Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du jeudi 20 mai 2021 à 9h00
Modernisation des outils et gouvernance de la fondation du patrimoine — Article 5

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Ces questions doivent toujours être envisagées avec bon sens, sans passion et avec recul. Il y aura demain une seule modification avec cet article : le juge devra dire pourquoi il renonce au bracelet, stop et fin. Quant à la détention provisoire, je ne la renie pas ! Elle est utile et doit contribuer à la manifestation de la vérité. Dans le cas d'un groupe de complices dont l'un est arrêté, on souhaite naturellement que ce dernier ne puisse pas communiquer avec les autres, qui sont toujours en liberté. La détention provisoire s'impose alors comme une évidence, et il n'y a rien d'autre à dire ! Après huit mois, que dira le juge ? Il refusera qu'elle soit levée car le risque de concertation frauduleuse entre le détenu et ses complices, s'ils sont encore en liberté, existera toujours.

Nous disposons simplement de cet outil qu'est le bracelet, qui permet de suivre la personne mise en examen tout en respectant davantage le principe proclamé par le code de procédure pénale – je le dis depuis des décennies –, celui de la liberté. C'est un vrai moyen de surveillance ! Ensuite, quand le détenu remis en liberté comparaît devant le juge du fond – tribunal correctionnel ou cour d'assises –, il peut être placé en détention, sa durée correspondra cette fois au quantum de la peine prononcée. Cela arrive tous les jours dans les juridictions françaises : un homme qui a déjà fait trois mois de détention peut arriver libre mais être condamné à cinq ans de prison et ainsi être immédiatement incarcéré.

D'ailleurs, le système anglo-saxon auquel vous vous êtes tout à l'heure référée, madame Ménard, ne connaît pratiquement pas la détention provisoire. Il est très particulier : il faut payer pour rester en liberté – c'est un système de caution. On ne pourrait pas envisager un tel fonctionnement dans un système comme le nôtre, et fort heureusement ! Vous voyez, quand on considère ces questions avec sérieux – je ne doute pas du vôtre – et de manière objective, on parvient à cette réponse.

Il n'est pas dramatique de demander à un juge de dire pourquoi il n'opte pas pour le bracelet électronique à l'égard d'un prévenu qui a passé huit mois en détention provisoire. Ce n'est pas plus compliqué que cela. On ne peut pas tenir un discours schizophrénique : adopter à l'unanimité une loi contre les conditions de détention indignes et ne pas se poser des questions, notamment quand la France, pays des droits de l'homme, est épinglée dans les médias pour son taux record de détention provisoire – 30 % des personnes détenues en France sont en détention provisoire contre 21 % en Espagne, par exemple.

Ma réforme n'a rien de révolutionnaire en la matière ; je n'ai pas été pris de folie : le juge devra dire pourquoi il ne choisit pas le placement sous bracelet électronique pour un prévenu qui a déjà fait huit mois de détention provisoire. S'il ne le fait pas et en donne les raisons, le choix sera incontestable.

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