Je vous remercie de m'accueillir de nouveau dans votre commission, après l'avoir déjà fait lors de l'examen de la proposition de loi que j'ai défendue l'année dernière en faveur de la revalorisation des pensions des exploitants agricoles.
Ce n'est qu'après un combat de plus de trois ans que cette première proposition de loi a été finalement adoptée : elle doit entrer en vigueur au 1er novembre prochain, sur la base d'un décret en voie d'être signé. Je souhaite évidemment que la proposition de loi que je vous présente connaisse un chemin moins sinueux, d'autant qu'elle répond à des besoins singulièrement pressants.
Nous en étions tous convenus, sur tous les bancs : la proposition de loi précédente, en portant le complément de retraite complémentaire obligatoire, voté en 2014, de 75 % à 85 % du SMIC, contenait un point aveugle, que les règles de recevabilité des amendements ne m'avaient pas permis de combler à l'époque : la situation des aides familiaux et des conjoints collaborateurs.
Les premiers sont les filles et fils, parfois frères sœurs ou même parents un peu plus éloignés qui viennent travailler dans l'exploitation, avant de devenir souvent à leur tour salarié ou exploitant agricole. C'est une voie d'entrée dans la carrière, limitée depuis 2006 à cinq années pour leur éviter de s'enfermer dans un statut social déficient.
Les seconds, et je devrais dire les secondes, sont les conjoints des exploitants, dont l'existence sociale n'a vraiment été reconnue qu'en 1999 ; les femmes représentent plus de 90 % de cette catégorie. Alors que ce statut était initialement protecteur, la situation des agricultrices a suffisamment évolué pour le considérer désormais comme une potentielle trappe à petites retraites : en basant les cotisations sur une assiette forfaitaire réduite, il ne peut déboucher que sur des pensions modestes.
307 euros. Je dis bien 307 euros ! Voilà le montant, dans le régime des non-salariés agricoles, d'une pension de conjoint collaborateur ou de conjointe collaboratrice. Un montant infime, dérisoire au regard du travail réellement accompli dans l'exploitation.
Certains se rassurent à bon compte en se disant qu'ils ou elles l'ont bien voulu, qu'il s'agit d'un choix consenti. Mais quel choix reste-t-il quand l'ouverture au tout‑marché, la recherche du prix le plus bas pour les produits agricoles, la contrainte d'une alimentation la moins coûteuse possible pour les budgets réduits ne permettent pas de rémunérer correctement ceux qui les produisent – a fortiori lorsqu'il y a deux personnes à rémunérer sur l'exploitation ? Heureusement, nombre de ces conjointes ont cotisé à d'autres régimes, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un système qui pousse des agricultrices à cumuler deux ou trois carrières pour bénéficier d'une retraite décente.
Des carrières plus heurtées, une moindre reconnaissance, voilà ce qui explique la situation des retraitées après une vie de conjointe collaboratrice. Et au sein même du statut de conjoint collaborateur, les retraitées bénéficient d'une pension mensuelle inférieure de 260 euros à celle de leurs équivalents masculins, et sont seulement 62 % à avoir eu une carrière complète au moment de la liquidation de leurs droits, contre 90 % pour les hommes.
Mais les chiffres ne parviennent pas à dire la détresse des hommes et surtout des femmes dont nous parlons. Le constat est sans appel : si les inégalités entre les femmes et les hommes à la retraite sont frappantes partout, elles sont plus criantes encore dans le monde agricole.
Pourquoi cette spécificité agricole ? Parce que les conjointes et les aides familiaux ont souvent été les oubliés de la protection sociale agricole. Quand on a créé, par la « loi Peiro » de 2002, un système de retraite complémentaire obligatoire (RCO), ce qui constituait évidemment un progrès majeur, on a oublié les conjointes et les aides. Quand on a créé un complément différentiel pour porter les pensions minimales à 75 % du SMIC, en 2014, on a oublié les conjointes et les aides.
Le système de protection sociale agricole s'est attaché, jusqu'à aujourd'hui, à créer des assurés de seconde zone. Moi-même, dans la proposition de loi adoptée l'année dernière, n'ai pas pu les intégrer, pour gravir une première marche. Je vous propose de remédier à cette carence aujourd'hui : avec le présent texte, nous pouvons mettre un terme à ce perpétuel retard et réduire ces inacceptables écarts.
On pourrait m'objecter qu'il s'agit d'une loi pour le passé car, en raison notamment de ces droits sociaux défaillants, les statuts d'aide familial et de conjoint collaborateur connaissent ces dernières années une érosion démographique rapide. On comptait près de 50 000 conjointes actives en 2009, et seulement 25 000 aujourd'hui. Les aides familiaux connaissent une évolution similaire : 6 500 en 2009, et moins de la moitié aujourd'hui.
C'est bien pour cela que mon ambition est d'englober autant les futurs retraités que les actuels – j'éviterai les termes peu flatteurs de « flux » et de « stock ». Les futurs retraités, même s'ils sont moins nombreux, ne doivent pas voir se répéter nos erreurs passées, qu'il est encore temps de réparer pour les retraités actuels. Certes, l'application aux seuls futurs retraités serait une avancée sociale, mais ce n'est pas notre ambition initiale.
Ce que nous voulons, c'est rétablir autant que possible l'égalité des droits entre tous les non-salariés agricoles. Pour cela, l'article 1er de ma proposition de loi supprime la distinction malvenue entre les pensions majorées de référence (PMR) des exploitants (PMR 1) et celles des conjoints et des aides familiaux (PMR 2).
Si j'en crois les amendements qui ont été déposés, nous sommes d'accord sur ce point. Mais l'article 1er aligne également, dans un souci de justice sociale, ce minimum contributif sur celui des salariés du régime général, en rapprochant les modalités de majoration et de cumul avec la pension de réversion. In fine, la première mesure, qui semble-t-il nous rassemble, pourrait se traduire par un gain mensuel moyen de 62 euros pour les bénéficiaires, et même de 75 euros pour les femmes, pour environ 175 000 pensionnés. La seconde mesure, sans qu'il y ait de cumul systématique entre les deux, pourrait conduire à une revalorisation de la pension de 163 euros pour environ 150 000 pensionnés. Au regard du montant des retraites dont nous parlons, ce n'est évidemment pas mince. Mais ce n'est surtout pas tout !
L'article 2, qui s'inscrit dans la droite ligne de ma précédente proposition de loi, ouvre simplement aux conjointes et aux aides familiaux les revalorisations de pension complémentaire que nous avons votées l'année dernière. Porter leur pension à 85 % du SMIC se traduirait par un gain moyen de 235 euros, pour plus de 300 000 pensionnés. Le montant de pension minimal attendrait 1 036 euros.
S'agit-il d'un montant excessif ? Est-il déraisonnable de garantir ce montant de pension après une vie de travail agricole ? Je ne le pense pas, mais je suis conscient du coût d'une telle mesure.
Soucieux que d'éventuelles différences d'appréciation n'empêchent pas d'avancer sur les différents instruments que comporte cette proposition de loi, je me tiens prêt à en discuter. Je reste néanmoins persuadé que c'est un objectif que nous devons garder à l'esprit pour faire cesser cette distinction, qui a de moins en moins de pertinence, entre les hommes exploitants et les femmes conjointes dans le monde agricole.
L'article 3, susceptible là encore de rencontrer un accord très large dans cette commission, limite le bénéfice du statut de conjoint collaborateur à une durée maximale de cinq ans, identique à celle des aides familiaux aujourd'hui.
Tout démontre en effet que les personnes qui disposent de ce statut doivent en changer suffisamment rapidement pour se constituer des droits sociaux dignes du travail qu'elles accomplissent. Je serai amené à vous présenter des amendements issus des auditions que j'ai menées pour limiter également dans le temps le cumul du statut d'aide familial et de conjoint collaborateur.
Les derniers articles correspondent, outre le gage, aux recettes dont on pourrait choisir de bénéficier pour financer les revalorisations que je vous propose. Comme pour ma première proposition de loi, ces dispositions seront sans doute amenées à évoluer au cours du débat parlementaire, notamment à l'initiative du Gouvernement.
J'ai d'autant plus confiance dans notre capacité collective à répondre à ces attentes sociales que je rejoins presque totalement la proposition de loi relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l'agriculture de notre collègue Jacqueline Dubois, qui a été cosignée par cent vingt‑cinq députés de la majorité – ce qui n'est pas rien. Vous regrettez que les conjoints collaborateurs et les aides familiaux soient exclus de la loi du 3 juillet dernier, moi aussi. Vous proposez de limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur, nous sommes d'accord. Vous voulez faciliter l'accès au complément différentiel, c'est l'objet de l'article 2 du texte que je vous présente.
Votre proposition de loi, rejoignant en cela les travaux récents de nos collègues Lionel Causse et Nicolas Turquois sur les petites pensions de retraite, va même au-delà de la mienne en entendant alignant la PMR sur le montant de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), soit 900 euros – mesure très ambitieuse financièrement et dont je partage naturellement l'objectif, vous l'imaginez bien. Ses signataires ne peuvent donc qu'être d'accord avec le premier pas, significatif, que représente l'article 1er. Nous sommes alignés jusqu'aux recettes que vous choisissez d'affecter à la revalorisation des pensions agricoles.
C'est vous dire ma surprise – mais elles pourront expliquer leur démarche dans un instant – de voir les mêmes personnes qui avaient signé il y a exactement deux mois une proposition de loi si ambitieuse déposer un amendement réduisant la portée de mon article 1er.
J'espère aussi que la question du coût ne sera pas le seul objet de nos discussions, alors que rien ne montre clairement que ma proposition de loi serait beaucoup plus coûteuse que la vôtre. Vous disiez vouloir concrétiser la démarche entreprise pour répondre à un impératif de justice sociale. Faisons avancer votre démarche avec des mesures concrètes que nous pouvons voter aujourd'hui ! Répondons sans délai, puisqu'il s'agit d'un impératif !
Le poète René Char m'a accompagné pendant le long cheminement de ma première proposition de loi, lui qui disait si bien « L'inaccompli bourdonne d'essentiel ». Je vous demanderai cette fois-ci, avec Paul Éluard, de ne pas marcher « sans but sans savoir que les hommes / Ont besoin d'être unis d'espérer de lutter / Pour expliquer le monde et pour le transformer ».