Cette proposition de loi se fonde sur l'idée que nul n'est inemployable ; c'est là une promesse républicaine qu'il faut tenir, et l'expérience « territoires zéro chômeur de longue durée » nous a convaincus que c'était possible. C'est la raison pour laquelle, il y a quelques mois, nous étions nombreux dans cet hémicycle, à gauche comme à droite, pour défendre la généralisation de cette expérimentation, au lieu du simple élargissement souhaité par le Gouvernement et la majorité.
Cette proposition de loi explore un champ voisin, toujours au nom du préambule de la Constitution de 1946, qui proclame le droit à obtenir un emploi. Elle s'approche de réflexions menées par un certain nombre de think tanks autour de l'emploi vert garanti, sujet que nous examinons avec beaucoup d'organisations non gouvernementales et d'autres partis politiques. D'autres travaux sont en cours aux États-Unis sur les ateliers nationaux.
Nous connaissons la pression exercée sur le demandeur d'emploi pour qu'il accepte presque n'importe quelle offre. L'actuelle et honteuse réforme de l'assurance chômage n'a pas d'autre objectif que de mettre les plus précaires en situation de n'avoir plus aucune liberté, plus aucun choix ; nous savons quel sera pour eux le résultat de ce rapport de force – et, par effet de contagion, pour l'ensemble des salariés.
C'est pourquoi il me semble utile de rappeler une précaution. Il y a peu d'années, la majorité nous annonçait, et c'était alors un prétexte pour refuser bien des propositions des oppositions, un projet de revenu universel d'activité, dont il avait été envisagé qu'il intègre l'allocation aux adultes handicapés (AAH), et qui aurait été conditionné à l'acceptation d'une offre d'emploi. Ce n'est évidemment en aucune façon la philosophie de la proposition présentée par nos collègues. Mais nous devons garder à l'esprit les détournements qui pourraient être opérés par des dispositifs similaires, qui transformeraient le vœu d'un travail pour tous en injonction de tous au travail.
Oui, la République serait fidèle à ses principes et à ses idéaux en garantissant à chacune et à chacun le droit d'obtenir un emploi. Mais alors qu'en 1946 cela semblait aller de soi, nous devons aujourd'hui préciser que c'est le droit à un emploi digne qu'il faut garantir : digne pour les travailleurs, digne pour la société, digne pour l'environnement. Tant que ce ne sera pas le cas, nous devons rester vigilants et ne rien oublier du préambule de la Constitution de 1946, dont le onzième alinéa proclame : « Tout être humain qui, en raison […] de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » Nous devons entendre ce principe à valeur constitutionnelle comme couvrant toutes les situations dans lesquelles aucun emploi digne n'est accessible.
Si cette proposition de loi s'inscrit dans la ligne de notre réaffirmation constante de la centralité du travail, notre exigence doit être celle d'un travail digne, porteur de sens, qui n'abîme pas, qui émancipe.
Le manque d'emploi n'est pas le manque de travail ; il faut réfléchir aux possibilités de valorisation du travail hors emploi. Au fond, seuls les grands chefs d'entreprise ont d'autres façons de se rémunérer que le salaire, et beaucoup de gens sont renvoyés au bénévolat, à l'amateurisme, au travail domestique, alors qu'ils remplissent des missions essentielles.
Enfin, cette proposition de loi rejoint notre réflexion sur le coût de la pauvreté et celui des politiques de lutte contre la pauvreté. Certains soulèvent la question du chiffrage. Mais qui peut dire combien coûte la pauvreté ? Il est moins cher, croyons-nous, de lutter contre la pauvreté que de l'accepter. ATD Quart Monde en a fait la démonstration à plusieurs reprises. C'est sous cet angle que le coût des mesures proposées doit être évalué. Nos homologues belges qui veulent expérimenter le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » ont démontré qu'il faisait faire des économies à la société, tout en servant celles et ceux qui en bénéficient.
Droit au travail, droits sociaux, minima sociaux ne sont pas séparables. Contrairement à la majorité et au Gouvernement, qui veulent rendre conditionnels, voire facultatifs, des droits, nous réaffirmons avec la République l'inconditionnalité des droits.
Cette piste doit être explorée et les députés socialistes accompagneront ces travaux.