« On est de son enfance comme on est d'un pays. » Ces mots d'Antoine de Saint-Exupéry résonnent en chacun de nous. L'enfance est ce pays qui nous a vus naître et grandir, qui nous forge et nous construit, cette terre empreinte de nos joies et de nos souffrances qui ne nous quittera plus jamais totalement et sera le compagnon de nos vieux jours. Elle est « ce sol sur lequel nous marcherons toute notre vie », nous dit la poète Lya Luft. Mais ces mots ne décèlent-ils pas autre chose ? Ne laissent-ils pas entendre aussi qu'un pays se définit par le sort qu'il réserve à son enfance, à ses enfants ?
Le texte que nous examinons n'aborde pas toutes les facettes que présente l'enfance dans notre pays. Mais il ne se contente pas non plus d'aborder uniquement, comme le pensent certains qui appréhendent encore mal ce sujet complexe, l'enfance protégée. Il est important pour au moins trois raisons : tout d'abord parce qu'il s'inscrit dans une histoire. Cette histoire est celle de la construction progressive d'un système de protection institutionnelle des enfants, qui débute par la loi du 24 juillet 1889 sur les enfants maltraités ou moralement abandonnés, laquelle, pour la première fois, imaginait un dispositif visant à priver de droits des parents ayant abusé de la puissance paternelle. Depuis, et encore jusqu'aux lois de 2007 et de 2016, notre système de protection de l'enfance, s'il s'est progressivement renforcé, épouse autant qu'il traduit la perception que la société a de la famille, des liens qui la régissent et de la place et du statut que l'enfant occupe en son sein – et donc, en réalité, au sein de la société tout entière.
D'abord objet d'attention, l'enfant a progressivement conquis son autonomie, pour sortir de son statut d'adulte en devenir, au sein d'une famille qui a évolué alors qu'évoluait la société autour d'elle. Ce texte revendique sa filiation avec les dernières lois de protection de l'enfance que ce siècle a connues, et entend creuser plus profond encore le sillon tracé par elles deux : faire de l'enfant un sujet de droit.
Ce texte est important ensuite parce qu'il s'inscrit dans une dynamique plus contemporaine encore, engagée depuis 2019 et la création, pour la première fois dans l'histoire, d'un ministère dédié à la protection de l'enfance. Cette dynamique est celle d'un investissement renouvelé et massif de la puissance publique dans cette politique, mais est surtout l'affirmation d'un investissement qui se doit d'être partagé entre les différents acteurs responsables de ces questions – départements et État –, chacun dans ses responsabilités.
La vie d'un enfant, quel qu'il soit, et probablement plus que la vie de tout autre, n'a pas à subir les subtilités de notre organisation administrative et politique. C'est à cette aune qu'il faut juger de l'ambition du texte. Cette ambition dépasse bien largement son seul cadre, qui n'en est qu'une facette. En trois ans, l'État aura investi plus de 600 millions d'euros, via la contractualisation avec les départements, pour renforcer la politique sociale départementale. L'État aura investi massivement dans la pédopsychiatrie pour rattraper vingt ans d'abandon de cette discipline, des enfants, et des professionnels qui s'en occupent. L'État aura mobilisé de façon prioritaire pour les enfants sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) l'ensemble des dispositifs de droit commun afin de les accompagner progressivement vers l'autonomie.
En définitive, ce texte est la facette législative d'une politique qui se déploie depuis trois ans et dont les effets commencent à se faire sentir dans les territoires pour qui veut bien y regarder d'un peu plus près. Ainsi, parce qu'il s'inscrit dans une histoire qui épouse la vision que la société a de l'enfant, et dans une vision de ce que doit être l'organisation des pouvoirs publics pour mieux le protéger, ce texte finit de dessiner une vision politique de ce qu'est la protection de l'enfance de notre pays et dont les fondamentaux dépassent largement ses seize articles. Là est son importance capitale. Cette vision part de l'enfant, de ses besoins fondamentaux. Elle ne part pas des structures, de notre organisation, ni des compétences des uns ou des autres. Elle part de l'enfant, elle est globale, et elle revendique son besoin de protection en tant qu'être intrinsèquement fragile, et en tant que sujet de droit pour garantir son développement et son épanouissement.
Cette protection n'est pas forcément institutionnelle mais, quand elle l'est, elle doit l'être sans faille. Elle doit garantir à l'enfant sa sécurité affective, physique, matérielle – ce méta-besoin sans lequel rien d'autre ne peut se construire, sans lequel aucun autre besoin ne peut être satisfait, sans lequel l'accès de l'enfant à l'autonomie pleine et entière est impossible et sans lequel demeurera friable ce sol sur lequel on marche toute sa vie.
Mais cette protection ne peut pas être exclusivement institutionnelle. Méfions-nous au contraire d'une approche trop mécaniquement institutionnelle, qui ne donnerait aux enfants que la perspective d'être protégés par des murs. Méfions-nous, par la même occasion, des effets de loupe par lesquels certains voudraient nous contraindre. La protection de l'enfance n'est pas seulement l'aide sociale à l'enfance. Ce ne sont pas les murs qui protègent. Parfois même, c'est quand les murs sont trop épais ou trop hauts que le danger rôde et revient. Ce ne sont pas les murs qui protègent, ce sont les gens qui vous entourent et qui prennent soin de vous. Ce sont ces liens qui vous sécurisent sur les plans physique et affectif.
Ces liens auront parfois le visage d'un travailleur social. Pour d'autres, ils auront celui d'un assistant familial. Ils auront la figure du juge des enfants, dans son office si singulier. Mais avant d'en arriver à devoir renouer ces liens rompus ou distendus, il existe le lien premier de l'enfant avec ses parents et sa famille. Plus encore, entre les parents et l'institution, il y a la frontière extérieure de la famille, où des liens d'attachement peuvent parfois se nouer pour l'enfant et constituer en cela une ressource protectrice mobilisable.
La vision de la protection de l'enfance qui est la mienne depuis deux ans et demi consiste ainsi à renforcer, à mobiliser davantage et à sécuriser ces trois cercles de protection qui entourent l'enfant – en sortant d'une approche parfois encore trop institutionnelle, comme cela a pu être le cas pour d'autres fragilités comme le handicap ou la dépendance.
Le premier cercle de protection est donc celui de la famille. C'est la première membrane de protection de l'enfant – dès le projet parental, lorsqu'il y en a un. Cette membrane agit aussi durant toute la grossesse de la mère et, particulièrement, pendant les 1 000 premiers jours, mais bien au-delà évidemment. La famille est le lieu premier et naturel du développement de l'enfant, sur les plans émotionnel, cognitif et physique – le lieu de son épanouissement. C'est une cellule sécurisante pour l'enfant, mais qui peut aussi être un lieu de brutalité et d'exil, lorsqu'il est victime de violences. La famille est aussi parfois le lieu où se reproduisent, chez de jeunes parents, des carences affectives ou éducatives qu'eux-mêmes ont vécues dans leur propre enfance. Ce cercle vicieux, cette spirale reproductive n'est plus supportable. Elle exige que nous adoptions enfin une politique qui permette de repérer plus tôt les fragilités, pour mieux accompagner les parents face à ces difficultés et ainsi renforcer les liens entre parents et enfants.
Bien qu'investis de l'autorité du même nom, tous les parents ne disposent pas forcément de compétences parentales innées. Mais en chacun peuvent sommeiller des ressources que nous nous devons de chercher à identifier, à stimuler et à étayer au bénéfice de l'enfant. C'est évidemment tout le sens de la politique que nous menons en prévention primaire sur les 1 000 premiers jours de l'enfant : en rendant obligatoire l'entretien prénatal précoce, en créant des parcours pour les couples fragiles, en luttant contre la dépression post-partum ou en investissant dans la psychiatrie périnatale. C'est tout le sens de l'investissement de l'État dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI), matérialisé par 100 millions d'euros injectés en trois ans – renforcement que vous allez amplifier encore par l'adoption de l'article 12 de ce texte. C'est tout le sens de notre politique en prévention secondaire, qui passe par la création de centres parentaux, déjà prévus dans la loi de 2016, pour l'accueil des enfants à naître ou de moins de trois mois accompagnés de leurs parents. Nous créons en outre vingt centres supplémentaires via la contractualisation.
C'est tout le sens des amendements à ce texte, défendus par le Gouvernement ou par des parlementaires, qu'ils cherchent à renforcer l'étayage parental, visent le renforcement des mesures d'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), facilitent le prononcé de mesures judiciaires d'aide à la gestion du budget familial ou, encore, renforcent des initiatives comme la médiation familiale.
Il n'est pas question de revenir à une vision trop familialiste ou parentaliste de la protection de l'enfance. L'intérêt supérieur de l'enfant est la boussole unique qui guide chacun de nos pas, chacune de nos décisions, de façon responsable. Et notre main de législateur, de juge, de travailleur social, de personnel de santé, ne doit pas trembler lorsque la sécurité de l'enfant est en danger. Mais il n'est pas de protection efficace sans prévention, et nous devons tout faire pour repérer précocement, pour accompagner intensivement, pour éviter que ne se dégradent les situations. Dans un monde idéal, la protection institutionnelle de l'enfance n'existerait pas.
Le second cercle de protection de l'enfant, c'est celui de celles et ceux avec qui il a pu nouer des liens d'attachement suffisamment forts pour pouvoir compléter, voire se substituer de façon temporaire ou pérenne à ceux que les parents ne peuvent pas, ou plus, ou ne veulent pas nouer. J'ai eu l'occasion de le souligner lors de nos débats sur la loi de bioéthique, un enfant, quel qu'il soit se développe, se construit, au travers de multiples liens d'attachement qui ne se limitent pas à sa mère et à son père, mais peuvent s'élargir à un grand-père, une tante, un cousin, un parrain, un voisin. Ce second cercle de protection est insuffisamment mobilisé dans notre pays – contrairement à d'autres pays comme l'Allemagne, par exemple –, alors qu'il joue un rôle fondamental et ce, même en cas de présence parentale. On fait famille bien au-delà du lien biologique et cela peut avoir d'autant plus de sens, voire de nécessité, pour un enfant qui souffre de carence ou d'absence parentale.
Il existe un espace, des liens, entre la cellule familiale protectrice et la protection institutionnelle qui peuvent servir de repère, de refuge, pour l'enfant en souffrance ou en danger, et lui offrir la sécurité et la stabilité nécessaires à son développement et à son épanouissement. C'était déjà le sens de la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental introduite par la loi de 2016, visant à favoriser l'adoption simple pour créer de nouveaux liens d'attachement plus solides, sans forcément rompre définitivement la filiation avec les parents biologiques.
C'est dans le même objectif que la proposition de loi de la députée Monique Limon facilite l'adoption par les familles d'accueil, les dispensant de la procédure classique quand la fameuse « tata » est devenue famille à part entière.
La stratégie de prévention et de protection de l'enfance prévoit déjà le financement de 10 000 parrains ; un député de la majorité défendra un amendement visant à introduire le parrainage dans le code de l'action sociale et des familles, conformément au souhait des associations qui interviennent dans ce champ. Cette mesure contribuera au développement de liens multiples, garants de repères et de stabilité pour l'enfant.
Ce deuxième cercle donne tout son sens et toute sa puissance à l'article 1er . Il s'agit de rendre l'institutionnalisation moins systématique, lors même que, dans d'autres champs de la protection, se déploie un vaste mouvement vers l'inclusion, le retour à domicile, où l'on est davantage à l'écoute des personnes, de leurs besoins, de leurs envies.
Les deux premiers cercles de protection parfois ne suffisent pas, ou plus, pour répondre à l'intérêt supérieur de l'enfant et lui garantir la sécurité affective et matérielle nécessaire à son épanouissement. Par voie administrative ou judiciaire – les deux parfois se complétant –, le système de protection institutionnelle intervient alors : il constitue le troisième cercle de protection.
Grâce à ses 100 000 travailleurs sociaux engagés, à ses 40 000 assistants familiaux, à l'ensemble des professionnels médicaux et paramédicaux et aux 486 juges des enfants, l'aide sociale à l'enfance protège chaque année 340 000 enfants, dont la moitié environ lui sont confiés. Quand l'institution recouvre les enfants de son voile protecteur, elle ne peut qu'être bienveillante, sécurisante, rassurante et enveloppante. Elle doit leur permettre d'avoir la vie d'un enfant comme les autres, ni plus ni moins, ce qui est à la fois très simple et très compliqué : ce peut être partir à l'étranger avec les copains de sa classe ou vivre avec ses frères et sœurs. Je défendrai ainsi un amendement qui vise à interdire la séparation des fratries confiées, sauf si elle est dans l'intérêt des enfants.