Stéphane Bancel, le PDG français de Moderna, célèbre cette année son entrée dans le classement Forbes des plus grosses fortunes de France, grâce aux 3,5 milliards d'euros gagnés grâce à la pandémie mondiale. Non, le profit n'est pas un mot interdit en France, encore moins quand il frôle l'indécence.
Vous dites croire que l'alliance de la liberté d'entreprise et de la mondialisation est vecteur de progrès. Quelle alliance efficace, en effet : plus de 100 000 morts dans notre pays et une liberté d'entreprise telle que nous n'avons trouvé ni vaccin ni traitement contre le covid-19. Autrement dit, il faudrait préciser ce que vous appelez progrès.
Autre reproche, un grand classique : je donnerais dans la caricature. Pour vous, n'est caricatural que ce qui désigne les riches. En revanche, quand le Président de la République dit qu'une gare, « c'est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien », quand un député de La République en marche prétend que les chômeurs partent aux Bahamas avec leur allocation ou quand M. Castaner déclare qu'ils prennent deux ans de vacances, il s'agit de propos mesurés et raisonnables.
Un autre grand classique est de dire que ces entreprises créent de l'emploi. Et quel emploi ! Pour un emploi créé par Amazon, six sont détruits dans les petits commerces. Chez Amazon, les livreurs urinent dans des bouteilles en plastique et ne prennent pas de pause de peur d'être licenciés. Quand ils s'organisent en syndicat, ils sont persécutés par leur direction. En voilà un métier d'avenir épanouissant ! Si vous n'y trouvez rien à redire, je me demande bien pourquoi vous ne conseillez pas à vos enfants d'y postuler.
Alors, collègues, ne sommes-nous pas bien là, à protéger les riches alors que le malheur se compte par millions ? Le point commun flagrant de tous vos arguments est que vous parlez toujours du point de vue de celui qui accumule, jamais du point de vue de celui qui n'a rien ou si peu. Le sort réservé aux classes moyennes, aux ouvriers, employés ou précaires vous indiffère. Si vous trouviez insupportable que l'on puisse vivre dans l'angoisse du lendemain, vous n'auriez aucun remords à aller chercher l'argent là où il est.
Mais vous ne vous préoccupez que de l'existence de quelques-uns. Depuis quatre ans, vous veillez scrupuleusement à la séparation des plus fortunés du reste de la population. Depuis quatre ans, vous faites un pari terrible : vous misez sur le silence de la majorité sociale de notre pays, pour lui faire subir toujours plus d'injustice. C'est la jurisprudence « gilets jaunes » : vous franchissez toujours plus le seuil de l'intolérable, puis vous faites les étonnés quand le peuple déferle soudainement sur les ronds-points. Vous avez érigé l'injustice en doctrine politique. C'est elle qui a produit le mouvement des gilets jaunes, et ceux contre les réformes des retraites ou de l'assurance chômage.
Collègues, vous vous éloignez bien de vos prédécesseurs. En 1916, la contribution exceptionnelle sur les bénéfices extraordinaires réalisés pendant la guerre avait été plébiscitée : 470 voix pour, une seule voix contre. Le député Isidore Tournan en résumait ainsi la logique : « La France a montré de quels prodiges de bravoure et d'endurance elle est capable. Tous les espoirs sont permis si, dans votre pensée comme dans votre action, vous ne séparez jamais l'idée de patrie de l'idée de justice. »
Il y a un siècle, taxer les profiteurs qui s'engraissaient du malheur national n'avait rien d'injuste, bien au contraire. Aujourd'hui, les serviteurs des puissances d'argent ont envahi les assemblées, si bien que nous devenons la risée du monde.
La Nouvelle-Zélande augmente son impôt sur les grandes fortunes, tout comme les États-Unis ; le Royaume-Uni annonce la hausse de son impôt sur les sociétés ; le président américain a même affirmé hier soir son soutien à la levée des brevets sur les vaccins… Cependant que, en France, l'égoïsme demeure votre seul projet politique.
Almeida Garrett a un message pour vous : « Et je demande aux économistes politiques, aux moralistes, s'ils ont déjà calculé le nombre d'individus qu'il est nécessaire de condamner à la misère, à un travail disproportionné, au découragement […], à une détresse invincible, à la pénurie absolue, pour produire un riche ? » Collègues, avec cette proposition de loi, vous avez une occasion de rétablir un peu de justice sociale et fiscale – cette justice qui aura tant manqué aux Français depuis quatre années. Dites-leur que leurs efforts ne sont pas vains, donnez-leur raison quand ils disent que chacun doit contribuer à la hauteur de ses moyens, taxez les profiteurs de crise.