La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Suite de la discussion d'un projet de loi
Rappels au règlement
M. Pacôme Rupin proteste.
Je fonde mon rappel au règlement sur l'article 98. Je voudrais exprimer mon étonnement : mon amendement qui vise à instaurer des peines planchers pour les délits ou les crimes commis sur nos policiers, nos gendarmes, les détenteurs de l'autorité publique, a été déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution. Je suis très choqué de cette censure qui prive les parlementaires de la capacité à débattre d'un sujet majeur.
Monsieur le garde des sceaux, nous examinons un texte qui vise à restaurer la confiance des Français envers la justice. Il y a quelques instants, 30 000 policiers manifestaient devant l'Assemblée nationale. Le ministre de l'intérieur a fait une brève apparition assez commentée. Vous êtes ici pour agir et c'est le rôle d'un ministre. J'ai entendu le cri de colère des policiers ; tout à l'heure, l'un d'eux a dit que « le problème de la police, c'est la justice ».
Ces peines planchers, tous les policiers les réclament unanimement. Ils ont raison : il faut protéger l'uniforme, ceux qui nous protègent, et faire en sorte que dès la première agression, une sanction ferme soit systématiquement prononcée et rapidement exécutée. Il faut que tous ceux qui touchent à l'uniforme d'un policier sachent que le soir même, ils dormiront en prison. Vous refusez le débat, vous ne faites que de la communication…
Applaudissements sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits. – Mme la présidente coupe le micro de l'orateur.
Monsieur Ciotti, je prends bonne note de votre rappel au règlement. Je note que l'amendement auquel vous faites allusion a déjà été déclaré irrecevable en commission sur le fondement de l'article 98, alinéa 6. Néanmoins, je vous assure que le président de l'Assemblée nationale sera informé de votre réclamation.
La parole est à M. Éric Diard, pour un autre rappel au règlement.
Je voudrais faire un rappel au règlement, qui se fonde sur les articles 98 et 100 et qui concerne le « deux poids deux mesures » constaté dans l'application de l'article 45 de la Constitution.
En effet l'amendement déposé ce matin par le Gouvernement – vous n'êtes pas encore au Gouvernement, que je sache, monsieur Studer, même si vous en rêvez,…
…il va falloir faire preuve de patience – vise à étendre à trente ans, contre vingt-deux actuellement, la période de sûreté s'appliquant aux auteurs de meurtres commis sur des dépositaires de l'autorité publique.
Nulle part dans le projet de loi, il n'est question de la période de sûreté pour les peines de réclusion à perpétuité, pas même à l'article 9 qui traite de l'exécution des peines et non de leur prononcé. Quitte à déposer un tel amendement, il aurait été préférable de le faire après l'article 10, qui comprend diverses dispositions relatives à la procédure pénale.
Mme Laetitia Avia s'exclame.
Quoi qu'il en soit, il s'agit manifestement d'un cavalier : s'il avait été déposé par un député, les services de l'Assemblée n'auraient sûrement pas manifesté la même bienveillance à son égard.
C'est pourquoi j'ai déposé une proposition de loi similaire à l'amendement du Gouvernement ; la seule différence est que la cour d'assises devrait prendre une décision spéciale pour déroger à la période de sûreté de trente ans. Je regrette qu'il ait fallu attendre une manifestation des forces de l'ordre pour que cet amendement voie le jour. Néanmoins, je suis satisfait que le débat soit ouvert. Afin de l'approfondir, nous proposerons des sous-amendements.
Monsieur Ciotti, nous savons parfaitement que votre propos ne s'adresse pas à l'Assemblée – vous connaissez en effet le règlement, mieux que moi, même – mais, en réalité, aux électeurs qui vous regardent. Vous jugez absolument indispensable d'apparaître à la tête du mouvement qui s'est exprimé – légitimement, du reste – aux portes de l'Assemblée nationale.
Vous aimez le sport, me semble-t-il ; lorsqu'un journaliste fait un compte rendu sportif, il y a toujours quelqu'un qui saute derrière lui pour se faire voir. Vous êtes celui-là, monsieur Ciotti.
Rires sur les bancs du groupe LaREM. – M. Pierre Cordier manifeste sa désapprobation.
Ce qui est scandaleux, c'est de reprocher à un ministre ce dont il n'est pas responsable.
Contrairement à vous, je ne suis ni un idéologue ni un dogmatique. Les yeux dans les yeux, je vous dis ceci : si je pensais que l'institution de peines planchers était susceptible de faire baisser la délinquance, j'y recourrais des deux mains et des deux pieds. Or nous les avons expérimentées, grâce ou plutôt à cause de vous : elles n'ont pas fonctionné.
Le moment venu, je vous donnerai les chiffres.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Vous avez voulu ce débat, souffrez que je vous réponde ! Ce n'est pas un monologue. Je vous démontrerai que les peines prononcées après la période durant laquelle vos peines planchers étaient en vigueur se sont avérées plus sévères.
Mêmes mouvements.
Je vous apporterai la preuve que les peines planchers n'ont en rien – j'insiste – fait baisser la délinquance dans ce pays. Car si tel était le cas – je le redis, même si vous n'êtes pas obligés de me croire –, je les réinstaurerais sans aucun état d'âme. Ainsi que je l'ai reconnu pour les cours criminelles départementales, je vous dirais : ce dispositif a marché, réintroduisons-le. Or tel n'est pas le cas en l'espèce.
Vous avez emboîté le pas de plusieurs représentants syndicaux qui réclament cette mesure à cor et à cri ; je l'entends parfaitement. Et en tant que citoyen, j'aurais pu participer à cette manifestation et apporter mon soutien aux services de police. En revanche, il me semble dangereux pour notre démocratie que l'on oppose en permanence la justice et la police à des fins électoralistes – donc avec un certain cynisme. Je reprendrai l'expression que j'ai employée hier : les policiers et les magistrats de notre pays sont dans la même barque républicaine. D'un côté, il y a ce qui peut se dire, les réclamations – c'est au fond le rôle d'un syndicat de réclamer –, ce qu'on entend sur les plateaux de télévision où la plupart du temps circule une totale désinformation ; de l'autre, il y a le terrain. J'affirme que sur le terrain, magistrats et policiers travaillent ensemble.
Que dans telle ou telle affaire, des dysfonctionnements aient été rencontrés, je l'entends bien. Je suis l'un des gardes des sceaux qui a le plus saisi le Conseil supérieur de la magistrature. Je n'ai aucune tolérance à cet égard. Ainsi que je l'ai dit hier, la justice est merveilleusement humaine et donc, parfois, terriblement humaine. Mais, s'il vous plaît, n'opposez pas deux institutions de la République. C'est insupportable. Vous êtes républicains, vous êtes démocrates, vous savez que la justice est une institution essentielle, qu'elle est un des fondements de notre pacte social et de notre pacte républicain. Je vous supplie de l'entendre : on ne peut pas tout démolir à des fins électorales ou électoralistes ! Je ne veux pas polémiquer, mais je me battrai contre la désinformation. L'exploitation politique de certaines situations nous conduit à l'impasse.
Je sais que des échéances électorales approchent. On peut exprimer beaucoup de choses, mais la ligne rouge, c'est le respect que l'on doit aux institutions.
Il faut respecter la police, c'est une évidence absolue – ce n'est pourtant pas ce que vous avez fait quand vous avez viré 12 000 policiers…
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Vives protestations sur les bancs du groupe LR.
Mais il faut également respecter la justice de ce pays.
Il se fonde sur les articles 98 et 99 et concerne le dépôt par le Gouvernement d'un amendement destiné à satisfaire les revendications exprimées à l'extérieur des murs de l'Assemblée nationale.
Monsieur le garde des sceaux, le « en même temps » a ses limites. À la tribune de cette manifestation des organisations policières, le dirigeant d'Alliance Police nationale a prononcé cette phrase : « le problème de la police, c'est la justice ». Certains de vos collègues, notamment Gérald Darmanin, pavanent en admettant qu'il y a effectivement un problème. Vous y répondez ensuite par cet amendement.
Je suis d'accord avec mes collègues du groupe Les Républicains : si nous avions osé déposer un tel amendement, il aurait été déclaré irrecevable. Telle est la réalité ! En effet, cela ne relève pas de votre responsabilité, mais de celle de la présidence de l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 863 du Gouvernement est relatif à l'exécution des peines, sujet qui entre dans le champ du texte. Il est donc recevable.
Non ! Nous avons déposé de nombreux amendements sur des sujets similaires, et ils ont été déclarés irrecevables ! Tout cela, c'est politique !
Il se fonde sur l'article 58 du règlement. Monsieur le ministre, souffrez que l'on s'exprime. Bien entendu, il est plus facile d'être nommé que d'être élu ; vous le verrez. Mais nous sommes élus et nous n'avons qu'un seul droit, celui de parler au nom du peuple français.
Et moi, j'ai le droit de vous répondre !
Nous ne sommes pas, ici, sur un plateau de télévision, dans une émission sportive. Il ne s'agit pas de se montrer. Lorsque je parle au nom de ceux qui m'ont honoré de leur confiance, je le fais avec fierté car ils m'ont également confié le rôle de les représenter.
Sur le fond, la phrase que j'ai citée aurait pu vous être rapportée par votre collègue, le ministre de l'intérieur, qui était présent et qui est parti après avoir été sifflé. Elle n'est pas de moi, mais du représentant du principal syndicat policier français, qui a dit devant 30 000 policiers, empreints d'émotion à la suite des témoignages de leurs collègues blessés et après le décès de plusieurs agents, que « le problème de la police, c'est la justice ».
Vous-même, monsieur le ministre, vous l'admettez : si vous déposez ce texte, c'est qu'il y a un problème de confiance. Le titre même du texte est : « projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire ».
Vous confondez tout ! Je vais vous répondre.
Aujourd'hui, cette confiance n'est plus là. Or vous refusez d'aborder les vrais sujets, vous ne proposez que des mesures gadgets.
Pendant des heures, nous avons discuté de la retransmission des audiences et vous refusez de débattre des peines planchers…
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme la présidente coupe le micro de l'orateur.
Il se fonde sur l'article 98 et concerne la recevabilité des amendements. Monsieur le ministre, ce n'est pas vous qui êtes mis en cause lorsque des parlementaires regrettent que certains de leurs amendements tombent sous le couperet de l'article 45 de la Constitution tout en constatant que celui du Gouvernement, qui touche à un sujet d'actualité brûlante…
Cela ne me concerne pas !
Mais cela concerne le débat parlementaire et vous portez la parole du Gouvernement, donc souffrez que les parlementaires puissent participer au débat sur l'amendement que vous déposerez. En effet, ils auraient eux-mêmes pu déposer des amendements similaires ou, à tout le moins, on aurait pu penser qu'ils avaient le droit constitutionnel de le faire. Lorsque nous dénonçons le « deux poids deux mesures », ce n'est pas à votre endroit,…
…mais pour rappeler que le respect du débat parlementaire est essentiel. Soit on considère que l'amendement est un cavalier et il l'est alors pour tout le monde. Soit ce n'est pas le cas ; dès lors, des amendements parlementaires ne peuvent, à un moment donné, être déclarés irrecevables alors que ceux du Gouvernement, pourtant similaires, ne le seraient pas.
Soyons clairs : si cet amendement n'était pas autant d'actualité et s'il n'avait pas été déposé en réponse à une manifestation, son dispositif aurait figuré dans le projet de loi initial. Or tel n'était pas le cas. La période de sûreté de trente ans s'appliquant aux auteurs de crimes…
…commis contre des policiers n'était pas inscrite dans le texte initial.
Je ne suis pas sourd, monsieur Brindeau. J'ai entendu M. le député Ciotti m'interpeller sur la question de la recevabilité des amendements, qui m'est, pardonnez-moi, totalement étrangère : vous le savez d'ailleurs mieux que moi. Je n'ai aucune compétence en la matière, aussi veuillez ne pas me faire de reproche à ce sujet, pas plus qu'au Gouvernement. Ce n'est pas le Gouvernement qui décide de la recevabilité des amendements.
Veuillez me laisser parler. Pourquoi me faites-vous ce reproche ? Pourquoi m'interpellez-vous sur cette question ? J'ai du mal à le comprendre.
C'est toujours le même amalgame qui est fait et c'est justement ce contre quoi je me bats : Dieu sait que c'est difficile ! Vous dites, monsieur Ciotti, que les Français éprouvent de la défiance envers la justice, et que je le reconnais moi-même. C'est vrai. Mais, hier, je vous ai donné à deux reprises les chiffres infirmant l'idée selon laquelle la justice serait laxiste.
Pardonnez-moi, mais ils sont indiscutables ! Il m'est donc impossible de dire que la défiance vis-à-vis de la justice est due à son laxisme. Par contre, j'ai évoqué certains facteurs qui conduisent les Français à la considérer comme telle. Je le répète, les chiffres que j'ai donnés sont incontestables – mais je sais qu'il vous est difficile de l'entendre.
Je vous prie de me croire de bonne foi. D'ailleurs, en matière de justice, vous savez que la mauvaise foi n'est jamais présumée.
Monsieur Ciotti, si je pensais que la justice était laxiste, je n'aurais aucun mal à le dire et je prendrais des mesures pour y remédier. Les chiffres que j'ai donnés hier – et que je donnerai à nouveau car, à l'évidence, si vous m'avez écouté, vous ne m'avez pas entendu – indiquent bel et bien que les peines prononcées sont de plus en plus lourdes ; n'en déplaise à ce que disent certains. Qu'attendez-vous donc de moi ? Que je prenne des mesures pour que la justice cesse d'être laxiste alors que je peux démontrer clairement, nettement et précisément qu'elle ne l'est pas ?
Je vous le redis, je ne suis pas un idéologue. À l'inverse, j'essaie d'être pragmatique, d'être un homme de bon sens, et de corriger les dysfonctionnements que j'identifie. Sur la rapidité des décisions, les règles relatives à l'exécution des peines, ou encore le désengorgement des prisons, j'ai beaucoup travaillé, monsieur Ciotti, et nos concitoyens le constateront bientôt.
Franchement, si je pensais que la justice était laxiste, je n'aurais aucun problème à le dire. Je ne suis pas un dogmatique ! Le fait est que les chiffres dont nous disposons sont fiables et me disent le contraire. Partant de là, essayons au moins de discuter sur des bases communes.
À cet égard, j'ai été le premier à accepter la création d'un observatoire de la réponse pénale, que demandaient les syndicats de police. Je n'ai pas peur de cela.
Il est évident, monsieur Ciotti, que certaines décisions de justice sont critiquables.
Mais il n'y a pas que les magistrats qui peuvent faillir ! Les plombiers zingueurs, les avocats ou encore les boulangers peuvent aussi faillir. Et quand je constate un dysfonctionnement personnel caractérisé, je saisis le Conseil supérieur de la magistrature : je n'ai pas la main qui tremble.
Vous pouvez faire de moi un idéologue qui refuse d'évoluer, fait preuve d'angélisme et estime que tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais souffrez que j'aie une certaine vision de la justice de notre pays. Je l'ai dit, je la connais charnellement. Et, encore une fois, si je pensais que la justice était un machin laxiste, désintéressé de sa mission et éloigné du peuple, je prendrais les mesures qui s'imposent : j'en ai la possibilité.
Voilà ce que je souhaitais vous dire. Vous n'y êtes pas tenu, monsieur le député Ciotti, mais, franchement, si vous ne me croyez pas, c'est dommage !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Vous êtes nombreux à vouloir faire un rappel au règlement. Si vos propos n'ont pas de rapport avec notre règlement, je serai contrainte de vous interrompre.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour un rappel au règlement.
Il se fonde à nouveau sur les articles 98 et 99, relatifs à la recevabilité des amendements et à leur examen en séance publique. Je souhaite terminer la démonstration que j'avais commencé à faire avant que vous ne m'interrompiez et ne me coupiez le micro, madame la présidente.
Je vous ai interrompu car votre rappel au règlement était redondant par rapport aux précédents.
Ce motif n'est pas acceptable, madame la présidente.
Une note nous a été envoyée par la présidente de la commission des lois concernant la recevabilité des amendements en application de l'article 45 de la Constitution. À cet égard, celui que vient de déposer le Gouvernement sur l'article 9 du projet de loi n'a rien à voir avec le contenu de cet article, étant donné qu'il vise à amender un autre chapitre du code pénal. Si d'aventure des députés avaient déposé pareil amendement, faisant valoir un lien indirect avec le texte sous prétexte qu'il vise à amender le code pénal, que se serait-il passé, madame la présidente ? Ou, devrais-je dire, que s'est-il passé ? Ce sont en effet dix-sept amendements qui ont été déclarés irrecevables pour le seul groupe de La France insoumise ! Certains portaient sur les procédures de récusation des magistrats – et donc sur la déontologie, ce qui me semble avoir un lien direct avec un texte qui vise à rétablir la confiance en la justice.
Il y a donc bien un problème politique dans le fonctionnement de l'Assemblée nationale, même si, en effet, il ne concerne en rien le ministre.
Je souhaite donc que la conférence des présidents se réunisse pour examiner la recevabilité de cet amendement du Gouvernement, afin qu'il soit assumé politiquement…
Il porte également sur la recevabilité des amendements, car plusieurs de ceux que j'ai déposés ont été écartés en application de l'article 45.
Moi aussi, j'étais à la manifestation des policiers et, comme vous, j'ai entendu leur souffrance. J'ai également ressenti profondément le très inquiétant divorce entre la police et la justice.
Monsieur le ministre, vous n'y êtes pour rien, mais j'avais déposé, avec les membres du groupe Socialistes et apparentés, un amendement visant à associer une plateforme à chaque tribunal judiciaire afin que policiers, gendarmes, juges du siège et procureurs puissent discuter entre eux – amendement qui a été déclaré irrecevable au motif que son objet relevait du domaine réglementaire. De telles plateformes permettraient pourtant aux juges du siège d'expliquer les sanctions qu'ils prononcent et qui peuvent être vues comme insuffisantes par les policiers qui ont couru après les malfrats incriminés.
Je le répète, cet amendement a été balayé d'un revers de main au motif que son objet relevait de la voie réglementaire. Résultat : la création de ces plateformes ne pourra pas même être débattue.
Monsieur le ministre, pourriez-vous réfléchir à ce type de solution qui, si elle ne pourrait à elle seule régler le problème,…
Mais où sommes-nous ?
Avant toute chose, je rappelle, madame la présidente, que nous disposons tous de deux minutes pour nous exprimer. Vous ne pouvez donc couper la parole à mes collègues Untermaier et Bernalicis…
Je sais ce que j'ai à faire, monsieur Savignat. Venez-en au fait, je vous prie.
Non, cela a de l'importance. Quand les rappels au règlement n'ont pas de lien avec le règlement, il n'y a aucune raison d'accorder deux minutes à l'orateur. Cela étant, je vous prie de me dire sur quel article se fonde votre rappel au règlement, monsieur Savignat.
Je n'ai pas demandé à formuler un rappel au règlement, madame la présidente, mais à répondre à M. le garde des sceaux.
Mais vous pourrez vous exprimer sur l'amendement dont je vais appeler l'examen.
Hier soir, l'Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement n° 596 à l'article 1er .
J'espère que j'aurai bien droit à deux minutes de temps de parole et qu'on ne m'interrompra pas.
Soyez sans crainte. Deux minutes sont bien prévues pour la présentation d'un amendement.
Je l'espère ! Franchement, madame la présidente, comment peut-on débattre dans de telles conditions ? Certains amendements sont déposés à la dernière minute ; d'autres sont déclarés irrecevables… C'est insupportable et méprisant pour les parlementaires que nous sommes.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Nous sommes pourtant censés nous trouver dans le lieu central de la démocratie parlementaire représentative !
S'agissant du présent amendement… Je vois que M. Savignat souhaite faire un rappel au règlement. Étant donné qu'il est prévu qu'il doit avoir la priorité sur le débat en cours, je lui laisse la parole.
Non, madame la présidente ! J'applique le règlement : un rappel au règlement a priorité sur la question principale. Je reprendrai la présentation de mon amendement plus tard.
C'est à moi de conduire les débats, monsieur Bernalicis. L'amendement n° 596 est donc défendu.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
C'est en effet à vous d'appliquer le règlement. Or le rappel au règlement a priorité sur le reste !
Certes, mais l'application du règlement n'exclut pas de faire preuve de discernement.
Je confirme que l'amendement n° 596 a bien été défendu.
La parole est à M. Stéphane Mazars, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour donner l'avis de la commission.
Défavorable.
L'amendement n° 596 n'est pas adopté.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Je n'ai même pas pu répondre !
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
Madame la présidente, c'est en toute sérénité qu'hier soir nous avons débuté l'examen de ce texte dont nous partageons tous les objectifs et la finalité. Il nous faut regagner la confiance des Français en l'institution judiciaire. Or vous envenimez le débat en nous refusant la possibilité de discuter sereinement du texte.
Tout à l'heure, quand j'ai demandé la parole, je souhaitais justement dire à M. le garde des sceaux que le groupe Les Républicains – y compris Éric Ciotti, à qui il s'en prenait – vise le même objectif que lui : nous voulons tous que les Français aient confiance en l'institution judiciaire.
Comme moi, M. le garde des sceaux a une lecture de professionnel du droit – ce que M. Peu nous reprochait d'ailleurs hier soir –, donc peut-être théorique et elliptique, insuffisamment concrète. Or notre collègue Éric Ciotti nous fait part du sentiment des Français. Nous devons donc nous parler et nous écouter. Aussi n'est-il pas admissible, madame la présidente, que, au motif d'hypothétiques dispositions de notre règlement soumises à votre interprétation, vous puissiez ainsi nous couper la parole.
Hier soir, nous avons débattu de manière riche et sereine. Certes, nos discussions ont été longues, peut-être trop eu égard à l'ordre du jour de notre assemblée. Mais peu importe : il y va de la justice des Français et de son avenir.
Je vous remercie, monsieur Savignat, pour cette grande leçon. Il est quinze heures vingt-cinq et la quasi-intégralité de nos débats a été jusqu'ici consacrée à des rappels au règlement.
D'ailleurs, la parole est à M. Ugo Bernalicis, pour un nouveau rappel au règlement.
L'article 58 de notre règlement dispose, et ce n'est pas sujet à interprétation, que « les rappels au règlement et les demandes de parole pour fait personnel ont toujours priorité sur la question principale ». Il ne saurait donc être question, ici, de devoir faire preuve de discernement.
Certes, le président de séance peut se mettre d'accord avec le député souhaitant formuler le rappel au règlement pour laisser l'orateur qui a la parole finir son propos. Mais il me semblait plus logique, pour la bonne compréhension de nos débats, de ne pas reprendre la discussion des amendements avant que les rappels au règlement n'aient tous été faits.
Cela étant, je demande effectivement une suspension de séance, ce qui n'est pas non plus soumis au discernement du président de séance : c'est un droit prévu par le règlement.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l'amendement n° 505 .
Nous réabordons avec cet amendement un débat que nous avons déjà eu hier soir à propos des conditions d'enregistrement et de diffusion des audiences de justice. Nous proposons que l'accord des parties soit sollicité, que la séance soit publique ou non. En effet, il faut bien faire la différence entre le fait qu'une séance soit publique ou non, selon les circonstances, et le fait d'enregistrer, pour éventuellement la diffuser ensuite, une séance de procès, pénal ou civil. S'il est un principe fondamental selon lequel chacun de nos concitoyens peut assister à un procès, dans la limite des places disponibles, la captation d'images et leur éventuelle diffusion sont d'un tout autre ordre, car cela comporte des enjeux en matière de droit à l'image, voire de sécurité des personnes, qu'il s'agisse des prévenus, des victimes ou des magistrats. D'où la nécessité de solliciter l'accord des parties, que le procès soit public ou non.
Je me suis exprimé assez longuement, hier, sur les garanties apportées par ce texte en matière d'enregistrement des images et de diffusion, que l'audience soit publique ou non. Sur la base des arguments que j'ai donc déjà développés, c'est un avis défavorable.
Sur la base du souvenir que j'ai des arguments développés par le rapporteur, avis défavorable.
Sur la base des souvenirs que j'ai du débat d'hier soir, vous ne répondez pas à notre demande. Ce n'est pas une question de garanties mais de principe : il n'y a pas de lien entre le caractère public d'un procès et le fait qu'on va décider de le filmer, pour ensuite en diffuser des images. Pardon d'y revenir donc, mais c'est à nos yeux un point important.
L'amendement n° 505 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l'amendement n° 5 .
Il vise à soumettre l'enregistrement d'une audience non publique à l'accord préalable écrit des parties au litige, mais également de leurs conseils. Ces derniers ne sont pas mentionnés dans le texte, alors qu'ils peuvent avoir de nombreuses raisons légitimes de ne pas souhaiter l'enregistrement de leur audience.
Le caractère public de la justice ne serait pas remis en cause puisqu'il ne s'agit que des audiences non publiques. Pour ce qui est de la visée pédagogique poursuivie par le dispositif, elle ne doit pas être imposée et ne sera réellement aboutie que si toutes les personnes concernées y consentent et sont conscientes des enjeux. Ainsi, un avocat qui plaiderait moins bien du fait de la présence de caméras pour lesquelles son accord n'a pas été sollicité ne contribuera pas à l'objectif pédagogique de la mesure. Non seulement on peut craindre que la publicité n'altère la sincérité des débats, mais les avocats sont des auxiliaires de justice, dont il faut également défendre les droits et libertés, notamment le droit à l'image.
Par principe, les visages seront occultés ou floutés, et ce n'est que si l'avocat, comme les autres acteurs du procès, souhaite apparaître à visage découvert que cela sera permis. Encore une fois, tout est parfaitement détaillé dans le projet de loi. Avis défavorable.
Même avis.
Les comportements peuvent être différents selon que vous vous trouvez ou non face à une caméra. Je pense que vous l'avez déjà éprouvé et que cela est aussi vrai pour un avocat. L'amendement de Mme Lorho est donc très sensé, et il devrait retenir toute votre attention.
Cet amendement me dérange car il fait fi de la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. En effet, il implique que cet échange soit rendu public pour qu'on puisse constater que le client a bien refusé l'enregistrement. Selon moi, c'est une négation absolue du secret professionnel qui existe entre l'avocat et son client.
Ma grosse crainte quant à la diffusion de ces audiences est que, dans leur grande majorité, les avocats conseillent à leurs clients de la refuser pour parer à toute incertitude sur le déroulement du procès. Quand bien même, on ne peut leur demander de faire état de ce conseil donné avant l'audience, cela reviendrait à violer le secret professionnel.
L'amendement n° 5 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 169 .
Il s'agit d'un amendement de précision qui prévoit que, lorsqu'est partie au procès un majeur bénéficiant d'une protection, son accord doit non seulement être préalable, comme c'est déjà indiqué dans le projet de loi, mais également explicite, pour qu'il n'y ait pas de mauvaise interprétation possible.
L'amendement est satisfait par une disposition votée en commission et exigeant l'accord exprès des parties. Avis défavorable.
L'amendement n° 169 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Lorsqu'il est question d'images et de communication, la plus grande prudence et la plus grande vigilance s'imposent en ce qui concerne les enfants et les plus jeunes. Cet amendement tend donc à protéger les victimes mineures, notamment les moins de 13 ans, en interdisant l'enregistrement d'images, afin de ne pas créer un traumatisme supplémentaire chez les victimes les plus jeunes et les plus fragiles.
Je rappelle que les mineurs font l'objet dans ce projet de loi d'un dispositif particulier quand ils sont acteurs d'un procès à huis clos ou en chambre du conseil.
Même si l'audience est publique, leur visage sera flouté, et il n'y aura aucun moyen de les reconnaître. De plus, même s'ils en sont d'accord, on ne pourra lever leur anonymat. Nous allons même plus loin : alors que l'autorisation des parties n'est normalement pas nécessaire pour l'enregistrement d'une audience publique, cette autorisation sera obligatoire pour les mineurs, et elle devra être sollicitée auprès de leurs représentants légaux ou du mandataire ad hoc, si les représentants légaux ne peuvent pas la donner. J'estime donc que les garanties sont suffisantes, et mon avis est défavorable.
L'amendement n° 3 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement de précision concerne les règles de confidentialité des échanges entre un avocat et son client. Il arrive fréquemment au cours du procès, selon les circonstances ou l'état d'avancement de la procédure, que l'avocat ait besoin de converser avec son client. Il convient de bien préciser que ces échanges sont couverts par le secret professionnel, y compris pendant la période pendant laquelle l'audience est filmée.
Il est identique et vise en effet à garantir le respect de la confidentialité des échanges entre l'avocat et son client. C'est absolument primordial au moment ou nous ouvrons de nouvelles possibilités de filmer et de diffuser les procès.
Même argumentaire. Il me semble important que le principe de confidentialité des échanges entre le client et son conseil soit mentionné dans le texte. S'ils sont filmés, ces échanges pourraient être divulgués, par exemple en lisant sur les lèvres.
Vos exigences sont satisfaites. Il est clairement écrit dans le projet de loi que « [l]es modalités de l'enregistrement ne doivent porter atteinte ni au bon déroulement de la procédure ou des débats, ni au libre exercice de leurs droits par les parties […]. » Parmi ces droits, il y a bien évidemment les droits de la défense, y compris celui de communiquer avec son avocat au cours de l'audience. Les modalités d'enregistrement prévoient de ne pas porter atteinte à ce droit, le plus fondamental d'une personne défendue dans une enceinte judiciaire. Avis défavorable.
C'est exactement la position du Gouvernement. Défavorable.
Je partage entièrement l'avis de M. le rapporteur et de M. le garde des sceaux sur le sujet. Mais nous le savons bien : même si le secret de l'instruction est protégé de manière absolue, des procès-verbaux d'auditions et des éléments de procédure se retrouvent fréquemment dans la presse. C'est la raison pour laquelle il n'est peut-être pas inutile de réaffirmer la nécessité de respecter la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, voire de prévoir une sanction particulièrement sévère si de tels échanges devaient être dévoilés dans le cadre de la diffusion de l'enregistrement d'une audience.
Il vise à permettre aux parties ou à leur avocat de demander au président de l'audience, de plein droit et à tout moment, la suspension ou l'interruption de l'enregistrement afin d'assurer le respect effectif du libre exercice de leurs droits. C'est là encore un amendement de précision.
Même argumentaire. Il me semble important que chacun puisse demander à tout moment la suspension de l'enregistrement, qu'il s'agisse du président, comme nous l'avons évoqué hier, ou des parties.
La police de l'audience est assurée par le président : celui-ci pourra à tout moment mettre fin à l'enregistrement, pour n'importe quel motif qu'il juge important.
Je rappelle, pour ceux qui n'étaient pas en commission, que le Gouvernement a évolué sur cette question. Aux termes du projet de loi initial, la décision de suspendre l'enregistrement n'était possible qu'en cas d'atteinte « au bon déroulement de la procédure ou des débats » ou « au libre exercice de leurs droits par les parties ». Nous avons voulu étendre le champ de cette possibilité en l'assimilant, grosso modo, à celui des mesures que le président peut prendre, au titre de son pouvoir de police, en réponse à tout événement susceptible de se produire pendant l'audience. Avis défavorable.
C'est ce que l'on appelle le pouvoir propre du président, mais naturellement, les parties ont la possibilité de solliciter ce dernier pour qu'il en use – par exemple pour demander que l'audience soit suspendue, même si seul le président peut prendre une telle décision.
Il est inutile d'alourdir le texte par des dispositions redondantes. Rien n'empêche l'avocat, l'avocat général ou l'avocat de la partie civile – n'oublions surtout pas ce dernier – de demander au président de faire usage de son pouvoir propre, par exemple en lui signalant l'émoi d'une partie qui justifierait que l'on interrompe immédiatement l'audience.
Je suis défavorable à ces amendements.
Effectivement, les parties pourront solliciter du président la suspension de l'enregistrement, mais elles s'exposent à un double degré d'appréciation de sa part, à savoir l'opportunité de suspendre l'enregistrement et la possibilité de le faire. Ne pourrait-on pas inscrire dans le texte que les parties peuvent demander au président de suspendre l'enregistrement et que celui-ci pourra librement accepter de le faire, en usant de son pouvoir discrétionnaire ? Il y va de l'intérêt de la défense.
Je pense, et M. le garde des sceaux le sait bien mieux que moi, qu'un avocat se rend compte du moment où une audience peut déraper au détriment de l'intérêt de son client. Il serait donc souhaitable de laisser au conseil de ce dernier, qui a un regard plus distant, la possibilité de demander la suspension de l'enregistrement – même si je sais que le texte donne au client la possibilité, dans un délai de quinze jours, de se rétracter lorsqu'il a accepté que l'audience soit enregistrée.
L'amendement n° 170 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il est en cohérence avec notre proposition de réécrire entièrement l'article 1er pour faire de l'enregistrement et de la diffusion des audiences un dispositif expérimental.
Nous souhaitons apporter trois nouvelles garanties : la diffusion ne pourrait avoir lieu moins d'un an après que l'affaire aura été définitivement jugée ; l'audience ne serait pas diffusée à la télévision, ni sur le service public, ni sur une chaîne privée, mais sur le site internet du ministère de la justice ; les diffusions devraient rendre compte de la diversité des audiences.
J'en profite pour interpeller M. le garde des sceaux et M. le rapporteur. Depuis hier, on nous fait une présentation un peu idyllique de ce dispositif supposé très pédagogique ; on a même parlé d'intéresser la jeunesse à la justice. Tout cela est fondé sur beaucoup de communication, mais peu de faits. L'étude d'impact, d'ailleurs assez légère sur le sujet, évoque les différents pays où les audiences peuvent être diffusées, mais sans indiquer de résultat. L'objectif pédagogique de rendre la justice plus accessible a-t-il pu être atteint ? On ne sait pas si l'impact de ces diffusions est positif ou négatif. Or le débat parlementaire serait mieux éclairé si nous avions de tels retours.
Ce que nous vend M. le garde des sceaux – car c'est un peu dans la perspective de vendre son programme qu'il défend ce texte – repose donc plus sur des fantasmes, sur un idéal, que sur des faits objectifs.
M. le garde des sceaux soupire ostensiblement.
Je sais que le Gouvernement n'aime pas trop les scientifiques ni la recherche, auxquels il préfère le prétendu bon sens artisan, mais il me semble qu'en la matière, il serait bon d'avoir des éléments solides attestant de l'effet réel du dispositif.
Avis défavorable.
Sur votre proposition d'une diffusion exclusive sur le site de la Chancellerie, nous nous sommes longuement exprimés hier. Je pense qu'il y a certainement mieux à faire. Permettre à un opérateur public ou privé – peut-être plutôt à un opérateur public – de diffuser les enregistrements réalisés dans les salles d'audience est l'orientation privilégiée par la Chancellerie. Il me semble que c'est elle qui permettra le véritable succès de l'opération.
Par ailleurs, je ne vois pas ce que la volonté d'attendre un an entre le jugement définitif de l'affaire et la diffusion apporte à la procédure. Cela n'a aucun intérêt. Ce qui compte, c'est que l'affaire soit définitivement jugée, c'est-à-dire que la diffusion ne puisse pas influer sur le cours du traitement judiciaire de l'affaire.
J'en profite pour préciser ce que l'on entend par une affaire définitivement jugée : c'est lorsqu'il n'y a plus d'appel ni de pourvoi possible, c'est-à-dire quand le jugement est définitivement figé. A contrario, lorsqu'une personne placée en détention provisoire comparaît devant la chambre d'instruction, cette audience ne constitue pas, en soi, une affaire jugée.
C'est sûr.
Il faudra attendre que la procédure globale soit terminée et que l'affaire soit définitivement jugée – ou pas, si un non-lieu est décidé – pour que l'enregistrement de l'affaire puisse être diffusé.
Enfin, diffuser une grande variété d'audiences est, vous l'aurez compris au cours de nos débats, une volonté affichée de la part de la Chancellerie, à laquelle nous souscrivons. Les garanties seront apportées dans le texte et figureront dans le cahier des charges qui sera soumis à l'approbation d'un opérateur.
Défavorable.
Cette fois-ci, je suis entièrement d'accord avec M. le rapporteur. Nous avons eu l'occasion d'en discuter : le moment de la comparution devant la chambre d'instruction, y compris l'interrogatoire de première comparution ou la première comparution devant le juge des libertés et de la détention, ne marque pas la fin de la procédure.
J'ajoute qu'à ce moment-là, la personne mise en cause n'est pas dans le même état d'esprit et qu'il faut lui permettre, une fois rendue la décision de non-lieu ou de classement sans suite de la procédure, de s'exprimer sur l'opportunité d'être filmée. Je rebondis ici incidemment sur les propos de M. le rapporteur pour annoncer l'amendement que je soutiendrai tout à l'heure.
Vous l'aurez compris, c'est un amendement de repli. Comme avec la réécriture globale de l'article 1er que nous avons défendue plus tôt,…
…nous pensons un autre dispositif, lequel nous semble cohérent et beaucoup plus solide que celui que vous proposez. Monsieur le rapporteur, vous n'avez aucun argument valable pour expliquer pourquoi la vidéo ne pourrait pas être disponible sur le site du ministère,…
Parce que ce n'est pas possible !
…à moins qu'il ne s'agisse d'un argument financier, la volonté d'éviter toute dépense supplémentaire. Il nous semble pourtant que, si nous nous engageons dans cette voie, il faut y mettre les moyens, étant donnée la nature du contenu programmé.
Mais peut-être votre objectif est-il de fournir des marchés à des sociétés de production, qu'elles existent déjà, ou que leur fondation soit projetée par telle ou telle entreprise, tel ou tel ancien ministre ? De fait, le dispositif que vous proposez est le plus intéressant pour elles. En tout cas, si c'est votre but, vous ne visez plus du tout l'intérêt général, mais seulement des intérêts très particuliers, ce qui est très problématique.
Par ailleurs, je le répète, nous attendons que vous assuriez la défense de ce texte avec des éléments factuels. Vous ne cessez d'annoncer que votre dispositif atteindra toutes ses visées et présentera de nombreux avantages pédagogiques. Mais sur quoi vous fondez-vous ?
Pour notre part, nous proposons une expérimentation, afin de bénéficier de retours et de disposer du temps nécessaire à l'établissement d'un bilan que vous ne proposez pas. Notre proposition est donc beaucoup plus solide et cohérente que la vôtre.
L'amendement n° 601 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 679 .
Puisque l'objectif de la diffusion est pédagogique, non médiatique et qu'il ne s'agit pas de répondre à l'actualité, le présent amendement tend à préciser que celle-ci ne pourra avoir lieu au plus tôt que six mois après que l'affaire aura été définitivement jugée. Ce temps nous semble nécessaire à l'apaisement et au respect que le service public doit à la justice. Pour les affaires les plus médiatiques, en particulier, cette exigence est pertinente. Le législateur peut décider de la temporalité de leur diffusion et cet amendement a toute sa place dans le dispositif prévu à l'article 1er .
En définitive, six mois, c'est le temps nécessaire à la préparation de la diffusion, au travail sur les images ; ce délai ne créera pas de retard inutile.
J'aurai le même argument que précédemment : votre amendement n'apporte rien au dispositif. De fait, avant la diffusion, un délai sera de toute façon nécessaire, pour s'assurer du caractère définitif du jugement et monter les images.
Hier, nous donnions l'exemple des comparutions immédiates. Une telle thématique ne sera pas traitée tous les mois, mais plutôt tous les deux ou trois mois. La diffusion de tels dossiers devra donc souvent attendre, allongeant encore le délai entre le moment où l'affaire est définitivement jugée et celui où elle est diffusée. Avis défavorable.
L'amendement n° 679 , rejeté par le Gouvernement, n'est pas adopté.
L'amendement n° 675 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Stéphane Claireaux, pour soutenir l'amendement n° 447 .
L'amendement a pour première signataire Mme Ramlati Ali, élue de Mayotte. Nous avons bien tenu compte des améliorations apportées au texte entre le moment de son dépôt et celui de son examen en commission, qui montrent une recherche de conciliation des intérêts en présence. Toutefois, le cadre juridique de l'enregistrement fixé à l'article 1er ne tient pas compte de l'hypothèse d'une révision de procès qui ferait suite au recours d'une personne reconnue coupable d'un crime ou d'un délit.
Pour le nouveau procès, il importe de garantir de nouveau la présomption d'innocence, en permettant de suspendre la diffusion de l'enregistrement du procès précédent, selon des modalités qui seraient définies par décret. L'initiative en reviendrait au président de la formation de jugement, au procureur de la République, à l'auteur du recours ou à ses ayants droit.
Une telle mesure serait légitime, pour garantir les droits de la défense et ses corollaires, principes qui fondent notre système judiciaire. Le présent amendement compléterait l'alinéa 9.
C'est un amendement judicieux. Nous savons qu'un procès en révision peut être engagé plusieurs années après un jugement définitif. Il serait alors opportun d'empêcher la diffusion du procès précédent, pour que le nouveau se déroule dans un cadre apaisé, sans être influencé par celle-ci. Avis très favorable.
Le Gouvernement partage la position du rapporteur. Comme je l'ai indiqué à de nombreuses reprises, nous voulons éviter les interférences entre le procès judiciaire et le « procès médiatique », si j'ose dire. Or, si une révision était décidée, le calendrier des nouveaux procès et celui de la diffusion des procès précédents s'entrechoqueraient, ce que nous ne pouvons accepter. Avis tout à fait favorable.
Je suis tout à fait d'accord avec M. le rapporteur et M. le garde des sceaux. Au risque d'être un peu lourd – mais enfin, c'est peut-être ma marque de fabrique –, il faut respecter un certain droit à l'oubli et permettre à celui qui a refait sa vie de n'être pas confronté à son passé. J'en reviens ainsi à l'amendement que je présenterai tout à l'heure – vous comprenez où je veux en venir.
L'amendement n° 447 est adopté.
La parole est à M. Sébastien Chenu, pour soutenir l'amendement n° 239 .
Cet amendement de repli vise à supprimer l'alinéa 10, qui prévoit que la diffusion de l'audience est accompagnée d'éléments de description de l'audience et d'explications pédagogiques et accessibles sur le fonctionnement de la justice.
Cette précaution apparaît insuffisante pour préserver la sécurité, la vie privée des personnes enregistrées, ainsi que la présomption d'innocence, évidemment. Par ailleurs, elle ne garantit pas un traitement équitable des parties et une information impartiale.
Nous proposons plutôt d'accompagner la diffusion de l'audience d'un débat contradictoire entre spécialistes et professionnels de la justice, qui aura pour rôle d'éclairer le public, selon une saine pédagogie !
C'est un amendement de suppression. Vous sollicitez en outre la création d'un dispositif d'accompagnement pédagogique concernant la diffusion des procès.
De fait, vous vous placez ainsi dans le droit fil de nos projets. La commission a adopté un amendement de Mme Laetitia Avia précisant que la diffusion est accompagnée « d'explications pédagogiques ». Elles seront fournies par des professionnels – des universitaires, des avocats, des magistrats – qui seront souvent – il serait souhaitable que ce soit toujours le cas – déconnectés du procès. Votre demande est donc satisfaite.
Monsieur Chenu, à partir du moment où le procès ne sera diffusé que quand la condamnation sera définitive, parler de présomption d'innocence, comme vous le faites, n'a strictement aucun sens. En matière pénale, l'affaire se conclut soit par une relaxe ou un acquittement définitif, soit par une condamnation, non moins définitive. Votre souci louable, et que j'entends bien, de garantir la présomption d'innocence est donc hors de propos.
Par ailleurs, l'objectif de la diffusion du procès n'est pas de « refaire le match », si vous me permettez l'expression. Le principe du contradictoire n'a donc pas d'intérêt ici. Puisque vous n'étiez pas là hier, je répète que nous choisirons les audiences pour éclairer des thématiques particulières, comme l'expertise, par exemple, et non pour refaire des procès à l'issue desquels un jugement définitif a été rendu. Avis totalement défavorable.
L'amendement n° 239 n'est pas adopté.
L'amendement prévoit que toutes les personnes concernées par l'enregistrement soient préalablement informées des modalités de sa diffusion.
Franchement, c'est se moquer du monde !
La parole est à Mme Delphine Bagarry, pour soutenir l'amendement n° 591 .
Il importe que toutes les personnes concernées soient bien informées au préalable des modalités de diffusion et que le président de la formation de jugement s'en assure.
L'amendement n° 600 de M. Pierre Vatin est défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?
Je crois que vous n'avez pas compris le projet du Gouvernement. Supposons que vous vous trouviez dans un lieu public, comme un stade, pour assister, au milieu de la foule, à un match de football, et que vous soyez enregistrés. Faudrait-il dans ce cas vous expliquer les modalités de diffusion du match, son horaire, celle des éventuelles rediffusions ? Votre proposition est parfaitement inopérante.
Je rappelle que nous parlons de la diffusion d'audiences publiques. Tout le monde sera au courant. Avis défavorable.
En somme, vous demandez : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Imaginez que l'on prévienne toutes les personnes concernées des dates de diffusion ! C'est invraisemblable ! On se plaint déjà, au ministère, de la lourdeur du travail de notification….
Les intéressés achèteront les hebdomadaires consacrés au programme télévisuel et y trouveront leur compte. Et puis, je suis sûr du succès de ces émissions, dont la diffusion donnera lieu à des annonces. Pourquoi toujours tout compliquer, alors que le dispositif est simple ? C'est une tendance curieuse. Avis défavorable.
C'est votre opposition à ces amendements qui est étrange, comme d'ailleurs le parallèle que dresse le rapporteur entre audiences et matchs de football.
En réalité, dans la vie quotidienne, chacun est souvent prévenu avant d'être enregistré au téléphone ou en vidéo et informé de la diffusion ou non des données. Ainsi, quand on retire de l'argent, est-on prévenu que l'on est filmé et, quand on conduit, est-on prévenu qu'un radar est susceptible de prendre des photos.
Eh bien, avec ces amendements, il s'agit simplement d'informer les personnes concernées de la date, de l'heure, des conditions dans lesquelles sera diffusée la vidéo de l'audience. C'est important, car, comme nous l'avons dit tout à l'heure, elles peuvent adopter des comportements très différents si elles connaissent le moment où le film sera diffusé ; selon l'actualité, certains auront ou non recours à des effets d'estrade.
Pourquoi s'opposer à cette saine information ? Pourquoi cette demande suscite-t-elle une polémique, ou en tout cas un débat entre nous ? Plus on informe les gens, mieux on s'en porte.
C'est une question de réciprocité de la transparence, puisque vous proposez de rendre le procès transparent, pour des raisons pédagogiques.
Entre le moment où les images sont filmées et celui où elles sont diffusées, des événements pourraient parfaitement avoir affecté la vie personnelle des intéressés. Au moment de la diffusion, peut-être que ceux-ci veulent se reconstruire, éviter d'être de nouveau affectés par une histoire qu'ils souhaitent laisser derrière eux, ou que celle-ci perturbe l'environnement sociétal dans lequel ils évoluent. Il n'y a pas de malice dans notre amendement, ni de volonté d'alourdir le dispositif. C'est simplement une question de transparence.
Le texte applique de manière pure et simple le droit à l'image. Dès lors qu'une personne concède un tel droit à une personne tierce – en l'occurrence, le diffuseur, la personne qui filmera l'audience –, cette dernière peut utiliser l'image – ce qui ne l'empêche pas, bien entendu, de transmettre certains éléments d'information relatifs à la diffusion. Pourquoi vouloir réinventer, dans le cadre de ce texte, le droit à l'image ?
En outre, le texte prévoit un droit de rétractation dans les quinze jours suivant l'audience et, cinq ans après la première diffusion, une interdiction de diffuser des éléments d'identification des personnes enregistrées. J'ajoute que le cadre général du droit à l'image permet déjà aux personnes qui voudraient faire cesser la diffusion d'éléments à caractère personnel pour des raisons x ou y de demander son interdiction.
Monsieur Chenu, je suis ravi de vous voir et de débattre avec vous. Je souligne néanmoins que vous n'étiez pas présent hier, à la différence de Mme Le Pen. Si vous l'aviez été, vous ne poseriez pas ces questions. En effet, nous avons décliné hier toutes les autorisations qui seront sollicitées – il y en a je ne sais combien ! Chacun sera donc parfaitement informé que l'audience est filmée, qu'il y a un droit à l'image et une anonymisation de principe, et que l'on peut revenir sur son consentement. Toutes les précautions ont été prises. Si vous aviez assisté à la séance d'hier, vous sauriez toutes ces choses. Mais je suis tellement content de débattre avec vous que je suis ravi de vous les rappeler !
Ce n'est pas le moment de mener campagne pour les élections régionales !
Les auteurs des amendements proposent que l'on prévienne tous les intéressés des modalités de diffusion de l'enregistrement. Mais comment va-t-on le faire et qui va le faire ? Le ministère de la justice ? Demandera-t-on à un greffier d'adresser une lettre à chacun ? Je suis ouvert à toute proposition, mais on essaie de décharger au maximum l'institution judiciaire de certaines tâches. Elle a déjà tellement à faire ! Il faut employer utilement le temps ainsi libéré, notamment pour le déstockage des affaires, dans le cadre de la justice de proximité. Alors même que les intéressés seront informés autant que possible du fonctionnement du dispositif, vous voudriez qu'on l'alourdisse en imposant des tâches supplémentaires ? Tout le monde, je le redis, sera parfaitement informé.
Quant à la présomption d'innocence, elle n'a rien à voir avec ce dont nous discutons ici. Je le répète une fois encore, personne ne pourra dire qu'il ignorait que l'audience était filmée, puisque l'on demandera je ne sais combien d'autorisations – il y en a tellement que je suis incapable de les énumérer à cet instant !
Soyons sérieux. Je souhaite que nous avancions sur ces questions. Je comprends bien les réticences, mais non la réticence pour la réticence, ni la volonté d'alourdir pour alourdir. Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ? Pour ma part, je veux faire simple.
Il est venu chercher l'incident ! Il ne vient jamais !
Je vous entends dire que je suis venu chercher l'incident, monsieur le garde des sceaux.
Oui, je vous vois rarement !
Je formule ce rappel au règlement sur le fondement de son article 58, alinéa 1. Vous avez dit être ravi de me voir et de débattre avec moi. Je vous en remercie, et je le suis pareillement : c'est tout à fait réciproque ! Cela devient presque suspect.
Saisissez toutes les occasions qui s'offrent à vous pour débattre avec moi ! J'étais hier dans le Nord, et si vous repassez de temps en temps dans le Pas-de-Calais,…
J'y vais le week-end.
La parole est à Mme Florence Provendier, pour soutenir l'amendement n° 309 .
Avec la montée en puissance des réseaux sociaux, nous avons constaté les effets pervers de la diffusion de vidéos tronquées et le rôle déterminant de la postproduction dans la présentation des faits. Qui de nous n'a pas vu circuler des vidéos redécoupées d'une manifestation ou d'une intervention des forces de l'ordre ? Et je ne parle pas des prises de parole politiques. Nous avons tous conscience du rôle déterminant que joue le montage dans la perception d'une émission ou d'un documentaire.
L'intérêt pédagogique et l'exactitude des faits doivent primer tout au long du travail d'enregistrement, de postproduction et de diffusion d'une audience. L'objectif de l'amendement, vous l'aurez compris, est de préciser que le travail de postproduction – découpe de la vidéo, montage, etc. – ne doit en aucun cas déformer la réalité du procès, ni donner une image biaisée des faits, des personnes enregistrées ou de leurs propos. Il convient d'ancrer cette assurance dans le texte. Il y va de l'intégrité de notre justice et, partant, de notre démocratie.
Il y aura nécessairement une postproduction – je reprends le terme. On peut bien sûr concevoir qu'un procès soit diffusé in extenso, sur quelques heures ou une journée, cette diffusion étant précédée ou suivie d'un débat qui explique ce qui s'est joué le temps du procès. Toutefois, pour mettre en lumière un thème ou un aspect particulier, par exemple le travail de la police scientifique, hypothèse évoquée hier par M. le ministre, il sera nécessaire d'aller chercher des séquences de plusieurs affaires, des extraits de différents procès, puis de procéder à un montage.
Par votre amendement, madame Provendier, vous appelez l'attention sur la nécessité d'être très regardant sur tout ce processus, afin d'éviter une déformation de la réalité des faits tels qu'ils apparaissaient dans l'enregistrement initial. Les opérateurs devront, je le répète, respecter un cahier des charges élaboré par la Chancellerie. Vous pourriez, si vous en êtes d'accord, retirer l'amendement.
Ma position est identique à celle que vient d'exprimer M. le rapporteur, pour les mêmes raisons.
Je vais retirer l'amendement. Vous avez bien compris mon objectif. Je n'ai aucun doute sur l'intégrité des monteurs…
L'amendement n° 309 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 171 .
Il vise à renforcer la protection de la vie privée des personnes jugées, des plaignants et des témoins. La deuxième phrase de l'alinéa 11 dispose : « Les personnes enregistrées lors de l'audience peuvent rétracter ce consentement après l'audience. » Je propose de remplacer « après l'audience » par « à tout moment ». En effet, la rétractation doit pouvoir intervenir à tout moment.
Madame la présidente, l'amendement précédent, le n° 564, n'a pas été appelé.
C'est une erreur de ma part. Vous avez la parole, monsieur le rapporteur, pour soutenir l'amendement n° 564 .
L'amendement n° 171 a été défendu à la suite d'une erreur de ma part. Je vous prie de m'en excuser.
M. Antoine Savignat proteste.
Nous allons vous facturer à chaque fois les honoraires de M. Savignat !
Sourires.
Le délai accordé par le projet de loi pour exercer le droit de rétractation est très réduit, puisqu'il est de quinze jours. Dans le droit de la consommation, le délai de rétractation est habituellement de quinze jours, mais il est par exemple d'un mois pour les assurances-vie. Il ne s'agit pas ici d'un sujet ordinaire. C'est pourquoi je propose, par cet amendement, de porter à trois mois le délai dans lequel les personnes concernées peuvent retirer leur accord.
En quoi consiste le droit de rétractation ? C'est la possibilité donnée à une personne qui comparaît à une audience publique de retirer l'accord qu'elle a donné pour que son visage apparaisse lors de la diffusion de cette audience. On peut imaginer plusieurs hypothèses : l'audience s'est mal passée ; l'intéressé a l'impression de ne guère avoir été mis en valeur ; il n'a pas pu verbaliser les choses comme il le souhaitait ; il considère que son avocat a mal plaidé ou que le président a mal compris ce qu'il voulait dire… Dans un tel cas, il peut se rétracter dans un délai de quinze jours, pour ne pas apparaître à visage découvert, afin qu'on ne puisse pas le reconnaître. Tel est l'esprit des dispositions prévues.
Au cours des travaux en commission, nous sommes convenus qu'il était opportun de fixer un délai de rétractation de quinze jours à compter de l'audience, ce qui laisse un temps de réflexion suffisant. Si le délai était trop long, cela fragiliserait le dispositif. En effet, les diffuseurs hésiteront à s'engager dans une opération de cette nature si l'accord initialement donné risque d'être retiré à quelques jours du montage ou de la diffusion.
Je vous invite à retirer votre amendement, monsieur Gomès. À défaut, mon avis sera défavorable.
Même position, madame la présidente.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir expliqué avec force pédagogie les raisons pour lesquelles l'intéressé peut changer d'avis et retirer son accord.
Depuis hier soir, à chacune de nos propositions, vous invoquez les diffuseurs, entre autres l'investissement que cela représentera pour eux. Voilà pourquoi on ne pourrait pas faire d'expérimentation, ni porter le délai de rétractation de quinze jours à trois mois… Or je ne suis pas ici pour légiférer au nom des intérêts supérieurs des diffuseurs ! Mes collègues et moi sommes ici pour examiner un projet de loi visant à inspirer confiance dans l'institution judiciaire.
Dans ce cadre, il ne me semble pas exorbitant de demander que la personne concernée puisse disposer du recul nécessaire pour déterminer si elle maintient ou retire son accord. D'autant que cet accord est d'une nature particulière : il ne s'agit pas de souscrire un crédit à la consommation ! Le délai de trois mois que je propose est très raisonnable ; c'est une requête de bon sens. Certes, le bon sens n'est pas toujours la chose la mieux partagée…
Je vous remercie de me laisser m'exprimer, madame la présidente. Il aurait été malvenu de ne pas le faire, alors qu'on me reproche de protéger les amendements du rapporteur sur lesquels vous passez rapidement, de soutenir ceux de Mme Ménard ou encore, comme l'a dit M. Peu, d'être l'avocat de tout le monde !
La question du délai de rétractation, qui n'était pas envisagée dans la version initiale du texte, est importante. Notre collègue Laetitia Avia l'a judicieusement soulevée en commission des lois, en proposant par amendement de fixer ce délai à quinze jours.
Je l'ai dit en commission, nos concitoyens ne se rendent pas tous les jours au tribunal. Quand vous arrivez à une audience, qu'il s'agisse d'une affaire civile, familiale ou correctionnelle, vous prenez la foudre ! Et lorsqu'on vous demande de donner par écrit votre accord pour que l'audience soit filmée, et donc diffusée, vous ne disposez pas du discernement nécessaire.
Il faut qu'on vous laisse le temps de digérer tout ce que vous avez pu vivre, de sorte que vous puissiez donner votre accord de manière éclairée.
Le problème est exactement le même que pour un crédit à la consommation – si vous en souscrivez un, c'est que vous avez besoin d'argent ou que votre famille est en détresse. Il faut prévoir un délai de rétractation.
De toute façon, l'audience ne pourra pas être diffusée tant qu'une décision définitive n'aura pas été rendue. Sachant que la décision est susceptible d'être rendue un ou deux mois après l'audience, et que le délai d'appel est de deux mois en matière civile, un délai de rétractation de trois mois n'est ni déraisonnable ni exorbitant du droit commun.
Je souscris aux propos de mes collègues : nous ne sommes pas ici pour défendre les intérêts des diffuseurs, ni pour nous faire les avocats des boîtes de production qui obtiendront les droits sur ces images ! Nous nous efforçons de garantir les droits des parties au procès, qu'il s'agisse de l'accusé ou de la victime, et cela ne revient pas à alourdir la procédure, contrairement à ce que j'ai entendu. Vous traitez la question avec une forme de légèreté, ce qui est très problématique.
Comme l'a très bien expliqué le collègue Savignat, lorsque l'on comparaît en justice, on n'est guère en état de consentir, de manière libre et éclairée, à l'utilisation de son image.
Il y a suffisamment d'avocats présents pour le confirmer, et ce, quelles que soient les personnes concernées. Être simple témoin dans un procès peut être déjà très impressionnant, indépendamment même de l'affaire pour laquelle on est appelé. Il est indispensable de s'assurer que toutes les personnes concernées ont bien reçu les informations utiles au moment de prendre leur décision, et qu'elles ont eu le temps d'y réfléchir avec le recul nécessaire, non seulement par rapport à leur propre procès, mais aussi par rapport à la diffusion des images, qui sera une nouvelle affaire.
J'invite le rapporteur et le ministre à prendre plus au sérieux les demandes de garanties que nous soutenons, parce qu'il y va de notre responsabilité, plutôt que de défendre la diffusion libre et les intérêts privés.
Je vais faire un parallèle qui n'est peut-être pas tout à fait transposable : on a l'habitude de dire, pour mieux le démentir, que, dans les procès, l'aveu est la reine des preuves. Or on sait que bien souvent, l'aveu n'est pas la reine des preuves : il n'est qu'un élément parmi d'autres. Eh bien, c'est pareil s'agissant de l'accord : on peut donner son accord à un moment ou à un autre, dans certaines circonstances, dans un environnement particulier. Un citoyen qui ne s'est jamais trouvé devant une juridiction, comme une grande majorité de la population, peut être impressionné et donner son accord sous cette pression informelle.
Donner un peu de temps…
Quinze jours, c'est bien, non ?
…pour analyser et prendre un peu de hauteur, voire se rétracter, nous semble aller dans le sens du bien commun et de l'intérêt du texte.
Pardon de vous apporter la contradiction : il y a belle lurette qu'on ne dit plus que l'aveu est la reine des preuves ! On dit désormais que c'est l'ADN, la reine des preuves. Vous avez une bonne dizaine d'années de retard, mais ce n'est pas bien grave.
Pour le reste, savez-vous quel est le délai d'appel pour un homme condamné à une très lourde peine ? Combien de temps a-t-il pour interjeter son appel ?
Dix jours. Pour une rétractation qui n'a pas la même portée, nous en avons prévu quinze ! Le texte avait prévu la rétractation : il faut rendre à Mme Laetitia Avia ce qui lui appartient, c'est elle qui a fixé le délai parfaitement raisonnable de quinze jours. Ce n'est pas la peine de devenir le chantre de la protection de je ne sais qui, qui serait incapable de mesurer les choses. Je le dis une fois encore : des avertissements sont prévus concernant l'image, l'anonymisation et la portée du dispositif. Quinze jours me paraissent constituer un délai tout à fait raisonnable. Mais si vous préférez trois mois…
J'ai remarqué qu'à chaque fois que je suis au banc et qu'il est question d'un délai – ou d'un âge, d'ailleurs –, il n'est jamais le bon.
On dit treize ans, il faudrait dire quinze ans ; on propose quinze jours de délai, il en faudrait seize, dix-sept ou trente-deux ! Si vous comparez ces quinze jours au délai d'appel, cela me paraît tout à fait raisonnable. Je suis donc défavorable à l'amendement ,
Exclamations sur quelques bancs du groupe LR
parce que je pense qu'un homme ou une femme peut, en quinze jours, exercer son libre arbitre et sa réflexion, et se faire sa propre idée. Est-il besoin d'envisager un autre délai ? La raison n'est-elle pas au rendez-vous de nos propositions ? Je pense que si et je n'entends pas polémiquer davantage.
Une fois n'est pas coutume : je redonne la parole est à M. Philippe Gomès.
Merci, madame la présidente, pour votre immense bienveillance. Monsieur le ministre, vous êtes, avec le Gouvernement, à l'initiative de ce projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Pourrions-nous vous demander de créer aussi une relation de confiance avec le Parlement, en considérant que tout ce que les uns et les autres disent dans cette enceinte, au-delà des combats politiques et des idéologies, vise l'amélioration du texte ? Il n'y a pas de posture politicienne, de volonté de nuire ou que sais-je ! Il s'agit de contribuer à l'amélioration du texte.
Je vous ai entendu : pour faire appel, on a dix jours ; là, on en donne quinze, de quoi vous plaignez-vous ? Dans le cadre d'un crédit pour l'achat d'un produit de consommation courante, on a quinze jours. Parlons-nous d'un accord sur un produit de consommation courante ?
Nous avons prévu quinze jours !
Monsieur le ministre, vous avez dit que vous étiez définitivement défavorable à l'amendement et que nous vous en voulions. Mais s'agit-il d'un accord sur un produit de consommation courante ? Bien sûr que non, bon sang de bonsoir ! Il s'agit d'un accord particulier, sur un sujet particulier : une part de la vie des personnes concernées est en jeu !
Elles ont donné leur accord pour être identifiées et, finalement, peuvent se rétracter afin de ne plus l'être. Nous proposons trois mois : est-ce exorbitant ? Même pour une assurance-vie, le délai de rétractation est d'un mois !
Monsieur le ministre, prenez le débat parlementaire pour ce qu'il doit être, c'est-à-dire une façon constructive, pour les députés, d'améliorer le texte qui leur est proposé. En l'espèce, nous vous proposons en toute humilité d'améliorer le droit de rétractation en allongeant le délai prévu.
Vous avez donné la parole à M. Gomès en précisant « une fois n'est pas coutume ». J'ai envie d'ajouter que la défense a la parole en dernier, mais nous ne sommes pas la défense, parce que nous œuvrons tous dans le même objectif et avec la même finalité, à savoir rétablir la confiance dans la justice. Cela me paraît être l'un des présupposés indispensables à tous nos débats.
Je partage la lecture de M. le garde des sceaux : oui, le délai d'appel est de dix jours, mais quel est le délai d'audiencement ? Un an, deux ans, trois ans ? La personne mise en cause dans un dossier ou condamnée n'aura pas de réponse définitive si elle a choisi de faire appel. La décision importante est celle que l'on prend quand la décision judiciaire est devenue définitive : nous le savons tous. J'y reviendrai tout à l'heure avec un autre amendement – excusez ma lourdeur. La décision éclairée peut être prise seulement lorsque la justice s'est prononcée de manière définitive : pas avant, parce que les risques sont trop grands. Chacun doit avoir le droit de refaire sa vie, une fois blanchi ou condamné par la justice.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Monsieur le garde des sceaux, quand je dis que l'aveu est la reine des preuves, vous répondez que j'ai dix ans de retard : sachez que je trouve ma source dans l'une de vos nombreuses biographies, qui ont, elles, moins de dix ans. Mettez-les à jour, cela m'aidera à participer au débat.
Par pitié, gardez ce ton courtois qui préside à nos débats – je sais que vous n'en avez pas l'habitude.
M. Éric Dupond-Moretti fait un geste désapprobateur du bras.
Ne me faites pas taire comme cela, ne faites pas ce geste avec moi, monsieur le garde des sceaux. Vous êtes ici devant les représentants du peuple, vous n'avez pas à faire un geste m'invitant à me taire.
Vous devez nous rendre des comptes, vous devez nous apporter des explications : nous essayons de transformer et d'améliorer un texte. Je suis courtois avec vous, je vous demande de l'être également, puisque je représente, que vous le vouliez ou non, un cinq cent soixante-dix-septième du peuple de France, qui mérite le même respect que les autres.
Vous ne venez pas souvent !
Pour moi, la courtoisie est un tout, monsieur Chenu, il n'y a pas de courtoisie régionale ou de courtoisie nationale. Vous n'êtes pas l'arbitre des élégances en la matière, tant s'en faut. Je ne vais pas polémiquer et je vous dirai en face ce que j'ai à vous dire, le moment venu. Mais ne faites pas celui qui est poli et calme.
Par ailleurs, je voudrais rectifier un point : je n'ai jamais écrit de biographie. Sans doute aurais-je dû, vous me connaîtriez davantage. J'ai pu écrire que l'on disait à un moment que l'aveu était la reine des preuves : sans doute cela a-t-il été vrai pendant une dizaine d'années.
Monsieur Chenu, je suis très coopératif avec les bonnes idées, d'où qu'elles viennent. Encore faut-il que l'on ait naturellement de bonnes idées et que l'on fasse de vraies propositions. Tout le Parlement peut en témoigner : sans doute ne le pouvez-vous pas, parce que vous y venez peu. Nous n'allons pas poursuivre, de guéguerre en guéguerre, mais gardez pour vous vos leçons de courtoisie.
Protestations sur quelques bancs du groupe LR. – Mme Danièle Obono proteste également.
L'amendement n° 473 n'est pas adopté.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous demande de nous permettre de poursuivre les débats dans le calme.
Ce n'est pas moi qui ai commencé ! Pour certains d'entre vous, on ne sait plus trop où ils en sont !
Cet amendement de précision devrait satisfaire tout le monde, particulièrement M. le rapporteur, qui est un excellent juriste : son avis devrait être favorable. Nous avons beaucoup parlé du consentement et de l'importance de le donner par écrit. Nous avons également envisagé les modalités de la rétractation, mais sans préciser qu'elle doit aussi être communiquée par écrit. Dans le respect du parallélisme des formes, l'amendement vise donc à préciser que, tout comme le consentement, la rétractation doit se faire par écrit.
L'amendement présente deux petites difficultés. Tout d'abord, les modalités de la rétractation sont de nature réglementaire et je ne pense pas qu'elles doivent figurer dans le texte de loi.
L'amendement précise ensuite que la rétractation devra être adressée au greffe, ce à quoi nous sommes très défavorables. Nous ne voulons surtout pas alourdir la tâche des greffiers, qui font déjà un travail important.
Les greffiers ne géreront ni le recueil du consentement en amont ni celui de l'éventuelle rétractation en aval. Je vous demande, monsieur Terlier, de retirer l'amendement.
L'amendement n° 347 , ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, est retiré.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l'amendement n° 506 .
Monsieur le garde des sceaux, vous dites que vous êtes ouvert aux bonnes idées d'où qu'elles viennent. Nous avons l'immodestie, Philippe Gomès et moi, de penser qu'il y a dans nos amendements quelques idées qui ne sont pas mauvaises. Nous sommes très attentifs à l'ouverture dont vous ferez preuve pour certains d'entre eux.
Je défends cet amendement, dont je pense qu'il n'est pas mauvais : il vise à permettre à l'ensemble des personnes enregistrées de bénéficier d'une anonymisation, à l'instar des mineurs ou des majeurs protégés, comme le prévoit le texte. Si l'on considère que l'objectif pédagogique prévaut en toutes circonstances et qu'il s'agit de montrer la façon dont la justice s'organise dans les différentes phases d'un procès, savoir qui est la victime, l'auteur présumé, le magistrat ou un membre des parties civiles n'a aucune importance. Si l'objectif n'est pas uniquement pédagogique, le fait que l'identité de certaines personnes soit connue lors de la diffusion ultérieure prend un sens qui ne correspond pas du tout à l'argumentation à laquelle vous recourez depuis le début, s'agissant du principe d'enregistrement et de diffusion audiovisuelle des procès.
Monsieur Brindeau, vous proposez que les personnes qui peuvent autoriser leur apparition à visage découvert, en étant totalement reconnaissables – nous l'avons dit hier soir –, ne puissent plus le faire et que tous les participants soient anonymisés. J'y suis défavorable : j'espère que des experts psychiatres ou scientifiques, des enquêteurs, des avocats ou des magistrats accepteront de paraître à visage découvert dans les audiences publiques. Cela donnerait un peu plus de relief à la diffusion, ce qui correspond à l'objectif pédagogique.
Quand on traitera du thème des experts psychiatres, on verra en situation des experts de renom, que l'on a plutôt l'habitude de voir sur les plateaux de télévision. Ils viendront déposer à la barre d'un tribunal, expliquant les conclusions tirées du travail effectué dans le cadre du procès. Je pense qu'il sera intéressant qu'ils acceptent de paraître à visage découvert. Je suis défavorable à l'amendement, espérant que la qualité des émissions incitera de plus en plus les acteurs des procès à paraître à visage découvert.
Je ne m'inquiète pas trop : les avocats ont plutôt une propension à parler à visage découvert, à donner des interviews dans la salle des pas perdus du palais de justice. Leur comportement dans la salle d'audience ne devrait pas être si différent de celui qu'ils adoptent au- dehors, même s'il y a des règles à respecter et une tenue à avoir dans l'enceinte judiciaire, pendant le déroulement du procès. Selon moi, les acteurs du procès seront plutôt ouverts, transparents, animés de la volonté de faire œuvre de pédagogie, à visage découvert.
L'avis est donc défavorable.
La justice est incarnée. Selon moi, elle porte même la signature de ceux qui la rendent. Nous ne proposerons pas aux Français de regarder un dessin animé, ni du théâtre d'ombres ! Il est important qu'on voie de vrais visages, qu'on perçoive qu'il s'agit de la vraie justice. Si les personnes visibles se réduisent à quelques robes et quelques silhouettes, on y perdra beaucoup.
Dans le même temps, nous ne perdons pas de vue qu'il faut protéger ceux qui veulent l'être. Nous avons trouvé un bon équilibre. Vous avez dit que vous aviez l'immodestie de penser que votre proposition était une bonne idée : si je partageais cette opinion, je donnerais un avis favorable, mais il s'agit à mon sens d'une mauvais idée : avis défavorable.
Depuis hier, notre débat pose la question de savoir si filmer, enregistrer et diffuser des éléments d'un procès dans une émission de télévision participe d'une pédagogie de la justice à destination de nos concitoyens, sans aucune dérive possible. En permettant à des experts connus, à des avocats célèbres, starisés, de paraître à visage découvert, leur nom affiché, peut-être créerons-nous une attente, une envie de regarder tel procès, dans lequel plaidait Éric Dupond-Moretti, avocat pénaliste bien connu des médias, ou tel expert renommé.
Depuis le début, nous critiquons le risque avéré d'aboutir, malgré la volonté initiale, à une justice spectacle. En refusant les amendements de cette nature, vous renforcez notre objection, puisque vous accréditez l'idée de faire entrer le spectacle dans le prétoire.
Avant de se demander si les idées défendues dans les amendements sont bonnes ou mauvaises, peut-être faudrait-il se demander si le texte de l'article contient une bonne ou une mauvaise idée.
En tant que parlementaires, nous sommes confrontés dans cette discussion à des gens qui conçoivent des productions télévisuelles. Les garanties que vous offrez, monsieur le rapporteur, ne seront efficaces qu'en l'absence de sensationnalisme, de spectacularisation ou de starisation, ce qui est contradictoire avec les intérêts mêmes des boîtes de production et des diffuseurs privés. Assurer la qualité pédagogique risque d'être moins important que faire de l'audimat.
Si vous ne restreignez pas votre dispositif au service public, la recherche d'audimat du secteur privé constituera l'une de nos objections. On sait très bien comment fonctionne l'économie télévisuelle : pour faire de l'audimat, il faut du sensationnalisme, des axes éditoriaux spécifiques, choquer ou susciter des émotions. Loin de la pédagogie que vous prétendez offrir, on tombera dans le spectacle télévisuel, ce qui ne rendrait pas service à la justice. Votre texte n'offre pas les garanties suffisantes pour éviter cette dérive. Vous prétendez que de telles émissions n'existeront pas, alors qu'elles sont déjà présentes dans le champ audiovisuel. Vous refusez toutes les propositions qui tendent à offrir des assurances supplémentaires. Intervenez-vous avec la casquette d'un rapporteur, ou celle d'un futur directeur éditorial d'une maison de production ?
L'amendement n° 506 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 172 .
J'avais déposé un amendement similaire en commission ; je retente ma chance en séance car, comme je vous l'avais dit, il me tient à cœur. Il vise à supprimer l'alinéa 13 : « Aucun élément d'identification des personnes enregistrées ne peut plus être diffusé cinq ans après la première diffusion de l'enregistrement ou dix ans après l'autorisation d'enregistrement. »
Or on le sait tous : il est très facile d'enregistrer toutes sortes de vidéos. Si un procès est filmé et diffusé à la télévision, rien n'empêchera quiconque de l'enregistrer et de le diffuser à son tour sur internet. Ce dispositif ne me semble donc pas constituer un garde-fou suffisant pour préserver le droit à l'oubli.
Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué en commission que votre objectif était justement de protéger ce droit. Or ce n'est pas possible dans notre société, eu égard notamment au fonctionnement des réseaux sociaux et de l'information en général. Il y a en quelque sorte tromperie sur la marchandise – même si vous n'avez pas aimé l'expression en commission. On proposera aux parties au procès de donner leur accord pour être filmées et pour que l'enregistrement soit diffusé, en affirmant qu'elles disposeront d'un droit à l'oubli puisque la diffusion ne pourra pas avoir lieu plus de cinq ou dix ans après. En réalité, tout le monde sait que ce droit ne sera pas complètement garanti.
Un travail a été accompli pour pallier cette difficulté – Mme Avia l'a mentionné en commission : une sanction est prévue en cas de violation du nouvel article 38 quater de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Cependant, je le répète, ce dispositif est insuffisant pour préserver le droit à l'oubli des parties au procès qui sera diffusé.
Il est vrai que nous avons déjà eu ce débat en commission. La Chancellerie choisira l'opérateur qui diffusera les émissions enregistrées dans les salles d'audience. Celui-ci devra appliquer le dispositif de droit à l'oubli que vous avez évoqué et qui prévoit que les personnes qui auront consenti à paraître à visage découvert seront automatiquement floutées en cas de diffusion cinq ans après la première diffusion ou dix ans après l'enregistrement.
De tierces personnes peuvent capter des images et les diffuser sur les réseaux sociaux. Elles peuvent même les modifier, en faire un nouveau montage, et leur faire dire le contraire de ce qu'elles représentaient. Pour l'empêcher, nous avons adopté, à mon initiative, un amendement en commission, qui tend à punir les contrevenants d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Un délit spécifique est donc prévu pour poursuivre et sanctionner ceux qui ne respecteraient pas le droit à l'oubli, tel que je viens de le définir, ou qui contreviendraient à l'esprit général du texte.
Voilà les garanties qu'offre le projet de loi. Peut-être comportent-elles des lacunes : je ne puis honnêtement vous assurer qu'aucune diffusion abusive n'aura lieu en dépit des peines encourues. Je pense que nous avons fait le maximum pour éviter tout dérapage : le dispositif prévu par l'État assure à ceux qui accepteront de paraître à visage découvert un droit à l'oubli ; après un certain temps, il ne sera plus possible de les reconnaître dans l'émission concernée.
Madame Ménard, je vous propose donc de retirer votre amendement, sans quoi j'émettrai un avis défavorable, comme en commission.
Madame Ménard, nous avons eu un long échange sur ce sujet lors de l'examen du texte en commission des lois. Je connais votre position. La mienne est semblable à celle que le rapporteur vient d'exposer. Comme en commission, je suis défavorable à cet amendement.
Monsieur le rapporteur, vous dites qu'il y a peut-être une faille. Je vous dis qu'il y en a sûrement une. Si quelqu'un diffuse malhonnêtement les images d'un procès que vous aurez préalablement diffusé, il encourra évidemment une sanction,…
Oui, madame !
…mais le délit aura été commis et le droit à l'oubli sera retourné dans les limbes d'internet. En outre, ne soyons pas complètement naïfs : encore faut-il retrouver l'auteur de la diffusion illicite. Si on retrouvait tous ceux qui diffusent sur les réseaux sociaux des choses qu'ils ne devraient pas diffuser, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Ce n'est pas tout à fait le cas, me semble-t-il. Il est donc certain que les failles existent et que les personnes qui auront donné leur consentement à la diffusion de leur vie privée sont celles qui en pâtiront. Encore une fois, il y a tromperie sur la marchandise. On leur assure qu'elles bénéficieront d'un droit à l'oubli : or celui-ci n'existe pas.
La chaîne qui sera choisie respectera la loi que vous voterez. Naturellement, même si nous aimerions le faire, personne ne peut empêcher une captation illicite, à l'aide d'un téléphone portable par exemple. Vous savez bien que le droit à l'oubli n'existe plus.
Certains journalistes m'ont interrogé sur le droit à l'oubli dans l'article 1er . Je leur ai expliqué qu'il en allait de même de leur travail. Rien n'empêche d'enregistrer par un quelconque moyen technique un reportage sur une affaire donnée, et de le rediffuser à l'insu de ses auteurs quinze ans plus tard. On ne peut rien faire contre : je ne peux pas confisquer tous les smartphones du pays, ce serait liberticide et vous m'en voudriez, à raison. Comment voulez-vous résoudre ce problème ?
Nous avons un cahier des charges : le diffuseur principal, à savoir la chaîne que la chancellerie choisira, ne diffusera plus l'enregistrement – c'est déjà pas mal. Vous avez raison : j'aimerais empêcher que des gens malveillants ne captent et n'utilisent des images. À l'époque où les réseaux sociaux existaient encore moins que les téléphones portables, rien n'interdisait à un journal de republier un vieil article piqué à une autre gazette. Nous sommes confrontés à un phénomène qui nous dépasse tellement que je conçois difficilement comment la loi pourrait le faire cesser.
Nous essayons d'être à la hauteur de nos responsabilités en établissant un cahier des charges très strict, qui prévoit que le diffuseur principal ne pourra rediffuser les images après un certain délai, afin de garantir ce qu'on appelle le droit à l'oubli.
Il y a toujours des affaires qui sont exhumées, vous le savez bien, et personne n'y peut rien – malheureusement, parce que cela peut faire des dégâts, ou heureusement, parce que c'est aussi l'illustration de la liberté d'expression sur les réseaux sociaux. Légiférer en ce domaine est très compliqué, même si nous l'avons fait sur la haine en ligne.
Au fond, je vous rejoins, mais je ne vois pas comment on peut régler cette question. Le risque zéro ne saurait exister, par définition. Vous le dites vous-même : rien n'interdit à un malveillant d'agir. Faudrait-il alors ne jamais rien diffuser ? Si l'on pousse votre raisonnement jusqu'au bout, on interdit toutes les émissions qui traitent d'affaires judiciaires – elles existent, et certaines sont à la limite de la légalité. Et même si une émission évoque telle ou telle affaire sans en diffuser d'image, rien n'interdit à un malveillant de la rediffuser dans dix ou quinze ans.
Votre intention est louable, je le répète, mais le texte auquel nous avons abouti me paraît pragmatique et équilibré. On ne peut pas tout garantir.
Nous sommes ici au cœur de la discussion sur l'article 1er : c'est le point qui fonde notre scepticisme. Monsieur le garde des sceaux, c'est vrai, on ne peut pas tout garantir. La loi actuelle est extrême, puisqu'elle interdit la captation de toute image et de tout son dans les salles d'audience. Vous voulez faire œuvre de pédagogie, expliquer la justice à nos concitoyens, et pour cela filmer. Mais cette volonté se heurte à la question du droit à l'oubli. Une fois que ces images auront été captées et diffusées, elles pourront être rediffusées.
L'amendement de Mme Ménard n'est pas insensé – pardon, madame Ménard, disons même qu'il est fondé. Nous aurions peut-être dû être un peu plus prudents, un peu plus sévères, dans le cas où l'interdiction de rediffusion et d'exploitation d'images captées dans une enceinte judiciaire au-delà du délai fixé par le projet de loi, raisonnable à mon sens, ne serait pas respectée. Il faut éviter que tout un chacun soit exposé, dans sa vie de tous les jours, à devoir répondre de faits passés.
L'amendement n° 172 n'est pas adopté.
Notre objectif est toujours le même : essayer d'affirmer le respect des droits de la personne. Nous avions ainsi proposé que l'accord écrit et préalable des personnes enregistrées soit nécessaire, et que le délai de rétractation soit porté à trois mois.
Cet amendement vise à réaffirmer, au début de l'alinéa 13, le principe du droit à l'oubli. Le Conseil d'État a souligné l'importance de ce point.
Avis défavorable. Le droit à l'oubli est consacré par le projet de loi, dans les conditions que nous venons d'exposer.
Cet ajout serait superfétatoire, puisque nous inscrivons dans la loi un délai au-delà duquel la diffusion ne sera plus possible.
Je reviens sur le droit à l'oubli. Ce n'est pas parce qu'un procès sera filmé que l'on interdira la présence d'autres journalistes, bien sûr : il y aura donc de la chronique judiciaire – possiblement, en tout cas, puisque certains procès attirent des journalistes en nombre, d'autres aucun. Ici, nous fixons un délai au-delà duquel la diffusion ne sera plus autorisée. Mais rien n'interdira la reprise d'une coupure de presse ancienne. Le droit à l'oubli peut être bafoué, sans sanction : rien n'interdit d'exhumer un article de journal.
Nous sommes donc beaucoup plus offensifs. Mais tout le monde ne respecte pas forcément le sens de la loi, et c'est bien du sens de la loi que je parle ici : le délai n'a de sens que dans le cadre du droit à l'oubli, comme l'indique d'ailleurs l'exposé des motifs du projet de loi. Voilà pourquoi votre amendement n'est pas nécessaire.
J'ajoute que le Gouvernement et les députés ont encore renforcé, par différents amendements, les droits des personnes concernées.
Merci de ces explications. On pouvait déjà s'essuyer les pieds sur le droit à l'oubli, puisqu'il suffisait de photocopier un article de journal pour que l'on reparle d'une affaire. Mais vous ouvrez un espace nouveau et important, et vous démultipliez les possibilités de piétiner le droit à l'oubli. Voilà pourquoi je propose d'inscrire dans le texte l'importance du respect de celui-ci. Parfois, il faut savoir réaffirmer des principes !
L'amendement n° 478 n'est pas adopté.
Les amendements n° 477 de M. Philippe Gomès, 240 de M. Bruno Bilde et 507 de M. Pascal Brindeau sont défendus.
Il vise à encadrer l'enregistrement et la diffusion des audiences devant le Conseil d'État et la Cour de cassation suivant la même logique que celle que nous avons proposé d'adopter pour les autres juridictions : accord préalable des parties et diffusion au plus tôt un an après que le jugement sera devenu définitif.
Nous comprenons votre objectif, notamment pédagogique, mais nous doutons que la rédaction actuelle du texte vous permette de l'atteindre : c'est pourquoi nous souhaitons mieux préserver les droits des différentes parties.
Avis défavorable. Les débats devant la Cour de cassation et le Conseil d'État ne sont pas du même ordre que ceux qui se déroulent en cour d'appel ou devant une juridiction de premier degré : on n'y juge pas les faits, mais le droit. C'est une discussion essentiellement technique, dont les enjeux ne sont pas les mêmes.
Avis défavorable.
Je ne comprends pas l'argument du rapporteur : si l'enjeu est de faire comprendre ce qu'est l'institution judiciaire, l'ensemble des juridictions doivent être concernées. Oui, les débats devant la Cour de cassation et le Conseil d'État sont techniques et sans doute moins spectaculaires : ils risquent de faire moins d'audimat, mais n'est-ce pas justement une bonne raison de faire de la pédagogie, de les expliquer ? Un regard attentif est d'autant plus nécessaire ! Ce sont les premières autorités judiciaires du pays. Elles sont loin d'être négligeables.
La réponse un peu légère du rapporteur montre l'objectif que visent en réalité le Gouvernement et la majorité : c'est le spectacle, la production télévisuelle qui fera de l'audimat. Bien sûr, les débats devant la Cour de cassation et le Conseil d'État sont moins spectaculaires : sont-ils pour autant moins dignes d'attention ? Votre position est à mon sens très problématique.
L'amendement n° 607 n'est pas adopté.
La parole est à M. Dimitri Houbron, pour soutenir l'amendement n° 523 .
L'article 1er permet, après recueil de l'avis des parties, la diffusion le jour même des audiences publiques devant le Conseil d'État et la Cour de cassation. Le groupe Agir ensemble propose que l'avocat général, qui n'est pas une partie mais partie jointe au litige, soit également consulté. Le ministère public doit pouvoir donner son avis.
Votre amendement mentionne l'avocat général près la Cour de cassation mais pas son pendant en droit administratif, le rapporteur public. Il y aurait donc une différence de traitement entre la Cour de Cassation et le Conseil d'État, ce qui pose problème. Je vous demande de retirer l'amendement.
Avis défavorable.
Monsieur le rapporteur, il est possible de rectifier l'amendement pour combler le petit manque que vous relevez. Il serait dommage de renoncer à cette précision pour cette simple raison.
Cela ne sert à rien, surtout…
L'amendement n° 523 n'est pas adopté.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l'amendement n° 508 .
Dans le cas d'une diffusion dans la journée, nous préférerions que l'accord, plutôt que l'avis, des parties soit nécessaire. C'est presque un amendement rédactionnel : on voit mal une diffusion être autorisée malgré le refus des parties.
L'amendement n° 508 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l'amendement n° 680 .
Nous proposons, comme nous l'avons fait pour les autres juridictions, que la diffusion des audiences devant le Conseil d'État et la Cour de cassation ne puisse avoir lieu que six mois après que l'affaire a été définitivement jugée.
J'ai compris que l'avis serait défavorable. J'aimerais néanmoins savoir si le Conseil d'État et la Cour de cassation ont été consultés et s'ils se sont exprimés.
Avis défavorable, comme vous l'avez pressenti. Je crois, mais M. le garde des sceaux le précisera peut-être, que la diffusion dans la journée même est une demande du Conseil d'État et de la Cour de cassation.
Le Conseil d'État a donné son avis sur le projet de loi. Le procureur général près la Cour de cassation s'est également exprimé.
Certaines affaires tiennent en haleine la société tout entière ; on perdrait beaucoup à diffuser les audiences six mois plus tard. Il s'agit ici de débats de droit. Je pense à l'affaire Baby-Loup, à l'affaire Halimi-Attal : il eût été très utile d'entendre ce qui s'est passé lors de ces audiences. Certaines choses n'auraient pas été dites, d'autres auraient été mieux dites.
C'est le genre d'exemples qui me conforte dans l'idée qu'il faut absolument filmer. Six mois après, c'est bien trop tard. Devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation, l'instantanéité me semble préférable. Devant le Conseil constitutionnel – j'y ai plaidé pour quelques questions prioritaires de constitutionnalité –, l'audience est diffusée en direct. Tous ceux qui sont intéressés peuvent suivre le débat. Devant de telles instances, nous ne sommes pas confrontés aux difficultés que nous évoquons depuis quelques heures : ainsi, la question de la vie privée ne se pose pas ; il est possible de prendre des précautions. En outre, les magistrats du Conseil d'État et de la Cour de cassation sont très attentifs à ces questions – c'est une évidence.
Le délai de six mois, s'il est érigé en règle, me gêne. Dans certains cas, lorsque l'actualité n'est pas brûlante, il sera peut-être pertinent. Mais dans d'autres, il importe que des réponses soient apportées immédiatement aux questions posées.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à votre amendement.
Je suis rassurée d'entendre que le Conseil d'État et la Cour de cassation ont donné leur avis. J'ai toute confiance dans leur capacité à apprécier l'opportunité de la diffusion.
Nous sommes dans l'ignorance complète de la manière dont s'élabore un projet de loi. Il serait pourtant utile que les parlementaires soient éclairés sur les avis que vous avez recueillis et les motifs des dispositions que vous leur soumettez.
Sur le sujet, j'ai noté des avancées et des questions en suspens. À ce stade, je retire mon amendement. Je suis convaincue que le Conseil d'État et la Cour de cassation sauront faire bon usage du dispositif.
L'amendement n° 680 est retiré.
Sur l'article 1er , je suis saisie par le groupe La République en marche d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
Je suis saisie de deux amendements identiques, n° 604 et 681 .
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l'amendement n° 604 .
Il vise à supprimer l'alinéa 15, qui autorise l'enregistrement et la diffusion des audiences intervenant au cours d'une enquête ou d'une instruction, car cela nous paraît dangereux.
Il fait courir le risque de concentrer l'attention sur des éléments qui relèvent de la justice spectacle, à rebours de l'objectif de pédagogie affiché, d'autant que le dispositif se focalise déjà sur la justice pénale.
La suppression de l'alinéa a pour but d'entourer de garanties le dispositif, qui nous semble encore bien fragile.
L'amendement n° 681 de Mme Cécile Untermaier est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
L'avis est défavorable. Le débat a eu lieu en commission. Pour nous, il est d'intérêt public de filmer des audiences devant le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction. L'enregistrement ne pourra être diffusé qu'une fois l'affaire définitivement jugée : la présomption d'innocence sera ainsi respectée et les interférences dans le bon déroulement du procès seront évitées. La personne amenée devant le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction disposera des garanties nécessaires.
Dès lors que des assurances sont données, il est intéressant de faire œuvre de pédagogie en diffusant des audiences qui ont lieu dans le cadre d'une instruction en matière criminelle ou délictuelle.
Les amendements identiques n° 497 de M. Pascal Brindeau et 702 de Mme Emmanuelle Ménard sont défendus.
La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l'amendement n° 780 .
Il tend à autoriser l'enregistrement et la diffusion des auditions, interrogatoires et confrontations réalisés par le juge d'instruction avec, naturellement, les garanties associées à une phase non publique de l'affaire.
L'amendement pousse jusqu'au bout la logique en faisant entrer les caméras de télévision dans toutes les phases de la procédure judiciaire. Plus vous ouvrez le champ de l'enregistrement et de la diffusion, plus vous ouvrez la voie aux dérives qu'ils comportent.
L'amendement n° 780 est adopté.
La parole est à M. Antoine Savignat, pour soutenir l'amendement n° 362 .
J'ai déjà défendu devant la commission des lois cet amendement que chacun pourra comprendre. Prenons l'exemple d'Yves – c'est le calendrier qui dicte ce prénom –, qui est auditionné, lors d'un interrogatoire de première comparution devant le juge d'instruction, pour des faits d'atteinte sexuelle sur un mineur, pour lesquels il a été dénoncé. Dans quelques minutes, il sera devant le juge des libertés et de la détention (JLD). Yves est persuadé de son innocence et accepte d'être filmé lors de l'interrogatoire et de l'audience devant le JLD. Pourquoi ? Parce qu'il veut clamer haut et fort sa non-culpabilité. L'enquête se poursuit et, un ou deux ans plus tard, alors que sa femme, sa concubine, sa compagne, ou son compagnon l'aura quitté, une ordonnance de non-lieu est rendue ou l'arrêt des poursuites décidé ; Yves refait sa vie et, quatre ans plus tard, un soir, à vingt heures, en allumant sa télévision, il se voit sur l'écran, même flouté. Il aura évidemment été porté atteinte à son droit à l'oubli.
C'est la raison de l'amendement, peut-être un peu brut de décoffrage, qui vise à exclure la diffusion en cas d'ordonnance de non-lieu ou d'arrêt des poursuites. Après l'adoption de l'amendement fort judicieux de notre collègue Laetitia Avia visant à octroyer un délai de quinze jours pour se rétracter, le Gouvernement et la majorité pourraient sous-amender mon amendement afin d'instaurer un délai identique pour le bénéficiaire d'une ordonnance de non-lieu ou d'un arrêt des poursuites, ce qui lui assurerait un véritable droit à l'oubli.
Ce que je m'apprête à faire est particulièrement lâche, mais je sais que le sujet tient à cœur au garde des sceaux : c'est exactement l'affaire d'Outreau.
Le débat a eu lieu tout à l'heure. D'abord, votre proposition introduit de l'insécurité dans le dispositif que nous instaurons.
Ensuite, le droit de rétractation dans un délai de quinze jours, que les travaux de la commission ont consacré, permet à une personne, qui a donné son accord pour apparaître à visage découvert, de revenir sur celui-ci parce que la procédure s'est mal passée ou qu'elle n'a pas été à son avantage. Une rétractation trois ou quatre ans plus tard n'a pas de sens. Elle sera totalement contre-productive.
Enfin, dans l'exemple que vous citez d'une personne dans le cabinet du juge d'instruction, le visage serait flouté.
Anonymisé !
La personne n'apparaîtra pas à visage découvert, puisqu'il s'agit d'une audience non publique : elle ne pourra pas en donner l'autorisation. Votre exemple ne me semble pas approprié.
La faculté de rétractation doit être enserrée dans un délai raisonnable. Le délai d'appel évoqué précédemment par le garde des sceaux correspond aux dix jours qui suivent l'audience, pendant lesquels on a encore à l'esprit ce qui s'y est passé. Il en va de même pour les quinze jours prévus pour la rétractation. En revanche, trois ou cinq mois plus tard, voire plusieurs années, cela n'aurait pas de sens : on ne pense même plus au fait qu'on a été enregistré et qu'on pourrait voir son visage sur un écran de télévision.
La rétraction, même si le délai est un peu arbitraire, est une disposition opérationnelle qui s'appuie sur des éléments connus.
Selon vous, la justice ne devrait se montrer que si elle condamne. Eh oui ! Dans l'exemple que vous donnez, Yves a peut-être envie qu'on sache qu'il a bénéficié d'un non-lieu. Dans le traitement d'une affaire judiciaire, le problème vient de ce que l'arrestation et la mise en examen sont médiatisées, et la rumeur s'ensuit, mais que le non-lieu est tu. Un homme qui bénéficie d'un non-lieu s'interdirait de le dire au monde entier : c'est curieux !
Répétons-le une fois encore, toutes les garanties ont été fournies : le floutage, l'anonymisation. La personne concernée devra faire un choix : soit elle souhaitera rendre public le non-lieu – l'absence de charges suffisamment graves pour le renvoyer devant la juridiction –, soit elle préférera tourner la page. Je ne vous comprends pas bien. La justice ne peut pas être présentée dans les médias sous le seul angle de la condamnation ou du renvoi devant la juridiction de jugement. Le non-lieu existe, tout comme l'acquittement ou la relaxe.
Une personne relaxée peut vouloir tourner la page ou, à l'inverse, dire au monde entier qu'elle était totalement innocente. Je suis donc défavorable à votre amendement.
C'est lassant, car vous êtes toujours défavorable mais nous sommes toujours d'accord. J'en conviens, une personne mise en cause peut évidemment avoir envie de faire savoir qu'elle a fait l'objet d'un non-lieu. Mais l'envie ne se manifeste qu'à partir du moment où elle le sait. C'est la raison pour laquelle je demande d'ouvrir de nouveau la possibilité de se rétracter lorsque le non-lieu est intervenu. Tant que vous n'en avez pas bénéficié, vous ne pouvez pas savoir si vous en avez envie ou pas. M. le rapporteur l'a dit, le floutage de la personne est important – évidemment, on ne confondra pas mon collègue Fabien Di Filippo et moi-même sur une vidéo. Il n'en demeure pas moins que la personne peut parfaitement être identifiée.
En réponse à M. le rapporteur, entre mettre à mal le dispositif que nous allons adopter aujourd'hui et, si vous m'autorisez l'expression, pourrir définitivement la vie d'un homme, il n'y a pas d'hésitation pour moi. Nous devons nous abstenir de déroger à la règle actuelle : ne pas filmer pour préserver la vie de chacun. La vie d'un homme est bien plus importante à mes yeux que l'information de tous.
L'amendement n° 362 n'est pas adopté.
Il tend à autoriser la saisie du matériel ayant permis de diffuser illégalement les audiences de procès et à prévoir le doublement des peines en cas de récidive.
L'amendement est satisfait pour ce qui est du doublement de la peine encourue, déjà prévu en cas de récidive. Quant à la saisie de matériel, elle pourra toujours être prononcée par la juridiction à titre de peine complémentaire, même si elle n'a pas de caractère automatique. Avis défavorable.
L'amendement est pleinement satisfait en raison de la règle même de la récidive, qui prévoit un doublement des sanctions, et du fait que le matériel peut toujours être saisi à titre complémentaire, comme vient de le souligner le rapporteur. J'y suis donc défavorable.
L'amendement n° 76 n'est pas adopté.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 123
Nombre de suffrages exprimés 107
Majorité absolue 54
Pour l'adoption 92
Contre 15
L'article 1er , amendé, est adopté.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures quarante.
La parole est à Mme Albane Gaillot, pour soutenir l'amendement n° 652 , portant article additionnel après l'article 1er .
Nous débattons depuis hier de l'avantage de l'enregistrement audiovisuel et de la diffusion des audiences. Cet amendement tend à étendre l'enregistrement audiovisuel de l'audition réalisée au cours d'une enquête à toutes les victimes de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale, notamment aux victimes de viol, quel que soit leur âge. En effet, en l'état actuel du droit, une telle disposition n'est prévue que pour les mineurs.
Cet amendement est le fruit de longues auditions et j'avais déjà déposé un amendement comparable en 2018. L'élargissement de cette disposition à l'ensemble des victimes, majeures comme mineures, de ces infractions permettait de leur épargner le traumatisme inhérent à la multiplication des auditions, qui les force à revivre, en la décrivant, l'agression subie. En effet, dans une procédure criminelle, les victimes sont amenées à renouveler parfois sept ou huit fois leur témoignage sur des faits qui, dans le cas spécifique de violences sexuelles, sont particulièrement difficiles à révéler. De plus, cette obligation peut donner aux victimes le sentiment que leur parole est mise en doute, ce qui peut provoquer chez elles un grand sentiment de culpabilité.
Par ailleurs, cet amendement tend également à permettre l'accès aux enregistrements audiovisuels des auditions sur simple demande et à supprimer le sixième alinéa de l'article 706-52 du code de procédure pénale, afin de permettre la délivrance d'une copie de tout ou partie des pièces des dossiers aux avocats des parties ou aux parties elles-mêmes.
Madame Gaillot, même si votre amendement traite d'enregistrements, le registre est totalement différent de celui dont il était question à propos de l'article 1er . Vous évoquez en effet le dispositif prévu pour l'enregistrement des dépositions des victimes mineures, afin de leur éviter le traumatisme lié à l'obligation de déposer à plusieurs reprises et de relater à nouveau les faits qu'elles dénoncent, et proposez d'étendre ce dispositif à toutes les victimes, même majeures.
Je n'y suis pas favorable, notamment parce que cet amendement tend à autoriser la diffusion de ces enregistrements au titre de la « copie pénale », ce qui permettrait à une partie, lorsqu'elle le demande, de disposer de la copie de l'enregistrement. Il s'agit là en effet d'un mécanisme dangereux qu'il faut manier avec beaucoup de prudence et, pour ma part, je ne dispose pas d'assez de recul pour me prononcer favorablement sur un tel dispositif. On peut en effet imaginer que la personne mise en examen, si elle est en possession de ces éléments, puisse en faire un usage dévoyé et la mesure pourrait alors être contre-productive pour la personne qui a déposé contre l'auteur présumé.
Je demande donc le retrait de cet amendement, qui propose un dispositif certes intéressant, mais sur lequel nous n'avons pas du tout travaillé en commission, car il n'entre pas dans le champ de nos investigations dans le cadre de l'article 1er . À défaut de retrait, avis défavorable.
Monsieur le rapporteur vient de donner de très bonnes explications. Même avis.
Effectivement, le champ d'application de l'amendement est relativement large.
J'ai compris que vous n'étiez pas totalement opposés à la première partie du dispositif que je propose – j'avais d'ailleurs déjà soumis cette proposition en 2018, mais la garde des sceaux de l'époque m'avait indiqué que nous n'étions pas encore prêts –, mais que vous refusiez l'amendement car vous n'avez aucun recul pour évaluer sa seconde partie. Rien ne vous empêche, dans ce cas, de déposer un sous-amendement pour la supprimer.
Quoi qu'il en soit, je maintiens mon amendement : peut-être la navette permettra-t-elle de retravailler le sujet. Il existe un vrai besoin. Depuis hier, nous parlons de la vertu pédagogique : élargir le champ d'application du dispositif me semble présenter une vertu humaine.
L'amendement n° 652 n'est pas adopté.
Je souhaite revenir sur une question importante à mes yeux : la transparence.
Un de nos amendements, qui aurait pu trouver sa place dans une toute autre partie du texte, a été déplacé après l'article 1er avant, évidemment, d'être jugé irrecevable – vous en jugerez par vous-mêmes.
En souhaitant généraliser la captation vidéo des procès, vous tentez de nous démontrer, monsieur le garde des sceaux, que la confiance dans la justice passe par la publicité et la transparence des procès. Dès lors que les garanties demandées sont apportées, nous vous suivons sur ce dossier.
Néanmoins, il reste des zones d'ombre, qui contribuent à l'incompréhension des citoyens face à la justice : les procès-verbaux des débats, les écritures des parties, ainsi que les conclusions et avis du rapporteur public et de l'avocat général sont difficilement accessibles, alors même qu'ils ont pu jouer un rôle décisif dans le procès.
L'amendement que nous avions déposé tendait à faciliter l'accès aux écritures des parties au nom du droit d'accès aux documents administratifs. Comme vous le savez, cet accès constitue un droit garanti par la Constitution. L'amendement avait donc pour objet de le préciser s'agissant de l'accès aux écritures des parties à l'issue du procès. Ces écritures sont publiques, puisque les audiences elles-mêmes le sont : en faciliter l'accès en imposant à l'administration de fournir l'ensemble des écritures produites au procès serait utile à la recherche du droit et se situe d'ailleurs, me semble-t-il, dans le droit fil de l'article 1er , qui vient d'être adopté. En outre, cette mesure aurait permis d'harmoniser les régimes d'accès aux documents administratifs et aux archives publiques, puisque leur accès constitue également un droit fondamental.
Je suis surprise qu'un amendement de cette nature, qui s'inscrit dans le sens de l'article 1er , puisse être déclaré irrecevable. Il me semble que le législateur aurait pu saisir cette occasion de réfléchir aux documents qui accompagnent la vidéo : puisque l'on travaille à améliorer la transparence du procès, il me semble légitime et intellectuellement utile de prévoir que tous les documents qui s'y rattachent sont disponibles.
De plus, les praticiens du droit et universitaires qui travaillent sur ces questions recherchent ces documents et dénoncent régulièrement la difficulté à les obtenir : je tenais à le signaler à ce stade du débat.
Comme l'a dit notre collègue Brindeau, le texte prévoit de bonnes choses – et de moins bonnes.
L'article 2 constitue une réelle avancée en matière de droit. L'enquête préliminaire est un objet curieux dans le dispositif d'enquête français : elle prive totalement les personnes concernées – éventuellement mises en cause, immédiatement ou plus tard – de tout droit, de toute connaissance sur les faits qui leur sont reprochés et de toute information, même a posteriori, sur ce qui va leur arriver ou pas.
En limitant la durée des enquêtes préliminaires, vous souhaitez tout d'abord que le délai dans lequel les services de justice et de police se prononcent soit raisonnable.
Il existe trois options : la poursuite, le classement sans suite et l'ouverture d'une information judiciaire. Or, aujourd'hui, force est de constater que, pour une petite partie des affaires – 84 % des affaires sont en réalité clôturées au bout d'un an –, aucune option n'est choisie. Au nom du groupe UDI et indépendants, je tiens à dire qu'il semble sain de déterminer une durée maximale pour l'enquête préliminaire : nous pourrons débattre de sa durée et de ses modalités.
Nous parlerons aussi des droits qui doivent être ouverts aux personnes mises en cause. Rappelons que trois types de personnes peuvent être entendues dans le cadre d'une enquête préliminaire : le témoin, qui a priori ne risque rien, le témoin assisté, qui peut n'avoir aucune nouvelle pendant plusieurs années après avoir été entendu mais pourrait un jour être mis en cause, et la personne mise en cause qui, elle, pourrait être renvoyée devant la justice.
Monsieur le garde des sceaux, le dispositif que vous prévoyez nous semble favorable, mais nous vous proposerons de l'améliorer, en donnant aux personnes entendues des droits en matière d'information, et à la défense des droits plus importants encore. J'espère qu'au cours des débats, vous vous montrerez sensible à cette volonté.
L'article 2 nous semble intéressant. Nous avons d'ailleurs émis des appréciations plutôt positives à son sujet lors de la défense de la motion de rejet, s'agissant en particulier de l'introduction du contradictoire dès le stade de l'enquête préliminaire.
En effet, c'est le moment où sont prises les dispositions les plus attentatoires aux individus – je pense en particulier aux perquisitions et à la garde à vue. Il nous paraît donc très important que, dès ce stade de l'enquête, l'accès à une partie du dossier soit autorisé, afin que la personne mise en cause sache au moins à quel titre elle l'est et qu'elle puisse ainsi commencer à organiser sa défense : l'égalité des armes est en effet un des principes importants de la procédure pénale et de notre État de droit.
Néanmoins, je suis très circonspect sur la première partie de l'article, qui fixe une durée maximale pour l'enquête préliminaire. Je ne suis pas un grand fan de l'enquête préliminaire, et dans l'idéal, je préférerais qu'il y en ait beaucoup moins, au profit de plus d'informations judiciaires. Mais, pour atteindre cet objectif, il ne suffit pas seulement que cet encadrement soit prévu par la procédure, comme nous allons en décider dans un instant : encore faut-il donner les moyens d'appliquer la mesure ! Si réduire la durée de l'enquête préliminaire aboutit à surcharger un peu plus encore des cabinets d'instruction qui le sont déjà et donc, par voie de conséquence, à allonger la durée totale de l'enquête avant le procès, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une bonne opération.
On me rétorquera que passer plus vite à l'information judiciaire permettra l'introduction du contradictoire, mais le recours au contradictoire pendant l'enquête préliminaire est déjà prévue par la deuxième partie de l'article – c'est une bonne chose –, et il n'y a pas forcément de contradictoire dans l'information judiciaire si vous n'êtes pas témoin assisté ou mis en examen.
Nous sommes plutôt favorables aux dispositions prévues par la deuxième partie de l'article 2, et nous vous proposerons d'en réviser la première partie.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 174 .
L'article vise à limiter la durée des enquêtes préliminaires à deux ans à compter du premier acte d'enquête. À l'expiration de ce délai, le procureur de la République devra mettre en mouvement l'action publique, décider d'une autre procédure que les poursuites ou classer sans suite la procédure en cours.
Or il est fort peu contestable que limiter a priori la durée de l'enquête et l'ouvrir au contradictoire risque, dans certains cas, de nuire aux investigations – surtout si ces nouvelles contraintes ne s'accompagnent pas de moyens matériels et juridiques supplémentaires permettant aux enquêteurs de progresser plus vite. En l'état actuel du droit, la durée de l'enquête préliminaire n'est pas fixée : on estime qu'elle doit se poursuivre dans un délai raisonnable, qui peut être prorogé si les enquêteurs justifient cette demande. Les officiers de police judiciaire doivent alors rendre compte des résultats de l'enquête au bout de six mois au procureur de la République.
Le système actuel me paraît plus opportun que celui que vous proposez d'instaurer, car une durée d'enquête préliminaire variable permet de s'adapter à la nature de l'affaire. Il me semble difficilement adéquat de fixer cette durée à l'avance. Si l'objectif est d'améliorer l'équilibre entre les prérogatives de la justice dans le cadre d'une enquête préliminaire et les droits de la défense, il serait néanmoins regrettable de faire perdre un avantage aux enquêteurs, ce qui pourrait porter finalement préjudice à la qualité de la justice rendue.
Nous sommes attachés à la limitation de la durée des enquêtes préliminaires. Avis défavorable.
L'amendement n° 174 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Nous proposons de substituer aux dispositions fixant une durée limite à l'enquête préliminaire un autre dispositif qui permettrait, tout d'abord, que ce soit un magistrat du siège, indépendant, qui décide de la poursuite de l'enquête préliminaire, et non, comme le texte le prévoit actuellement, le procureur de la République, qui n'est autre que le supérieur hiérarchique du parquetier chargé de l'enquête. En l'espèce, puisqu'il existe déjà, nous proposons que ce rôle revienne au juge des libertés et de la détention (JLD).
Nous proposons également l'instauration d'une clause de révision annuelle, alors que le texte ne prévoit de révision qu'après deux ans d'enquête – trois en cas de prorogation d'un an. Ces délais sont respectivement portés à trois et deux ans pour les affaires relevant de la délinquance, de la criminalité organisée ou du terrorisme. Avec le dispositif que nous proposons, si le JLD l'autorise, l'enquête préliminaire pourrait alors durer cinq, six, voire sept ans, pourvu qu'il y ait un contrôle annuel de proportionnalité du cadre de l'enquête préliminaire au regard des enjeux et des objectifs recherchés. C'est la mesure qui nous semble la plus proportionnée et la plus efficace pour remplir les différents objectifs fixés par le texte.
Nous l'avons déjà dit en commission – sans recevoir aucune réponse, d'ailleurs : si nous instaurons des durées d'enquête préliminaire, nous allons au-devant de problèmes, notamment s'agissant des enquêtes à caractère économique et financier. En effet, de telles investigations, lorsqu'elles dépassent le cadre du territoire national et dépendent des juridictions d'autres États, peuvent parfois durer trois ans et demi ou quatre ans : non pas que le magistrat ne fasse pas son travail ou serait volontairement être long, ou parce que les policiers seraient surchargés ou mauvais, mais simplement parce que les réponses dépendent d'autres États. Dans de tels cas, l'enquête préliminaire ne pourra jamais être terminée dans le délai de deux, voire trois ans.
Je ne voudrais pas que ces enquêtes viennent ensuite alourdir les cabinets des juges d'instruction spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière, qui sont déjà surchargés. Jacques Maire et moi avons publié, il y a deux ans, un rapport sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière. Notre rapport d'application, qui sera bientôt publié – nous vous en informerons –, pointe l'extrême faiblesse des moyens accordés à cette lutte. Le dispositif que nous proposons nous permettrait d'éviter la situation actuelle, tout en bénéficiant d'un contrôle exercé par un magistrat du siège indépendant. Il nous semble le plus à même d'atteindre les objectifs politiques de l'article.
Défavorable. Vous souhaitez faire du JLD le superviseur des magistrats enquêteurs. Or, comme je vous l'ai dit en commission, ce n'est pas du tout l'esprit du texte.
Aujourd'hui, les enquêtes préliminaires sont menées sous la direction d'un procureur de la République, qui est le garant des droits des personnes. Nous ne souhaitons pas faire du JLD un contrôleur de la qualité du travail effectué par les procureurs de la République, mais seulement encadrer la durée de l'enquête préliminaire.
Il me semble, monsieur le député, que c'est le Syndicat de la magistrature qui vous a inspiré cet amendement.
Premièrement, le procureur de la République est aussi, de par notre Constitution, le garant de la liberté individuelle. Deuxièmement, le délai de révision d'un an n'est absolument pas adapté au temps nécessaire à l'enquête – c'est une proposition hors sol, si vous me permettez cette expression un peu cavalière.
Ensuite, faire appel au JLD pour tout acte accompli plus d'un an après l'ouverture de l'enquête – par exemple, la simple audition d'un témoin – serait d'une lourdeur absolument incompatible avec le fonctionnement des juridictions au quotidien. J'espère qu'on vous l'a dit.
Enfin, l'intervention systématique du JLD n'est nullement justifiée pour la majorité des actes d'enquête : audition de témoins, recherche de traces et d'indices par la police scientifique… En revanche, pour les actes les plus attentatoires aux libertés individuelles, il existe déjà un contrôle du JLD, qui n'attend pas qu'une année se soit écoulée. L'avis du Gouvernement est donc totalement défavorable à votre amendement.
Il vous aura peut-être échappé que nous avons légèrement modifié cet amendement entre la commission et la séance. En effet, son inspiration n'est pas syndicale, mais – j'ose l'adjectif – « bernalicienne ».
« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LaREM.
Souffrez que l'on puisse réfléchir, élaborer des amendements par soi-même : c'est très important.
Nous ne souhaitons pas aboutir à la création d'un juge de l'enquête ; si j'avais eu à rédiger l'intégralité de ce texte, peut-être en serions-nous arrivés à cette conclusion. Nous ne proposons donc pas un contrôle juridictionnel, par le JLD, de tous les actes de l'enquête préliminaire : ce n'est pas là le sujet. Tel qu'il est rédigé, l'amendement vise à ce que, tous les ans, le JLD décide si l'enquête préliminaire s'arrête ou se poursuit. S'il dit « stop », le procureur de la République a deux options : classer l'affaire sans suite – ou prendre des mesures alternatives aux poursuites – ou demander l'ouverture d'une information judiciaire, rejoignant ainsi le dispositif prévu par votre texte.
Les dates butoirs arbitraires ne collent pas à la réalité. Il faut instaurer un vrai contrôle, non des moyens d'enquête mais du cadre même de l'enquête. Passé un certain délai, il faut pouvoir déterminer si la poursuite de l'enquête préliminaire ne devient pas disproportionnée lorsque l'on considère l'accès au dossier, l'égalité des armes, les droits de la défense. Au reste, pour les enquêtes les plus simples, peut-être le délai d'un an est-il déjà excessif. Or, dans votre texte, c'est au bout de deux ans que le supérieur hiérarchique du parquetier peut éventuellement lui signifier qu'il serait temps de classer le dossier sans suite ou d'ouvrir une information judiciaire. Nous vous proposons un dispositif beaucoup plus opérant : vous ne voulez pas franchir le pas parce que vous vous rendez compte que, dans 97 % des cas, l'adoption de votre texte ne changera rien. C'est cela, la vérité !
Et une enquête préliminaire qui dure quatre ans, cela changera quoi ?
Sans croire au bien-fondé d'une autorisation annuelle, je n'approuve pas pour autant le dispositif que défendent le garde des sceaux et le rapporteur, plus précisément – nous avons déposé un amendement à ce sujet – le fait que ce soit le procureur qui, au bout de deux ans, décide de la poursuite ou de l'arrêt de l'enquête. Au bout de deux ans, il est en mesure de se prononcer. Il a une enquête sous les yeux : soit, pour les raisons qui ont été évoquées, elle nécessite des investigations supplémentaires, et donc un an de plus ; soit le procureur estime qu'un an de plus ne suffira pas à obtenir tous les éléments nécessaires, parce qu'il faut faire des recherches à l'étranger, par exemple, et il ouvre une information judiciaire. À ce moment-là, son rôle, dites-vous, consiste à protéger les libertés. En réalité, il est juge et partie : il dirige l'enquête et détermine s'il existe de bonnes raisons de la poursuivre.
Le JLD devrait donc intervenir pour protéger les libertés des personnes mises en cause, des témoins assistés, qui, au bout d'un an, sont déjà édifiés sur leur sort dans 84 % des cas, mais qui peuvent aussi ne jamais l'être, puisqu'on ne les informera même pas de ce qui se passe à la suite de leur audition. Sans faire de lui un juge de l'enquête, il serait légitime qu'un magistrat indépendant ait son mot à dire lorsqu'on attente un peu trop à la liberté d'une personne par une procédure dont la durée n'est pas justifiée puisque les éléments recueillis sont insuffisants ; si, en revanche, ces éléments existent, alors il faut ouvrir une information judiciaire et, ainsi, permettre à la défense d'exercer ses droits.
C'est désespérant.
Jusqu'en 1959,…
…l'enquête préliminaire s'appelait « enquête officieuse », ce qu'elle n'a pas cessé d'être : aucun droit de la défense, aucun accès au contradictoire ni aux procès-verbaux, que l'on retrouve parfois dans la presse ; pas de limite dans le temps. Je connais des enquêtes qui durent depuis quatre ans et demi voire cinq ans ! Par une réforme historique, nous allons limiter l'enquête préliminaire dans le temps, donner accès au contradictoire, veiller à ce qu'il se produise moins de violations du secret de l'enquête. Mais non, ça ne va toujours pas !
Que proposez-vous ? Un système un peu biscornu, au sujet duquel je voudrais vous rappeler deux ou trois choses. Le JLD est le juge de la proportionnalité des actes attentatoires à la liberté.
Que vous le vouliez ou non, monsieur Bernalicis, il n'est pas le juge de l'opportunité du cadre de l'enquête.
Parce que c'est comme ça ! Ce sont nos règles !
Vous avez beau évoquer en toute modestie – il faut oser ! – l'inspiration « bernalicienne » de votre amendement, je n'ignore pas que les dispositions qu'il propose sont défendues par le Syndicat de la magistrature.
Il s'agit là d'une forme de défiance envers les magistrats du parquet, dont vous répétez partout qu'ils sont à la botte de la Chancellerie.
Tout vous est sujet à développer ce thème : rien de plus naturel que de le retrouver ici. En revanche, monsieur Bernalicis, si vous soutenez que notre dispositif ne constituera pas une avancée en matière de libertés publiques, vous me permettrez de vous soupçonner de mauvaise foi.
Pas chez vous, en tout cas !
L'amendement n° 811 n'est pas adopté.
Cet amendement porte également sur la question de la réduction de la durée des enquêtes préliminaires. Bien évidemment, tout le monde se félicite de l'avancée prévue par le texte, mais aujourd'hui, quels sont les chiffres ? Très peu d'enquêtes excèdent un an, puisque près de 85 % d'entre elles sont clôturées dans l'année de leur enregistrement ; 97 % durent moins de deux ans. Dès lors, la limitation de l'enquête à deux ans ne concernera vraiment que 3 % des procédures, ce qui amoindrit fortement leur impact : dans la grande majorité des cas, vos dispositions n'auront aucun effet sur les délais d'enquête.
Notre amendement vise donc à ce que l'enquête préliminaire soit réduite à un an, auquel s'ajouteraient au besoin les délais de recours contre un refus de demande d'acte – formé par un suspect ou un plaignant – ou de demande de nullité d'un acte – faite par un suspect. En outre, si à l'issue de ce délai le procureur ne décide ni de classer le dossier sans suite, ni de le renvoyer devant une juridiction de jugement, ni d'opter pour une alternative aux poursuites, une information judiciaire serait automatiquement ouverte. Cette option est en effet préférable au contrôle de la durée de l'enquête par un juge du siège, mesure illusoire si l'on considère le manque de moyens, et peu réaliste compte tenu du risque de résistance des magistrats du parquet.
Cet amendement de mon collègue Pierre Morel-À-L'Huissier, que j'ai cosigné, est identique aux précédents : l'argumentation de M. Clément lui conviendrait donc aussi bien. En effet, il ressort du rapport qu'un délai de deux ans ne serait d'aucune utilité, sinon dans 3,2 % des cas : un an suffirait, avec la possibilité d'une année supplémentaire. Chacun d'entre nous peut entendre cela, y compris M. le garde des sceaux. Moi aussi, j'ai connu des enquêtes qui duraient quatre ou cinq ans, jusqu'à l'indécence : c'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure que cet article 2 constituait une avancée intéressante. Cependant, on peut essayer d'avancer encore un peu plus ; c'est même le but de nos débats.
Dans 97 % des cas, cette future loi ne produira aucun effet : en adoptant ces amendements identiques, nous obligerions la police et la justice judiciaire à s'organiser pour que les éléments nécessaires soient rassemblés en moins de deux ans ou, concernant la seconde, à prendre ses responsabilités en ouvrant une information judiciaire. C'est d'ailleurs une chose assez curieuse que la réticence de l'administration à prendre cette dernière décision. S'il existe des raisons de poursuivre la procédure, pourquoi les droits de la défense seraient-ils attentatoires à l'enquête ? Si, au bout de deux ans, la justice a suffisamment enquêté et ouvre une information judiciaire, cela ne signifie pas qu'elle ne poursuit plus, qu'elle ne recherche plus, mais seulement que la défense peut exercer ses droits. Le dispositif prévu par le texte est donc relativement équilibré, mais en réduisant le délai à un an, renouvelable une fois – et prolongeable en cas de recours, comme M. Clément vient de nous l'expliquer –, nous souhaiterions le recentrer sur les 3,2 % d'enquêtes dont la durée est totalement anormale. Pour ma part, je ne prétends pas que le parquet serait à la botte de la Chancellerie, mais je répète que, lorsque son boulot n'est pas fait au bout de trois ans, voire de deux ans, il doit prendre ses responsabilités : soit rétablir l'honorabilité des gens, soit leur ouvrir des droits dans le cadre de la procédure, si celle-ci se poursuit.
M. le garde des sceaux disait tout à l'heure qu'il est toujours difficile de fixer des délais, car les uns les jugent trop longs, les autres trop courts. Les amendements à l'examen ne font pas exception à ce constat. Encore une fois, l'enquête préliminaire a ses vertus : il ne faut pas en rejeter le principe même. Elle est réalisée sous la direction du procureur de la République, garant des libertés individuelles ; chaque acte d'enquête offre des garanties aux citoyens concernés. Dans un peu plus de 90 % des cas, elle ne dure pas plus d'une année, et il n'y a rien à en dire : tout se passe très bien.
Concernant les enquêtes plus longues, parfois trop longues, nous avons prévu un dispositif qui constitue une réelle avancée, puisqu'il va encadrer et limiter dans le temps les procédures à la durée anormale, c'est-à-dire excédant ce que nous considérons comme un délai raisonnable. Quiconque se sait l'objet d'une enquête n'a qu'une envie : accéder à son dossier, préparer sa défense dans le cadre d'un débat contradictoire. Nous prévoyons donc deux ans d'enquête, avec la possibilité d'une troisième année sur décision du procureur de la République. En commission, nous avons retenu la proposition de M. Savignat, je crois, visant à ce que cette éventuelle prolongation d'un an fasse l'objet d'une décision motivée, qui figurera dans le dossier et pourra donc être discutée devant le magistrat chargé de juger l'affaire. Pour les affaires complexes, autrement dit les affaires de terrorisme ou de criminalité organisée, qui nécessitent souvent des délais plus importants en raison de leur dimension internationale et des investigations à mener à l'étranger, le délai d'enquête sera de trois ans ; le procureur pourra le prolonger de deux ans, là encore par décision motivée et versée au dossier. J'ajoute que cette prolongation, qu'elle soit d'un an ou de deux ans, pourra faire l'objet d'un recours devant le procureur général, qui est le supérieur hiérarchique du procureur de la République.
Voilà donc le dispositif prévu. Il est cohérent ; il permet aux services d'enquête de faire leur travail dans des conditions tout à fait acceptables, même s'il demande du temps – cinq ans, pour un dossier complexe, c'est raisonnable –, et au procureur de la République de prendre la décision qu'il faut enfin prendre : classement sans suite, alternative aux poursuites, citation devant le tribunal correctionnel, voire ouverture d'une information judiciaire si l'affaire n'a pas été suffisamment éclaircie. Il s'agit là d'un système équilibré, qui, je le répète, renforce les garanties que nous donnons à nos concitoyens : ceux qui font l'objet d'une enquête doivent pouvoir invoquer le principe du contradictoire. Vous ayant fourni ces explications, j'émettrai un avis défavorable aux amendements identiques en discussion.
Nous avons souhaité enserrer l'enquête préliminaire dans des délais, mais ceux-ci… Avis défavorable.
Tiens, il est vexé ! Vous comprenez enfin comme c'est désagréable quand votre interlocuteur vous tourne le dos !
Je voudrais d'abord signaler à M. le rapporteur, pour écarter toute méprise, que nous ne proposons pas de modifier le délai de trois ans pour les enquêtes portant sur des faits terroristes ou les enquêtes à portée internationale. Le fait que 97 % des enquêtes – un chiffre que je n'ai d'ailleurs pas retrouvé dans le rapport – soient réglées en moins de deux ans prouve que l'on pourrait tout à fait adopter ces amendements. Je serais d'ailleurs curieux de connaître le nombre d'enquêtes terminées après trois ans – sachant que nous ne visons ni les enquêtes liées à la criminalité internationale ni celles liées au terrorisme. Combien, parmi les 3 % d'enquêtes restantes, seraient finalement concernées par le délai de trois ans ? C'est cela, l'objet de la discussion.
Les amendements identiques dont nous discutons, que nous sommes nombreux à avoir déposés, régleraient le problème. En outre, en cas de durée déraisonnable d'une enquête, ils contraindraient les parquets et la police judiciaire à accélérer ou bien à prendre leurs responsabilités. Il n'y aurait rien de gênant à cela.
Vous dites, monsieur le garde des sceaux, que les délais ne sont jamais les bons. C'est vrai, et c'est la raison pour laquelle nous en discutons tout comme nous débattons du quantum des peines. Mais en l'occurrence, votre rapport montre que seules 3 % des enquêtes sont concernées. Nous souhaitons justement que celles-ci soient accélérées ou qu'à défaut, les parquets prennent leurs responsabilités.
Les questions soulevées sont les bonnes, et sont intéressantes. Qu'adviendra-t-il des 3 % d'enquêtes restantes évoquées par l'étude d'impact ? Elles seront probablement confiées aux cabinets d'instruction, mais je ne suis pas certain que ces derniers soient en mesure de les prendre en charge car on ne cesse de réduire le nombre de juges d'instruction dans ce pays ! Récemment encore, c'est ce qu'avait prévu Nicole Belloubet avant son départ – souvenez-vous du fameux tableau lié aux élections municipales qui étaient à venir ! Il y a donc bien un problème : l'engorgement va prendre d'autres voies.
Il n'existerait pas de bon délai. C'est ce que dit le ministre lorsqu'il daigne répondre aux questions – certes, il n'est jamais agréable que l'on vous tourne le dos mais heureusement, nous n'agissons pas comme lui à chaque fois qu'il nous tourne le dos ! Quoi qu'il en soit, nous proposions par un amendement un point d'étape tous les ans afin de déterminer si l'enquête doit durer quatre ans ou au contraire s'arrêter au bout d'un an. Cette proposition nous semblait plus raisonnable, mais le ministre ne souhaite visiblement écouter et entendre personne. Les délais sont fixés – deux ans plus un, trois ans plus deux – et circulez, il n'y a rien à voir ! C'est dommage, car tout le monde est de bonne volonté dans cet hémicycle et s'accorde pour considérer qu'il faut avancer sur le sujet de l'enquête préliminaire et du contradictoire.
Je le redis, monsieur le ministre : ce n'est pas parce que nous sommes défavorables à vos délais que nous ne sommes pas favorables à la deuxième partie du texte, qui introduit du contradictoire ! Arrêtez donc de nous faire dire ce que nous ne disons pas ; respectez le débat et les parlementaires. Vous verrez : nous en sortirons peut-être tous grandis !
L'amendement n° 146 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à Mme Nathalie Porte, pour soutenir l'amendement n° 421 .
Cet amendement rédactionnel tend à préciser que la prolongation d'un an de l'enquête préliminaire ne peut intervenir qu'une seule fois.
L'amendement n° 421 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l'amendement n° 516 .
Afin d'éviter toute confusion avec le débat que nous avons eu précédemment au sujet de l'amendement de M. Bernalicis, je précise que le présent amendement ne remet en cause ni la procédure, ni le délai ni le principe d'une prise de décision lorsqu'une enquête dure trop longtemps. La question que nous posons est : qui doit prendre la décision ? Ce n'est pas une question sans importance…
…car, dans une enquête préliminaire, certains actes sont attentatoires à la liberté de citoyens qui n'ont rien fait.
Je m'adresse au garde des sceaux, qui est aussi un ancien avocat : lorsque des perquisitions sont menées dans ce cadre, la personne visée n'a aucun droit. Elle ne peut faire aucune observation, ne peut demander aucune saisie – alors que l'autorité judiciaire peut saisir chez elle des objets divers ou de matériel informatique. Il serait assez légitime, alors que des objets peuvent ainsi être saisis, que ce soit un magistrat indépendant qui décide de la prolongation de l'enquête au bout de deux ans. C'est ce que nous proposons avec cet amendement.
Il ne s'agit pas de faire du JLD un juge de l'enquête mais de rééquilibrer la situation – ce que vous faites par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, en ouvrant le contradictoire et en limitant les délais. Ce n'est pas l'opportunité des poursuites qui est visée, car le parquet l'a toujours : il lui suffit d'ouvrir une information et de renvoyer devant un tribunal.
S'agissant en revanche de la légitimité de la poursuite de l'enquête, nous jugeons insuffisant qu'elle ne soit appréciée que par ceux qui conduisent l'enquête.
Je vous renvoie, monsieur Lagarde, aux propos tenus précédemment au sujet du rôle du JLD dans le système judiciaire français. Il est hors de question de lui faire jouer avec ce texte un autre rôle, notamment celui de superviseur ou de censeur de l'enquête voulue par le procureur de la République. Vous avez cité l'exemple de la perquisition menée dans le cadre d'une enquête préliminaire. Or le présent texte permettra justement, un an après la perquisition, d'imposer l'ouverture du contradictoire.
Il s'agit d'une avancée majeure car la personne visée pourra alors accéder à son dossier, formuler des observations ou demander des actes qu'elle pourra faire valoir dans le cadre de sa défense. J'émets donc un avis défavorable à la proposition d'intervention du JLD.
Il est naturel que ce soit le procureur qui décide de la prolongation d'une enquête puisque c'est lui qui en a la charge. Pourquoi pas le JLD ? Cela a déjà été évoqué : la commission que j'ai mise en place, présidée par l'ancien bâtonnier Dominique Mattei et composée de magistrats, de policiers, de gendarmes et d'avocats, a discuté de l'ensemble de ces sujets. Elle s'est interrogée sur ce qui était faisable et ce qui ne l'était pas. Nous n'avons pas décidé au doigt mouillé, monsieur Lagarde ! Imaginez-vous la surcharge de travail que représenterait pour le JLD le contrôle de l'ensemble des enquêtes ? Ce serait l'embolie ! Il faut réfléchir à cela, et nous l'avons fait.
De la même façon, concernant les délais, mon but n'est pas d'entraver l'enquête préliminaire ! Le rapporteur l'a dit tout à l'heure : un délai d'un an est parfaitement normal, il n'y a rien à en dire. C'est lorsque l'enquête dépasse deux ans que l'on commence à tiquer. Ce sont les situations anormales qu'il convient de corriger, et non celles où tout se passe normalement. Vous me répétez, monsieur Lagarde, que votre amendement ne concerne qu'une part infinitésimale des enquêtes. Nous le savons bien : la commission Mattei s'est penchée sur ces pourcentages. Il n'y a pas grand-chose à dire d'une enquête préliminaire qui dure un an. Au bout de deux ans, on peut se poser un certain nombre de questions, et c'est la raison pour laquelle nous avons choisi les délais qui figurent dans le texte. Ils n'ont pas été choisis au doigt mouillé ! Ce qui est anormal et qui doit être corrigé, c'est la part minime d'enquêtes – de l'ordre de 3 % – qui durent plus de deux ans. J'émets un avis défavorable à votre amendement.
Je ne comprends pas la défiance envers le juge des libertés et de la détention. Dans le cadre de l'enquête préliminaire, celui-ci intervient d'ailleurs à l'occasion de la perquisition si celle-ci se fait sans le consentement de la personne visée. Il est donc déjà prévu que le JLD intervienne dans certaines situations ! Pourtant monsieur le ministre, il vous semble choquant qu'il intervienne pour déterminer si, dans le cadre d'une enquête préliminaire, qui offre des possibilités quasi identiques à l'information judiciaire,…
…il convient de rétablir l'égalité des armes et de permettre davantage de contradictoire en ouvrant une information judiciaire, ou bien de clôturer l'enquête en allant au procès ou en décidant d'une alternative aux poursuites. Or le JLD est la bonne personne pour cela ! Il ne s'agit pas d'être défiant vis-à-vis du procureur de la République. Mais du fait de l'unité du parquet et de son indivisibilité, le refus par un procureur de prolonger l'enquête préliminaire d'un parquetier au bout de deux ans risque d'être difficile à vivre sur le plan professionnel, au sein du parquet. Sans doute serait-il préférable que la décision soit prise par un magistrat qui porte un autre regard, indépendant – un magistrat du siège. C'est la raison pour laquelle le JLD a été créé, au reste.
Enfin, si vous estimez que l'intervention du JLD dans ce cadre serait une bizarrerie, rappelez-vous que d'autres bizarreries ont déjà été créées : en matière de lutte contre le terrorisme par exemple, le JLD intervient sur des mesures administratives – ce qui ne choque personne et ne pose aucun problème ! Il ne s'agirait donc pas d'une innovation. Cela tombe bien : c'est ici, au Parlement, que doivent être discutés le fonctionnement de l'institution judiciaire et sa procédure.
L'amendement n° 516 n'est pas adopté.
L'amendement n° 147 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l'amendement n° 518 .
J'aimerais convaincre le rapporteur et le garde des sceaux d'une évidence qui s'inscrit dans la logique de ce qu'ils ont présenté. Le présent amendement propose qu'au moment de la clôture de l'enquête ou de sa prise de décision, le procureur de la République informe les personnes entendues en qualité de suspect de la suite donnée à l'enquête. Il en existe deux catégories : les témoins assistés d'une part et les personnes mises en cause, soupçonnées d'un délit, d'autre part. Ces dernières sont informées, lors de leur convocation, du délit dont on les soupçonne. En effet, lorsqu'un suspect susceptible d'être poursuivi est renvoyé, il le sait. Mais la personne qui a été entendue en qualité de témoin assisté ne sait rien du tout ; elle est hors de cause mais continue de penser que des poursuites pourraient éventuellement s'exercer contre elle – et ce, ad vitam æternam.
Certaines des personnes entendues vivent péniblement cette épreuve ; d'autres sont entendues plusieurs fois et se demandent si quelque chose peut encore leur être reproché. Or l'information est la moindre des choses que le service public de la justice doit à un citoyen qui a ainsi été interrogé parce qu'on le soupçonnait d'avoir commis un délit. Il s'agit de lui rendre sa dignité, sa sécurité et, d'une certaine façon, sa confiance en lui, en lui signifiant qu'il a été entendu et qu'aucune charge ne sera retenue pour lui. C'est d'ailleurs étrange : le rapport de synthèse de la police judiciaire, à la fin de l'enquête, mentionne bien le fait qu'une personne a été mise hors de cause. La seule qui ne le saura jamais est celle qui avait été mise en cause ! Nous vous demandons simplement qu'elle puisse en être informée.
Je comprends votre amendement, monsieur Lagarde, et la logique qui le sous-tend. Comme vous l'avez dit, la situation des personnes qui font l'objet de poursuites ne soulève pas de difficulté ; elles connaissent le sort que le procureur entend leur réserver, qu'il s'agisse d'une présentation devant un juge d'instruction, d'une citation devant un tribunal correctionnel ou d'une alternative aux poursuites classiques. En revanche, les personnes qui ne font pas l'objet de poursuites ne savent pas toujours qu'elles sont mises hors de cause, ce qui peut en effet soulever une difficulté. Je laisserai le garde des sceaux se prononcer sur la lourdeur de la charge de travail que représenterait, pour les parquetiers, la notification des décisions de classement sans suite aux personnes mises en cause.
Je tiens néanmoins à rappeler que le dispositif prévu par le texte prévoit l'ouverture du contradictoire dès lors qu'il y a perquisition ou que la personne visée fait l'objet d'une audition dans le cadre d'une garde la vue, non pas comme témoin assisté mais en audition libre – vous semblez confondre les deux.
Si vous êtes entendu dans le cadre d'une audition libre ou d'une garde à vue ou si vous faites l'objet d'une perquisition, vous ou votre conseil pourrez écrire au procureur de la République au bout d'un an pour lui demander quelle suite il entend donner à la procédure dont vous faites l'objet. Si, en l'absence de charges, le procureur décide de ne pas aller au-delà de l'enquête préliminaire, il pourra vous indiquer, ou à votre avocat, qu'il abandonne les poursuites envisagées.
Le dispositif que nous avons mis en place, l'ouverture au contradictoire au bout d'un an, me paraît répondre aux préoccupations que vous exprimez. Il permet en effet de savoir si le procureur de la République entend ou non déclencher des poursuites devant une juridiction.
J'ajoute que l'encadrement dans le temps des enquêtes préliminaires permet en soi de fournir une information sur les suites qui leur sont données.
Dans le dispositif actuel, la personne suspectée peut se demander si elle fait toujours l'objet d'une enquête préliminaire car celle-ci est susceptible de durer longtemps. Désormais, à l'issue des délais que nous avons fixés – deux ans plus un an ou trois ans plus deux ans –, elle saura si elle a ou non des comptes à rendre à la justice.
Pour ces raisons, je vous demanderai de retirer cet amendement ; à défaut, mon avis sera défavorable.
Identique à celui du rapporteur. La procédure que vous suggérez, monsieur Lagarde, est intéressante – nous l'avons d'ailleurs envisagée – mais elle aurait un impact très lourd. Imaginez-vous quelle charge considérable de travail cela représenterait pour les magistrats de notifier aux suspects concernés qu'ils ne font pas l'objet de poursuites ?
Vous visez les personnes suspectes ayant été entendues mais il découle naturellement de l'ouverture au contradictoire que nous voulons mettre en place qu'elles seront informées. Elles pourront demander à avoir accès aux procès-verbaux de leur dossier.
Avis défavorable.
Notre groupe soutiendra l'amendement présenté par M. Lagarde car il répond à une exigence forte dans nos territoires et s'inscrit pleinement dans la logique de ce texte.
Je comprends les arguments concernant la charge de travail qu'impliquerait pour le procureur le fait d'informer les personnes suspectes d'un classement sans suite mais notre culture numérique devrait faciliter les choses. Si l'on veut rétablir la confiance dans l'institution judiciaire, il me paraît compliqué de s'interdire de notifier la décision prise par le procureur aux personnes mises en cause.
Je n'interviens que très peu dans ce débat car je crains toujours que ma parole ne soit interprétée à la lumière de mes anciennes fonctions. Je tiens toutefois à soutenir la position du rapporteur et du garde des sceaux. Peut-on imaginer la charge de travail que représenterait une telle notification ? Je ne le crois pas, mes chers collègues. Ce que nous souhaitons, c'est faire en sorte non pas que l'enquête soit allégée mais que la procédure judiciaire aille à son terme. Or si nous en rajoutons à chaque étape, nous n'en sortirons jamais.
Autre argument de poids : qui, en l'absence de poursuite, appréciera la notion de suspect parmi les différents témoins qui auront été entendus ? S'agissant d'ailleurs de témoins, monsieur Lagarde, vous avez fait allusion aux témoins assistés alors que ce statut n'est prévu que pour les informations judiciaires.
Ce que vous suggérez, c'est la quadrature du cercle. Cela me paraît totalement déraisonnable.
Les nouveaux dispositifs prévus par le projet de loi, à savoir la limitation de la durée des enquêtes préliminaires et l'ouverture au contradictoire, permettent de répondre à l'exigence qu'expriment très fortement nos concitoyens en ce domaine, comme l'a souligné Cécile Untermaier.
Il me semble que plusieurs erreurs sont commises dans l'analyse de cet amendement.
Monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, chère collègue Vichnievsky, il est déjà prévu que le parquet envoie un courrier aux victimes. Pourquoi ne pourrait-il pas aussi envoyer le même courrier aux personnes mises en cause ? Cela ne me paraît pas constituer une surcharge de travail.
Excusez-moi d'avoir parlé de « témoin assisté » mais rappelons quelques faits. Si vous êtes témoin tout court, vous n'avez pas le droit à un avocat, vous ne risquez donc pas d'être mis en cause.
Si vous êtes entendu dans le cadre d'une audition libre, vous risquez d'être mis en cause et vous avez à ce titre droit à un avocat. Encore faut-il que vous ayez les moyens d'en payer un ! Je ne connais pas beaucoup de Français modestes qui, devant être entendus en audition libre, savent qu'ils peuvent recourir à l'aide juridictionnelle. Ils auraient d'ailleurs du mal à l'obtenir, compte tenu des délais qui leur sont impartis pour l'audition libre. Ceux-là n'auront donc pas d'avocat et personne ne viendra demander pour eux quelles sont les suites de l'enquête préliminaire. Et s'ils ont un avocat commis d'office, il y a peu de chances que celui-ci, au prix où il est payé, prenne la peine d'écrire au procureur pour savoir ce qu'il advient de son client. Seuls les gens puissants et les gens riches pourront donc accéder à cette information.
Monsieur le rapporteur, certes, il y a des avancées intéressantes. À partir du moment où une personne aura été entendue dans le cadre d'une audition libre ou d'une garde à vue, aura fait l'objet d'une perquisition, elle aura accès à la procédure au bout d'un an. Vous dites qu'au terme du délai de deux ans, elle connaîtra l'issue de l'enquête, mais ce n'est pas le cas puisqu'elle ne peut pas savoir quand la procédure a commencé. Si elle est entendue au bout de dix-huit mois, il lui est simplement indiqué dans quel cadre elle est interrogée mais pas à partir de quelle date a débuté la procédure. Il y a bien quelque chose à ajuster : les personnes doivent pouvoir déterminer quand les délais sont écoulés pour savoir si la justice a reconnu qu'elles n'ont rien fait.
L'amendement n° 518 n'est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l'amendement n° 517 .
Si les actes d'enquête dépassent le délai prévu, ils doivent être considérés comme nuls et non comme potentiellement frappés de nullité. D'où la modification que nous proposons.
L'amendement n° 517 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Je suis saisie de plusieurs amendements, n° 79 , 350 , 78 , 13 et 77 , pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements n° 79 et 350 sont identiques.
Monsieur Pauget, vous avez la parole pour soutenir l'amendement n° 79 . Peut-être pourriez-vous également défendre les amendements n° 78 et 77 ?
Oui, madame la présidente. L'article 2 propose de limiter à deux ou à trois ans la durée des enquêtes préliminaires et de considérer comme nul tout acte d'enquête réalisé au-delà de ce délai. Or dans les cas d'actes de terrorisme, ce risque de nullité de procédure apparaît particulièrement choquant. Il serait en effet inadmissible qu'un terroriste puisse être remis en liberté pour une simple faute de procédure parce qu'une pièce aurait été présentée ou un fait aurait été révélé après expiration des délais. Il en va de même pour les personnes mises en cause pour des agressions sur mineurs ou à l'encontre des forces de l'ordre.
Nous proposons d'exclure de ce régime de nullité les enquêtes portant sur les actes de terrorisme, les agressions sur mineurs ou à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité publique.
Si l'objectif de cet article est tout à fait louable, chaque principe appelle aussi des exceptions. En tant que députée de Nice, ville que vous affectionnez tout particulièrement, je le sais, monsieur le garde des sceaux, je me devais de proposer cette exception pour les actes terroristes. Il me semble impératif en ce cas que l'enquête préliminaire ne soit pas encadrée par de tels délais. Elle doit pouvoir courir sur un temps beaucoup plus long.
L'amendement n° 77 de M. Éric Pauget a été défendu.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Avis défavorable. Prévoir que la nullité s'appliquerait à certains actes d'enquête et pas à d'autres pose un problème constitutionnel. S'agissant des actes de terrorisme, l'enquête préliminaire peut durer jusqu'à cinq ans – trois ans plus deux ans.
Par ailleurs, et cela s'appliquera à bon nombre de situations, rien n'empêchera le procureur de la République de saisir le juge d'instruction pour l'ouverture d'une information. Si des investigations plus poussées sont nécessaires, elles pourront être conduites dans le bureau de ce magistrat, dans le cadre du contradictoire attaché à l'instruction judiciaire.
Enfin, j'ajoute un élément important qui semble vous avoir échappé : si un acte intervient après l'expiration du délai fixé de trois ans plus deux ou deux ans plus un an, il sera seul frappé de nullité. La procédure en amont restera valable.
Bien sûr !
Madame Brenier, monsieur Pauget, j'ai cru comprendre, mais peut-être n'ai-je pas été attentif, auquel cas je vous demande de bien vouloir m'excuser, que vous craigniez qu'une personne mise en cause pour terrorisme ne puisse être remise en liberté. Or, dans le cadre d'une enquête préliminaire, il n'y a pas de détention. Votre préoccupation n'a pas lieu d'être. La nullité concerne l'enquête préliminaire et non l'information judiciaire.
Deuxième remarque : l'enquête préliminaire peut durer cinq ans et est souvent suivie par une instruction. D'ailleurs, pour ne rien vous cacher, lorsqu'un attentat terroriste est commis, c'est le parquet national antiterroriste, le PNAT, qui se saisit des faits et une information est ouverte presque instantanément.
Troisième remarque : vous évoquez le terrifiant attentat du 14 juillet à Nice, et je peux le comprendre – il n'y a d'ailleurs malheureusement pas eu que celui-ci, comme nous l'avons vu encore tout récemment. Toutefois, en droit, car il faut ici parler de droit, il serait totalement inconstitutionnel d'envisager une procédure pénale à géométrie variable. Il ne peut y avoir une procédure pénale pour le terrorisme, une autre pour les vols : elle forme un tout et doit s'appliquer quelles que soient les situations.
Voici trois raisons pour lesquelles je m'oppose à ces amendements. Et je le répète parce que je sais que c'est votre crainte principale : il ne peut pas être question de remise en liberté sur le fondement de cet article puisqu'il porte sur les enquêtes préliminaires. Il n'y a, de ce point de vue, strictement aucun risque.
L'amendement n° 324 rectifié , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Le projet de loi prévoit de limiter la durée maximale des enquêtes préliminaires à deux ans à compter du premier acte de l'enquête, prolongés en cas de nécessité d'une année supplémentaire. Ces délais seraient portés à trois ans plus deux ans dans les cas d'infractions de criminalité organisée et de terrorisme, en raison du caractère complexe de ces enquêtes qui nécessitent des investigations plus longues.
Conformément à l'avis du Conseil d'État, ces mêmes délais s'appliqueraient aux infractions commises en bande organisée dans les domaines économiques et financiers, en cas de trafic de biens culturels, d'atteinte à l'environnement, d'infraction à la législation sur les jeux ou d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
Pour les mêmes raisons, cet amendement de notre collègue Philippe Gomès vise à ajouter à cette liste de cas dérogatoires les infractions relevant de la compétence des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), prévues à l'article 704 du code de procédure pénale, et celles relevant de la compétence du parquet national financier (PNF) mentionnées à l'article 705, afin de tenir compte de la complexité de ce type d'enquêtes et, parfois, de la nécessité d'obtenir des informations en provenance de l'étranger.
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, pour soutenir l'amendement n° 289 .
Je présente de nouveau cet amendement auquel je tiens et que j'avais déjà défendu en commission : il reprend partiellement l'objectif recherché dans l'amendement défendu par mon collègue Brindeau et vise à étendre le délai dérogatoire aux actes commis en matière de criminalité financière.
Encadrer la durée des enquêtes préliminaires et les ouvrir au contradictoire est une excellente mesure et nous devons nous en féliciter. Néanmoins, dans la mesure où nous prévoyons des dérogations aux délais, pourquoi ne pourrions-nous pas les étendre aux affaires financières ? Des dérogations sont prévues, comme cela a été rappelé, pour les infractions en matière de criminalité organisée et de terrorisme. Certes, ces affaires nécessitent des investigations longues et complexes, mais c'est également le cas en matière financière. Vous le rappeliez tout à l'heure, monsieur le rapporteur, les fonds circulent sans frontières et, pour en suivre la trace, l'entraide internationale est nécessaire.
En commission, vous m'aviez répondu, monsieur le ministre, qu'accepter mon amendement reviendrait à vider le texte de sa substance. Cependant, les dérogations en question ne visant qu'un nombre très restreint d'enquêtes, votre réponse m'inquiète parce qu'elle donne à penser qu'au fond, le projet de loi concernerait presque exclusivement des affaires financières. On peut s'inquiéter légitimement de l'issue des enquêtes dans ce domaine.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l'amendement n° 498 .
Il s'agit pour ainsi dire d'un amendement de repli par rapport à l'amendement n° 475 puisqu'il ne concerne que l'article 705 du code de procédure pénale et répond aux mêmes objectifs que celui de notre collègue Laurence Vichnievsky.
Dans le cadre des enquêtes préliminaires en matière de criminalité financière et économique, il est souvent nécessaire d'obtenir des informations en provenance de l'étranger et d'effectuer des recoupements, ce qui allonge mécaniquement les délais – cela ne concerne évidemment pas toutes les affaires – qui pourraient ainsi être supérieurs à ceux prévus dans le projet de loi. Il serait regrettable pour l'efficacité de l'enquête de se priver d'un délai supplémentaire dans le domaine spécifique de la délinquance économique et financière.
Il est vrai, madame Vichnievsky, que nous avons déjà eu ce débat en commission. Tout d'abord, nous souhaitons limiter la durée des enquêtes préliminaires à deux années, éventuellement augmentées d'une troisième année, et ce n'est que par exception que nous envisageons une durée de trois ans plus deux années supplémentaires – c'est-à-dire jusqu'à cinq ans – dans les cas de criminalité organisée ou d'actes de terrorisme. Étendre ce format à d'autres infractions viderait de sa substance la volonté qui est la nôtre de limiter les enquêtes préliminaires dans le temps pour nombre d'infractions qui, souvent, défraient la chronique.
S'agissant ensuite de la technicité de ces dossiers, c'est justement parce qu'ils sont complexes qu'ils méritent une instruction. Et l'on peut très bien mener des investigations à l'étranger dans le cadre d'une commission rogatoire internationale ; cela ne pose aucune difficulté.
Dans les affaires économiques et financières, il est moins nécessaire de rester caché, si je puis dire, que lorsqu'on enquête sur des actes de terrorisme ou de criminalité organisée. Il s'agit de procédures plus classiques qui nécessitent, au bout de trois ans tout de même, de basculer vers l'instruction judiciaire et d'ouvrir l'accès au contradictoire. Les investigations pourront se poursuivre, y compris à l'étranger, je le répète, dans le cadre d'une commission rogatoire.
Nous nous sommes efforcés de trouver un équilibre ; il ne faut pas vider de sa substance l'esprit même de l'article 2, raison pour laquelle la commission s'est prononcée défavorablement sur ces amendements.
Je pense que mon propos a été mal interprété, madame Vichnievsky, lorsque j'ai expliqué qu'il ne fallait pas vider le texte de sa substance : je voulais dire tout simplement que l'exception ne doit pas devenir la règle.
Notre objectif est de limiter la durée des enquêtes préliminaires, dont certaines sont devenues des enquêtes éternelles. Le fait d'être suspecté, parfois pendant de nombreuses années, et de voir son nom livré aux chiens sans avoir accès au dossier est totalement attentatoire aux droits de l'homme.
Certaines matières sont plus complexes que d'autres et nous avons déjà prévu deux cas dérogatoires. S'agissant du parquet national financier et d'investigations qui sont, je le concède, parfois complexes, le procureur de la République aura la possibilité, lorsque le délai – que je souhaite maintenir – arrivera à expiration, de requérir l'ouverture d'une information. Ce n'est pas comme si le dossier était jeté à la poubelle et que nous faisions une faveur au suspect : la justice suivra son cours. Mais il est insupportable qu'une enquête préliminaire puisse durer quatre ans : imaginez ce que cela peut représenter de ne pas savoir à quelle sauce vous serez mangé et de voir votre nom apparaître toutes les semaines dans la presse !
Il faudra d'ailleurs, le moment venu, se demander comment les procès-verbaux arrivent à la connaissance de certains journalistes qui les distillent avec gourmandise. Voilà le problème et, en France, il est devenu insupportable. Au reste, il touche également à la présomption d'innocence. J'ajoute que ne pas savoir à quoi s'en tenir quand on est totalement innocent est la pire des choses : on ne peut même pas se défendre parce qu'on n'a accès à rien. Je le dis très clairement, ça suffit.
Je souhaite que nous en restions aux délais envisagés à l'article 2 : ils n'ont pas été fixés au doigt mouillé, je le répète.
Une commission protéiforme a travaillé et a mené de nombreuses auditions auprès de tous les acteurs concernés. Le but n'est pas d'entraver l'enquête, mais il n'est pas non plus de permettre qu'elle s'éternise sans qu'il y ait jamais l'ombre de l'once d'un coup d'arrêt porté à ces investigations interminables.
C'est pourquoi je suis défavorable à votre amendement, auquel je sais que vous tenez et c'est sans doute légitime. J'y suis aussi défavorable que vous y êtes favorable, mais c'est le jeu démocratique, si j'ose dire.
Je veux réaffirmer ici, car c'est extrêmement important, que si le délai était insuffisant pour mener à bien l'enquête préliminaire, le dossier ferait l'objet d'une information et que les investigations, naturellement, ne seraient pas terminées. Vous évoquiez précédemment les flux qui circulent à l'étranger. Mais une commission rogatoire internationale, ça existe ! Je crois même que cela simplifie beaucoup les choses par rapport à ce qu'il est possible de faire dans le cadre d'une enquête préliminaire.
Pour ce qui concerne les actes de terrorisme ou de criminalité organisée, je pense qu'une enquête préliminaire longue est parfois plus efficace qu'une information, bien que de nombreux parquetiers décident de l'ouverture immédiate d'une information, surtout quand il s'agit de faits criminels,…
…puisque l'ouverture de l'information en la matière est obligatoire.
J'entends vos arguments, monsieur le ministre, mais les affaires financières n'ont pas toujours d'échos dans la presse, loin de là. Le projet de loi prévoit un mécanisme spécifique dans les cas que vous évoquez pour l'ouverture au contradictoire. Vous dites qu'au terme d'une enquête de trois ans, l'ouverture d'une information serait logique, mais il est tout à fait illusoire de penser qu'à effectifs judiciaires constants, celle-ci aboutirait.
Au contraire, nous allons encore allonger la période préalable à la phase de jugement.
Cela pourrait parfois aboutir à l'impunité ou, en tout cas, accentuer l'impunité relative dont bénéficient déjà de nombreux auteurs d'infractions financières.
Je vais abonder dans le sens de l'argumentation de notre collègue Vichnievsky, qui a mille fois raison. Lorsqu'on s'intéresse à la sociologie de la délinquance économique et financière, on se rend compte que les délinquants en question – pour ne pas dire les criminels –, ne cherchent qu'une chose : que le procès ait lieu à une date la plus éloignée possible de la commission de l'infraction et que l'enquête dure le plus longtemps possible,…
Justement !
…afin que leurs avocats – ils ont en général les moyens d'en avoir – puissent invoquer tous les motifs de nullité possibles et imaginables et faire en sorte qu'à la fin on considère l'affaire trop ancienne pour les condamner. Tel est leur objectif.
Si on bascule vers l'information judiciaire à moyens constants – puisque vous vous gargarisez, monsieur le ministre, d'avoir atteint l'effectif cible et considérez qu'il n'est pas besoin de magistrats supplémentaires, dont acte –, qu'arrivera-t-il ? Un allongement de la durée globale de l'enquête.
Pourquoi le parquet national financier a-t-il été créé ? Précisément pour réduire les délais d'enquête qui s'éternisaient au stade de l'information judiciaire, notamment à Paris. Il a été instauré dans ce but, sauf qu'il a été sous-doté. On a fait une belle vitrine, mais il ne s'agit que d'une vitrine : si vous allez dans l'arrière-boutique, vous vous rendrez compte que chaque magistrat n'est plus chargé de huit dossiers, comme le prévoyait l'étude d'impact initiale, mais de trente voire trente-cinq dossiers ! Le PNF est déjà sous l'eau : plus de 600 affaires sont ouvertes pour les dix-huit magistrats qui y exercent. Quant à la situation en matière d'instruction, elle n'est guère meilleure.
En réalité, vous aurez beau tourner le problème dans tous les sens, le meilleur moyen de réduire les délais d'enquête, c'est d'augmenter le nombre de magistrats en France.
Ensuite, en matière de délinquance économique et financière, le deuxième critère discriminant, ce sont le faible nombre d'enquêteurs et leur manque de moyens.
Moi aussi.
Nous avons examiné tout à l'heure une série d'amendements qui visaient à réduire à un an la durée des enquêtes préliminaires encadrée par l'article 2 et fixée à deux ans. Quant aux amendements que nous examinons en ce moment, ils tendent à élargir le champ de l'exception qui permet de conduire ces enquêtes durant une durée de trois ans plus deux ans.
On ne peut pas vider cet article de sa substance. Plus on élargit le champ de l'exception, moins on rend l'article efficace et plus on le vide de son objet. Pour les personnes qui sont mises en cause comme pour les victimes,…
…il est essentiel que la durée de l'enquête préliminaire soit réduite et mieux encadrée. C'est la raison pour laquelle le groupe La République en marche ne soutiendra pas les amendements visant à élargir le champ de l'exception – ce qui rendrait l'article 2 inefficace.
Notre volonté n'est pas de vider l'article de sa substance – d'autant que, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, nous souscrivons à son objectif. Nous parlons ici d'un pourcentage extrêmement réduit d'affaires. Soyons pragmatiques : certaines affaires – économiques et financières, en particulier – obligent à recueillir des informations qui, si elles étaient ouvertes au contradictoire, pourraient mettre en péril l'efficacité de l'enquête. C'est peut-être un choix assumé de votre part : si l'objectif est que la grande délinquance financière bénéficie de l'ouverture au contradictoire, afin de pouvoir se dédouaner encore plus facilement des fautes qu'elle a commises, j'en prends acte. Pour notre part, nous défendons une position pragmatique – j'ai d'ailleurs entendu M. le garde des sceaux se dire pragmatique lui aussi.
Nous partageons l'objectif de l'article 2 ; nous comprenons qu'il faille réduire les délais et éviter de multiplier les exceptions, mais nous soulignons que, dans certains cas très précis, on risque d'ouvrir un champ à de grands délinquants qui mériteraient au contraire qu'on s'intéresse beaucoup plus à eux.
M. Ugo Bernalicis applaudit.
L'amendement n° 476 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
Il a pour objet de porter à cinq années la durée des enquêtes préliminaires relatives à des crimes ou délits de nature terroriste, en raison de leur complexité. Vous venez en partie d'y répondre, monsieur le ministre, mais ne faudrait-il pas prévoir d'emblée une durée de cinq ans pour les affaires terroristes, qui sont complexes et ont des ramifications internationales ?
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l'amendement n° 637 .
Il est identique à celui de M. Pauget. Limiter la durée de l'enquête préliminaire, pourquoi pas ? Cependant, il me semble nécessaire de prendre en considération la complexité de certaines enquêtes. Nous venons d'évoquer le cas spécifique des crimes et délits économiques et financiers, mais il me paraît également indispensable de traiter des enquêtes judiciaires en matière terroriste : pour faciliter le travail de la justice, il est plus que nécessaire de prévoir leur allongement. Il serait parfaitement incompréhensible qu'une enquête judiciaire relative à un crime terroriste n'aboutisse pas pour une raison de délais – imaginez !
Ne levez pas les yeux au ciel, monsieur le ministre ! Nous vous proposons d'allonger la durée de ces enquêtes. Pouvez-vous imaginer qu'une affaire de terrorisme soit classée sans suite au motif que l'enquête ne sera pas suffisamment avancée au terme du délai que vous avez fixé ? Ce serait complètement incompréhensible. Comme M. Pauget vient de le rappeler, les affaires de terrorisme ont parfois des ramifications dans le monde entier ; elles sont par définition ultra secrètes – personne ne clame haut et fort qu'il est un terroriste ! Les enquêtes qui les concernent peuvent donc être très compliquées et nécessiter plus de temps que la moyenne.
Un peu de sérieux, il ne faut pas dire n'importe quoi ! Il y a des gens qui nous regardent !
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, pour soutenir l'amendement n° 540 .
Il s'agit d'étendre la dérogation en matière de délais aux infractions de nature terroriste qui relèvent de la compétence du parquet national antiterroriste – crimes contre l'humanité, crimes de guerre, de torture ou de disparition forcée, crimes concernant les armes de destruction massive –, qui sont souvent commises à l'étranger et présentent une gravité et une complexité particulières.
L'amendement de M. Pauget est satisfait, puisque les actes de terrorisme sont déjà considérés comme relevant de la criminalité organisée. Je suis défavorable à l'amendement de Mme Ménard, et favorable à celui de Mme Vichnievsky.
Je suis également favorable à l'amendement de Mme Vichnievsky.
Pardon de vous le dire, madame Ménard, mais on ne peut pas évoquer les affaires de terrorisme comme vous le faites : des gens nous regardent ! Vous suggérez que le projet de loi permettrait à un terroriste de passer entre les mailles du filet. Or, je le répète, les enquêtes préliminaires sont assez peu nombreuses en matière de terrorisme : les services assurent un suivi de ces affaires – fort heureusement –, et le parquet national antiterroriste est d'une très grande efficacité. Quand un crime de nature terroriste est commis, une information est immédiatement ouverte. Vous ne voulez pas l'entendre – c'est votre choix –, mais lorsque les délais de l'enquête préliminaire ne sont pas suffisants, on recourt à l'information. Aucun terroriste ne pourra passer entre les gouttes à cause du présent texte – c'est un non-sens ! Suggérer une telle idée est désobligeant à notre égard, comme si nous avions conçu une loi qui permettait aux terroristes de s'en sortir. C'est absolument faux ! Le principe est de limiter la durée des enquêtes préliminaires, dont quelques-unes concernent le terrorisme. Le délai que nous avons choisi pour traiter ces cas n'est pas le même que celui des enquêtes préliminaires ordinaires – ou banales, si j'ose dire. Et lorsque le délai alloué aux enquêtes préliminaires pour terrorisme – allongé par rapport au droit commun – ne suffit pas à la police, on ouvre une information.
Ne faites pas croire aux gens qui nous écoutent qu'à cause de ce projet de loi et du Gouvernement, des terroristes recouvreront la liberté. C'est tout le contraire ! Chacun a une responsabilité quand il expose ses arguments. Je ne voudrais pas qu'un seul de nos concitoyens puisse penser ce que vous suggérez. Certes, vous le suggérez sans vraiment le dire, par prétérition, mais vos propos peuvent prêter à confusion. Lorsque le délai de cinq ans n'est pas suffisant, madame Ménard, une information est ouverte. L'entendez-vous ? Entendez-vous, également, qu'il y a peu d'enquêtes préliminaires en matière de terrorisme ?
Enfin, l'amendement de M. Pauget est pleinement satisfait, comme l'a expliqué M. le rapporteur. J'y suis défavorable, comme à celui de Mme Ménard.
Il est également désobligeant, monsieur le ministre, qu'en réponse à deux amendements totalement identiques – celui de M. Pauget et le mien –, vous répondiez à M. Pauget que le sien est satisfait, et que vous passiez cinq minutes à m'expliquer que je n'ai rien compris et que je fais de la désinformation. Pardonnez-moi, mais le procédé ne me paraît pas non plus tout à fait honnête !
Je vais vous répondre !
…et je ne prétends pas induire en erreur les Français qui nous regardent.
Je reprends simplement votre texte : « Avant l'expiration du délai […], le procureur de la République soit met en mouvement l'action publique […], soit met en œuvre une procédure alternative aux poursuites, soit classe sans suite la procédure. » Les trois possibilités existent donc bien.
Comme dans toutes les procédures !
Je n'invente rien, c'est dans votre texte ! Ne me reprochez pas de le citer, ni d'exprimer des objections ou une méfiance à son égard !
C'est bien vous qui l'avez écrit, et certainement pas moi – puisque de toute façon, à chaque fois que je propose un amendement, vous le refusez !
Je reviens un instant à la charge – mais un instant seulement, je vous rassure, madame Ménard. Le but de votre amendement est de porter à cinq ans au maximum la durée des enquêtes relatives à des actes de terrorisme ; or c'est déjà ce que prévoit le texte. J'ai donc répondu à M. Pauget, dont l'amendement visait le même objectif que le vôtre, qu'il était satisfait. Mais lorsque vous avez pris la parole, madame Ménard, vous avez suggéré qu'à cause de notre texte, des terroristes pourraient recouvrer la liberté : c'est ce qui me dérange, parce que c'est faux. J'ai répondu à M. Pauget que la disposition qu'il souhaitait figurait déjà dans le projet de loi – comme c'était sa seule remarque, je n'avais rien à ajouter. En revanche, j'ai apporté une réponse complète à vos différentes remarques – c'était d'autant plus important que le projet de loi peut intéresser un certain nombre de nos compatriotes, et qu'ils nous écoutent.
Accréditer l'idée qu'en limitant la durée de l'enquête préliminaire, on pourrait entraîner la libération d'un terroriste, dans une forme d'insouciance du garde des sceaux ou de laxisme – le mot est tellement à la mode ! – m'est insupportable. C'est pourquoi, très respectueusement, je vous réponds, comme je le fais depuis que nous avons fait connaissance au Parlement – où vous êtes très souvent présente et où vous faites un travail exceptionnel, même si nous avons quelques désaccords philosophiques. Du reste, il est faux d'affirmer que je n'ai jamais donné d'avis favorable à vos amendements. Voilà ce qu'est le débat tel que je l'entends – et vous acceptez d'ailleurs volontiers de débattre –, mais quand vous suggérez qu'en raison de ce texte, on libérerait des terroristes dangereux, je ne peux pas vous laisser le dernier mot : ce n'est ni mon intention, ni l'objet du texte, vous en conviendrez.
L'amendement n° 540 est adopté.
À la fin de l'alinéa 6, il s'agit de remplacer les mots « les délais de deux ans et d'un an prévus au présent article sont portés respectivement à trois ans et à deux ans » par la mention « le délai raisonnable est appliqué ». Les articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale traitent de crimes tels que le meurtre commis en bande organisée, les tortures et les actes de barbarie commis en bande organisée, ou encore la traite des êtres humains. Étant donné la gravité de ces crimes, il est préférable de laisser au procureur la responsabilité d'apprécier la pertinence de la longueur de l'enquête préliminaire, afin de donner toutes ses chances à la justice d'arrêter les auteurs de ces crimes atroces.
Si l'expression « délai raisonnable » existe dans notre droit, c'est qu'il existe aussi des délais déraisonnables. Dans un souci de clarté, je préfère fixer les délais plutôt que d'évaluer leur caractère raisonnable ou déraisonnable. Je vous fais donc la même réponse que tout à l'heure – à la différence qu'ici, votre commentaire ne me choque en rien. Nous souhaitons encadrer l'enquête préliminaire. Elle est plus longue concernant les infractions que vous mentionnez que dans le cas ordinaire ; et si l'enquête n'est pas terminée dans le délai prévu, une instruction peut être ouverte. Cela ne présente pas de risque d'embolie de l'instruction – contrairement à ce qu'ont dit certains –, car une très faible proportion d'enquêtes préliminaires, de l'ordre de quelques pourcents, dépasse les délais. La possibilité de l'instruction existera donc ; les services de la chancellerie l'ont parfaitement analysée.
Cet amendement de repli vise à étendre le délai d'enquête aux nouvelles infractions créées par le projet de loi sur le climat.
En pratique, les incriminations environnementales donnent rarement lieu à des poursuites car il est parfois difficile pour les plaignants d'apporter la preuve des faits dénoncés. De plus, pour être constitués, certains délits environnementaux doivent porter atteinte de manière grave et durable à l'environnement durant au moins dix ans. Pendant cette période, la matérialité de l'infraction peut changer – dilution des substances, abaissement des taux et seuils. Or les prélèvements, analyses et relevés constituent bien souvent les premiers moyens de preuve mobilisés par les parties civiles. Dans ces conditions, une enquête approfondie peut s'avérer déterminante pour les suites réservées à l'affaire.
Eu regard à la gravité de ces délits et dans le droit fil des objectifs du projet de loi climat, il est proposé d'étendre les délais de trois et deux ans visés à l'alinéa 6 aux infractions environnementales les plus graves : le délit général de pollution, ainsi que le délit d'écocide, qui feront l'objet des nouveaux articles L. 230-1 et L. 230-3 du code de l'environnement.
J'ajoute que le code de l'environnement n'étant pas applicable en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, puisque ces collectivités sont compétentes en la matière, il faut, pour qu'elles bénéficient de l'extension du délai d'enquête au délit d'écocide, prévoir son application en lien avec les dispositions analogues qu'elles ont adoptées.
Vous le savez, monsieur le ministre, le taux de poursuite des infractions environnementales est encore trop faible en France hexagonale et dans nos territoires ultramarins : moins de 16 % des affaires traitées par les différents parquets donnent lieu à des poursuites devant les tribunaux. La cause principale de cet échec réside à mes yeux dans la difficulté de rapporter la preuve des faits dénoncés et d'identifier l'auteur de l'infraction. De ce point de vue, le délai d'enquête accordé aux officiers de police judiciaire est déterminant pour les suites réservées à l'affaire.
Par le projet de loi climat et résilience, adopté en première lecture le 4 mai dernier, nous avons fait le choix de rehausser de plusieurs crans le niveau d'engagement de la France en matière environnementale. Pour les générations futures et en mémoire de nos proches et amis décédés du fait des infractions environnementales – je pense notamment à mes proches victimes du scandale du chlordécone –, le taux des infractions environnementales non poursuivies doit être réduit à néant. Donnons-nous les moyens de nos prétentions en incluant les principales infractions environnementales dans le champ de l'article 2 afin de leur appliquer le délai d'enquête prolongé. Il pourra ensuite être étendu au délit général de pollution et au délit d'écocide tels que les prévoit le projet de loi climat qu'examine le Sénat. Le jeu en vaut la chandelle !
L'amendement n° 480 de M. Philippe Gomès a-t-il été défendu, madame Thill ?
Je partage avec vous le constat que les infractions au droit de l'environnement ne sont pas suffisamment poursuivies. Les choses sont en train de changer – on l'espère, en tout cas –, notamment grâce au projet de loi climat, en cours de discussion, instituant un délit d'écocide. Autre avancée majeure : la loi sur la justice environnementale, votée à l'initiative de Naïma Moutchou en fin d'année dernière, facilitera les procédures et permettra notamment aux inspecteurs environnementaux de communiquer avec les parquets. En outre, la Chancellerie mobilise des moyens supplémentaires : des assistants spécialisés vont renforcer les parquets sur ces matières bien spécifiques et des juridictions spécialisées vont être créées. En clair, la volonté politique est là et les moyens déployés pour lutter contre ceux qui portent atteinte à l'environnement augmentent. Il est peut-être prématuré d'affirmer que ces moyens produisent des effets si insuffisants dans le cadre des enquêtes préliminaires qu'il faudrait basculer dans le régime exceptionnel de l'enquête préliminaire de cinq ans, dont nous nous accordons tous à dire qu'elle doit rester l'exception. Faisons le pari que tous ces moyens supplémentaires permettront de poursuivre ceux qui se rendent coupables d'atteintes à l'environnement dans le cadre de l'enquête préliminaire désormais classique de deux ans, éventuellement trois.
Je vous demande donc de retirer vos amendements ; à défaut, je formulerai un avis défavorable mais cela me gênerait parce qu'encore une fois, je partage votre ambition qui rejoint tout à fait celle qui inspire les mesures votées depuis plusieurs mois dans cet hémicycle, à l'initiative du Gouvernement et des parlementaires.
En effet, l'ambition du Gouvernement est d'aller bien plus loin encore en matière environnementale. Nous avons déjà beaucoup progressé depuis quelques mois, d'abord avec la loi du 24 décembre 2020 qui a créé au sein de chaque cour d'appel une juridiction spécialisée en matière environnementale. Cette jeune juridiction n'est installée que depuis le 1er avril ; laissons-lui le temps de prendre ses marques. Il va de soi que les délits environnementaux doivent être poursuivis et sanctionnés, mais il me semble un peu prématuré de considérer que les enquêteurs ne seront pas en mesure de faire leur travail dans le délai que nous prévoyons. En outre, s'ils manquaient en effet de temps, les affaires ne tomberaient pas puisque l'enquête pourrait se poursuivre dans le cadre d'une information judiciaire.
Comme le rapporteur, je suis très sensible aux préoccupations que vous exprimez, monsieur Serva, et vous savez combien le Gouvernement est mobilisé sur les questions environnementales. Néanmoins, j'ai également le souci de ne pas trop déroger à la règle que nous souhaitons fixer, à savoir l'encadrement de la durée des enquêtes préliminaires – qui, en réalité, n'ont jamais été limitées dans le temps. Or je crains, comme je l'ai dit tout à l'heure à Mme Vichnievsky, que l'exception ne devienne la règle en la matière. C'est pourquoi j'émets un avis défavorable aux amendements même si j'en comprends naturellement le sens, car je sais combien le combat écologiste vous tient à cœur.
On peut comprendre la volonté de Mme Vichnievsky de porter le délai d'enquête à trois ans pour les délits et les crimes financiers, eu égard à l'importance de la politique publique de lutte contre la corruption, sur laquelle nous ne devons pas faillir. En matière d'environnement, en revanche, je ne comprends pas vos hésitations, monsieur le garde des sceaux : au contraire, c'est la rapidité qui doit s'imposer puisque la réparation est presque impossible. C'est donc la procédure du référé qu'il faut privilégier en la matière. Or il faut bien admettre que Naïma Moutchou et moi-même avons échoué à l'introduire dans le projet de loi climat, alors qu'elle permettrait de saisir le juge très rapidement afin de faire de la prévention plutôt que de la réparation. Ce n'est pas l'allongement de la durée d'enquête qui permettra de prévenir les problèmes environnementaux mais la procédure de référé, vers laquelle nous devons orienter nos politiques.
Les arguments du rapporteur et du garde des sceaux m'ont convaincu : je retire mes amendements.
L'amendement n° 509 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n'est pas adopté.
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l'amendement n° 583 .
Cet amendement de notre collègue Paul-André Colombani vise d'une part à ce qu'une information judiciaire soit systématiquement ouverte lorsque le procureur ne prend pas de décision de nature à poursuivre ou à arrêter l'enquête, et, d'autre part, à sanctionner de nullité les actes de procédure qui seraient accomplis au-delà du délai d'enquête préliminaire.
On risquerait la multiplication des saisines très abusives du juge d'instruction ; avis défavorable.
L'amendement n° 583 , repoussé par le Gouvernement, n'est pas adopté.
Cet amendement reprend une préconisation du Conseil national des barreaux (CNB) qui devrait ne pas vous être désagréable.
J'ignore pourquoi vous m'interpellez de façon aussi obsessionnelle, cher collègue, d'autant plus que ce n'est pas vous que je visais hier – mais qu'importe. Sachez néanmoins qu'on peut écouter tout le monde, même le Conseil national des barreaux.
Bien sûr !
Je reprends en essayant de me concentrer, sans quoi Mme la présidente risque de me couper la parole avant que j'aie pu exposer mon amendement, et je n'ai pas beaucoup parlé cet après-midi.
Cet amendement devrait recueillir l'assentiment du garde des sceaux puisqu'il vise à renforcer les droits de la défense et le contradictoire dans l'enquête préliminaire, notamment en permettant au suspect et à son avocat d'accéder au dossier dès la garde à vue ou l'audition libre.
Un tel droit d'accès existe déjà dans un nombre de cas très restreint. Il est proposé de l'élargir – sans mettre en danger l'enquête, cela va de soi, et à condition que le dossier soit expurgé de toutes les données sensibles ou susceptibles de contrarier l'enquête. Comme l'étude d'impact de votre projet de loi le souligne elle-même, ce droit existe dans la plupart des pays européens et dans la plupart des démocraties, mais pas en France ; il correspond également à une attente de la Cour européenne des droits de l'homme. Saisissons l'occasion de cette avancée.
Nous souhaitons renforcer les droits de la défense et le contradictoire dans l'enquête préliminaire en donnant au suspect et à son avocat accès au dossier dès le stade de la garde à vue ou de l'audition libre. En effet, il est difficilement tolérable que le citoyen mis en cause dans le cadre d'une enquête préliminaire ne puisse rien connaître du dossier qui l'accuse et le prive d'une défense équitable. De plus, l'étude d'impact du projet de loi rappelle que dans la plupart des pays européens, parmi « les droits les plus fréquemment conférés à la personne au cours de l'enquête figurent le droit d'accès au dossier, le plus souvent au cours de la garde à vue, et le droit de demander des actes d'enquête ou de participer à des actes d'enquête et d'être informée de ses droits ». Par cet amendement, nous souhaitons tout simplement aligner notre législation, plutôt respectueuse des libertés, sur celles de nos amis européens.
Je reprends le même argument relatif au renforcement des droits de la défense dès le début d'une procédure.
L'amendement n° 798 de M. Pierre Morel-À-L'Huissier est défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
Cette revendication des avocats s'inscrit dans le droit fil de la possibilité qu'ils ont obtenue d'être présents à une garde à vue, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. C'est un sujet important dont nous avons débattu en commission lors de l'examen de ces amendements. Le moment n'est pas encore venu, je le dis à titre personnel. Les avancées que nous adoptons aujourd'hui nous conduiront certainement, dans un futur assez proche, à ouvrir encore davantage le contradictoire, dès le stade de la garde à vue, mais pas dans ce texte.
J'en profite pour me réjouir des avancées notables qui y figurent : il ouvre notamment l'enquête préliminaire au contradictoire dans les cas évoqués. C'est précieux : lorsque l'on a été auditionné en garde à vue, on sait qu'à terme, on accédera enfin au dossier qui pourra peser dans le cadre de l'enquête préliminaire.
Lors des travaux en commission, Antoine Savignat a dit que la présence de l'avocat…
Antoine Savignat est parfois une référence et, en l'espèce, ce fut le cas : il a plaidé avec vigueur pour que l'avocat reste au prétoire, car il n'a pas vocation à assurer la défense de son client sur pièces dans le cadre d'une garde à vue ou d'une audition libre.
En bref, je suis très sensible à ces amendements à titre personnel, mais je rapporte au nom de la commission, qui donne un avis défavorable. Je le redis : les avancées du texte en matière de contradictoire et de droits de la défense sont déjà très notables.
Monsieur Peu, c'est un sujet important, mais je le regrette, on ne peut le traiter ainsi, par voie d'amendement. Ce dispositif pourrait s'inscrire dans une réforme globale de la procédure pénale, car de nombreux éléments sont en jeu. Que le Conseil national des barreaux vous ait soufflé cet amendement à l'oreille, soit. Mais ne devons-nous pas réfléchir aux questions suivantes : la police ne doit-elle pas avoir un temps d'avance ? quels sont les pièces et éléments risquant de porter atteinte à l'efficacité des investigations ? Il est difficile d'inscrire ce dispositif dans le texte.
Certaines précautions doivent être prises. Ainsi, il faut protéger les avocats les plus jeunes et les plus fragiles car s'ils disposent de trop d'informations au sortir de la garde à vue, ils pourront également faire l'objet de certaines pressions. Ce sont des choses auxquelles on ne pense pas : dans un monde idéal, aucune pression ne s'exerce sur les avocats. Or on sait que cela peut exister.
Ce dispositif s'inscrit dans une réflexion globale qui doit être plus approfondie. À ce stade, j'y suis complètement opposé, mais ni par principe ni par rigidité. Bien entendu, tout ce qui contribue à renforcer le contradictoire et les droits de la défense peut être opportun, mais il faut encadrer ce dispositif davantage que par les quelques mots de l'amendement proposé par le CNB – vous l'avez dit très clairement –, qui n'est pas suffisant.
Beaucoup de questions se posent ; je pourrais développer mon propos plus longuement, mais je ne veux pas faire perdre son temps à l'Assemblée nationale. En l'état, retenons que c'est une piste de travail. La question ne se pose pas pour la première fois. Au sein du barreau, car le CNB ne représente pas tout le barreau, il y a des divergences : il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre et ceux qui sont assez sceptiques.
Il faut donc conduire un véritable travail qui ne peut être fait à l'emporte-pièce. Je ne suis pas désobligeant à l'égard de la rédaction de votre amendement, mais vous comprenez que c'est un sujet qui, à cet instant précis, nous dépasse.
Je ne peux pas faire l'économie de relever un petit paradoxe : lors de la discussion générale, j'ai entendu M. Peu reprocher que le projet de loi fût le texte des avocats pour les avocats, et voilà qu'il soutient un amendement proposé par le CNB, que je n'ai moi-même pas déposé. Désolé, monsieur Peu – je connais d'ailleurs la qualité de votre travail, qui est incontestable.
Je partage l'exposé du garde des sceaux. Il ne faut pas donner à la police un temps d'avance ; chacun doit jouer son rôle. L'avocat exerce un rôle de défense. S'il est présent à tous les moments de la procédure, il ne pourra plus avoir sa place devant le tribunal, puisqu'il en aura cautionné toutes les étapes. Il faut faire en sorte que chacun puisse se défendre, expliquer et faire connaître sa position. Mais si la défense intervient dès l'interpellation ou la garde à vue, elle n'aura pas le même poids que lorsqu'elle se présente pour la première fois devant le tribunal, eu égard au principe dit de l'égalité des armes, c'est-à-dire du dossier en possession du tribunal et de celui de la défense, pour parvenir à la solution la plus juste. À l'instar de ce que viennent d'indiquer le rapporteur et le ministre, je ne pense pas que ce soit la bonne solution.
Tout d'abord, cet amendement n'est pas uniquement soutenu par le CNB. Je suis un ancien avocat et j'aurais pu cosigner voire écrire cet amendement sans que le CNB me le transmette.
Si je le soutiens, c'est parce que, dans certains cas, j'aurais aimé pouvoir accéder au dossier dans des circonstances où il y avait un équilibre des enjeux.
Lorsque j'ai soutenu mon amendement tout à l'heure, j'ai relevé que d'autres pays européens ont fait des avancées. Je rappelle qu'il a fallu que la France soit sanctionnée pour que l'avocat assiste très tôt la personne mise en garde à vue. On a toujours un temps de retard – cela me désole un peu pour mon pays – et on le constate de plus en plus, sur tous les sujets. Dans ce cas particulier, on aurait pu adopter ce dispositif.
Je ne suis pas contre, mais pas maintenant, pas comme ça !
Le seul qui ne soit ni magistrat ni avocat dans ce débat s'autorise malgré tout à vous dire quelques mots. D'abord, une précision : je n'ai pas dit qu'il s'agit d'un texte d'avocats. Je ne souhaite pas que les débats économiques se jouent entre avocats d'affaires ou experts-comptables, que le débat sur la justice se déroule entre personnels judiciaires, quand bien même ils seraient devenus députés, et ainsi de suite : cela vaut pour tous les thèmes. Nous sommes ici le peuple souverain parce que nous avons été élus, et chacun a sa part de réflexion et de vérité.
Pour ce qui me concerne – M. le garde des sceaux le sait bien –, je discute beaucoup avec les magistrats, les avocats et les policiers. C'est un sujet qui, dans mon département, me préoccupe. Ainsi, je puise ma réflexion à la fois dans ce que je vis, auprès des citoyens que je côtoie, mais également auprès des professionnels qui agissent sur le territoire que je connais le mieux, la Seine-Saint-Denis.
Cette précision étant faite, j'entends bien les observations et la faiblesse de cet amendement qui ne précise pas les éléments qui devraient être exclus de la communication. Il y a bien là une faille.
Toutefois, je rejoins M. Clément : notre pays, sur plusieurs sujets, est de plus en plus en deçà de la norme européenne en matière de droits, parfois de droits de l'homme. C'est préoccupant ; nous devrions tous nous en inquiéter et ne pas nous satisfaire de ces retards accumulés qui portent préjudice à la France, eu égard à son histoire et à sa grandeur.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures :
Suite de la discussion du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures quarante.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra