Je me réjouis qu'après avoir adopté cette proposition de loi en première lecture le 8 octobre 2020, nous poursuivions le processus législatif en l'examinant en deuxième lecture au sein de notre assemblée. Je salue l'initiative de notre groupe Socialistes et apparentés qui, dans une logique transpartisane en faveur des droits des femmes, a choisi de l'inscrire dans sa niche parlementaire, d'abord au Sénat puis à l'Assemblée nationale. Ainsi continuons-nous le combat en faveur des droits des femmes.
C'est d'ailleurs un honneur pour moi d'être aujourd'hui la corapporteure de ce texte aux côtés de ma collègue Albane Gaillot. J'ai beaucoup travaillé sur l'avortement dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, notamment en rédigeant, avec notre collègue Cécile Muschotti, un rapport sur l'accès à l'IVG dans notre pays. Ce travail de longue haleine a été l'occasion de constater, en allant à la rencontre des acteurs de terrain, que, plus de quarante-cinq ans après l'obtention de ce droit, le bilan de l'accès à l'IVG est alarmant.
Professionnels de santé, médecins, sages-femmes, travailleurs sociaux, associations, plannings familiaux, tous font état de plusieurs difficultés dans le parcours d'accès à l'IVG, plus ou moins accrues selon des situations locales parfois très différentes. Il s'agit de difficultés pour accéder à une information claire et exacte, pour savoir à qui s'adresser, pour trouver un professionnel. Certains des praticiens qui refusent de pratiquer l'IVG réorientent les femmes vers un confrère qui l'accepte, mais d'autres ne le font pas. Certains autres, opposés à l'IVG, ne le disent pas et font leur possible pour retarder la prise en charge de sorte que les délais soient dépassés.
Trouver des rendez-vous rapidement et être prise en charge dans les délais impartis sont encore d'autres difficultés liées à l'éloignement des structures de santé, voire à une forme de désertification médicale, encore accrue en matière d'IVG dans certains territoires. D'une région à l'autre, l'offre de soins est contrastée et le délai de prise en charge peut varier du simple au quadruple. Dans les zones rurales, notamment, le nombre des services d'orthogénie se réduit avec la fermeture progressive des petites maternités.
Ces difficultés touchent encore plus frontalement les femmes les plus vulnérables : celles qui n'ont pas de moyen de locomotion, celles qui ne peuvent pas s'absenter de leur travail, celles qui n'ont que peu de moyens pour organiser la garde de leurs enfants afin de se rendre aux consultations obligatoires.
Comment justifier une application à géométrie variable d'un droit absolument fondamental ? De surcroît, ces difficultés ont été exacerbées par la crise sanitaire. Au cours du premier confinement, sur la période allant de mi-mars à mi-mai, le numéro vert national « Sexualité contraception IVG » a connu une augmentation spectaculaire du nombre d'appels par rapport à 2019 : de 330 % pour ceux concernant des difficultés d'accès à l'IVG, et de 100 % pour ceux portant sur une demande d'aide ou d'information pour avorter hors délais à l'étranger. Peur de déranger des soignants déjà débordés, peur d'attraper le virus, impossibilité de se déplacer en France comme à l'étranger, difficulté pour maintenir le secret et l'anonymat dans certaines situations, difficulté d'accès à l'information : la crise sanitaire a renforcé les difficultés d'accès des femmes à l'avortement.
Toutefois, cette crise aura prouvé qu'en cas de nécessité, le système peut être réformé. La généralisation de la téléconsultation, ainsi que l'allongement de cinq à sept semaines de grossesse du délai de recours à l'IVG médicamenteuse en ville démontrent la nécessité et la volonté partagée de renforcer l'effectivité du droit à l'IVG.
Si des mesures importantes ont donc été prises, elles ne sont que provisoires et ne sauraient répondre aux difficultés structurelles d'accès au droit à l'IVG. C'est cette même ambition qui nous amène, Albane Gaillot et moi-même, à vous soumettre cette proposition de loi dont de nombreuses dispositions sont issues du rapport sur l'accès à l'IVG. Dans celui-ci, nous recommandions, avec Cécile Muschotti, l'allongement du délai de recours à l'IVG, la suppression de la clause de conscience spécifique, l'extension de la compétence des sages‑femmes à la pratique d'une IVG par voie instrumentale, la mise en place d'un répertoire des professionnels pratiquant l'IVG géré et mis à jour par les agences régionales de santé (ARS), un bilan sur l'application de la législation relative au délit d'entrave, ainsi que l'amélioration de l'information des femmes sur leur droit au choix de la méthode d'IVG. Je ne peux donc que me féliciter de voir l'ensemble de ces recommandations intégrées dans la proposition de loi.
Ces mesures font d'ailleurs l'objet d'un consensus très important, et tous les récents travaux sur le sujet, qu'ils émanent du Conseil économique, social et environnemental (CESE), de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ou du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), font des recommandations dans le même sens. Ces recommandations, d'ordre législatif, devront évidemment être complétées par des mesures réglementaires, notamment dans le domaine de la formation des professionnels de santé. Les médecins, généralistes comme gynécologues, ne sont pas suffisamment formés à l'acte d'avortement – il existe même une forme de désinformation à son sujet. Il faut faire évoluer les mentalités et les pratiques des médecins. Il n'est plus possible que des services de gynécologie soient encore dirigés par des médecins opposés à l'avortement !
Il ne s'agit d'ailleurs pas que des médecins : tous les personnels médicaux doivent être mieux sensibilisés et formés à l'accueil et à l'accompagnement des femmes souhaitant recourir à une IVG. Nous devons agir résolument en ce sens afin de garantir le droit fondamental qu'est l'avortement et faciliter le parcours des femmes pour y avoir accès. Les débats d'aujourd'hui en commission, puis en séance publique la semaine prochaine, en seront l'occasion.
Alors, soyons tous ambitieux : nous ne devrions jamais hésiter lorsqu'il s'agit de protéger nos concitoyennes et les droits des femmes dans notre société. Comme le dit la professeure de droit Diane Roman : « L'interruption volontaire de grossesse est perçue comme une simple dérogation au droit à la vie. » Mes chers collègues, il est temps de rendre ce droit effectif. Nous comptons sur votre entier soutien.