Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le monde agricole attend avec inquiétude les derniers arbitrages concernant la politique agricole commune. En effet, l'incertitude règne, aussi bien au niveau communautaire qu'au niveau national, sur les contours de la future PAC, le détail de la politique commune qui entrera en vigueur en 2023 étant toujours en cours de négociation à Bruxelles. Du côté français, seules quelques propositions sont connues concernant le plan stratégique national.
Vous en avez détaillé les principaux axes, monsieur le ministre : la souveraineté alimentaire, la structuration de filières dans les territoires, la qualité des produits et la transition agroécologique. Ce sont des objectifs auxquels je souscris. Reste désormais à en assurer la bonne déclinaison dans le cadre de notre stratégie nationale. Sur ce point, j'ai encore des doutes.
Comme de nombreuses organisations agricoles, je regrette que les premiers éléments exposés par la direction générale de la performance économique et environnementale ne concernent jusque-là que le premier pilier de la PAC. Au vu de l'interdépendance des outils de la PAC, la concertation aurait gagné en lisibilité si le premier et le second pilier avaient été présentés conjointement. Je redoute que la future PAC laisse plus de marge pour les transferts entre piliers, au risque d'accroître les distorsions de concurrence entre les États membres.
Mes préoccupations vont au-delà de ces questions d'architecture. Elles concernent également les dispositifs de soutien. Ainsi, la nouvelle mouture des aides couplées m'interpelle. Le projet prévoit de prélever une part importante de l'enveloppe destinée aux éleveurs de ruminants au profit des protéines végétales, des petits maraîchers et des élevages laitiers. Les premières victimes en seront les élevages bovins qui pourraient perdre près de 250 millions d'euros qui leur sont aujourd'hui destinés. Les élevages ovins pourraient eux aussi en subir les conséquences, alors même qu'ils sont très souvent installés dans des territoires fragiles, où leur contribution à l'entretien des paysages et à la préservation de la biodiversité est indispensable. Une répartition plus équilibrée des aides couplées est-elle à l'étude afin que l'émergence de nouvelles filières ne se fasse pas au détriment des élevages existants ?
Un autre sujet d'inquiétude est la mise en place des écorégimes, qui permettront de conditionner entre 20 et 30 % des paiements directs à des critères environnementaux. Les trois conditions retenues pour accéder à ces aides – la détention d'une certification, la mise en œuvre de pratiques de gestion agroécologique et le respect d'un pourcentage d'éléments « non productifs » favorables à la biodiversité – semblent trop restrictives à certains acteurs.
Vous estimez qu'elles permettraient à 70 % des agriculteurs de bénéficier des écorégimes. Pour ma part, je considère qu'elles doivent guider les exploitations dans leurs changements de pratiques sans les sanctionner. À l'heure où les agriculteurs français font face à des injonctions contradictoires – exigence de qualité, réduction de l'impact environnemental, le tout sous une contrainte de coûts bas et une importante concurrence étrangère –, ils ont besoin d'un accompagnement fort et lisible.
Ce soutien doit tout particulièrement être repensé pour permettre à nos agriculteurs de faire face au dérèglement climatique. Les derniers épisodes de gel qui ont dévasté une grande partie de nos territoires, comme c'est le cas dans mon département, sont venus nous rappeler cette urgence. De nouvelles modalités de gestion des risques sont-elles prévues dans le cadre de la PAC 2023-2027 ? Quels moyens seront mis en œuvre pour investir dans l'innovation et favoriser l'émergence de variétés résistantes aux grands froids et à la sécheresse ? Allez-vous renforcer les aides prévues dans le premier pilier, afin notamment de permettre aux agriculteurs d'investir dans du matériel pour affronter les aléas climatiques tout en réduisant leur reste à charge ? Par ailleurs, pouvez-vous rassurer les arboriculteurs sur les règles de minimis qui s'appliqueront aux fonds que vous venez de débloquer ?
Je veux enfin évoquer deux points capitaux et intimement liés : la rémunération des agriculteurs et l'attractivité du métier aux yeux des nouvelles générations. La stratégie agricole française n'a pas permis d'assurer un niveau de vie satisfaisant à nos agriculteurs ni de garantir le renouvellement des générations. La politique agricole commune a une responsabilité dans cet échec, les aides à la surface favorisant l'agrandissement des structures de production. Afin que ces aides soient davantage ciblées vers les exploitations familiales, il me semble nécessaire de revaloriser le paiement redistributif sur les 52 premiers hectares.
La future PAC a vocation à engager des changements structurels pour notre agriculture. Il vous revient, monsieur le ministre, la responsabilité d'en assurer une déclinaison nationale plus protectrice de nos agriculteurs et plus respectueuse de notre environnement.