Intervention de Cyrille Isaac-Sibille

Réunion du mardi 8 mars 2022 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrille Isaac-Sibille :

Sibille, rapporteur. À mon tour de vous présenter une partie des travaux de la mission d'information. Je m'attacherai aux ressources humaines, en indiquant au préalable que nous nous sommes attachés à considérer les EHPAD avant tout comme des lieux de vie, même s'ils sont aussi, de plus en plus, des lieux de soins.

À la suite de Didier Martin, il me paraît indispensable de renforcer les actions de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles pour rendre plus attractifs les métiers du grand âge, en cohérence avec le programme de lutte contre la sinistralité et d'amélioration de la qualité de vie au travail dans ce secteur. Cela passe par exemple par le fait d'être plusieurs pour lever ou coucher une personne âgée. C'est notre proposition n° 6. Les maladies professionnelles et les arrêts de travail sont plus nombreux dans ce secteur que dans celui du bâtiment et des travaux publics.

Concernant la gestion des ressources humaines, le constat est unanime : il existe une véritable faiblesse autour de la définition du rôle, de la fonction, des responsabilités fonctionnelles du directeur d'EHPAD. Il a un rôle de chef d'orchestre : s'il doit être un bon gestionnaire, il doit aussi disposer de qualités managériales pour administrer les équipes, mais surtout humaines, car il est l'âme de son établissement, et le premier interlocuteur des résidents et de leur famille.

Il y a encore une dizaine d'années, le certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement ou de service d'intervention sociale (CAFDES) et la formation de directeur d'établissement sanitaire, social et médico‑social (D3S) de l'École des hautes études en santé publique (EHESP) étaient indispensables pour devenir directeur d'établissement privé ou public. Ce n'est plus le cas puisqu'il suffit désormais d'être diplômé d'un master 2, dans n'importe quel domaine, pour devenir directeur d'un établissement privé. Cette situation n'est pas satisfaisante car elle conduit à une vision gestionnaire et managériale de la fonction, centrée sur les tableaux de bord et les taux d'occupation, alors que le directeur devrait avant tout être tourné vers l'humain. Il est donc impératif que la formation initiale des directeurs d'établissements comporte un volet médico‑social, pour limiter le risque d'une dérive purement gestionnaire de la direction des EHPAD. C'est notre proposition n° 7.

Le statut juridique des EHPAD n'est évidemment pas sans influence sur leur gestion. Comme on nous l'a rappelé en audition, le directeur d'un petit EHPAD associatif a nettement plus de marges de manœuvre pour gérer son établissement et organiser la vie quotidienne des résidents que celui qui dépend d'un grand groupe commercial, qui est trop souvent privé d'autonomie et contraint de suivre les injonctions du siège, et qui n'est pas associé à la rédaction des CPOM.

Partenaires des directeurs d'établissements, les médecins coordonnateurs souffrent aussi d'un manque de reconnaissance de leur fonction, pourtant structurante au sein des EHPAD. Près de 30 % des établissements ne disposent d'aucun médecin coordonnateur, alors qu'il s'agit d'une obligation légale. La prise de conscience du manque d'attractivité de la fonction a déjà conduit le Gouvernement à agir, en élargissant les missions dévolues aux médecins coordonnateurs et en revalorisant leur rémunération au niveau de celle des praticiens hospitaliers.

Toutefois, les efforts doivent être poursuivis. Il faut allonger le temps de travail des médecins coordonnateurs, afin qu'ils puissent vivre de cette fonction. Il est également légitime de renforcer leur rôle dans le fonctionnement des EHPAD en rendant, par exemple, leur avis contraignant lors de l'admission de nouveaux résidents. Enfin, pour prévenir la pénurie de médecins coordonnateurs et permettre à ceux qui sont en exercice de s'absenter, nous préconisons la création d'un service d'astreinte, qui permettrait de pallier leur absence. C'est la proposition n° 8.

Je le répète, l'EHPAD est un lieu de vie – un lieu de « prendre soin », avant d'être un lieu de soins. Il faut diversifier les profils recrutés pour accompagner au mieux les résidents dans leur vie quotidienne : animateurs, professionnels du secteur socioculturel, psychologues, psychomotriciens, ergothérapeutes... Ils sont nombreux à pouvoir accompagner nos aînés et prévenir la dépendance autrement que par le soin. La proposition n° 9 vise à s'assurer de leur présence dans les établissements, d'autant que leurs postes relèvent de la section hébergement, qui n'est contrôlée ni par les ARS, ni par les conseils départementaux.

Nous savons que rien de tout cela ne sera possible si nous n'engageons pas une rénovation en profondeur des CPOM. Il ne s'agit pas d'aborder ces contrats en tant qu'outils de gestion financière, mais bien de mesurer leur influence sur la gestion des ressources humaines. Auparavant, les conventions tripartites comportaient des tableaux des effectifs, prévisionnels ou réalisés. Ce n'est plus le cas avec les CPOM, négociés avec les groupes et non établissement par établissement, ce qui contribue largement à la déresponsabilisation des directeurs, qui ne sont pas impliqués dans leur négociation. Plus largement, le mouvement de mutualisation des établissements, conforme aux souhaits des ARS, présente certes des avantages, mais fait naître aussi une organisation pyramidale : les directeurs d'établissement ne sont plus considérés comme des cadres dirigeants, ce qui a des répercussions sur l'organisation du quotidien des résidents.

Le manque de personnel pour accompagner nos aînés aux côtés du personnel soignant est aussi le fait du cloisonnement, voire du glissement des financements établis dans le cadre des CPOM. Ces derniers ne permettent pas d'assurer le recrutement pérenne du personnel de prévention ou d'animation, dont les emplois sont financés par la section hébergement, ni une bonne répartition des ressources humaines. En outre, le contrôle des établissements et de l'utilisation des fonds qui leur sont alloués n'est pertinent qu'au regard des moyens prévus par les CPOM. C'est pourquoi notre mission n'a pu faire l'économie d'une proposition, n° 10, allant dans le sens d'une redéfinition des CPOM. La nouvelle génération de contrats devra permettre de négocier de manière globale et simultanée les trois objectifs – hébergement, dépendance, soins – afin d'intégrer les ressources humaines financées par la section hébergement. La négociation doit, en outre, se faire simultanément avec l'ARS et le conseil départemental. Le contrôle des objectifs et des moyens s'exercera, dès lors, sur l'ensemble des trois sections de financement et permettra d'adopter une vision transversale des ressources humaines.

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