Madame la ministre chargée des transports, vous venez de signer le décret déclarant d'utilité publique le projet de contournement autoroutier de Rouen par l'est. Ce projet suscite une forte contestation de la part de nombreuses associations, d'élus et des habitants des communes rurales et urbaines directement touchées. Ainsi, les deux tiers des contributions déposées lors de l'enquête publique émettaient des avis négatifs.
Le rapport entre coûts, bénéfices et nuisances du projet de liaison pose particulièrement problème. Son coût financier, estimé à 1 milliard d'euros toutes taxes comprises, est très largement sous-évalué si l'on en croit les critiques formulées par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l'ARAFER, et par l'Autorité de la concurrence, lesquelles pointent les surprofits générés par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, qui surfacturent leurs dépenses d'investissement.
Pour ce projet, il est attendu du concessionnaire qu'il apporte 500 millions d'euros d'investissements, à charge pour lui de se rembourser via un péage, dont le coût détournera les usagers locaux au regard des faibles gains de temps. Les pouvoirs publics doivent verser 500 millions d'euros répartis entre l'État et les collectivités locales. Déjà, la région Normandie, la métropole de Rouen et le département de Seine-Maritime ont augmenté leurs mises de fonds pour pallier la défaillance du département de l'Eure qui a eu la sagesse de se retirer.
Les incertitudes planent sur la contribution de 250 millions d'euros attendue de l'État. En effet, celui-ci cherche à économiser 10 milliards d'euros en matière de financements d'infrastructures. Une certitude : le contribuable local, qui bénéficiera de peu d'externalités positives, devra pallier un éventuel retrait financier de l'État, les inévitables surcoûts du projet ou encore le déficit prévisionnel d'exploitation de l'infrastructure.
Sur le fond, le CEREMA, le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, indique que le trafic routier continuera d'augmenter sur l'ensemble des axes pénétrants de l'agglomération rouennaise, malgré la réalisation de l'équipement. De fait, 90 % des flux routiers de transit sont tournés vers l'ouest de la métropole et sa zone portuaire, et non vers l'est. Concernant la pollution atmosphérique, si l'effet de l'infrastructure sera négligeable dans l'hypercentre rouennais, l'autorité environnementale prévoit qu'en certains points du territoire, plusieurs seuils sanitaires seront allègrement franchis, notamment en termes d'émissions de particules fines et de gaz cancérigènes.
De même, les points de captage d'eau seront vulnérables au moindre accident, alors qu'ils assurent la distribution d'eau potable à plus de 100 000 personnes. Dans les zones rurales, plusieurs centaines d'hectares de terres agricoles et d'espaces forestiers sont appelés à disparaître, tandis que des villages sont promis à une urbanisation génératrice de gaz à effet de serre supplémentaires.
Il est encore temps de faire machine arrière sur ce projet qui ne répond pas aux intérêts locaux. D'autres solutions s'offrent à vous, telle que la finalisation, moyennant quelques investissements, d'un contournement routier par l'ouest utilisant des infrastructures existantes. Ce territoire dispose d'atouts sous-employés qu'il convient d'exploiter : le transport de marchandises par voie fluviale ; le transport ferroviaire avec la plateforme de triage de Sotteville-lès-Rouen aujourd'hui délaissée, alors qu'elle est connectée au complexe industrialo-portuaire normand ; l'amélioration de l'offre de transport pour les voyageurs en TER, grâce au renforcement d'un TER à l'échelle métropolitaine.
Dans ces conditions, madame la ministre, je sollicite le réexamen de cette déclaration d'utilité publique, qui va être contestée par voie judiciaire par des tiers, et l'écoute en direct des acteurs locaux de propositions alternatives, sous l'égide de votre ministère et du ministère de la transition écologique et solidaire.