Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mercredi 19 mai 2021 à 15h00
Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire) — Article 1er

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

La chaîne qui sera choisie respectera la loi que vous voterez. Naturellement, même si nous aimerions le faire, personne ne peut empêcher une captation illicite, à l'aide d'un téléphone portable par exemple. Vous savez bien que le droit à l'oubli n'existe plus.

Certains journalistes m'ont interrogé sur le droit à l'oubli dans l'article 1er . Je leur ai expliqué qu'il en allait de même de leur travail. Rien n'empêche d'enregistrer par un quelconque moyen technique un reportage sur une affaire donnée, et de le rediffuser à l'insu de ses auteurs quinze ans plus tard. On ne peut rien faire contre : je ne peux pas confisquer tous les smartphones du pays, ce serait liberticide et vous m'en voudriez, à raison. Comment voulez-vous résoudre ce problème ?

Nous avons un cahier des charges : le diffuseur principal, à savoir la chaîne que la chancellerie choisira, ne diffusera plus l'enregistrement – c'est déjà pas mal. Vous avez raison : j'aimerais empêcher que des gens malveillants ne captent et n'utilisent des images. À l'époque où les réseaux sociaux existaient encore moins que les téléphones portables, rien n'interdisait à un journal de republier un vieil article piqué à une autre gazette. Nous sommes confrontés à un phénomène qui nous dépasse tellement que je conçois difficilement comment la loi pourrait le faire cesser.

Nous essayons d'être à la hauteur de nos responsabilités en établissant un cahier des charges très strict, qui prévoit que le diffuseur principal ne pourra rediffuser les images après un certain délai, afin de garantir ce qu'on appelle le droit à l'oubli.

Il y a toujours des affaires qui sont exhumées, vous le savez bien, et personne n'y peut rien – malheureusement, parce que cela peut faire des dégâts, ou heureusement, parce que c'est aussi l'illustration de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux. Légiférer en ce domaine est très compliqué, même si nous l'avons fait sur la haine en ligne.

Au fond, je vous rejoins, mais je ne vois pas comment on peut régler cette question. Le risque zéro ne saurait exister, par définition. Vous le dites vous-même : rien n'interdit à un malveillant d'agir. Faudrait-il alors ne jamais rien diffuser ? Si l'on pousse votre raisonnement jusqu'au bout, on interdit toutes les émissions qui traitent d'affaires judiciaires – elles existent, et certaines sont à la limite de la légalité. Et même si une émission évoque telle ou telle affaire sans en diffuser d'image, rien n'interdit à un malveillant de la rediffuser dans dix ou quinze ans.

Votre intention est louable, je le répète, mais le texte auquel nous avons abouti me paraît pragmatique et équilibré. On ne peut pas tout garantir.

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