Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 1er juin 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Ces quinze minutes me donnent l'occasion de vous détailler les raisons profondes de notre opposition à cet énième texte relatif à la lutte contre le terrorisme. Sans m'appesantir, je signale d'ailleurs que nous adoptons un nouveau texte sur le terrorisme tous les ans ou tous les deux ans, au point que cette accumulation sur trente ans rend les mesures difficiles à appliquer par la police administrative ou par l'autorité judiciaire.

Le concept de dangerosité, rappelé par le garde des sceaux, nous inquiète particulièrement tant il peut être lourd de conséquences en matière de restriction, voire de suppression, de la liberté d'aller et venir, en raison de l'application de mesures de sûreté. Il faut nous y arrêter car nous sommes dans un contexte, dans une séquence politique, où chacun y va de sa surenchère personnelle ou politique concernant la Constitution. En fait, c'est le bloc de constitutionnalité qui est en cause, et plus précisément la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Qu'est-il écrit dans cette Déclaration qui soit si scandaleux que l'on soit obligé de pousser le Conseil constitutionnel dans ses retranchements interprétatifs – avec succès la plupart du temps ? Je vous en lis quelques extraits, notamment l'article 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

C'est la notion de sûreté qui m'intéresse ici. Comme chacun sait, le droit à la sûreté protège contre les atteintes à la personne ou à ses biens. Il garantit aussi de ne pas être mis en cause arbitrairement par la puissance publique – différence sensible avec le principe de sécurité. La protection contre l'arbitraire est notamment assurée par des procédures judiciaires telles que le recours effectif qui fait débat en ce moment.

Lisons maintenant l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Dans un État de droit, on est donc présumé innocent ; les poursuites doivent reposer sur des éléments de preuve tangibles soumis à une éventuelle contestation dans le cadre d'une procédure. Avec le concept de dangerosité, le mis en cause a sous les yeux des notes blanches contenant très peu d'éléments : il n'a donc rien à y opposer. Il est là, à se débattre sans savoir ce qu'on lui reproche exactement et à subir des mesures restrictives de liberté. On peut se dire : tant que c'est du terrorisme, ça va, ça passe. D'ailleurs, c'est ainsi que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel repoussent à tour de rôle les limites de l'interprétation de ce qui est possible au titre du bloc de constitutionnalité.

Poursuivons avec la lecture de l'article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » Les termes sont très importants, notamment à la lumière du texte que nous avons adopté sur le séparatisme. Même si personnellement je le désapprouve, les gens peuvent avoir une vision rigoriste de leur religion – peu importe laquelle – dès lors qu'ils ne troublent pas l'ordre public.

Dans bien des cas, on considérera désormais comme dangereux des gens qui n'ont pas commis de troubles à l'ordre public, mais dont on sait qu'ils ne pensent pas correctement dans leur tête. Oui, on appelle cela les lois des suspects, comme il y en a déjà eu dans l'histoire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.