Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du mardi 18 mai 2021 à 15h00
Motion de rejet préalable (projet de loi organique) — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Comme vous avez dû vous en rendre compte du fait qu'ils ont défendu une motion de rejet préalable, les députés du groupe La France insoumise sont opposés à ce texte parce que c'est un mauvais texte.

Béatrice Brugère considère que « la confiance dans la justice ne peut relever simplement d'une loi ou se décréter ». Elle implique, selon Adélaïde Jacquin et Emmanuel Daoud, « une réflexion politique approfondie, des études d'impact complètes, outre une concertation avec l'ensemble de celles et ceux qui participent chaque jour à la construction de la justice en se confrontant au quotidien à un manque cruel de moyens, sauf à risquer de proposer un texte qui n'a d'autre lien avec la confiance que son titre ». Citant notamment l'avis du Conseil d'État, qui a relevé le caractère squelettique de l'exposé des motifs du projet de loi, les auteurs, tous deux avocats, concluent : « En définitive, ce projet de loi est un inventaire à la Prévert – la poésie en moins – dont on peine à voir la cohérence et parfois même l'utilité au regard de l'objectif annoncé de restaurer la confiance en l'institution judiciaire. »

De son côté, le syndicat des avocats de France a résumé ainsi son point de vue : « Restaurer la confiance dans la justice ne peut se contenter d'une réforme fourre-tout, sans réflexion sur le fonctionnement actuel des juridictions, le sens de la procédure pénale, les droits de la défense ou le contrôle indépendant des enquêtes. »

Nous partageons largement ces constats.

Sur la forme, ce projet de loi s'ajoute à la réforme Belloubet, qui n'a pas encore été absorbée par les juridictions, ainsi qu'au code de justice pénale des mineurs qui n'est pas encore entré en vigueur. L'accumulation des textes tous azimuts ne peut que nuire à leur lisibilité et à leur bonne application. C'est d'ailleurs ce que confiait ce mois-ci François Molins, procureur général près la Cour de cassation, cité dans un article édifiant du Monde diplomatique du mois de mai, intitulé « Une justice au bord de l'implosion » : « Aucun autre corps n'a fait face à autant de réformes depuis vingt ans, ni assimilé une telle inflation de normes. » L'auteur de l'article ajoute : « L'exécutif ne s'embarrasse plus vraiment d'étudier l'impact des mesures qu'il fait voter, notamment en termes d'effectifs nécessaires à leur mise en œuvre. Pas plus qu'il ne semble s'inquiéter de ce qu'elles peuvent produire. »

Voilà donc le nouveau garde des sceaux qui s'empresse de faire ce qui est constaté et critiqué par le corps judiciaire depuis très longtemps.

Pour ce qui est du fond, le compte n'y est toujours pas. Le fond, ce sont les moyens. Rappelons, monsieur le ministre, qui vous moquez de l'augmentation des moyens, de quoi vous vous gaussez exactement.

Le Conseil de l'Europe a indiqué que la France se situait en queue de peloton quant aux moyens alloués à la justice – elle est même le dernier des pays ayant un niveau économique comparable. Avec 138 euros par habitant, elle est bien en dessous de la moyenne des États européens qui se situe à 218 euros, loin derrière les Pays-Bas, en tête du classement avec 741 euros par habitant, et qui est également, notons-le, un pays dont les prisons sont les plus vides et qui a connu une baisse significative de la criminalité – on devrait peut-être se poser de la question de savoir comment et pourquoi on obtient un tel résultat.

Comme le précisait notamment Sophie Ferry, membre du Conseil national des barreaux, lors d'une récente audition que nous avons organisée sur l'accès à la justice, à population comparable la France a autant de juges aujourd'hui qu'elle en avait en 1850, soit un tiers de moins que la médiane européenne. La France compte quatre fois moins de procureurs, deux fois moins de personnel autre, que les autres pays. Il en résulte des délais de jugement très longs : deux fois plus longs que la moyenne en matière civile, en première instance, et trois fois en seconde instance ; trois fois plus longs en matière pénale. C'est dire, monsieur le ministre, que les hausses dont vous vous gargarisez n'y feront rien. Elles n'apporteront aucune réponse significative aux problèmes structurels qui minent le fonctionnement de l'institution judiciaire…

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