aussi dotée d'une raison d'être.
L'organisation de CNR permet de s'assurer du bon fonctionnement de la concession et de l'association de l'ensemble des acteurs concernés. Elle dispose d'un actionnariat majoritairement public, dont 17 % environ sont détenus par 183 collectivités territoriales. La dimension industrielle du groupe est également un déterminant fondamental de la réussite de l'entreprise.
Enfin, CNR est une société dotée d'un directoire ; la commission des affaires économiques a d'ailleurs eu à se prononcer sur la nomination de sa présidente en novembre dernier. Elle dispose également d'un conseil de surveillance où siègent notamment quatre représentants des collectivités territoriales et deux représentants de l'État. La préservation des intérêts du fleuve au travers d'une forte présence des acteurs de l'intérêt général est donc parfaitement assurée par sa gouvernance.
La proposition de loi comprend en annexe le cahier des charges général de la concession et le schéma directeur, ces deux documents ayant vocation à préciser et à encadrer les missions du concessionnaire.
Le nouveau cahier des charges proposé comprend plusieurs évolutions par rapport à la version en vigueur, qui date de 2003. Outre la modification de la date d'échéance de la concession et du calcul de la redevance et l'inclusion du schéma directeur, il y a deux évolutions principales.
Premièrement, le périmètre de la concession est étendu à des portions du Rhône actuellement gérées par Voies navigables de France (VNF) et par la direction départementale des territoires de la Savoie. VNF, dont le siège est à Béthune, continuera à gérer avec la métropole de Lyon la partie du fleuve interne à celle-ci, puisque la particularité de la gestion fluviale intra-urbaine, notamment du Rhône et de la Saône, a conduit à ne pas intégrer cette partie à la concession prolongée. Le barrage de Cusset demeure également exclu du périmètre de la concession puisqu'il est géré par EDF.
Deuxièmement, un programme de travaux supplémentaires d'un montant de 500 millions d'euros va être réalisé : il prévoit notamment la réalisation de six petites centrales hydroélectriques, ainsi que des études de faisabilité concernant la construction d'un nouvel ouvrage hydroélectrique dans le secteur de Saint-Romain-de-Jalionas. La réalisation de cet ouvrage a fait l'objet de nombreux débats durant la concertation et l'État a pris l'engagement d'associer pleinement les parties prenantes au projet. La Commission nationale du débat public (CNDP) sera d'ailleurs saisie. Certains de nos collègues, dont Mme Cendra Motin, ont fait évoluer des éléments du texte relatifs à l'organisation de la concertation, notamment concernant ce dernier ouvrage, afin que l'exemplarité de la concertation entourant les projets conduits par la CNR soit encore renforcée.
La proposition de loi renforce également le rôle du schéma directeur de la concession et les consultations dont il fait l'objet. Décliné sous forme d'objectifs, il est le support de programmes pluriannuels quinquennaux qui permettent à CNR d'investir, après concertation avec les élus locaux, dans des projets liés à l'aménagement du Rhône. Le premier programme quinquennal a été fixé à 165 millions d'euros.
Le schéma directeur sera inclus dans le cahier des charges, ce qui permet tout à la fois d'encadrer et de compléter la triple mission du concessionnaire. Il comprend un axe consacré à l'environnement et à la biodiversité et un axe portant sur les actions complémentaires en lien avec les territoires, ce qui a conduit l'ensemble des collectivités parties prenantes, qu'elles soient actionnaires ou non, à soutenir la proposition de loi.
Le comité de suivi de l'exécution de la concession sera consulté sur ces programmes pluriannuels quinquennaux. De plus, et c'est un point majeur, les députés et les sénateurs concernés pourront en faire partie, ce qui permettra d'associer les parlementaires au suivi du bon déroulement de la concession.
L'article 5 de la proposition de loi a trait aux énergies réservées. Dans le cadre d'une concession hydraulique, le concessionnaire peut réserver une partie de l'énergie produite au profit des acteurs locaux. Concrètement, ces réserves en énergie prennent la forme d'une compensation financière versée par le concessionnaire au département. Les dispositions générales qui s'appliquent prévoient que ce sont les conseils départementaux qui rétrocèdent ensuite l'énergie réservée aux ayants droit concernés.
L'article 5 maintient, pour la concession du Rhône, la compétence du préfet s'agissant de l'attribution des énergies réservées : le périmètre de cette concession s'étend sur onze départements, ce qui nécessite une certaine coordination et justifie le maintien de la compétence des services de l'État. C'est d'ailleurs l'avis des conseils départementaux concernés.
Enfin, l'article 6 modernise les dispositions relatives au régime comptable de CNR et la possibilité dont elle bénéficie de délivrer des titres d'occupation du domaine public. Ces dispositions sont en réalité déjà appliquées par le concessionnaire car elles figurent dans le huitième avenant à la convention de concession de 2003. Si la proposition de loi est adoptée, elles auront désormais leur place dans la loi, ce qui se justifie par leur importance.
J'espère vous avoir convaincus que ce texte est particulièrement consensuel et abouti. C'est un honneur que de pouvoir défendre devant vous cette belle réussite qu'est la concession du Rhône. Je souhaite qu'elle puisse se poursuivre pour dix-huit années supplémentaires, tant il est vrai que CNR est un acteur qui donne unanimement satisfaction aux acteurs locaux. Au-delà de tous les éléments à prendre en compte, hydroélectriques, agricoles, d'intérêt général et tenant aux relations avec les collectivités locales, nous sommes nombreux à être attachés au Rhône, de façon personnelle, familiale et historique, car il participe de l'identité de tous ceux qui habitent dans ses alentours.