Intervention de Laurence Vichnievsky

Séance en hémicycle du mardi 18 mai 2021 à 15h00
Motion de rejet préalable (projet de loi organique) — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Vichnievsky :

« Confiance dans l'institution judiciaire » : sous cet intitulé ambitieux, les projets de loi ordinaire et organique contiennent de nombreuses dispositions qui améliorent le fonctionnement de la justice, particulièrement de l'ordre judiciaire.

La justice est parfois sévèrement critiquée, mais nos concitoyens se montrent plutôt mesurés dans leur appréciation. Avec 48 % d'opinions positives contre 49 % d'opinions négatives selon l'enquête du CEVIPOF – le centre de recherches politique de Sciences Po – publiée en février 2021, la justice n'est pas si mal placée. Elle se trouve certes derrière les hôpitaux, l'école ou la police, mais devant beaucoup d'autres institutions.

Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés avait déposé en commission un amendement relatif à l'irresponsabilité pénale. Nous regrettons qu'il ait été déclaré irrecevable tant il y a urgence à légiférer sur ce sujet qui a légitimement choqué nombre de nos concitoyens à la suite de la décision rendue par la Cour de cassation dans l'affaire Halimi. L'examen d'un tel amendement aurait pu répondre aux interrogations des Français.

J'en viens à quelques observations sur des dispositions majeures de ces textes.

L'article 1er du projet de loi ordinaire prévoit l'enregistrement et la diffusion d'audiences en raison d'un intérêt public, lié à l'affaire en cause. Nous soutenons cette mesure, mais souhaitons réserver au législateur plutôt qu'à l'exécutif le soin de déterminer l'autorité compétente pour décider de l'enregistrement et, surtout, de la diffusion des audiences. N'oublions pas que cette disposition ajoutera un article à la loi de 1881 sur la liberté de la presse et que l'intervention d'un ministère en ce domaine est toujours délicate.

L'article 2 du projet de loi ordinaire limite à trois ans la durée des enquêtes préliminaires, celle-ci étant portée à cinq ans pour certains crimes ou délits, s'agissant notamment de la criminalité organisée ou du terrorisme. Il introduit en outre une part de contradictoire au sein de cette procédure.

Je crois néanmoins qu'il faut nous montrer réalistes : lutter contre la délinquance suppose aussi de limiter, au niveau de l'enquête, les droits de la défense des personnes soupçonnées. À cet égard, nous proposerons un amendement visant à élargir aux infractions financières la possibilité de prolonger jusqu'à cinq ans la durée des enquêtes préliminaires. Il y va de la crédibilité de notre justice pénale financière, nécessairement longue et complexe, le risque étant celui de l'impunité.

L'article 3 s'attache à mieux garantir le secret professionnel dont bénéficie l'avocat dans le cadre de l'enquête pénale. Si nous soutenons cette démarche, nous prenons acte du fait que le texte exclut toute immunité de l'avocat lorsqu'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis l'infraction objet de l'enquête.

De plus, nous nous félicitons que le Gouvernement ait accepté de soutenir notre amendement tendant à étendre cette exclusion au cas où l'avocat est soupçonné d'avoir commis une infraction connexe à celle faisant l'objet de l'enquête. Tel sera le cas, par exemple, du recel ou du blanchiment.

L'article 7 généralise les cours criminelles départementales. Malgré le caractère inachevé de l'expérimentation de ces juridictions, nous soutenons la disposition, qui aura pour effet de désengorger les cours d'assises et de réduire le délai de jugement des affaires criminelles, tout en évitant le procédé critiquable de la correctionnalisation.

L'article 8 propose de faire siéger des avocats honoraires dans la formation de jugement des cours d'assises et des cours criminelles départementales. Si l'impératif de gestion peut-être invoqué pour les cours criminelles – on y manque parfois d'effectifs –, ce n'est pas le cas pour les cours d'assises. L'étude d'impact lie maladroitement le remplacement d'un magistrat par un avocat à la restauration de la confiance dans la justice : cet argument que je ne commenterai pas n'est pas recevable.

S'il s'agit à terme d'institutionnaliser l'avocat dans la composition de jugement en dehors des cas très circonscrits déjà prévus par notre procédure, je ne peux qu'y être défavorable : il ne s'agit pas d'entre-soi ou de corporatisme, mais de notre conception du procès et de notre organisation judiciaire, qui ne s'accommode pas de la confusion des deux fonctions essentielles, celle de juger et de défendre ; il s'agit de protéger la fonction essentielle de chacune des professions de juge et d'avocat, tout en respectant leur formation, leurs compétences et leur statut respectifs, et ce dans l'objectif de clarté et d'égalité de traitement que nous devons aux justiciables.

Nous partageons en revanche la philosophie du projet de loi en matière d'exécution des peines – nous ne développerons pas plus. Quant aux dispositions concernant la promotion du travail et la formation en prison, elles vont aussi dans le bon sens, même s'il reste à les confronter aux difficultés inhérentes à tout travail carcéral.

Nous nous réjouissons enfin que le Gouvernement ait repris, en le complétant et en le précisant, notre amendement tendant à faire traiter les crimes sériels et non élucidés par un pôle national spécialisé plutôt que par des pôles régionaux dédiés, même s'il n'est pas interdit d'envisager ultérieurement, si nécessaire, la création d'un ou deux autres pôles. À cet égard, je veux remercier, Mme le doyen des juges d'instruction de Paris et sa greffière, ainsi que Me Seban, dont la contribution a été déterminante. Je suis convaincue qu'une telle réforme nous permettra d'améliorer le taux d'élucidation de ces crimes à effectif constant et contribuera à donner aux Français confiance en leur justice.

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