Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du mardi 25 mai 2021 à 21h00
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Notre pays perd chaque année un peu plus d'exploitants, et les cinq prochaines années ne laissent rien augurer de mieux compte tenu de la pyramide des âges des actifs d'aujourd'hui. Dès lors, la superficie des exploitations ne cesse de s'accroître et la financiarisation a gagné les campagnes. Ces maux sont bien connus maintenant. Vont-ils devenir durables ?

La raréfaction des terres, la concentration des exploitations et l'accaparement des sols par certains acteurs, parfois étrangers au monde agricole, modifient profondément le marché du foncier. Les outils de régulation se sont érodés avec le temps et sont à bout de souffle, à un point tel que certains en appellent à leur suppression pure et simple pour laisser le marché devenir le seul juge-arbitre.

Les premiers à endurer les conséquences de ces évolutions sont et seront toujours les jeunes agriculteurs. Les coûts d'installation explosent et l'accès à la terre leur est de plus en plus difficile, spécialement pour les installations hors du cadre familial. Dans ces conditions, ils sont de moins en moins nombreux à souhaiter s'installer.

Notre droit est ancien et dépassé par ces enjeux. Il existe un remède, maintes fois annoncé depuis le début du quinquennat : une grande réforme foncière embrassant les problèmes dans leur globalité et permettant à notre agriculture de préparer l'avenir. C'est pourquoi, depuis plusieurs années, nous portons, avec d'autres parlementaires et la société civile, la question du foncier dans le débat public. Au cours de cette législature, la mission d'information commune sur le foncier agricole et le colloque organisé à l'Assemblée nationale en 2019 ont été des occasions de dresser des diagnostics et de proposer des solutions. Les conditions étaient réunies pour nous atteler à la construction d'un nouvel encadrement juridique, mais la volonté politique a manqué. À la suite de ces renoncements, nous devons examiner une proposition de loi qui se contente de parer au plus pressé, au risque de tourner le dos à l'avenir.

Sur le fond, je partage la volonté de l'auteur de la proposition de loi de mieux contrôler les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés qui détiennent ou exploitent des terres agricoles. C'est ici que le poison s'est invité. En effet, un nombre croissant de structures recourent à la forme sociale pour échapper aux règles de régulation du foncier agricole. Avec aussi, reconnaissons-le, la complicité de professionnels pourtant chargés de mission de service public ! Ces montages sociétaires, familiaux ou financiers, ou familiaux puis financiers, ne permettent plus aux instruments que sont la SAFER et le contrôle des structures des exploitations agricoles d'intervenir pour limiter l'accaparement. C'est pourquoi votre texte crée, à côté du contrôle des structures et du droit de préemption des SAFER, un troisième mécanisme qui permettrait de soumettre à autorisation administrative les cessions de titres sociaux sur des sociétés détenant ou exploitant des terres agricoles.

Je conteste ce choix de multiplier les outils dédiés à la surveillance des transferts de propriété et de jouissance des terres agricoles. Il ajoute de la complexité sans permettre de réels gains d'efficacité. J'estime au contraire qu'il aurait fallu procéder à une remise à plat de l'ensemble des procédures, quitte à étendre le champ du contrôle des structures aux titres sociaux.

Par ailleurs, je redoute les conséquences de votre nouveau dispositif qui cantonne l'autorisation administrative au dépassement d'un seuil d'agrandissement « significatif ». Ce faisant, il pérennise une inégalité de traitement entre les exploitations agricoles sociétaires et individuelles. Il repose sur un seuil plus élevé que celui du contrôle des structures, ce qui risque d'inciter tous ceux qui veulent s'agrandir à l'utiliser.

La place prépondérante laissée à la SAFER dans l'instruction des dossiers constitue un autre sujet d'inquiétude. Sa capacité à juger en toute impartialité certains dossiers m'interroge. En outre, il reste à clarifier les moyens mis à sa disposition pour faire face à ce surcroît de travail. Faute de dédommagement, le risque encouru est celui d'une implication minimale.

Vous prévoyez également d'exempter l'ensemble des donations de ce nouveau dispositif de contrôle. Comment garantir que cette disposition ne donnera pas lieu à des contournements, comme ce fut le cas lorsque toutes les donations de terres se situaient hors du champ de préemption de la SAFER ?

Un mot enfin de la procédure d'instruction, longue et complexe, que vous proposez. Elle ouvre, elle aussi, la porte à des dévoiements. Si le silence de l'administration vaut acceptation, il y a fort à parier qu'un nombre élevé de dossiers seront validés sans même un regard sur le contenu de l'opération. Quant à la possibilité de mettre en œuvre des mesures compensatoires négociées entre vendeur et acquéreur de titres sociaux et la SAFER, elle pourrait se traduire par des ventes de terres et de nouvelles locations arbitrées par cette même SAFER, voire, pire encore, par des marchandages qui n'auraient pas le seul intérêt général pour fondement, sans que les opérations n'aboutissent à une diminution de la taille de l'exploitation.

En résumé, l'arsenal législatif déployé n'est pas à la hauteur de l'ambition affichée : rien de nouveau sous le soleil législatif !

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