Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 15h00
Garantie d'emploi par l'État — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Au premier trimestre 2021, la France comptait 6 012 600 demandeurs et demandeuses d'emploi. Le chômage de masse est constant dans notre pays depuis quarante ans. L'une de ses caractéristiques les plus marquantes est son enracinement : près de 2,9 millions de demandeurs et demandeuses d'emploi étaient ainsi au chômage de longue durée en 2020 ; la crise laisse augurer une nouvelle aggravation de la situation. Derrière ces chiffres, ce sont des vies et des familles bouleversées, des ambitions anéanties et l'estime de soi qui part en morceaux.

C'est ce dont témoigne Alexandra, licenciée en 2008 : « Sur le coup, je ne réagis pas, estomaquée par ce qui est en train de se passer. C'est en rejoignant mon véhicule quelques minutes plus tard que je m'effondre, réalisant que je viens de perdre mon emploi. Les jours passent, rien. J'envoie des centaines de CV et des lettres, je me rends aux salons pour l'emploi, toujours rien. Petit à petit, mon bel optimisme est mis à rude épreuve et les traits de la déprime commencent à s'inscrire sur mon visage. J'essaye de tenir bon, il ne faut pas que j'entre dans cette spirale que je sais négative ; pourtant elle m'aspire, je le sens. Je réduis mes sorties, mes loisirs, je perds confiance en moi. Si on ne répond pas à mes lettres, c'est que je ne vaux rien : voilà le message implicitement envoyé par les recruteurs. Image dévalorisée, le miroir me renvoie à mes propres faiblesses, je ne vois plus qu'elles. Les ressources que je possédais sont peut-être encore tapies quelque part, mais je n'en suis plus très sûre. »

Le chômage contribue ainsi à détériorer la santé physique et mentale des personnes privées d'emploi. Leur risque de surmortalité est multiplié par trois, ce qui fait du chômage de longue durée un facteur aussi aggravant que le tabagisme ; une personne au chômage de longue durée a deux fois plus de risque de subir un accident cardio-vasculaire ; plus d'un tiers des personnes ayant fait l'expérience du chômage de longue durée connaissent un épisode dépressif ; en France, 10 000 à 14 000 décès par an seraient imputables au chômage de masse.

Dévastateur au plan personnel, le chômage l'est également au plan économique. Selon ATD Quart Monde, il coûte entre 16 000 et 19 000 euros par an et par personne. L'INSEE évalue à 66 milliards d'euros en 2017 l'ensemble des dépenses publiques en faveur des politiques du marché et du travail – hors allégements fiscaux et crédits d'impôt – ciblées sur les demandeurs et demandeuses d'emploi et les personnes en difficulté sur le marché du travail. Pourtant, seuls deux tiers d'entre eux ont droit à une indemnisation ; les autres ne survivent que grâce aux minima sociaux.

Aux difficultés sociales viennent se greffer les difficultés économiques et la précarité. Un quart des personnes au chômage vit ainsi sous le seuil de pauvreté. Des dizaines de milliards d'euros sont donc dépensées tous les ans dans des politiques qui manquent cruellement d'efficacité, alors que les besoins des personnes les plus éloignées de l'emploi sont de moins en moins bien couverts. Les recettes néolibérales – réduction du coût du travail et flexibilisation au premier chef – n'ont pas eu les effets annoncés ; les réformes antisociales engagées par le Gouvernement depuis le début du quinquennat vont encore aggraver la situation.

Jusque-là, les politiques économiques classiques n'ont pas permis d'éradiquer le chômage de masse et de longue durée, ni de le faire reculer significativement. Elles s'en sont même plutôt accommodées, afin de ne pas accélérer l'inflation. La catastrophe économique, sociale et sanitaire qu'est le chômage de masse est causée par des calculs de pertes et de profits, et par des décisions inhumaines. Elle résulte d'un choix politique, pas d'une fatalité. Non, contre le chômage, on n'a pas tout essayé : le travail ne manque pas et tous les chômeurs ont des savoirs, des expériences et des compétences qui peuvent être mis au service de l'intérêt général. Ce qui manque, ce sont des emplois, alors créons-les ! Il y a tant à faire, tant de besoins partiellement ou totalement insatisfaits au quotidien : aide aux personnes âgées, aux enfants et aux malades ; protection de l'environnement ; amélioration du cadre de vie urbain ; animations scolaires et artistiques.

Il y a et il y aura tant de tâches à accomplir dans le cadre de la bifurcation écologique et solidaire qu'il est urgent d'engager. Le défi est immense mais exaltant : il s'agit de transformer les modes de production et de réduire le niveau de consommation des ressources naturelles pour ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu'elle peut reconstituer, ni produire plus que ce qu'elle peut supporter. Il s'agit d'organiser la sobriété et l'efficacité énergétiques, de développer des usages plus soutenables, de restaurer et de préserver les écosystèmes. Ainsi, agriculture écologique et paysanne, industrie relocalisée, développement des services publics, tout cela créera des millions d'emplois, quand ils ne seront pas, comme nous le proposons, déjà garantis par l'État.

Voilà la perspective dans laquelle s'inscrit notre proposition, qui est le produit d'un long travail et d'une réflexion collective, enrichis par l'éclairage de celles et ceux – économistes, sociologues, chercheurs dans des laboratoires d'idées, responsables associatifs, citoyens et citoyennes – qui, comme nous, souhaitent instaurer une politique de l'emploi et de lutte contre le chômage de masse et de longue durée plus efficace. Elle s'est aussi nourrie d'expériences internationales telles que le New Deal du président Roosevelt dans les années 1930 aux États-Unis, le programme Jefes de hogar argentin dans les années 2000, ou encore le National rural employment guarantee act, en Inde. Elle s'appuie sur l'expérience très française des « territoires zéro chômeur de longue durée », lancée en 2016, étendue en 2020 et que nous proposons de généraliser.

Issue du programme « L'avenir en commun », notre proposition de loi apporte une réponse concrète aux défis posés par le chômage de longue durée. Elle se fonde sur l'idée, théorisée dans les années 1970, selon laquelle une lutte efficace contre le chômage suppose que l'État s'engage à fournir un emploi à toutes celles et ceux qui sont prêts à travailler au salaire minimum, éventuellement au-delà en fonction des qualifications requises pour les emplois proposés. Ce faisant, l'État endosse l'habit d'employeur en dernier ressort.

À quoi cela ressemblerait-il ? Le laboratoire d'idées Intérêt général en a donné quelques exemples. Je vais en citer deux, repris un peu à ma sauce. Appelons-la Maïmouna, jeune trentenaire qui s'inscrit à Pôle emploi après trois ans comme commis de cuisine ; son restaurant a fermé après l'installation d'hypermarchés à la périphérie de la commune. Sa conseillère adresse un courrier au comité des partenaires de la garantie d'emploi pour demander à la ville quel besoin était non satisfait en matière de restauration. L'antenne locale du Secours populaire, membre du comité, signale que plusieurs enfants se couchent le soir sans avoir assez mangé ; elle propose de constituer une cantine volante qui livrerait les repas nécessaires, ce qu'aucun établissement ne fait encore. En plus de Maïmouna, les conseillers et conseillères de Pôle emploi identifient alors deux anciens cantiniers et un chômeur en fin de droits ; un local associatif est loué et les quatre personnes sont embauchées. La livraison de plats chauds cuisinés n'existant pas localement, elles développent aussi une activité tarifée qui assure l'équilibre budgétaire du projet : chaque soir, quinze ménages reçoivent un repas équilibré gratuit et quinze autres payent une livraison.

Prenons maintenant le cas d'un bénéficiaire du dispositif ; je vais l'appeler Maurice. Depuis le départ de sa fille à l'étranger pour des raisons professionnelles, il souffre grandement de la solitude. Habitant seul dans un appartement du centre-ville, il ne voit guère sa famille en dehors des fêtes et rencontre peu de personnes en dehors de ses parties de dominos hebdomadaires. Maurice a déjà connu deux accidents importants en tombant dans sa salle de bain et dans sa cuisine. Face à cette situation, l'association de retraités du canton propose au comité de partenaires l'embauche d'une équipe de vigilance pour le quatrième âge : aucune société, institution publique ou association n'accomplit de rondes régulières chez les seniors isolés. Une fois le projet validé, les conseillers et conseillères de Pôle emploi le diffusent auprès de leur public. Quatre demandeurs et demandeuses d'emploi se déclarent intéressés et sont embauchés, avec pour mission de se rendre un jour sur deux chez les personnes âgées de plus de 75 ans. Au cours de l'année qui suit, plusieurs accidents graves sont prévenus et évités, tandis que les facultés motrices et cognitives des bénéficiaires s'élèvent. Les dépenses de l'assurance maladie pour ce public diminuent drastiquement.

Il existe des milliers de situations comme celles de Maïmouna et de Maurice dans la vraie vie. La garantie d'emploi permettrait de créer partout dans le pays des dynamiques positives comme celles décrites dans ces scénarios. En outre, elle aurait un impact économique positif, en augmentant les revenus, donc la consommation qui deviendrait plus vertueuse dans le cadre de la bifurcation écologique des ménages.

Oui, sa création aurait un coût pour les finances publiques. Selon nos estimations, pour les 2,8 millions de personnes au chômage de longue durée, l'État devrait débourser 11,8 milliards d'euros, soit quatre fois moins que ce que coûte ce chômage à la société et six fois moins que les politiques dites de retour à l'emploi. En réalité, une telle mesure serait une source d'économies pour le système de protection sociale et une avancée pour les droits de tous les salariés, en coupant court au chantage à l'emploi et aux salaires exercé par certains détenteurs et détentrices du capital.

Enfin, instituer une garantie d'emploi donnerait corps à l'aspiration des révolutionnaires qui ont édifié la République et la rêvaient pleinement sociale. Transcrite dans nos textes fondamentaux, de la Constitution de l'an I jusqu'à celle de 1946, leur aspiration demeure pourtant un principe largement incantatoire.

Pour La France insoumise, la garantie d'emploi est l'une des composantes d'un ambitieux programme national et d'une formidable aventure collective ; c'est un gigantesque défi civilisationnel, la construction d'une société plus juste et solidaire, qui favorise l'harmonie entre les êtres et garantit la préservation de l'écosystème qui rend la vie humaine possible. Pour le bien de tous et toutes, un emploi pour chacun et chacune ! C'est urgent, c'est possible et cela pourrait commencer dès maintenant.

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