Intervention de élisabeth Borne

Séance en hémicycle du mardi 28 septembre 2021 à 15h00
Ratification de l'ordonnance relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes — Présentation

élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, le développement des plateformes numériques, qui s'est fortement accéléré depuis quelques années, remet en cause nos grilles de lecture habituelles du monde du travail. Le déséquilibre fréquent dans la relation entre les plateformes et les travailleurs qui y ont recours entraîne encore trop souvent des situations de fragilité pour ces derniers.

Cependant, je veux le dire clairement : le Gouvernement considère que le développement des plateformes ne doit pas être combattu par principe ou par idéologie. Notre devoir est d'accompagner le développement de ce modèle économique, qui est une source d'emplois et peut offrir un accès rapide à la vie professionnelle, tout en garantissant un socle de droits sociaux aux travailleurs concernés.

C'est tout le sens du projet de loi que je porte avec Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux transports, et dont nous débattons aujourd'hui. En créant les conditions d'un dialogue social structuré et organisé entre les plateformes et leurs travailleurs, nous leur donnons les moyens de définir des droits sociaux adaptés aux spécificités de ces secteurs d'activité ; plus encore, nous les y engageons.

Nous avons, ces dernières années, progressivement ancré dans la loi le principe de la responsabilité sociale des plateformes vis-à-vis de leurs travailleurs. Le législateur a posé les premiers jalons de la responsabilité sociale de ces plateformes en 2016, avec la loi El Khomri. Pour la première fois, a été reconnue la responsabilité des plateformes dans la prise en charge d'une assurance couvrant le risque d'accident du travail, mais également d'une contribution à la formation professionnelle ou des frais d'accompagnement des actions de formation permettant de faire valider les acquis de l'expérience. Plus encore, les travailleurs ont acquis le droit de constituer une organisation syndicale et d'exercer un refus concerté de fournir leurs services sans être sanctionnés.

La loi d'orientation des mobilités – LOM –, que j'ai eu l'honneur de porter, est allée plus loin, en instaurant de nouvelles garanties pour les travailleurs des plateformes de mobilité. À titre d'exemple, les plateformes doivent désormais communiquer, avant chaque proposition de prestation, la distance couverte et le prix minimal garanti de la course. Le choix a été fait de concentrer l'action sur les plateformes de mobilité dans le secteur des VTC et de la livraison. Le nombre de travailleurs concernés, leurs conditions de travail et l'ampleur des risques professionnels auxquels ils sont exposés, liés en particulier aux accidents de la route, justifient ce régime particulier. J'ai pleinement conscience que des plateformes émergent dans d'autres secteurs d'activité. Ces nouvelles pratiques nous invitent à la vigilance. Le Gouvernement n'aura aucune bienveillance pour ceux qui recourraient à de faux statuts.

Notre objectif est désormais d'aller plus loin que ce premier cadre, pour donner un coup d'accélérateur au renforcement des droits des travailleurs. C'est tout l'objet de ce projet de loi, qui vise à mieux protéger les droits des travailleurs, sans pour autant remettre en cause les statuts existants.

Mesdames et messieurs les députés, je veux l'affirmer clairement : je crois en la capacité du dialogue social de tirer vers le haut les droits des travailleurs ; je crois en la responsabilité des acteurs pour définir un cadre mieux-disant, tant au bénéfice des travailleurs que des plateformes elles-mêmes, qui font face à un véritable enjeu d'attractivité et de réputation, parce que c'est aussi notre histoire sociale française, qui est toute entière empreinte de ce dialogue social, et que bon nombre de droits ont été acquis par ce dialogue, au plus près des travailleurs et de leurs attentes, plus encore que par la loi.

Cependant, nous devons structurer ce dialogue social et le rendre exigeant, pour permettre aux travailleurs concernés de définir les solutions les plus adaptées à un environnement de travail très spécifique et en pleine mutation. C'est tout le sens de la mission confiée en janvier 2020 à Jean-Yves Frouin pour formuler des propositions sur la construction de ce dialogue social. Sur la base des propositions de la mission, Bruno Mettling a construit, en concertation avec tous les acteurs concernés, un projet de structuration du dialogue social pour les travailleurs des plateformes de mobilité.

La première brique de ce dialogue a été posée par l'ordonnance du 21 avril dernier, qu'il vous est proposé de ratifier dans ce projet de loi. Cette ordonnance permet aux travailleurs des plateformes d'avoir accès à une représentation.

Concrètement, pour chacun des deux secteurs d'activité – VTC et livraison à vélo –, une élection nationale, à tour unique et par vote électronique, sera organisée début 2022. Elle permettra aux travailleurs indépendants d'élire les organisations qui les représenteront. Lors du premier scrutin, pourront être reconnues représentatives les organisations qui recueilleront au moins 5 % des suffrages exprimés. Les représentants désignés par les organisations représentatives bénéficieront de garanties particulières, afin de les protéger de tout risque de discrimination du fait de leur mandat.

En parallèle, l'ordonnance du 21 avril prévoit la création de l'Autorité des relations des plateformes d'emploi, l'ARPE, établissement public dédié à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants qui y recourent. Les premiers décrets d'application de l'ordonnance seront publiés dans les prochaines semaines. Une mission de préfiguration est d'ores et déjà en train de préparer le lancement de l'ARPE ainsi que les élections à venir au début de l'année 2022.

J'insiste : ce texte rend possible un premier pas inédit vers une meilleure régulation sociale des plateformes.

Le cadre législatif doit encore être complété pour permettre l'organisation d'un véritable dialogue social. C'est tout l'objet de l'article 2, qui est une demande d'habilitation du Gouvernement à approfondir par ordonnance la structuration du dialogue social des travailleurs des plateformes.

Il s'agit d'abord de définir les modalités de représentation des plateformes de mobilité et de structurer un dialogue social en leur sein. L'objectif de cet article est également de déterminer toutes les règles permettant l'organisation des négociations, notamment les conditions de validité des accords, la définition de leur contenu, de leur forme et de leur durée. Ces règles seront définies au niveau du secteur d'activité ainsi qu'au sein des plateformes elles-mêmes. Nous entendons ainsi structurer le dialogue social pour qu'il soit à la hauteur des enjeux et permette véritablement de renforcer les droits des travailleurs des plateformes. Demain, les travailleurs indépendants et les plateformes pourront donc conclure des accords, notamment sur une rémunération minimale, sur la formation professionnelle et sur la santé au travail.

Nous proposons également de compléter les missions de l'ARPE en lui confiant la responsabilité d'arrêter la liste des organisations représentatives des plateformes, mais également de jouer un rôle de médiation en cas de différends entre les plateformes et les travailleurs. Enfin, une habilitation est prévue pour permettre au Gouvernement de renforcer les obligations applicables aux plateformes afin de préserver l'autonomie des travailleurs indépendants. Pour cela, nous souhaitons mieux informer les travailleurs lorsqu'ils reçoivent des propositions de prestation tout en préservant leur liberté de choisir et d'organiser leur activité.

Je vais être très claire : ces ordonnances n'enlèvent rien au pouvoir du juge de requalifier en salarié un travailleur qui ne serait pas réellement indépendant.

J'entends les craintes et les critiques que suscite le recours aux ordonnances. Ce choix se justifie par la nécessité de finaliser ce cadre de dialogue social avant le début de l'année 2022, date à laquelle seront organisées les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes. Nous ne négligerons pas pour autant la concertation. La rédaction des ordonnances sera réalisée en lien avec les plateformes et les travailleurs, mais également les organisations syndicales et patronales.

La commission a décidé d'ajuster de dix-huit à douze mois le délai d'habilitation prévu dans le texte initial : le Parlement est pleinement dans son rôle. Je serai également à la disposition de votre assemblée pour vous rendre compte des travaux en cours avant la publication des ordonnances.

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