Intervention de Bruno Duvergé

Réunion du lundi 24 juin 2019 à 16h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Duvergé, rapporteur :

Monsieur le président, chers collègues, je voudrais, avant toute chose, vous remercier pour votre engagement. Nous avons, neuf mois durant, accompli un gros travail. Je joins également mes remerciements à ceux du président pour nos administratrices dont le travail de recherche, d'organisation et de synthèse a permis à ce rapport – qui est un beau travail d'équipe – d'exister.

La transition énergétique est l'affaire du siècle, et il faut l'aborder comme telle. Pour réussir une transition, il faut savoir répondre à trois questions : pourquoi cette transition est-elle nécessaire ? vers quoi doit-elle conduire et par quels chemins ?

À la première question, les citoyens du monde, au premier rang desquels les plus jeunes, commencent à avoir des réponses. En témoignent le fait qu'ils descendent dans la rue, mais également le résultat des dernières élections : tout le monde comprend que, pour préserver le climat, il faut changer nos façons de faire, et donc de la gestion de nos énergies.

À la seconde question, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) nous apporte la réponse, réponse que va confirmer la loi énergie-climat : nous devons parvenir à la neutralité carbone en 2050.

Savoir comment on parvient à cet objectif est en revanche beaucoup plus compliqué. Cela concerne tout le monde et exige en premier lieu un effort planifié. C'est le message principal qu'entend délivrer notre rapport : nous avons besoin d'une vision à long terme et d'un effort de planification pour avancer dans la bonne direction. Aujourd'hui, nous appréhendons la transition énergétique par le petit bout de la lorgnette en multipliant les petites mesures, qui finissent par s'entrechoquer parce qu'elles ne se rapportent à aucune vision d'ensemble.

Le second constat qui s'impose est que nous abordons trop facilement la question de la transition énergétique par le biais du débat sur l'énergie électrique – et donc de l'énergie nucléaire. C'est en réalité une ornière, car l'énergie électrique représente 26 % ou 27 % de l'énergie totale que nous consommons, part dans laquelle le nucléaire représente 70 %. Le nucléaire représente donc moins de 20 % de notre consommation totale d'énergie, dont 66 % sont en réalité issus de l'énergie fossile – pétrole, gaz ou charbon –, et c'est donc bien sur l'énergie fossile que doivent porter nos efforts.

Pour en revenir à la nécessité de revoir la planification de nos actions en faveur de la transition énergétique, je ne peux que renvoyer à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui se révèle difficile à utiliser dans la mesure où les unités et les références utilisées ne sont pas nécessairement harmonisées, cet écart étant flagrant si l'on compare la PPE avec le document amont, c'est-à-dire la stratégie nationale bas-carbone, celle-ci prenant comme années de référence 2040 ou 2050 tandis que la PPE se réfère à 2028 ou 2030.

D'où la difficulté à en tirer un dessein clair auquel rallier la population. Il me semble néanmoins que, sur ce point précis, nous avons été entendus par Emmanuelle Wargon. J'en veux pour preuve le fait que l'amendement que nous avons déposé devant la commission des affaires économiques et demandant la réalisation d'une synthèse de la PPE accessible au public a été adopté.

Cette vision synthétique doit nous permettre d'avancer en articulant nos actions à l'échelle européenne, nationale, puis régionale. La connexion avec l'échelon européen doit être permanente. Par exemple, il faudra que la définition des véhicules à faibles et très faibles émissions que nous avons fait inscrire dans la loi d'orientation des mobilités (LOM) et qui stipule qu'y sont inclus les véhicules utilisant des carburants à bilan carbone neutre, soit prise en compte par l'Union européenne, comme chaque nouvelle avancée française.

Il faut ensuite mieux articuler la planification nationale et la planification régionale car force est de constater qu'aujourd'hui il n'est pas suffisamment tenu compte au niveau national des perspectives inscrites dans les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Or, il est essentiel de pouvoir consolider dans un document global les bonnes idées mises en œuvre sur le terrain.

Plusieurs d'entre nous ont tiré de nos voyages au Danemark et en Allemagne la certitude que la France disposait de nombreux atouts pour réussir la transition énergétique. Certes, l'Allemagne est en avance en matière de développement de l'énergie éolienne, mais les Allemands admettent que, pour gérer la variabilité de l'éolien, ils ont besoin d'un réseau européen qui leur permette de combler leurs phases de faible production par les excédents produits par les pays voisins. Or c'est une réponse assez peu satisfaisante dans la mesure où en règle générale, lorsqu'il y a du vent en Allemagne, il y en a partout, et lorsqu'il n'y en a pas, il n'y en a nulle part. Il en va de même pour le soleil.

Quant aux Danois, ils exportent leur excédent d'énergie éolienne vers la Norvège, ce qui permet à celle-ci de remonter l'eau de ses barrages pour produire une électricité rachetée par le Danemark ! Là encore, le système n'est pas nécessairement gagnant-gagnant.

En France, nous avons la chance d'avoir à la fois des barrages hydroélectriques et des centrales nucléaires, que nous devons voir comme les éléments d'un système global, dont font également partie le réseau de transport d'électricité et ses interconnexions avec l'Europe. Aujourd'hui, on a tendance à considérer que les centrales nucléaires et les barrages hydroélectriques ne sont là que pour produire de l'électricité, ce qui n'est pas le cas : ils ont aussi pour rôle de stabiliser le réseau et de pallier la variabilité de l'éolien et du solaire, et il faut les gérer en conséquence. Bien sûr, nous allons ramener à 50 % notre production d'énergie nucléaire, mais il faut se demander comment la production d'énergie nucléaire et d'énergie hydraulique doit être organisée pour gérer au mieux cette variabilité.

Il faut plus de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qui permettent de stocker de l'eau dans des bassins d'accumulation lorsque la demande d'énergie est faible, afin de la turbiner pour produire de l'électricité lorsque la demande est forte. J'avais proposé un amendement en ce sens, mais il n'a pas été accepté. Je le proposerai à nouveau en séance publique, car j'estime que nous devons insister sur ce qui constitue une force de notre politique énergétique en France.

Un autre point important est celui de la quantification des gisements. Aujourd'hui, chaque initiative visant à développer une nouvelle énergie se heurte à une opposition : ainsi, on craint des éoliennes qu'elles défigurent nos paysages, et de la méthanisation qu'elle utilise trop de surfaces agricoles alimentaires… Nous devons répondre à toutes ces questions en planifiant et en quantifiant. Par exemple, il faut commencer par se demander de quelle quantité de mélasse de betterave et de marc de raisin on dispose pour fabriquer des biocarburants, et quelle est la biomasse disponible pour faire de la méthanisation – mais sans planter du maïs à cette fin. On peut envisager de réserver une partie de la surface agricole utile – cela pourrait être un pourcentage de l'ordre de 7 % à 15 %, par exemple – à des cultures destinées à la méthanisation mais, dans ce cas, cela doit faire l'objet d'une décision prise en toute transparence, par le Parlement et le Gouvernement.

Nous devons également quantifier nos gisements de biomasse, et notre capacité à produire de l'énergie éolienne. Sur ce dernier point, on sait très bien que certains territoires où on a initialement constaté une acceptabilité correcte de l'éolien arrivent aujourd'hui à saturation. Il faut donc maintenant déterminer, territoire par territoire, où on peut mettre des éoliennes, et combien, et je pense qu'on pourrait faire beaucoup plus d'éolien terrestre si on procédait à cette planification – évidemment, on peut se poser la même question pour l'éolien marin, qu'il soit posé ou flottant.

Je vais maintenant évoquer le mix énergétique un peu plus dans le détail, en commençant par l'hydroélectricité. Notre mission a reconnu le rôle de premier plan de cette énergie en termes de production – une production que l'on doit pouvoir augmenter sans créer de nouveaux barrages : il semble que de nouveaux investissements suffisent à envisager un potentiel de 30 % supplémentaires. L'hydroélectricité constitue aussi et surtout un dispositif de régulation des énergies variables, qui permet de pallier la variabilité des autres énergies renouvelables, notamment grâce aux STEP.

En matière d'éolien, nous devons intégrer davantage les enjeux environnementaux et la faisabilité, en renforçant notre capacité de planification pour une meilleure acceptabilité. Celle-ci peut se trouver améliorée par la prise en compte de certains points techniques ayant notamment pour objet de réduire la pollution visuelle de nuit – pour cela, il existe par exemple des dispositifs permettant d'allumer le balisage lumineux uniquement lorsqu'un aéronef passe à proximité.

Pour ce qui est du photovoltaïque, nous devons favoriser les projets dans le nord de la France, donc réfléchir aux moyens de lancer des appels d'offres à budget constant, mais régionalisés, permettant de développer le solaire sur tout le territoire, mais aussi abaisser le seuil d'appel d'offres à 100 kilowatts (KW) afin de favoriser les petits projets.

En ce qui concerne la méthanisation, nous devons revenir à l'ambition de la PPE de 2016, c'est-à-dire reconfirmer la cible de 8 térawattheures (TWh) pour 2023. Pour cela, nous devons bien sûr améliorer le coût de revient de la méthanisation, mais aussi faire en sorte d'accélérer la réalisation des projets en engageant une réflexion qui prenne pour point de départ le nombre d'installations possibles sur chaque territoire. On peut s'inspirer de l'exemple du département du Maine-et-Loire, qui a planifié l'installation de 49 méthaniseurs sur son territoire, et le généraliser en s'assurant de l'acceptabilité auprès de la population, mais aussi en vérifiant que l'on ne fait pas de bêtises en termes de longueur du trajet à parcourir pour amener les intrants, et de disponibilité de ces intrants.

Le plan « Hydrogène » doit être examiné en ce qui concerne à la fois la production, la distribution et les usages. On produit aujourd'hui environ un million de tonnes d'hydrogène par craquage du méthane. Notre premier objectif doit consister à verdir cette production en recourant plutôt à l'hydrolyse – au moyen d'une électricité décarbonée, bien sûr. Il faut également investir dans la recherche, afin de trouver d'autres moyens de produire de l'hydrogène. Aujourd'hui, dans le meilleur des cas, l'hydrogène provenant de l'hydrolyse est quatre fois plus cher que celui provenant du craquage du méthane : nous devons donc vraiment progresser sur ce point pour arriver à des coûts acceptables.

Nos travaux ont mis en évidence qu'il existe plusieurs stratégies de distribution de l'hydrogène : on peut le transporter par camion, mais aussi en injecter une certaine proportion dans les gazoducs qui acheminent du méthane – pas plus de 20 % car, au-delà, l'hydrogène a tendance à fuir. Il faut se demander où l'hydrogène doit être produit, à savoir soit dans de petites entités locales, à proximité des lieux où il sera consommé, soit dans de grandes entités pour être ensuite distribué sur de plus longues distances.

Il existe de multiples usages de l'hydrogène. Pour ce qui est de la mobilité, on parle beaucoup de la pile à combustible, très performante en termes d'autonomie : de mémoire, je dirai qu'un réservoir d'hydrogène permet de parcourir 75 % de la distance parcourue avec un réservoir à essence de même contenance. L'hydrogène peut aussi servir à fabriquer des carburants synthétiques : il est possible de recombiner à l'hydrogène les excès de CO2 rejetés par les aciéries pour obtenir des carburants de type éthanol. On peut aussi injecter de l'hydrogène dans le réseau de gaz de ville pour en augmenter la performance calorifique, comme cela s'est fait à titre expérimental à Dunkerque. Enfin, il est possible de fabriquer des carburants constitués d'un mélange de biométhane et d'hydrogène.

J'en viens au thème de l'efficacité énergétique et de la place qu'il convient de redonner au Parlement en la matière. Je suis convaincu qu'on ne peut pas embarquer la population dans la transition énergétique si les parlementaires ne sont pas déjà eux-mêmes convaincus du bien-fondé de cette transition, mais aussi parfaitement informés : chacun de nous devrait être capable de parler de la planification pluriannuelle de l'énergie, ce qui ne me paraît pas être le cas aujourd'hui. Sur tous les sujets que j'ai évoqués, il y a des choix à effectuer sur le plan national : il est donc essentiel de faire en sorte que l'on débatte de la PPE au sein de l'Assemblée nationale. Certains objecteront qu'il s'agit d'un sujet très technique, échappant de ce fait à la compétence des parlementaires, mais le Haut Conseil pour le climat a justement pour rôle de simplifier les thématiques du climat pour les rendre accessibles aux parlementaires. Après tout, la bioéthique ou l'intelligence artificielle sont également des sujets très techniques, et cela n'empêche pas les parlementaires d'en débattre !

Il n'y a donc aucune raison pour que la transition énergétique ne soit pas discutée au Parlement, et je pense qu'il faut vraiment insister sur ce point. Aujourd'hui, certains essaient d'inscrire dans la loi énergie-climat l'interdiction de louer des passoires thermiques. Pourquoi ne pourrait-on pas avoir un projet de loi reprenant toutes les thématiques relatives à l'efficacité énergétique ? On l'a fait un peu avec la LOM, ce qui est une bonne chose, mais je crois qu'on pourrait aussi le faire avec l'efficacité énergétique ou le plan « Hydrogène ».

La transition énergétique doit également s'appuyer sur les collectivités locales. Les auditions menées par notre mission d'information ont mis en évidence des exemples formidables de communes, d'intercommunalité, de départements, de régions, qui ont pris le problème à bras-le-corps et y ont répondu en proposant des solutions très concrètes, dont certaines sont déjà mises en place. C'est le cas du Maine-et-Loire, mais aussi de Dunkerque, où beaucoup de choses ont été faites. D'une manière générale, les schémas d'économie industrielle circulaire, prévoyant la réutilisation des rejets de chaque industrie, constituent de formidables exemples.

En tant que parlementaires, nous devons être capables d'expliquer pourquoi on change, où on va et de quelle manière. Cela implique d'informer les citoyens, mais aussi les enfants – dès l'école primaire – et de mettre à disposition de nos concitoyens des outils permettant à chacun de calculer son empreinte carbone. Nous devons également faire en sorte que les travaux d'experts soient toujours accompagnés de rapports vulgarisés et synthétiques à destination des élus.

Je n'ai pas abordé tous les thèmes dans le cadre de cette présentation, mais l'échange qui va suivre permettra certainement de le faire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.