Intervention de Paul Molac

Séance en hémicycle du mardi 21 septembre 2021 à 15h00
Responsabilité pénale et sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Au sein du groupe Libertés et territoires, nous ne considérons pas que l'écriture de la loi doive se faire a posteriori en réaction à des évènements particuliers et médiatisés, aussi dramatiques soient-ils. Cela contribue à affaiblir la qualité de la loi. Car en réalité, l'apport normatif des mesures ainsi proposées risque d'être très limité. Pire : il en résulte bien souvent un renforcement de l'arsenal répressif et un recul inexorable de nos libertés sur lequel l'histoire nous montre qu'il est très difficile de revenir.

Le meurtre de Sarah Halimi, puisque c'est notamment de cela qu'il s'agit dans ce projet de loi, est un crime odieux, indéniablement antisémite, qui a ému à juste titre l'opinion publique française et internationale. Toutefois, nous mesurons mal l'apport que pourrait avoir ce texte pour éviter que de tels événements se reproduisent.

Concernant l'article 1er , je m'en tiendrai à citer le Conseil d'État qui souligne dans son avis que « l'exception introduite par le projet de loi, qui entend répondre à l'émotion suscitée dans l'opinion par des faits divers tragiques, a une portée plus que limitée, la réunion des conditions de l'exclusion de l'irresponsabilité pénale paraissant très théorique et la preuve de l'élément intentionnel extrêmement difficile à apporter en pratique. »

Concernant l'article 2, nous nous inquiétons qu'il conduise à mettre des personnes souffrant de troubles mentaux lourds en prison alors qu'elles doivent plutôt suivre des soins. En effet, il y est question de condamner à des peines allant jusqu'à dix ans de prison des personnes ayant été, dans un premier temps, déclarées irresponsables pénalement du crime pour lequel elles seront ensuite poursuivies.

Rappelons que le Gouvernement a lui-même commandé un rapport, dont les conclusions, qui ont été remises en début d'année 2021 par MM. Houillon et Raimbourg, recommandaient explicitement de ne pas toucher à la loi. Ainsi, ces mesures ressemblent davantage à une tentative inaboutie qu'à une amélioration de la loi dans un but d'intelligibilité et d'efficacité. Nous regrettons d'être encore une fois amenés à traiter des effets sans que l'on ait cherché à aborder la cause : la cause étant bien sûr le suivi des personnes aux troubles psychiatriques lourds, lequel n'est évidemment pas abordé dans le texte.

De surcroît, comme nous sommes en fin de législature, le Gouvernement profite d'un véhicule législatif pour replacer pêle-mêle des mesures n'ayant pu être adoptées jusqu'à présent, un certain nombre d'entre elles ayant été retoquées par le Conseil constitutionnel.

Concernant les nouvelles infractions envers les forces de sécurité, je me permets de citer à nouveau l'avis du Conseil d'État, selon lequel « le code pénal comporte de nombreuses incriminations relatives aux menaces, intimidations ou violences contre des personnes chargées de certaines missions de service public, sans que celles-ci soient toujours claires et bien articulées entre elles. » Je souligne aussi que, pour la plupart de ces infractions, les peines encourues sont plus importantes quand elles sont commises contre les forces de l'ordre que contre des personnes qui ne sont pas détentrices de la puissance publique. Dès lors, « le Conseil d'État réitère-t-il sa suggestion faite au Gouvernement […] d'engager une réflexion afin de leur donner plus de lisibilité et de cohérence ». Notre groupe ne peut qu'abonder en ce sens.

Par ailleurs, le texte de loi prévoit que les réservistes de la police puissent porter une arme lors de certaines interventions. Il est nécessaire qu'une telle disposition s'accompagne d'une formation adéquate et approfondie, et d'une véritable sélection, notamment sur le plan psychologique, des personnes recrutées au sein de cette nouvelle réserve opérationnelle, comme nous le proposerons par amendement. En effet, les armes se retournent contre leur propriétaire plus souvent qu'elles ne servent contre les délinquants.

Enfin, vous réintroduisez dans le texte des mesures issues de la proposition de loi pour une sécurité globale concernant des dispositifs de captation vidéo, censurées il y a quelques semaines par le Conseil constitutionnel pour respect insuffisant du droit à la vie privée. Certaines des remarques que des membres de notre groupe avaient formulées auprès du Conseil constitutionnel demeurent d'actualité : à titre d'exemple, les motifs justifiant le recours aux drones à des fins de surveillance énumérés à l'article 8 sont bien trop vagues, ce qui risque de rendre cette pratique courante sur l'ensemble du territoire.

Il serait également judicieux que l'interdiction de collecter des images des domiciles soit complétée par une extension aux images des immeubles et de tous les lieux privatifs afin de limiter l'atteinte au droit à la vie privée. Ajoutons surtout que, si le texte prévoit que l'enregistrement devra être immédiatement interrompu « en cas de visualisation de domicile », il sera le plus souvent impossible d'y parvenir pour des raisons techniques : l'intérieur des domiciles sera donc filmé.

Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés et territoires votera majoritairement contre le projet de loi.

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