Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, ainsi que tous les autres orateurs, pour vos propos, qui participent à ce que nous souhaitions, c'est-à-dire un débat enrichissant. Je souhaite vous répondre afin de préciser certains points qui n'ont peut-être pas été entendus ou compris.
Il est vrai que le cadre contraint d'une proposition de loi ne nous offre pas la possibilité d'incorporer tous les éléments que nous souhaitions. Comme l'a dit notre collègue Jean-Hugues Ratenon, nous travaillons sur ce texte depuis plusieurs mois et même depuis le début de la législature, au travers d'ateliers organisés dans nos circonscriptions, d'échanges et d'auditions, avant que le processus législatif le concernant ne commence. Notre volonté initiale était d'élaborer un texte d'une ampleur beaucoup plus importante et nous avons pour ambition de proposer d'autres éléments plus développés à la suite de son examen, qu'il soit adopté ou non. Dans cette attente, il nous semble qu'il serait déjà utile d'adopter les premières dispositions qu'il contient.
Tout d'abord, vous soutenez, monsieur le secrétaire d'État, ainsi que d'autres, que notre proposition de loi serait contradictoire avec le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée ». Ce n'est absolument pas le cas, au contraire. Je croyais l'avoir dit dans l'exposé des motifs du texte, et cela est également précisé dans notre programme « L'avenir en commun », que vous semblez avoir lu attentivement : la garantie d'emploi que nous proposons s'inspire directement de ce dispositif, dont nous avons d'ailleurs voté l'extension et dont nous pensons, eu égard à ses résultats positifs, qu'il faut le généraliser. Lorsque nous avons discuté de son extension, des propositions avaient d'ailleurs été faites pour que davantage de communes soient concernées et nous ne comprenons pas pourquoi elles n'ont pas été suivies.
C'est quelque chose qui marche : entre 900 et 1 000 chômeurs et chômeuses de longue durée ont pu retrouver une activité grâce au dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », qui devrait donc être accessible partout. La garantie d'emploi vise justement à le faire, en s'inspirant de ce qui fonctionne et en mobilisant les moyens nécessaires.
Lorsque vous ou d'autres orateurs évoquez le service public de l'emploi, monsieur le secrétaire d'État, c'est pour l'opposer à ce que nous proposons. Or nous souhaitons, bien au contraire, lui redonner de l'ampleur, des objectifs et un sens. Vous le verrez lors de l'examen de nos amendements : ils visent à lui conférer une troisième grande prérogative en instaurant la garantie d'emploi. Notre volonté est bien de nous appuyer sur ce réseau qui maille l'ensemble du territoire. Même si tous les demandeurs et demandeuses d'emploi ne sont malheureusement pas inscrits à Pôle emploi, le service public de l'emploi, qui compte plus de 900 agences, représente tout de même un outil important, et ce guichet unique bien identifié devrait permettre à toute personne, partout dans le pays, d'exercer son droit à l'emploi.
Par ailleurs, il nous semble dommage que la création de l'ANPE – Agence nationale pour l'emploi – ait conduit à abandonner l'objectif de planification de l'emploi au profit de la seule promotion des mobilités professionnelles. Aux deux recensements aujourd'hui effectués par les personnels, celui des demandeurs et demandeuses d'emploi enregistrés et celui des offres d'emploi, nous estimons ainsi qu'il conviendrait d'ajouter un troisième fichier, relatif aux besoins vitaux non solvables à transformer en emplois de droit. Cela signifierait embaucher des personnels et donc recruter des fonctionnaires au sein du service public de l'emploi, lesquels, nous le savons, subissent des charges de travail insupportables nuisant à la qualité des missions effectuées. Je crois que nous avons suffisamment entendu de récits de cette souffrance au travail pour avoir conscience de la maltraitance institutionnelle qu'elle peut induire. J'insiste donc sur le fait que notre dispositif de garantie de l'emploi supposerait un recrutement et une formation de nouveaux fonctionnaires, à qui moins de dossiers seraient confiés et qui recevraient des directives plus claires, de sorte qu'ils auraient le temps d'assurer le respect du droit à l'emploi. Ce serait l'une des tâches de ces personnels.
Certains ont également fait référence au secteur privé, en l'opposant au rôle de l'État. Or, collègues, vous savez que l'État, au travers de la commande publique, est l'un des premiers leviers de la dynamique de l'activité privée. Les deux sphères ne sont donc pas opposées et nous ne les opposons pas étant donné que notre dispositif s'adresse particulièrement à un domaine privé, quoique non lucratif : l'économie sociale et solidaire. C'est en effet aux besoins et aux activités de ce domaine, non marchand et non lucratif, que la garantie de l'emploi s'appliquerait en premier lieu. Notre volonté est de lui apporter un soutien et de le développer.
De plus, comme vous l'avez peut-être entendu dans mon propos liminaire, notre dispositif n'a pas vocation à se substituer à une stratégie que nous pensons absolument urgent et nécessaire d'adopter afin de relancer l'activité en l'orientant vers une bifurcation écologique et solidaire. Nous en sommes convaincus, et cela été confirmé par des collectifs d'associations, d'ONG et d'économistes, cette bifurcation est de nature à générer plusieurs milliers d'emplois dans le secteur privé et nous n'avons nulle intention d'y faire obstacle, bien au contraire. Quant à l'État, il doit soutenir l'activité privée et, comme je l'ai dit à propos de Pôle emploi, développer certains services publics.
Le rôle que doit jouer l'État est donc bien réel et nous l'assumons. L'idée n'a d'ailleurs rien d'extraordinaire. Même en dehors des périodes de crise, l'État agit. Aujourd'hui, il garantit même, d'une certaine manière, l'emploi de millions de personnes travaillant dans le secteur privé grâce au chômage partiel. Il s'agit d'une forme de garantie de l'emploi par défaut, que nous voulons pérenniser de manière positive. De la même manière, l'État garantit déjà l'emploi grâce aux exonérations qu'il accorde dans le cadre des politiques dites de l'emploi. Cela a été dit, énormément d'argent est octroyé par ce biais au secteur privé. Au fond, nous souhaitons changer ici de logique en considérant qu'il revient à la puissance publique d'assumer ouvertement ce rôle et de le faire de manière stratégique en développant des secteurs qui nous paraissent cruciaux, comme ceux de la transition écologique, du lien social et des biens collectifs.
À l'idée selon laquelle la garantie de l'emploi ne serait pas une mesure directement opérationnelle, j'ai déjà répondu en indiquant que, à son échelle, l'expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » démontrait le contraire. Je pourrais aussi évoquer des exemples historiques ou contemporains de dispositifs de ce type, même si, selon les pays et les époques, les États appliquent des politiques publiques en faveur de l'emploi de manière plus ou moins centralisée. Le gouvernement argentin a ainsi appliqué un programme de cette nature au début des années 2000, principalement pour aider les ménages, lequel a fourni un travail à près de 2 millions de personnes, prouvant donc son efficacité. L'Inde également, a développé un dispositif de ce type – probablement le plus massif à ce jour –, ciblé sur l'agriculture et qui a généré des millions d'emplois. Et vous connaissez tous l'exemple du New Deal, à nouveau pris comme source d'inspiration aux États-Unis et ailleurs pour l'élaboration des stratégies de relance de l'activité. Vous voyez donc que ces dispositifs ne sont pas si exotiques que cela. Leur évaluation, quand elle a lieu, démontre qu'ils fonctionnent, ce qui nous donne de la matière pour travailler.
J'en profite pour dire que les niches parlementaires et les propositions de loi issues de l'opposition gagneraient à disposer des mêmes moyens que ceux dont bénéficie le Gouvernement, afin de fournir des études d'impact et des évaluations précises.
Cela étant, nous avons fait certaines évaluations, dont mon collègue Quatennens a évoqué les résultats. Le coût de notre proposition, particulièrement, semble effrayer nombre de collègues, même si celui cumulé du chômage, de la pauvreté et des politiques de l'emploi – que nous avons rappelé – devrait les terrifier davantage, d'autant que l'échec de ces politiques induit un coût croissant. Quoi qu'il en soit, en considérant que l'allocation chômage moyenne s'élève à 1 190 euros et que le SMIC brut équivaut à 1 539 euros, l'État aurait à financer un différentiel de 349 euros, soit un total de 11,72 milliards d'euros si seules les personnes au chômage de longue durée étaient ciblées. Je ne sais pas sur quel calcul vous vous fondez, monsieur Baichère, lorsque vous évoquez le chiffre de 80 milliards d'euros, mais l'estimation minimale que nous faisons est donc très inférieure. Cela étant, si l'objectif est de s'adresser à l'ensemble des chômeurs et chômeuses, il est vrai que les dépenses seraient bien plus élevées. Embaucher 6 millions de personnes au chômage et les rémunérer au SMIC coûterait effectivement environ 100 milliards d'euros. Toutefois, comme l'a rappelé Adrien Quatennens, cette somme est équivalente au coût des politiques de l'emploi. Aussi, l'un dans l'autre, la dynamique que nous proposons me semblerait plus bénéfique.
J'insiste sur la nécessité de dresser le bilan des mesures entreprises jusqu'à présent car, à entendre M. le secrétaire d'État et nos collègues de la majorité, tout ce qui est fait – la gestion de la crise actuelle devant être considérée séparément – est globalement positif et il suffirait de continuer comme avant. Mais dire cela revient à nier le fait que les mêmes politiques, ou presque, sont menées depuis quarante ans et qu'elles ont échoué à résorber le chômage de masse. Certes, il y a des périodes de fluctuation au cours desquelles son niveau baisse un peu, mais nous n'atteignons jamais un taux de chômage résiduel qui, me semble-t-il, doit être notre objectif. C'est à notre portée dès lors que l'on sort de l'idée – comme nous y invitent certaines analyses et stratégies économiques relatives à l'inflation – selon laquelle un certain niveau de chômage est nécessaire à l'économie.
En outre, même si, dans la période que nous traversons, le soutien, nécessaire, de l'État a permis de contenir le chômage, les études statistiques, auxquelles le Gouvernement et vous-même êtes très attentifs, monsieur le secrétaire d'État, laissent craindre que les pertes d'emploi atteignent un niveau catastrophique, économiquement et socialement.
Donc, même si vous considérez que votre bilan en matière d'emploi est positif – ce que nous ne pensons pas –, vous ne pouvez pas rester les bras croisés et penser que, dans le monde d'après, il suffira d'appliquer les recettes néolibérales du monde d'avant.
C'est pourquoi il nous semble qu'un gouvernement et une majorité capables d'avoir une vision stratégique et d'anticiper les actions à mener face à l'urgence sociale et économique, se doivent d'être ouverts aux solutions hétérodoxes. C'est en tout cas ce à quoi nous travaillons aujourd'hui en tant que force d'opposition à l'Assemblée en proposant ce texte. Nous sommes dans notre rôle, tout comme, nous l'espérons, nous le serons demain en tant que force majoritaire, lorsque nous aurons les moyens de mettre en œuvre ce type de dispositif.